« Recherchons hommes/femmes d’expérience, disponibles et dynamiques. Venez seul(e) ou accompagné(e). Contactez-nous vite ! ».
Cet appel à bénévoles pour le Téléthon illustre la volonté des associations de se différencier des traditionnelles campagnes de communication de masse, de type : « Devenez bénévole ! », « Bénévole, pourquoi pas moi ?», en ciblant spécifiquement les retraités. Pour cause, 35 à 45% des associations seraient menacées de disparaître en raison d’un nombre insuffisant de bénévoles réguliers (Bazin et Malet, 2010) . En raison du temps libéré par la cessation d’activité professionnelle, les retraités apparaissent alors comme la cible idéale à attirer et fidéliser en tant que bénévoles pour assurer leur pérennité. Cependant, le fait que le temps restant à vivre s’amenuise entraîne un paradoxe temporel chez les retraités : ils ont à la fois beaucoup et peu de temps. A l’heure actuelle, seule l’augmentation du temps disponible est soulignée par les chercheurs et praticiens s’intéressant au bénévolat.
Le bénévolat des retraités, un don d’une ressource limitée : le temps
Si le bénévolat est parfois considéré comme un « don de soi » (Mattei, 2007 ; Birambeau et Larceneux, 2008, p.14 ) cette expression est davantage employée pour qualifier le don d’une partie de soi telle que le sang ou un organe (Ammari et Ozcaglar-Toulouse, 2011) . Le bénévolat est alors majoritairement désigné par l’expression : « don de temps » (Prouteau, 1998 , 2001 ; Godbout, 2000 ; Prouteau et Wolff, 2004a ; Archambault, 2005…) ; le temps étant l’objet du don, la chose donnée dans le bénévolat. De manière logique, le principal frein déclaré par les non bénévoles est le manque de temps disponible (Archambault et Boumendil, 1997 ; France Bénévolat et IFOP, 2010). Aussi, chez les bénévoles, le manque de temps entraînerait la diminution (60%) voire l’arrêt du bénévolat (47%) (Bazin, Malet et Thierry, 2010 ; France Bénévolat et IFOP, 2010). Il en résulte un engouement pour le bénévolat des retraités : ils ont du temps libre et sont donc susceptibles de le donner. Il est alors tentant de considérer les retraités comme des « réservoirs » de temps en les affectant aux tâches les plus urgentes (Van Ingen et Dekker, 2011).
Cependant, nous observons un décalage entre les données réelles et les données déclarées. En effet, lorsque les Français sont interrogés sur les facteurs susceptibles de dynamiser leur engagement bénévole, arrive en tête le fait de bénéficier d’une plus grande disponibilité de temps (Bazin, Malet et Thierry, 2010 ; France Bénévolat et IFOP, 2010) Or, la hausse du temps libre chez les retraités n’entraîne en réalité qu’une augmentation négligeable du temps donné (Mutchler, Burr et Caro, 2003 ; Prouteau et Wolff, 2007). D’ailleurs, certains retraités ne souhaiteraient pas s’engager dans une activité « dévoreuse de temps » (Tang, Morrow-Howell et Hong, 2009). Aussi, en France, une récente étude révèle que 43% des seniors (50-65 ans) ont peur que le bénévolat leur prenne trop de temps et qu’il y aurait une baisse générale de motivation au bénévolat lors du passage à la retraite (Cerphi, 2012) .
Ces affirmations, allant à l’encontre des clichés qui perdurent, prennent tout leur sens lorsque l’on considère le temps restant à vivre des retraités, au lieu de se focaliser sur leur temps libre quotidien. En effet, la retraite jouerait un rôle majeur dans le processus de vieillissement (Guiot, 2006). Elle entraînerait une prise de conscience de la proximité de la mort (Misrahi, 2006 ;Malas et Guiot, 2008) ainsi qu’un ressenti sur la valeur de la vie (Vergely, 2010) , du temps qu’il reste à vivre, souvent sous-estimé en termes de quantité (Wiedmer, 2010c) . Certains rebaptisent d’ailleurs cette période « le temps du mourir » (De Hennezel, 2006) . De ce point de vue, le bénévolat des retraités revêt un caractère beaucoup moins anodin qu’il n’y paraît au premier abord. Il s’apparente à un don d’une ressource limitée : leur temps. En effet, les retraités doivent faire face à un temps contraint par l’échéance inconnue de leur décès, qui se rapproche. Les termes d’« échéance » et de « temps contraint» rappellent les éléments constitutifs d’une pression temporelle (Lallement, 2010). Les motivations au bénévolat des retraités seraient-elles influencées par une pression temporelle ? C’est ce que nous découvrirons au cours de cette recherche.
