La Directive Cadre Européenne (DCE) sur l’Eau du 23 octobre 2000 impose aux pays membres d’améliorer l’état écologique des cours d’eau. La première étape de ce travail a consisté à faire le bilan de l’état des eaux et à définir l’objectif de bon état écologique en termes de variables physiques, chimiques et biologiques. L’amélioration de l’état des cours d’eau fixée dans la Directive passe par l’élaboration de programmes de réduction des rejets, qui nécessitent de définir des normes de concentrations et/ou de flux de polluants rejetés adaptées à la sensibilité du milieu aquatique récepteur. Dans ce but, il est fondamental de connaître l’impact des rejets à court et long termes sur le milieu. Les efforts se sont beaucoup axés sur l’étude de la contamination de l’écosystème aquatique par la charge organique et les composés majeurs (phosphates, nitrates). Le devenir et l’impact de ces substances dans le milieu aquatique sont aujourd’hui relativement bien compris, et les efforts de limitation des apports au milieu par la réduction des sources et le traitement des effluents bien avancés. En revanche, la contamination des milieux par les micro contaminants (ou micropolluants) reste moins bien appréhendée. Les micropolluants sont des molécules présentes à l’état de trace (de l’ordre du µg.l-1 dans le milieu) mais qui sont susceptibles d’avoir une action toxique forte pour les organismes. On distingue deux types de micropolluants :
– les éléments métalliques, certains étant considérés comme essentiels à l’organisme en faibles doses et toxiques en plus grande quantité (Zn, Fe, Cu, etc.), et d’autres n’étant pas utilisés par les organismes (Pb, Hg, etc.) et sont considérés comme toxique à toute concentration.
– les micropolluants organiques. Cet ensemble est constitué de molécules très diverses et est en constante évolution, puisque l’on dénombre une nouvelle molécule organique toutes les 30 secondes. Ces molécules sont produites pour l’activité industrielle (hydrocarbures, solvants, teintures, PCBs, dioxines, etc.), agricole (pesticides), humaine (médicaments) et sont générées indirectement par ces activités (résidus de combustion, intermédiaires de synthèse), ou encore peuvent exister naturellement dans l’environnement.
Dans le cadre de la Directive Cadre Européenne sur l’eau, une liste de trente-trois substances prioritaires « présentant un risque significatif pour ou via l’environnement aquatique » a été établie. Cette liste illustre la prise de conscience du danger pour l’écosystème et l’enjeu environnemental que représentent les micropolluants. Pour l’ensemble de ces molécules, des objectifs de réduction et d’élimination des rejets et des concentrations environnementales doivent être prises. Ce travail passe par l’acquisition de connaissances concernant leur devenir et leur potentiel toxique dans l’environnement. La toxicité aiguë des micropolluants est souvent connue depuis longtemps grâce à des essais de laboratoire normalisés et aujourd’hui rendus obligatoires pour la mise sur le marché de nouvelles substances. L’impact sur le milieu de ces produits dispersés dans l’écosystème est en revanche beaucoup plus difficile à appréhender. D’une part, les très faibles teneurs les rendent difficiles à détecter et ne conduisent pas à des effets toxiques aigus « spectaculaires » (au contraire d’une désoxygénation, d’une eutrophisation ou d’une pollution accidentelle par exemple). D’autre part, les organismes du milieu subissent une exposition prolongée à de faibles doses qui est susceptible d’engendrer des effets chroniques irrémédiables, difficilement observables rapidement, et surtout plus difficiles à relier aux concentrations en polluants dans le milieu. La biodisponibilité désigne « la fraction de produit chimique présent dans le milieu environnemental qui est disponible pour être accumulée par les organismes. Dans le milieu récepteur, des mécanismes physiques, chimiques et biologiques interagissent et transforment les contaminants en des formes plus ou moins biodisponibles pour les organismes de l’écosystème. Les concentrations totales dans le milieu ne reflètent donc que partiellement le risque lié à un contaminant, la biodisponibilité étant très étroitement liée aux caractéristiques de l’environnement (Tessier et Turner, 1995). L’évaluation de l’impact d’un contaminant sur le milieu nécessite l’estimation des concentrations biodisponibles et des facteurs environnementaux qui les affectent. Parmi les différents paramètres physicochimiques susceptibles d’influencer la biodisponibilité des métaux, la concentration et la nature de la matière organique dissoute sont sans aucun doute parmi les paramètres les plus importants.
