L’eau est un élément vital dont la terre est la seule planète du système solaire à bénéficier en quantité abondante sous ses trois états (liquide, solide et gaz). L’eau douce représente toutefois moins de 1% des ressources de la planète, le reste étant réparti entre l’eau salée des océans (97.5%), l’eau des glaciers et calottes polaires (1.8%) et la vapeur d’eau dans l’atmosphère (0.001%). L’eau de ces différents compartiments est mobile et circule d’un réservoir à l’autre au fil du cycle de l’eau, qui distribue cette ressources de manière inégale à la surface de la Terre. Le faible pourcentage d’eau douce par rapport à la totalité des ressources représente une quantité d’eau suffisante pour satisfaire les besoins des hommes et des écosystèmes. Néanmoins, plus de deux milliards de personnes vivent dans des régions où le stress hydrique est très élevé, i.e où la demande en eau est supérieure à la ressource (Oki and Kanae, 2006). L’eau est donc une ressource abondante, renouvelable mais inégalement répartie à la surface de la terre.
Face à ces inégalités, les montagnes sont les « grandes pourvoyeuses d’eau sauvage » de la planète, pour reprendre l’expression de Margat (2011). Elles reçoivent d’importantes quantités de précipitations et les stockent sous forme de neige pour les libérer au moment où la demande à l’aval augmente. Nombre d’activités anthropiques s’appuient sur cette ressource, irrigation, alimentation en eau potable, hydroélectricité, etc. Les régions montagneuses sont aussi vulnérables face au réchauffement climatique. En effet, la diminution de la cryosphère est une démonstration sensible du changement climatique en cours, ayant pour conséquence une modification des régimes hydrologiques, et donc des répercussions sur la gestion des ressources en eau. L’attente (demande) sociétale pour connaître l’évolution de ces ressources et pouvoir s’adapter aux changements est donc forte.
Les scientifiques sont chargés de répondre à cette attente et les études d’impacts hydrologiques régionaux du changement climatique se multiplient. Elles présentent toutes la même structure : modélisation du climat à grande échelle, régionalisation et modélisation des impacts hydrologiques. C’est le dernier maillon de cette chaîne qui nous intéresse ici, avec comme cadre d’étude le bassin versant de la Durance. Cette thèse s’inscrit en effet dans le projet de recherche R2D2 -2050 dont les principaux objectifs de ce projet sont de caractériser le fonctionnement actuel de l’hydrosystème actuel et d’évaluer le devenir des ressources et des usages de l’eau.
La partie alpine de ce bassin contribue à près de la moitié des débits de la Durance à la confluence avec le Rhône. La compréhension et la modélisation des processus dominants dans cette région ont donc été au coeur des travaux de cette thèse. L’abondante littérature dédiée à la modélisation hydrologique en zone de montagne et en particulier à la représentation des processus nivaux dans les modèles témoigne de la complexité de cette tâche (e.g. Essery et al., 1999; Boone and Etchevers, 2001; Stieglitz et al., 2001; Slater et al., 2001; Schaefli et al., 2005; Valery, 2010; Clark et al., 2011; Lafaysse, 2011a; Biggs and Whitaker, 2012; Wang, 2012). Les principales difficultés auxquelles se heurte la modélisation hydrologique sont (i) la rareté et/ou la faible représentativité des mesures en haute altitude (e.g. Tobin et al., 2012; Dettinger, 2014), (ii) la forte variabilité spatiale et le caractère labile de la neige, à l’échelle du bassin versant qui constitue l’unité spatiale de référence des hydrologues.
Changement climatique et cycle de l’eau
Le changement climatique anthropique
La description qui suit fait partie de l’article de vulgarisation publié dans la revue Découverte (Magand, 2014). Depuis le début du siècle dernier, la surface de la Terre se réchauffe indubitablement , et ceci principalement à cause des activités anthropiques IPCC (2013). Afin de comprendre l’origine de ce réchauffement, revenons brièvement sur le fonctionnement du système climatique.
Le système climatique est défini comme un système complexe formé de cinq composantes majeures : l’atmosphère, l’hydrosphère (océans, rivières, lacs, eaux souterraines. . . ), la cryosphère (neige, glaciers, banquise. . . ), les surfaces continentales et la biosphère (êtres vivants), et des interactions entre celles-ci. Les interactions entre les différentes composantes ont lieu sous forme de transferts de masse (eau, carbone, sédiments) et d’énergie (rayonnement, flux de chaleur). De par ces échanges, les différentes composantes du système climatique sont dépendantes les unes des autres. En d’autres termes, la modification des caractéristiques de l’une d’entre elles aura nécessairement un effet sur au moins une autre de ces composantes. Par exemple, une augmentation de la température de l’atmosphère aura tendance à réduire l’extension de la cryosphère et donc de l’albédo de la surface terrestre. L’énergie retenue à la surface augmente alors, entraînant une amplification de la hausse initiale de la température atmosphérique. Cet effet «retour» de la cryosphère sur l’augmentation de la température atmosphérique est appelé rétroaction positive : le changement initial est amplifié. Au contraire, dans le cas d’une atténuation du changement, on parle de rétroaction négative. Ces rétroactions permettent de maintenir ce que l’on appelle l’équilibre dynamique du système climatique. Cet équilibre dynamique peut être perturbé par divers facteurs externes tels que les variations du rayonnement solaire, le volcanisme ou encore l’émission de gaz à effet de serre. Ces facteurs sont également appelés forçages externes.
