Connaissances actuelles sur les débâcles brutales
Les études menées sur la thématique des débâcles brutales sont généralement divisées en 2 catégories. En effet, on trouve des articles qui se concentrent sur les aspects hydrauliques de la vague de débâcle (Lauber et Hager, 1998 ; Janosi et al., 2004 ; Capart et al., 2011, Hungchu et al., 2014) et d’autres sur le domaine du transport solide (Pritchard et Hogg, 2002 ; Rushmer, 2007 ; Soares-Frazão et al., 2007 ; Zech et al., 2008 ; Spinewine et Capart, 2013). La grande majorité des références axent leurs recherches sur la modélisation numérique de ces écoulements particuliers et utilisent la modélisation physique comme support aux résultats numériques. Les références présentées dans le tableau 1 montrent la variété des canaux qui ont été utilisés. Les longueurs varient d’une vingtaine de mètres à moins de 3 m et les largeurs de 5 m à 0,10 m. Les sédiments sont également variés tant sur leur nature que sur leur granulométrie. Les conditions abordées sont dans la plupart des cas avec des pentes nulles ou très faible (1,75%). Enfin, ces références présentent le point commun de représenter une rupture instantanée par une ouverture de vanne qui libère un volume d’eau (parfois de sédiments) contenu dans une cuve.
Comportement morphodynamique en canal sous l’effet de débâcle brutale
Le transport sédimentaire dans le cas de débâcles brutales peut être divisé en 2 types selon la forme de la vague. Un premier type concerne le transport solide au front de la vague où, du fait de la forte turbulence locale, les sédiments sont facilement mis en suspension et transportés à la même vitesse que le fluide. L’écoulement est alors un mélange homogène entre sédiments et eau dont la concentration granulaire peut varier en fonction des volumes de débâcle (Girard, 2019). Une stratification de la concentration granulaire au sein du flux s’établit et entraine des modifications hydrauliques de l’écoulement (Hung-Chu et al. 2014). D’autre part, un transport solide se met en place après le front extrêmement turbulent de la vague, mais celui-ci correspond à du charriage, c’est-à-dire à un mouvement d’une couche de sédiments, d’épaisseur équivalente à quelques grains, par roulement sur le fond du lit. Une étude similaire au présent travail a été menée précédemment et a montré qu’il semblait que les zones érodées par la vague étaient recouvertes par les sédiments charriés par la suite de l’écoulement, les résultats topographiques ne montraient alors pas ou peu d’érosion (Girard, 2019). Dans le cas où la pente était considérée et pour des volumes importants, les écoulements engendraient une érosion généralisée du substrat puisque des sédiments étaient collectés en bout de canal (Girard, 2019). Les phénomènes d’érosion et de dépôt semblent être spatialisés. En effet, dans plusieurs cas, autant expérimentaux (Spinewine et Zech, 2007 ; Hung-Chu et al. 2014 ; Girard, 2019) que naturels (Brooks et Lawrence, 1999 ; Alcrudo et Mulet, 2007), une fosse d’érosion se forme à l’aval direct de la rupture, puis des phénomènes de dépôt apparaissent plus en aval. En conditions expérimentales les processus dépendent principalement de l’évolution de la hauteur d’eau puisqu’il n’y a pas de variation de la pente du lit ni de sa largeur. En outre Hung-Chu et al. (2014) explique cette érosion localisée par les conditions hydrauliques au moment de la rupture du barrage. En effet, lors du retrait de la vanne les vitesses d’écoulement sont quasi-verticales et importantes. Puis, lorsque le flux arrive au contact du lit les vitesses deviennent horizontales et fortes, engendrant alors une contrainte de Shields très élevée. La forme de la fosse semble être contrôlée par la gamme granulométrique (Xia et al., 2010). Dans le cas de sédiments uniformes, l’affouillement à l’aval de la rupture de barrage a une forme elliptique et dans le cas d’une gamme granulométrique plus étendue la fosse est circulaire, induisant une érosion latérale plus marquée. De même, Xia et al. (2010) avancent que si la gamme granulométrique est variée, les processus érosifs s’étendent plus horizontalement que verticalement et inversement si la granulométrie est relativement uniforme. La morphologie du lit du canal est également contrôlée par la forme de l’hydrogramme. En effet, un cas de débâcle consiste en la rupture d’un verrou glaciaire et en la vidange de poche ou lacs glaciaire. Ce genre de rupture relâche des volumes extrêmement importants et sur des terrains pentus.