Les milieux aquatiques, qu’ils soient urbanisées ou naturels, contiennent par ailleurs des matières organiques (MO) d’origines très variées. L’expression de Matière Organique (MO) est utilisée pour désigner l’ensemble des composés hydrocarbonés d’origine naturelle (autres que les organismes vivants) et anthropique d’un écosystème. La MO Dissoute (MOD) est opérationnellement distinguée de la MO Particulaire (MOP) par une filtration à 0,45 µm. La MOD dans les systèmes aquatiques est constituée d’un mélange extrêmement complexe de molécules dont la majorité ne sont pas structurellement identifiées à l’heure actuelle (Filella, 2008). En considérant la diversité des processus de synthèse et de dégradation, le nombre de constituants de la MOD peut être considéré comme excessivement grand voire infini. Il en résulte une telle variété de propriétés de la MO qu’il est impossible de les prédire (Filella, 2008). La MOD naturelle présente dans les systèmes aquatiques possède deux sources principales : l’une terrestre et l’autre aquatique. La MOD d’origine terrestre : pédogénique (ou allochtone) a pour principales origines les plantes supérieures et les microorganismes contribuant à leur dégradation (Kracht, 2001 ; Labanowski, 2004). Au contraire, la MOD naturelle d’origine aquatique : aquagénique (ou autochtone) résulte principalement de la dégradation et des excrétions microbiennes et phyto-planctoniques, la proportion apportée par les plantes aquatiques supérieures et les animaux aquatiques étant faible (Buffle, 1988 ; Kracht, 2001). La MOD d’origine anthropique observée dans les systèmes aquatiques provient principalement des eaux de ruissellements (lixiviats de décharges, ruissellement de chaussée, etc.) et des rejets urbains (domestiques et industriels) et agricoles, traités ou non traités (Labanowski, 2004 ; Meybeck et al., 1998). L’impact direct de la MO sur la qualité du milieu et sur le développement des chaînes trophiques est aujourd’hui bien connu (désoxygénation, eutrophisation, etc.). Son impact indirect, comme facteur d’influence de la biodisponibilité des polluants est aussi fondamental mais reste beaucoup moins connu. En effet, la MOD a généralement une grande capacité d’interaction avec les micropolluants métalliques ou organiques (Buffle, 1988), ce qui peut modifier leur biodisponibilité (Campbell, 1995). La matière organique est donc un des facteurs du milieu déterminants pour la définition de la fraction biodisponible des contaminants.
Durant les trente dernières années, de nombreuses études ont montré le pouvoir complexant de la MOD vis-à-vis des métaux et en particulier du cuivre. La spéciation et donc la complexation des métaux traces dans les eaux de surfaces ont fait l’objet de nombreuses synthèses bibliographiques (Batley, 1989. ; Batley et al., 2004 ; Bernhard et al., 1986 ; Brockaert et al., 1990 ; Buffle, 1988 ; Florence, 1986 ; Florence et Batley, 1980 ; Landner, 1987 ; Leppard, 1983 ; Millward, 1995 ; Salbu et Steinnes, 1995 ; Tessier et Turner, 1995 ; Town et Filella, 2000 ; Ure et Davidson, 1995 ; Wong et al., 1983) démontrant ainsi le nombre important d’études publiées dans ce domaine. Beaucoup d’entre elles ont trouvé des capacités et des constantes de complexation variant significativement pour le cuivre, le plomb, le zinc et le cadmium de 3 à 12 ordres de grandeurs pour les constantes de complexation et jusqu’à 6 ordres pour la concentration en sites complexants. Cette grande dispersion peut être due à la variabilité expérimentale aux fenêtres analytiques employées (limites de détection, de quantification), aux choix des ratios métal-ligand, ainsi qu’aux conditions expérimentales (pH, force ionique, température) qui ne permettent de détecter qu’une partie des complexes formés ainsi qu’aux modèles utilisés pour déterminer ces paramètres (Town et Filella, 2000). Mais cette dispersion des données peut également être imputée à la nature et l’origine des matériaux isolés (Mantoura et al., 1978). Pour autant, il est intéressant de noter que les données publiées concernent généralement les dites substances humiques (SH) composées de macromolécules polyélectroniques hétérogènes isolées des eaux naturelles par un procédé basé sur l’adsorption à pH acide sur des résines XAD-8. Les SH, fraction la plus hydrophobe de la MOD, dérivent principalement de la dégradation des plantes supérieures et représentent très souvent une part majoritaire du carbone organique dissous en milieu naturel. Cependant en milieu fortement anthropisé, la proportion de la fraction hydrophobe de la MOD décroit et n’est plus systématiquement majoritaire suite aux différents rejets urbains de MOD hydrophile ainsi qu’à la forte productivité primaire induite par ces rejets (Imai et al., 2002). Des études menées sur ce type d’effluents, ont souligné une complexation particulière des métaux par les eaux urbaines comparées aux eaux naturelles (Buzier, 2005 ; Sarathy et Allen, 2005) notamment en raison de la présence de substances hydrophiles. Toutefois, du fait de la difficile extraction et purification de la fraction la plus hydrophile de la MOD, il n’existe, à notre connaissance, que très peu d’informations dans la littérature sur la fraction hydrophile de la MOD que ce soit en milieu naturel ou urbanisé et aucune ne traite de l’influence de cette MOD d’origine urbaine sur la spéciation et la biodisponibilité des métaux.