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Rhéologie du béton projeté
Certaines études ont tenté de relier les caractéristiques rhéologiques et le rebond du béton. En effet, le béton frais est couramment décrit à l’aide de modèles rhéologiques, et en particulier par le modèle de Bingham, grâce à deux paramètres physiques : le seuil de cisaillement et la viscosité plastique (Tattersall & Banfill 1983). La contrainte τ apparaissant en condition de cisaillement peut être exprimée par :
Avec :
• τ : Contrainte de cisaillement (Pa)
• τ0 : Seuil de cisaillement (Pa)
• µ : Viscosité apparente (Pa.s)
• ̇: Gradient de vitesse de cisaillement (s-1) τ µ τ0
Beaupré (1994) ne trouve pas de relation entre le rebond et les propriétés rhéologiques mesurées sur le béton (ses mesures concernent des bétons projetés par voie mouillée). Pfeuffer & Kusterle (2001) ont effectué des mesures rhéologiques sur des mortiers en utilisant les mêmes ratios eau/ciment (contrôlé par un débitmètre) relevés lors de la projection de béton par voie sèche. Ils trouvent que le rebond est « intimement lié aux propriétés intrinsèques d’écoulement visqueux des particules fines au sein du béton projeté ». Ils constatent que la viscosité doit être basse au niveau de la zone impactée par le flux de béton, et que le seuil de cisaillement doit être le plus haut possible pour éviter l’affaissement du mélange. Brumaud (2012), d’après Baumann et al. (2010), suggère que le caractère collant d’un mortier (défini par la quantité de matériau adhérente à un cône en métal) augmente avec l’augmentation du ratio µγc/τ0 (avec γc la déformation critique du matériau correspondant à la déformation atteinte lorsque la contrainte est égale à la contrainte seuil). Si le caractère collant est relié au rebond, cela signifie que pour un seuil donné, la viscosité doit être élevée, ce qui va à l’encontre des résultats de Pfeuffer et Kusterle (2001).
D’autre part, Prudencio (1998) suggère qu’un mélange thixotrope permet de réduire le rebond. Il existe plusieurs définitions de la thixotropie répertoriées par Barnes (1997) et peut se traduire dans le cas de la projection par la capacité de réduction de la viscosité en fonction du temps sous une sollicitation constante, suivie d’un regain de viscosité lorsque la sollicitation s’arrête.
La relation entre rebond et propriétés rhéologiques ne semble pas être évidente. C’est pourquoi des outils alternatifs d’évaluation du béton projeté ont été développés
Consistance statique
L’étude de la projection par voie sèche renvoie à une notion de consistance de projection (Jolin et al. 1999 ; Armelin et al. 1996 ; Gérômey 2003), qui est un paramètre d’évaluation assez subjectif. Sur chantier, la consistance est principalement contrôlée par l’ajout d’eau. Si trop d’eau est ajoutée, le mélange aura tendance à perdre de la cohésion et à tomber, et si il n’y a pas assez d’eau, le rebond augmentera (Armelin 1997). Le contrôle de l’apport en eau est réalisé par le porte lance en évaluant la consistance du béton de manière visuelle. Pour connaitre la consistance du béton projeté, on ne peut pas utiliser de test comme le cône d’Abrams, puisqu’il impliquerait de prélever le béton après projection, ce qui provoquerait un « malaxage » et une modification structurelle. Prudêncio et al. (1996), Armelin et al. (1997), et plus tard Jolin et al. (1999), Bolduc (2009), Royer (2013) ont utilisé un test de consistance par pénétration d’une l’aiguille dans le béton frais. Pour définir la consistance, les auteurs se réfèrent à Powers (1967) qui considère la consistance comme la résistance du matériau à une déformation. Cette mesure peut s’apparenter à une mesure de seuil de cisaillement (Jolin et al. 1999).
Paramètres influençant le rebond
Le procédé de projection par voie sèche est générateur de rebond. Le rebond est défini comme « la partie du matériau qui, ayant été projeté par la lance, n’adhère pas à la surface d’application » [NF EN 14487-1]. Il est donc calculé comme le rapport entre la masse de béton n’adhérant pas à la surface et la masse totale de béton projetée.
Ces pertes par rebond induisent une surconsommation de matériaux, ce qui est préjudiciable pour le coût des travaux, le temps de réalisation (les pertes doivent souvent être ramassées et évacuées) et le bilan carbone de la méthode : en effet, la production de béton, et en particulier la fabrication du ciment est fortement génératrice de CO2. La surconsommation de béton entraine donc des émissions de gaz à effet de serre supplémentaires.