Construction du canal
La construction du canal a nécessité plusieurs étapes avant sa mise en fonctionnement. La première étape consistait en la construction de la structure principale. Pour cela une structure métallique a été réalisée par une entreprise extérieure. Elle comprend une partie support du canal et une partie réservoir. Le réservoir amont a une capacité maximale de 300 L mobilisables. Il comprend à l’intérieur un système de vanne s’ouvrant par le haut grâce à un vérin pneumatique. La structure métallique est reliée à un treuil ce qui permet de faire varier la pente du canal de 0 à 46 %. La deuxième partie de la réalisation du canal expérimental concernait la mise en place de la partie canal. La partie canal hydraulique proprement dite présente un ensemble d’équerres permettant l’attache de panneaux de verre latéraux. Des panneaux en bois aggloméré ont été fixés sur la structure métallique. Ils ont été ensuite imperméabilisés en siliconant les espaces entre les panneaux puis en déposant un film plastique imperméable sur ces panneaux. Une fois le fond du canal totalement protégé, les vitres de verres (4X2m et 2X1m) ont été fixées aux accroches métalliques à l’aide de colle silicone. Les vitres sont attachées aux équerres latérales (figure 1). Enfin, la cuve est imperméabilisée en siliconant les interstices. Une fois la cuve opérationnelle, des caillebotis sont positionnés au fond du canal pour représenter un substratum non mobilisable par l’écoulement. Il est rempli de sable de filtration de piscine dont la granulométrie varie entre 0,5 et 2 mm (absence de particules fines cohésives). Ce sable est versé dans le canal jusqu’à la hauteur de sédiment désirée (8 cm pour ce travail). Le sédiment est ensuite tassé et humecté pour retirer le plus d’air possible car sa présence au sein des pores peut engendrer lors de l’écoulement des surpressions et conduire à des transports de sédiments qui peuvent être incohérents (Spinewine et Zech, 2007).
Préparation du Canal / Cuve
Afin de savoir quel est le volume de la cuve qui sera effectif pour le transport solide, il a été effectué une évaluation du volume utile du réservoir. En effet, il apparait que la cuve présente un volume d’eau non mobilisable notamment au fond car l’ouverture ne commence qu’à partir de 0,13 m audessus du fond de la cuve. D’autre part, il existe entre la trappe et la sortie réelle de la cuve un espace qui ségrégue une partie du volume qui ne sera donc pas efficace pour le transport sédimentaire. Enfin, la vanne à l’intérieur de la cuve occupe également un volume qui varie lui aussi selon la pente. Considérant ces variables et la volonté de connaitre le volume efficace au litre près, il a été nécessaire d’établir un outil permettant de déterminer la hauteur d’eau nécessaire dans la cuve pour un volume utile voulu. Cet outil a été développé sur la base de calculs géométriques en prenant en compte le fait que la forme des solides que représente l’eau change selon la hauteur d’eau et la pente. Ainsi, généralement, pour des hauteurs d’eau et des pentes faibles l’eau prend la forme d’un solide à 6 faces et pour des hauteurs d’eau faible et des fortes pentes, l’eau prend la forme d’un solide à 5 faces (figure 2).
Caractérisation de la dynamique sédimentaire par photogrammétrie
Historique La photogrammétrie est une méthode de traitement d’images utilisée depuis le XIXe siècle suite à l’apparition des chambres de prises de vue et des appareils de restitution. Cette technique se base sur un principe similaire à la vision humaine : la stéréoscopie, c’est-à-dire la prise d’une même scène à restituer mais de deux points de vue différents. Le traitement de ces données permet par la suite d’obtenir des représentations en trois dimensions (3D) sur lesquels peuvent être effectuées des mesures altimétriques ou volumiques. Cette méthode initialement développée pour la cartographie s’est ensuite démocratisée autant dans les domaines de la recherche que de l’appliqué. Ainsi, elle est utilisée en génie civil, urbanisme, architecture mais également dans les disciplines environnementales telles que la géomorphologie (versants, glaciers, montagnes, fleuves). C’est à partir des années 1970 que la photogrammétrie est appliquée au domaine fluvial (Painter et al., 1974, Collins et Moon, 1979). Elle a notamment permis l’acquisition de données topographiques précises en grande quantité et autorise l’étude de différents paramètres morphodynamiques et ce, à plusieurs échelles d’observation. En effet, il est possible de se placer à grande échelle afin d’observer le comportement latéral d’une rivière sous l’effet de conditions hydrauliques particulières ou d’effectuer des mesures à l’échelle du grain (Butler et al., 2001, Carbonneau et al., 2003). La photogrammétrie a été employée dans un premier temps en milieu naturel puis en conditions expérimentales en laboratoire sur des modèles physiques (Stojic et al., 1998) principalement en raison de sa facilité de mise en œuvre et de sa capacité à lever des informations topographiques avec autant de précision que certains LiDAR (Light Detection and Ranging) (Fonstad et al., 2013).