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
I.1. SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
I.1.1. Introduction
I.1.2. Origine de la matière organique dissoute
I.1.3. Concentration en matière organique dissoute
I.1.4. Composition de la matière organique dissoute
I.1.5. Etude des propriétés de la matière organique dissoute
I.1.5.1. Analyse globale de la matière organique dissoute
I.1.5.2. Extraction et fractionnement de la matière organique dissoute
I.1.5.2.1. Séparation selon la taille
I.1.5.2.2. Séparation selon la charge
I.1.5.2.3. Séparation selon l’hydrophobicité
I.1.5.3. Concentration de la MOD
I.1.6. Caractérisation chimique de la matière organique dissoute
I.1.6.1. Analyses élémentaires
I.1.6.1.1. Analyses élémentaires C, H, O, N, S
I.1.6.1.2. Analyses isotopiques 13C et 15N
I.1.6.2. Analyses moléculaires
I.1.6.2.1. Pyrolyse – chromatographie en phase gazeuse – spectrométrie de masse
I.1.6.3. Analyses fonctionnelles
I.1.6.3.1. Spectroscopie UV-visible
I.1.6.3.2. Spectroscopie InfraRouge à Transformée de Fourrier (IRTF)
I.1.6.3.3. Spectroscopie de fluorescence
I.1.6.3.4. Analyse des substances humiques dites réfractaires
I.1.6.3.5. Spectroscopie de résonance magnétique nucléaire
I.1.6.3.6. Chromatographie d’exclusion de taille à haute performance
I.1.6.3.7. Titration acido-basique
I.1.7. Conclusions bibliographiques
I.2. MATERIEL ET METHODES
I.2.1. Protocole d’extraction de la matière organique dissoute
I.2.1.1. Phase I : prétraitement de l’eau brute
I.2.1.2. Phase II : concentration des MOD par osmose inverse
I.2.1.3. Phase III : protocole d’extraction sur résines macroporeuses non ioniques
I.2.1.4. Phase IV : Purification et extraction des substances hydrophiles
I.2.1.5. Conclusion : nature des fractions obtenues
I.2.2. Les sites d’étude
I.2.3. Outils analytiques de caractérisation
I.2.3.1. Dosage du carbone organique dissous (COD)
I.2.3.2. Analyses élémentaires
I.2.3.3. Spectroscopie d’absorption UV-visible
I.2.3.4. Spectroscopie de fluorescence moléculaire
I.2.3.5. Spectroscopie InfraRouge (IR) à transformée de Fourrier (IRTF)
I.2.3.6. Dosage des fonctions acido-basiques
I.2.3.7. Dosage des substances humiques dites substances réfractaires
I.2.3.8. Détermination de la composition isotopique du carbone et de l’azote
I.2.3.9. Chromatographie d’exclusion de taille à haute performance
I.2.3.10. Pyrolyse – chromatographie en phase gazeuse – spectrométrie de masse
I.3. RESULTATS
I.3.1. Extraction de la MOD
I.3.1.1. Concentration de la MOD par osmose inverse
I.3.1.2. Fractionnement et extraction de la MOD par adsorption sur les résines DAX-8 et XAD-4
I.3.1.2.1. Adsorption de la MOD sur les résines DAX-8 et XAD-4
I.3.1.2.2. Elution des MOD adsorbées sur les résines : bilan d’extraction
I.3.1.3. Extraction de la MOD hydrophile
I.3.1.4. Bilan global d’extraction de la MOD issue des sites d’étude
I.3.2. Caractérisation des fractions de MOD
I.3.2.1. Analyse élémentaire
I.3.2.2. Spectroscopie d’absorption UV-visible
I.3.2.3. Spectroscopie de fluorescence moléculaire
I.3.2.4. Spectroscopie InfraRouge (IR) à transformée de Fourrier (FTIR)
I.3.2.5. Dosage des fonctions acido-basiques
I.3.2.6. Dosage des substances humiques dites réfractaires
I.3.2.7. Détermination de la composition isotopique du carbone et de l’azote
I.3.2.8. Chromatographie d’exclusion de taille à haute performance
I.3.2.9. Pyrolyse et chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse
I.4. DISCUSSIONS
I.4.1. Concentration en COD et caractéristiques des eaux étudiées
I.4.2. Extraction de la MOD : une succession d’opérations
I.4.2.1. Osmose inverse : une approche efficace pour la concentration des MOD
I.4.2.2. Efficacité des résines DAX-8 et XAD-4
I.4.2.3. Extraction des MOD hydrophiles : recherche d’une approche quantitative
I.4.3. Comparaison des propriétés structurales des différentes classes de MOD extraites
I.4.4. Comparaison des propriétés structurales des différents échantillons
CONCLUSION GENERALE
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