Le rebond impacte aussi la composition du béton « en place », car les granulats ne rebondissent pas dans les mêmes proportions. De ce fait, la composition finale du béton ne peut pas être connue précisément avant la mise en place. Les pertes par rebond pour un béton projeté par voie sèche sont généralement supérieures à 20% et peuvent facilement s’élever à plus de 40%. En voie mouillée, les pertes sont estimées entre 5 et 10% (Armelin 1997; Bindiganavile & Banthia 2000; Gérômey 2003).
La quantité de rebond dépend de la formulation initiale du béton, du processus de mise en place (orientation de la buse par rapport à la surface, vitesse, pression d’air) et des paramètres du site (type de surface et inclinaison, épaisseur d’application, température…). Tous ces paramètres ont été évalués de manière expérimentale par divers auteurs et sont présentés dans cette partie (Stewart 1933; Parker et al. 1976; Schutz et al. 2011; Armelin 1997; Jolin 1999; Bindiganavile & Banthia 2000; Resse & Vénuat 1981; Pfeuffer & Kusterle 2001; Gérômey 2003). Un modèle de prédiction du rebond a été développé par Armelin (1997) et sera présenté au chapitre 5.
Paramètres techniques
Le rebond est dépendant de deux types de paramètres : les paramètres techniques et les paramètres de formulation. Les paramètres techniques sont liés à l’outillage et à son réglage, aux pratiques de projection et à la configuration du site.
Débit d’air et vitesse de projection
Armelin (1997) montre qu’il existe un débit d’air optimal pour minimiser le rebond (Figure I.19). Les valeurs exposées sont dépendantes du matériel utilisé et ne peuvent pas faire office de référence universelle. Lors de ses essais, Gérômey (2003) trouve qu’en réduisant le débit d’air sans réduire le débit de matériau, le rebond augmente par rapport à la situation de référence.
Effet de la courbe granulométrique
La norme française (NF P 95-102) et l’ACI (ACI 506R 2005) (Tableau I.6) proposent des recommandations de fuseaux granulométriques pour le béton projeté, le plus continus possible. Ces recommandations concernant les pertes par rebond sont discutées dans Armelin et al. (1997). En effet, Armelin et al. (1997) remarquent que les courbes cumulées discontinues ont un rebond total égal ou inférieur aux mélanges ayant des courbes granulaires continues. Cette conclusion doit toutefois être pondérée par le fait que, dans cette étude, seuls deux essais ont étés réalisés avec des courbes discontinues. Jolin & Beaupré (2004) ont montré d’après leurs essais, qu’il existait un optimum de distribution granulométrique (basé sur le fuseau ACI). Cet aspect sera développé au chapitre 3. Les tests menés pour un rapport E/C fixe, en faisant varier la distribution granulométrique, permet de passer d’un rebond de 37% à 25%.
Influence du rebond sur la composition du béton
Le rebond du béton projeté par voie sèche entraine une modification du mélange en place par rapport au mélange initial. Ceci s’explique par le fait que :
• D’une part, le rebond des granulats est plus important en début de projection, avant la formation d’une couche critique, à partir de laquelle le rebond se stabilise (Parker et al. 1976).
• D’autre part, les plus grosses particules sont soumises à un rebond plus important que les petites (Bindiganavile 2007 ; Armelin 1997).
Teneur en éléments fins
Les granulats qui rebondissent ne s’intègrent pas à la matrice ce qui a pour effet d’augmenter la proportion de ciment dans le béton mis en place (avec des valeurs pouvant aller jusqu’à 700kg/m3)(Bindiganavile & Banthia 2000). La concentration en ciment est plus riche sur les premiers centimètres projetés (Figure I.32).
Le fort dosage en ciment et le manque de granulats pour une stabilisation volumique peut entrainer de la fissuration due au retrait et aux effets thermiques, ce qui altère la durabilité du béton en place (Bindiganavile & Banthia 2000).
L’augmentation de la teneur en ciment in-situ n’est pas proportionnelle à l’augmentation de ciment dans le mélange initial (Armelin 1997). Puisque la teneur en ciment du béton en place est supérieure
à la teneur initiale, il serait tentant de réduire la teneur initiale pour obtenir la teneur en ciment visée pour le béton en place. Cependant, les faibles teneurs en ciment entrainent aussi une augmentation du rebond (comme le montre la Figure I.26 au paragraphe 3.2.4). Il est couramment admis que pour rester rentable, il vaut mieux conserver une teneur minimum en ciment de 300 kg/m3 (NF EN 14487). Armelin (1997) préconise 400kg/m3.