Le bilan radiatif permet d’identifier les différents facteurs externes en faisant l’inventaire de l’énergie reçue et émise par la Terre vers l’espace (figure 1.1). La principale source d’énergie reçue à la surface de la terre provient du Soleil (figure 1.1). Une partie de son rayonnement, principalement visible, est réfléchie et renvoyée vers l’espace par l’atmosphère (nuages, aérosols) et la surface de la terre. Le reste est absorbé par l’atmosphère et la surface terrestre puis réémis, essentiellement sous forme de rayonnements infrarouges. La température de surface moyenne théorique calculée en utilisant ces deux seuls phénomènes (énergie solaire et albédo) est de environ -18 ˚C. La prise en compte des gaz à effet de serre (GES), qui empêchent une partie des infrarouges de repartir vers l’espace, dans le calcul du bilan radiatif est alors nécessaire pour gagner les 33 ˚C permettant d’atteindre la température moyenne actuellement observée à la surface de la Terre d’environ 15 ˚C (CNRS et al., 2011). La concentration des GES (moins de 1 % de la composition atmosphérique) a connu une augmentation brutale au cours du XXème siècle pour atteindre des niveaux sans précédent depuis au moins 800 000 ans (IPCC, 2013). Phénomène toujours d’actualité puisqu’en mai 2013, la NOAA (National Oceanic and Atmosphéric Administration) enregistrait, depuis l’observatoire de Mauna Loa à Hawaï, une concentration record en dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère : 399.77 parties par million soit 125 % de plus qu’en 1960 à la même période de l’année. Ce fort accroissement est principalement causé par les activités humaines (IPCC, 2013). Le lien entre l’augmentation du CO2 et celle de la température n’est pas si simple à établir car d’autres facteurs peuvent perturber l’équilibre dynamique du système climatique. La cyclicité de 11 ans de l’activité solaire ou encore l’émission par le volcanisme de particules solides en suspension dans l’air influencent la température de surface. De plus, les rétroactions négatives au sein du système climatique peuvent tendre à atténuer le changement. Néanmoins, le réchauffement observé est limité à la troposphère où se concentrent les GES, alors que la stratosphère n’est pas affectée (Santer et al., 2004). Si le Soleil était seul responsable du réchauffement global, la troposphère et la stratosphère verraient leur température s’élever simultanément, or ce n’est pas le cas. En outre, le climat observé au cours des 150 dernières années ne peut être modélisé en considérant uniquement des facteurs naturels ou des facteurs anthropiques (émissions de GES), mais bien en combinant les deux (Rosenzweig et al., 2008; Stott et al., 2010; IPCC, 2013).
Le cycle de l’eau dans le système climatique
Le cycle de l’eau effectue le lien entre les différentes composantes du système climatique. Ce cycle peut être résumé de la façon suivante : le Soleil réchauffe les surfaces terrestres (océans et continents) à partir desquelles l’eau s’évapore vers l’atmosphère ; l’eau se déplace alors dans l’atmosphère, invisible, sous forme de vapeur, ou après condensation, au sein des nuages sous forme liquide ou solide ; les nuages précipitent, ramenant ainsi l’eau vers la surface ; l’eau à la surface des continents alimente de nouveau l’atmosphère par évapotranspiration, ruisselle ou s’infiltre dans le sol avant de rejoindre les lacs et les rivières qui alimenteront l’atmosphère ou les océans . Une partie des précipitations peut aussi être stockée temporairement sous forme de neige ou de glace si les conditions de température le permettent. Les flux d’eau circulant d’une composante à l’autre sont plus ou moins rapides : dans l’atmosphère le temps de résidence est d’une dizaine de jours, les eaux souterraines mettent en moyenne 1500 ans à atteindre les océans, au sein desquels l’eau circule, en moyenne pendant 2 500 ans (de Marsily, 2009).