Intérêt managérial et sociétal de la recherche
Le vieillissement de la population, une opportunité pour les associations
Le vieillissement de la population n’est plus à démontrer. En France, contexte culturel de notre recherche, les « 60 ans et plus » représentent en 2013, 23,2% de la population, soit 15,3 millions de personnes (Bellamy et Beaumel, 2013). Cette part, qui n’atteignait pas 17% en 1960, ne cessera de croître dans les années à venir. A l’horizon 2060, on dénombrera 23,6 millions de personnes âgées de 60 ans et plus, représentant ainsi 32% de la population totale (Blanpain et Chardon, 2010 ; Breuil Genier et Pla, 2010). Aussi, « le passage à la retraite de trois générations du baby boom équivaut à quatre générations de l’entre deux guerres » (Boutrand, 2009) , ce qui démontre l’ampleur du phénomène. Cette surreprésentation des personnes âgées parmi la population peut représenter une opportunité pour les associations, qui manquent essentiellement de bénévoles réguliers, c’està-dire donnant de leur temps tout au long de l’année (Bazin et Malet, 2010 ; France Bénévolat et IFOP, 2013). Or, pour concrétiser cette opportunité, il semble nécessaire de tenir compte de l’hétérogénéité de ce segment en termes d’âge, mais surtout de vécu du vieillissement (Guiot et Urien, 2012) .
Comprendre les bénévoles retraités, une nécessité sur un marché concurrentiel
L’augmentation croissante du nombre d’associations en France (Tchernonog, 2007; France Bénévolat et IFOP, 2013) entraîne de multiples possibilités de choix pour les bénévoles. Il en résulte une concurrence accrue entre les associations, recherchant des retraités pour s’engager sur l’année, assurer des permanences en semaine ou encadrer des jeunes bénévoles (Cerphi, 2010). De plus, dans le cas des jeunes retraités (55-64 ans), il ne faut pas négliger la concurrence indirecte. Surnommés la « génération sandwich » (Szmigin et Carrigan, 2001a ; Attias-Donfut et Segalen, 2007), ils sont sollicités par leurs enfants et leurs parents pour leur apporter de l’aide. Cela renforce le phénomène général de « zapping bénévole » (Murat, 2005) , d’où un « turn-over » important (Cerphi, 2010). Considérer les différences interindividuelles dans la manière d’appréhender le temps restant à vivre permettrait ainsi de tenir compte de l’hétérogénéité du segment des retraités, tel que préconisé par Guiot et Urien (2012) et de pallier les limites du critère « temps disponible » qui semble peu pertinent pour segmenter le marché du bénévolat.
D’ailleurs, les annonces de bénévolat diffusées sur internet tendent à se ressembler. Les associations insistent sur le profil d’individu recherché (essentiellement en termes de disponibilités horaires et de compétences nécessaires pour mener à bien la mission proposée). Elles mettent généralement en avant leurs besoins plus que ce qu’elles sont susceptibles d’apporter aux bénévoles. De plus, les arguments des sites web des associations semblent, de prime abord, peu différenciants. La majorité d’entre eux font allusion à :
– l’altruisme, parfois considéré comme devant être le seul moteur de l’engagement. Par exemple, les bénévoles des Restos du Cœur « s’engagent à rendre un service désintéressé », ceux du Téléthon sont « au service d’une cause nationale ».
– la culpabilité implicite, à travers la mise en exergue de la cause, du fait que l’association a besoin d’aide, de bonnes volontés.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
1) LE BENEVOLAT DES RETRAITES, UN DON D’UNE RESSOURCE LIMITEE : LE TEMPS
2) INTERET MANAGERIAL ET SOCIETAL DE LA RECHERCHE
3) INTERET ACADEMIQUE DE LA RECHERCHE
4) OBJECTIFS DE LA RECHERCHE
5) POSITIONNEMENT EPISTEMOLOGIQUE DE LA RECHERCHE
6) PROBLEMATIQUE ET QUESTIONS DE RECHERCHE
7) PLAN DE LA RECHERCHE
PARTIE 1 : LES MOTIVATIONS AU BENEVOLAT DES RETRAITES, MECANISMES D’AJUSTEMENT A LA PRESSION TEMPORELLE ULTIME
PRESENTATION DE LA PARTIE 1
CHAPITRE 1 : LE BENEVOLAT DES RETRAITES, PRATIQUES ET ANTECEDENTS
CHAPITRE 2 : LA PRESSION TEMPORELLE ULTIME, UNE PRESSION TEMPORELLE RELATIVE AU TEMPS RESTANT A VIVRE
CHAPITRE 3 : APPROFONDISSEMENT DU CONCEPT DE PRESSION TEMPORELLE ULTIME ET DE SES RELATIONS : UNE ETUDE QUALITATIVE EXPLORATOIRE
CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
PARTIE 2 : INFLUENCE DE LA PRESSION TEMPORELLE ULTIME SUR LES MOTIVATIONS AU BENEVOLAT DES RETRAITES
PRESENTATION DE LA PARTIE 2
CHAPITRE 4 : DES ANTECEDENTS DE LA PTU AU BENEVOLAT ; MODELISATION, HYPOTHESES ET DESIGN DE RECHERCHE
CHAPITRE 5 : METHODOLOGIE DE LA MESURE
CHAPITRE 6 : TEST DES MODELES ET APPROFONDISSEMENT DES RESULTATS
CONCLUSION DU CHAPITRE 6 ET DE LA PARTIE 2
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXES
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