Acquisition Photo Les photographies ont été prises avec des appareils photographiques Canon 200D et Canon 2000D et 2 objectifs à focale fixe de longueurs différentes : 28 et 50 mm. Au cours des expériences, les deux appareils photographiques et l’objectif 50 mm ont été retenus. Ce choix d’objectif a été motivé par plusieurs séries d’expérimentations avec l’objectif 28 mm qui montraient un phénomène de courbure des jeux de données (figure 5) ainsi que des temps de traitement de l’ordre de la quinzaine d’heure pour un jeu de photographies. La cause de ces problèmes a pu être identifiée. Il s’agissait de l’effet de distorsion existant sur la périphérie du capteur optique de l’appareil (figure 6). Cet effet est partiellement corrigé par le logiciel de traitement. Cependant, s’il est trop important les corrections apportées ne suffisent pas.
Traitement des données photos
La première étape de la construction d’un nuage de points topographique consiste en l’alignement des photographies prises précédemment. Le principe d’alignement repose sur la recherche de points communs dans une paire de photographies sur la base du positionnement de l’appareil. Lorsque plusieurs points sont identifiés comme similaires entre 2 prises de vue alors cette corrélation est validée. Plusieurs paramètres sont proposés lors de cette étape d’alignement et leur modification impacte grandement la qualité des résultats. Il a donc été décidé de réaliser pour chaque photogrammétrie un alignement de haute qualité. La modification de la qualité a pour conséquence une variation du nombre de points de contrôle. Ensuite, le nuage épars créé suite à l’alignement des photographies est densifié. Ici encore, plusieurs options sont disponibles et influent sur la densité de points du nuage final. Il a été décidé qu’une densification moyenne était suffisante pour pouvoir créer des modèles numériques de terrain (MNT) relativement précis. Cette décision a été prise suite à une longue réflexion sur l’intérêt d’un nuage très dense pour la construction d’un MNT. Il apparait qu’un nuage moyennement densifié présente un nombre de points total variant entre 7-10 millions. Alors qu’un nuage hautement densifié aura un nombre de points compris entre 50-80 millions. Cette différence notable entraine notamment un rallongement significatif du temps de traitement des données ce qui n’était pas envisageable du fait des conditions particulières de ce stage. D’autre part la couverture du canal avec un nuage moyennement densifié est largement acceptable pour effectuer une interpolation linéaire sur ces nuages de points (Heritage et al. 2009). Le nuage dense est ensuite référencé avec les coordonnées des cibles Agisoft préalablement déterminées par un théodolite. Le logiciel procède alors à une consolidation du nuage de points sur la base des coordonnées des cibles ainsi que la position des appareils. L’erreur recherchée dans le cadre de ce stage se devait d’être équivalente à la taille des sédiments soit de l’ordre du millimètre. Enfin, si les résultats des erreurs étaient satisfaisants les nuages de points étaient exportés au format .txt pour être lus sous CloudCompare où les étapes de nettoyage des nuages et calcul des volumes érodés et déposés ont été effectuées.
Nombre de Froude de propagation
Afin de connaitre le régime d’écoulement au front de la vague, le nombre de Froude a été déterminé à partir des valeurs moyennes des vitesses précédemment citées et des valeurs maximales d’épaisseur d’écoulement. La figure 14 montre que le nombre de Froude augmente avec le volume de la débâcle. D’autre part, pour la pente de 3,32%, les valeurs de Froude pour un même volume de débâcle sont relativement similaires entre elles ce qui indique que le régime d’écoulement se conserve avec la distance à l’amont. Aux pentes supérieures les valeurs de Froude présentent une variation avec la distance à l’amont plus marquée qui peut être due au fait que les valeurs de vitesse précédemment calculées présentent une plus grande variabilité.
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Table des matières
Remerciements
Introduction
Etat de l’art
1. Connaissances actuelles sur les débâcles brutales
2. Comportement de la vague
3. Comportement morphodynamique en canal sous l’effet de débâcle brutale
4. Objectif scientifique
Matériels et méthodes
1. Construction du canal
2. Loi de similitude
3. Préparation du Canal / Cuve
4. Caractérisation de la propagation des vagues par capteurs ultrasonores
4.1. Installation des capteurs
4.2. Traitements des données US
5. Caractérisation de la dynamique sédimentaire par photogrammétrie
5.1. Historique
5.2. Acquisition Photo
5.3. Traitement des données photos
5.4. Nettoyages des nuages de points et calcul des volumes
5.5. Estimation des erreurs inhérentes à la photogrammétrie
6. Bilan sédimentaire par prélèvement direct
Résultats et discussion
1. Hydraulique
1.1. Epaisseur de l’écoulement
1.2. Vitesses d’écoulement
1.3. Débit instantané maximal
1.4. Nombre de Froude de propagation
2. Transport solide
2.1. Bilans sédimentaires selon collecte des sédiments
2.2. Bilans sédimentaires photogrammétriques
3. Morphodynamisme en conditions de forte pente
3.1. Phases morphodynamiquement actives
3.2. Représentativité des résultats en contexte naturel
Propositions d’amélioration du canal et du protocole
1. Photogrammétrie
2. Le canal
Conclusion
Bibliographie
Tables des figures et tableaux
Annexes
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