Les médiations corporelles et la schizophrénie
Deux études anglaises faites sur des petits échantillons ont été réalisées afin de voir si les médiations corporelles avaient un impact sur les symptômes de la schizophrénie. La méthode étant de prendre un groupe de personnes schizophrènes ayant recourt aux traitements médicamenteux et aux médiations corporelles et un autre groupe n’ayant recourt qu’aux traitement médicamenteux. Les résultats démontrent un effet positif du groupe de médiations corporelles sur les personnes qui en ont bénéficié (19-20). En effet, avant, lors des débuts des ateliers, les personnes se disaient individuellement toutes anxieuses et fatiguées. Elles avaient des mouvements désorganisés, non coordonnés et sans énergie. Les médiations corporelles leur ont permis de s’engager avec leur corps, de connaître de nouvelles sensations. A la fin des ateliers, les personnes schizophrènes différenciaient plus facilement leurs mouvements, arrivaient à davantage exprimer leurs sensations verbalement, étaient plus positives et plus engagées (19). L’autre étude anglaise démontre, qu’il y avait des améliorations chez les personnes schizophrènes ayant pratiqué les médiations corporelles, au niveau de la baisse des symptômes négatifs, de l’émoussement affectif et du retard moteur. Cependant, il n’y a pas eu d’évolution dans les autres symptômes de la pathologie et au niveau de leur qualité de vie par rapport au groupe n’ayant eu que les traitements médicamenteux (20).
La danse et les personnes schizophrènes
Plusieurs études provenant de Turquie, de Corée et d’Italie sur l’utilisation de la Dance Mouvement Therapy (DMT) avec des personnes schizophrènes ont été faites (22-23-24). La DMT se qualifie comme la thérapie des mouvements dansés. Ces études consistaient à comparer deux groupes de personnes atteintes de schizophrénie : l’un n’avait recourt qu’au traitement médicamenteux et l’autre groupe avait recourt à des séances de danse-thérapie en plus du traitement médicamenteux. Une autre étude n’utilisait qu’un échantillon ayant recourt à des groupes de danses (24). Les patients ayant eu recourt à cette pratique ont amélioré le contrôle de leur colère. La perception, leur motricité, leur motivation, et leur socialisation ont augmenté. Ils ont aussi connu une plus importante diminution des symptômes négatifs et dépressifs par rapport au groupe n’ayant pas eu recourt à la danse-thérapie (22-23). Les participants du groupe ont amélioré leur estime d’eux-mêmes, leurs habiletés artistiques et créatives et développé leur expression (24). Cependant, ces études n’ont été élaborées que sur des petits échantillons de personnes. Suite à la revue de littérature, nous pouvons voir qu’il y a très peu de données sur le sujet choisi. Il y a quelques données sur l’utilisation des médiations corporelles et de la danse avec des personnes schizophrènes, cependant, il n’y a aucune recherche ou article sur cette utilisation dans le domaine de l’ergothérapie. Nous pouvons imaginer que s’ il n’y a pas d’informations à ce sujet, cette pratique est sûrement moindre dans le domaine de l’ergothérapie. Cependant, l’ensemble des résultats mettent en avant plusieurs éléments. La personne schizophrène voit son corps morcelé et les médiations corporelles permettent de tendre à une meilleure représentation du corps (17-18). La danse peut être une forme de médiation corporelle et peut s’inscrire dans une visée expressive. L’utilisation des médiations corporelles et de la danse avec des personnes atteintes de schizophrénie permettraient de réduire certains symptômes comme les symptômes négatifs, et d’augmenter le plaisir et la socialisation, de s’exprimer davantage ainsi que de développer la gestion des mouvements (19-20-22-23-24). Au niveau des corroborations et complémentarités, les études ont des résultats convergents en termes d’apports bénéfiques des médiations corporelles et de la danse. De plus, elles comparent au début et à la fin les différences de résultats entre le groupe ayant eu recours aux médiations corporelles ou à la DMT et le groupe contrôle. Les résultats sont similaires et se complémentarisent, cependant, ces recherches ont été réalisées sur des petits échantillons de personnes. Alors, diverses questions se posent :
– Pourquoi n’y a-t-il pas de recherches sur l’utilisation de la danse en ergothérapie avec des personnes schizophrènes ?
– Y’a-t-il des effets négatifs dans l’utilisation de la danse avec des personnes schizophrènes ?
– Est-ce que la danse est utilisée dans la pratique de l’ergothérapie en santé mentale ?
– Faut-il nécessairement avoir une formation, ou un diplôme de danse thérapie pour la pratiquer ?
– Y’a-t-il un intérêt à l’utiliser avec des personnes schizophrènes en ergothérapie ?