Le bilan radiatif évoqué dans le paragraphe précédent à l’échelle globale n’est pas uniforme sur la Terre. La rotondité de notre planète implique que les régions équatoriales reçoivent plus d’énergie que les zones polaires. Ces contrastes énergétiques entretiennent les circulations atmosphériques et océaniques qui vont permettre de ramener de l’énergie des régions équatoriales vers les zones déficitaires des pôles. Du fait de la force de Coriolis, liée à la rotation de la terre, et des contrastes océanscontinents, le transport d’énergie entre l’équateur et les pôles n’est pas direct mais s’effectue par l’intermédiaire de trois cellules convectives qui sont les cellules de Hadley, les cellules de Ferrel et les cellules polaires. Le cycle hydrologique, via les changements de phases, évaporation et précipitations, va alors jouer un rôle important dans la redistribution de l’énergie reçue par la Terre. De même, la circulation océanique emprunte des chemins préférentiels en fonction des gradients de température et salinité qui influencent la densité de l’eau. On parle donc de circulation thermohaline. Cette circulation est directement impactée par une augmentation de la température et de manière indirecte via la fonte des glaces de mer (banquise) ou via l’alimentation en eau douce par les continents. Enfin, le cycle hydrologique est à l’origine de nombreuses rétroactions au sein du système climatique. La rétroaction positive de la diminution de la cryosphère a déjà été mentionnée dans le paragraphe précédent. Parmi les autres rétroactions, on peut citer celle de la vapeur d’eau. Du fait des propriétés thermodynamiques de l’eau, une augmentation de la température atmosphérique permet de stocker une plus grande quantité de vapeur d’eau dans l’atmosphère. Or, la vapeur d’eau est le principal GES en termes de concentration. Une augmentation de sa concentration entraîne alors une amplification de l’effet de serre et donc de la température de surface. Pour terminer, la rétroaction des nuages sur l’élévation de la température atmosphérique pourrait également être importante mais n’est pour l’instant pas identifiée avec certitude (Bony and Dufresne, 2007). Les changements de vapeur d’eau et de circulation atmosphérique seraient à l’origine d’un changement de nébulosité. Cependant, le signe de la rétroaction varie selon le type de nuage. Les nuages bas et épais, de type nimbostratus, ont un effet « parasol ». Ils réfléchissent le rayonnement solaire incident entraînant une diminution du rayonnement reçu à la surface. Au contraire, les nuages fins et de haute altitude, de type cirrus, auraient tendance à piéger le rayonnement infra-rouge amplifiant l’effet de serre.
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Table des matières
Introduction
1 Changement climatique et hydrologie nivale
1.1 Changement climatique et cycle de l’eau
1.1.1 Le changement climatique anthropique
1.1.2 Le cycle de l’eau dans le système climatique
1.1.3 Impacts du réchauffement sur les ressources en eau
1.2 Importance et vulnérabilité des régions à dominante nivale
1.2.1 Particularités hydrologiques des zones nivales
1.2.2 Vulnérabilité face au changement climatique
1.3 Modélisation des impacts hydrologiques du changement climatique
1.3.1 Modélisation climatique et hydrologique
1.3.2 Méthodologie des études d’impacts
1.3.3 Typologie des incertitudes
1.3.4 Les incertitudes liées à la modélisation hydrologique
2 Un cas d’étude : la Durance
2.1 Caractéristiques physiques du bassin
2.1.1 Géologie
2.1.2 Topographie
2.1.3 Climat
2.1.4 Occupation des sols
2.1.5 Hydrologie
2.1.6 Changement climatique observé dans la Durance
2.2 Anthropisation du bassin
2.2.1 Histoire
2.2.2 Les aménagements actuels
2.2.3 Répartition des usages
2.3 Le projet R²D²-2050
2.4 Objectifs de thèse
3 Description des modèles
3.1 Le modèle CLSM
3.1.1 Concepts généraux
3.1.2 Les concepts de TOPMODEL utilisés par CLSM
3.1.3 Une représentation originale de l’humidité du sol
3.1.4 Détermination de fractions « hydrologiques »
3.1.5 Calcul des écoulements
3.1.6 Prise en compte de la végétation
3.1.7 Couplage des bilans d’eau et d’énergie
3.1.8 Représentation des processus nivaux
3.1.9 Synthèse sur la discrétisation spatiale de CLSM
3.1.10 Les paramètres ajustés
3.2 Le modèle ORCHIDEE
3.2.1 Principe général
3.2.2 Discrétisation, bilans d’eau et d’énergie
3.2.3 Représentation de l’humidité dans le sol
3.2.4 Processus nivaux
4 Présentation des données d’entrées et de validation
4.1 Discrétisation du bassin de la Durance
4.2 Paramètres de surface et de végétation
4.2.1 Les données relatives à la topographie
4.2.2 Les données relatives à la végétation
4.2.3 Les données relatives au sol
4.3 Données de validation
4.3.1 Débits
4.3.2 Hauteur et couvert de neige
4.3.3 Flux turbulents
4.4 Construction du produit météorologique DuO
4.4.1 Introduction
4.4.2 Description des bases de données
4.4.3 Méthode d’hybridation
4.4.4 Caractérisation du produit DuO
4.4.5 Sensibilité des simulations hydrologiques aux forçages atmosphériques
4.4.6 Conclusion
4.5 Projections climatiques régionales
4.5.1 Scénarios d’émission de gaz à effet de serre
4.5.2 Simulations climatiques
4.5.3 Modèles de descente d’échelle statistiques
4.5.4 Synthèse des combinaisons utilisées
Conclusion