Il s’agit de voir la réalité sur le terrain avec une enquête exploratoire
Le corps de la personne schizophrène
La schizophrénie s’alimente d’une « régression ». L’unité corporelle est fragilisée dans la schizophrénie, les pulsions libidinales se centrent sur certaines zones du corps, et ces zones sont investies de façon isolée par la personne schizophrène. La symbolisation corporelle qu’a une personne schizophrène de son corps est brisée, la représentation de ce corps est projetée ou divisée (29). Le syndrome dissociatif dans la schizophrénie aboutit à une rupture entre l’unité psychique et la cohérence de la personnalité. Cette dislocation peut entrainer aux personnes schizophrènes une sensation de morcellement, c’est-à-dire l’impression que leur corps leur échappe.Plusieurs études ont démontré que les personnes schizophrènes rencontrent des difficultés dans la reconnaissance de leur propre corps. L’image de leur corps est troublée ou la distinction entre soi et le monde extérieur est altérée. En plus de ne pas percevoir leurs propres actions, les personnes schizophrènes attribuent leur action à d’autres personnes. Les hallucinations somatiques et les sentiments d’avoir leur corps influencé sont des symptômes de la schizophrénie (2). Les personnes psychotiques rencontreraient des difficultés à différencier leur dedans et dehors, leur Moi et leur non-Moi. Il y a une déficience de la fonction contenante ce qui engendre des problèmes dans les structures de symbolisation (6).
La danse
La danse se définit comme des gestes rythmiques permettant une communication non-verbale. Traditionnellement, dans les sociétés humaines, elle était pratiquée en groupe. Les premières danses pourraient remonter à un million d’années, celles-ci étant associées aux pratiques de séduction et aux parades nuptiales. Ensuite, environ 100 000 ans avant notre ère, les premiers rites funéraires apparaissent, avec des rites de passages et des danses collectives. On estime qu’il faut remonter à 40 000 ans en arrière pour voir apparaitre les danses de transe, le chamanisme, les danses de magie et de religions. Il y a 11 000 ans, les cérémonies agricoles naissent. Il y a environ 5 000 ans, les danses émergent dans les sociétés urbaines, avec des chorégraphies faites par des danseurs formés (35). Pour Paul Valéry, écrivain, poète et philosophe français, la danse n’est pas seulement un exercice, c’est un art fondamental déduit de la vie et du mouvement du corps dans le temps et l’espace, en effet, elle est « un comportement de communication, « un texte en action » ou un « langage corporel » » (p.126) (35). Pour Algirdas Julien Greimas, linguiste et sémioticien, le sens profond de la danse n’est lié qu’au danseur lui-même, puisqu’il s’agit de ses propres gestes, mouvements et actions. La danse en elle-même n’est pas toujours significative, seulement, c’est le danseur qui produit un sens en dansant. L’instrument de la danse est le corps du danseur, et les unités corporelles les plus couramment utilisées sont les pas, les tours, les sauts, les bras, les jambes, la tête et le tronc (p.93) (35). La danse permet plusieurs choses, selon Rudolph Laban, danseur et théoricien de la danse, elle permet de « projeter » les mouvements vers l’extérieur ou l’intérieur, exposer les divers rapports entre les différentes parties corporelles, présenter la structure de la danse, accéder au sol de différentes manières, mobiliser l’espace de différentes façons, révéler que les mouvements sont capables de mettre en œuvre des idées et des pensées (35). Actuellement, les danseurs utilisent la danse selon plusieurs caractères qui sont l’énergie,l’espace et le temps, ces critères leurs permettent d’analyser le mouvement. Ces caractères sont tirés de E. Jacques-Dalcroze, créateur de la rythmique et figure fondatrice de la danse moderne du XXème siècle. Jacques-Dalcroze et R.Laban, pionniers de la danse moderne ont défini les bases d’une réflexion et d’une pratique du geste. Cette façon de pratiquer le geste renvoie à la relation du danseur au monde qui l’entoure (p.69) (8).
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Table des matières
1. Introduction
1.1 Contexte
1.2 Thème et champs terminologiques
1.3 Résonance du thème
1.4 Revue de littérature
1.4.1 Les médiations corporelles
1.4.2 La danse comme médiation corporelle
1.5 Enquête exploratoirs
1.5.1 Les objectifs de l’enquête exploratoire
1.5.2 Population ciblée et site d’exploration
1.5.3 Outil de recueil de données
1.5.4 Résultats de l’enquête exploratoire
1.6 Question initiale de recherche
1.7 Cadre conceptuel
1.7.1 Le corps
1.7.2 Cadre thérapeutique
1.7.3 Relation thérapeutique
1.7.4 La danse
1.7.5 Problématisation théorique
1.8 Question et objet de recherche
2. Matériel et méthode
2.1 Choix de la méthode de recherche : méthode de recherche clinique
2.1.1 Population ciblée et site d’exploration
2.2 Choix et construction de l’outil théorisé de recueil de données
2.2.1 L’entretien semi-directif
2.3 Déroulement de la recherche
2.3.1 Déroulé de l’enquête
2.3.2. Choix des outils de traitements et d’analyse des données
3. Résultats de la recherche
3.1 Les problématiques corporelles dans la schizophrénie
3.1.1 Corps et psychée
3.1.2 Corps physique
3.2. Les relations lors de l’atelier
3.2.1. La relation thérapeutique
3.2.2 Le groupe, le lien aux autres
3.3 Les effets de l’atelier sur le corps de la personne schizophrène
3.3.1 L’influence de la danse
3.3.2 L’influence des relations
4. Discussion des données
4.1 Interprétation des résultats et éléments de réponses
4.2 Critiques du dispositif de recherche
4.3 Apports, intérêt et limites de la recherche
4.4 Propositions, transférabilité pour la pratique professionnelle
Conclusion
Bibliographie
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