Développement du dispositif expérimental
L’absence d’un dispositif expérimental dédié à la projection au sein du LMDC, a nécessité le développement d’un système permettant d’effectuer des mesures fiables et reproductibles. Cette partie présente les choix technologiques qui ont été faits pour le montage du banc expérimental de projection. La projection par voie sèche n’ayant jamais été réalisée au LMDC, plusieurs alternatives ont été envisagées. La première était la création d’un dispositif miniaturisé afin de faciliter la manipulation et multiplier les essais. Ce type de dispositif existe pour la voie humide dans certaines industries, mais le temps de développement d’un tel dispositif n’est pas compatible avec la durée d’une thèse. Au-delà de la durée de développement, la question s’est posée de la représentativité d’un modèle réduit et de sa robustesse pour rendre compte de la problématique à l’échelle industrielle. La projection à l’échelle 1 a donc été privilégiée, pour permettre le transfert rapide des formulations entre le laboratoire et le chantier.
La conception de la plate-forme expérimentale de projection doit répondre à un certain nombre de critères :
• Utiliser une machine de projection industrielle.
• Permettre des conditions de projection comparables à celle d’un chantier : distance de projection, temps d’ajustement…
Tout en respectant des contraintes liées à l’environnement d’un laboratoire :
• Limiter les nuisances dues à la projection : dispersion des poussières, bruit…
• Etre compatible avec des volumes projetés moindres que ceux réalisés sur chantier.
• Permettre un approvisionnement des mélanges à projeter.
• Faciliter la réalisation des corps d’épreuve et leur manutention.
Les choix effectués afin de répondre au mieux à ces contraintes sont présentés ci-dessous.
Espace de projection
Le béton projeté, même avec le meilleur réglage, est source de rebond et donc de déchets. Effectuer les tests à l’échelle 1 au sein du laboratoire aurait nécessité l’aménagement intérieur d’un espace dédié. Ceci n’était pas envisageable dans notre cas. Nous avons choisi de travailler dans un conteneur de 6m x 2,5 m x 2,4 m placé à l’extérieur du laboratoire et aménagé de façon à être électriquement indépendant (Figure II.1).
La Figure II.2 présente l’organisation intérieure du conteneur. Celui-ci est divisé en deux zones :
• Une zone pour l’ajustement de l’eau : cette zone est nécessaire pour ajuster la consistance du mélange avant de réaliser la projection servant aux mesures. En effet, le béton projeté par voie sèche n’est pas malaxé préalablement avec l’eau, celle-ci est ajoutée au cours de la projection. La zone d’ajustement sert donc au réglage de l’eau pour l’obtention de la consistance visée, afin de pouvoir ensuite réaliser les mesures sur un mélange homogène.
• Une zone pour les mesures : lorsque la consistance est atteinte, le béton est projeté dans un moule adapté aux mesures de rebond. Les mesures sur béton frais peuvent ensuite être réalisées (mesures présentées au paragraphe 1.2)
Une bâche installée dans la zone mesure de rebond (en bleue sur la Figure II.2) permet de récupérer le matériau n’ayant pas adhéré au support. A l’issue de la projection, la bâche et le moule remplis, sont pesés à l’aide d’un peson (précision 200g) accroché à un palan afin de quantifier le rebond. La zone de projection est nettoyée et réinstallée avant de procéder à une nouvelle projection.
La machine de projection est placée à l’extérieur du conteneur pour faciliter l’apport en matériaux sec et limiter les poussières dans le conteneur. Les poussières présentes dans le conteneur sont évacuées à l’aide d’un ventilateur.
Choix de la machine de projection
Pour respecter les contraintes du laboratoire, tout en appliquant des méthodes de chantier, les projections ont été réalisées à l’aide de la plus petite machine de chantier disponible dans l’entreprise : une Meyco® Piccola électrique avec un barillet 12 alvéoles présentée sur la Figure II.3(a) et (b). La lance utilisée a un diamètre intérieur de 50 mm et l’introduction de l’eau se fait via l’anneau de mouillage (Figure II.3b) 2,5 m avant la sortie de la lance. La Figure II.3b présente la lance tronquée au niveau l’anneau de mouillage afin de vérifier la bonne sortie de l’eau. En fonctionnement normal, cette partie n’est pas visible. Un compresseur 6 bars, 10 m3/min, une arrivée d’eau à la pression du réseau (3 bars), et une source électrique triphasée sont nécessaires pour alimenter la machine de projection.
Choix de l’approvisionnement en matériaux
Plusieurs solutions étaient envisageables pour l’approvisionnement en matériaux secs. Dans un premier temps, nous pensions faire appel à un bétonnier pour nous faire livrer les mélanges à tester directement en toupie, big-bags ou sacs. Cependant, les quantités utilisées en laboratoire étant trop faibles, les formulations trop variées, les industriels ne pouvaient pas garantir la précision demandée. Nous avons alors opté pour la réalisation de mélanges en laboratoire. Pour éviter une prise partielle avant projection (il n’était pas possible de sécher les matériaux), les mélanges ont été réalisés le jour même, malaxés et mis en big-bag avec chaussette.
Un échafaudage a été assemblé afin de positionner le big-bag au-dessus de la trémie pour approvisionner la machine (Figure II.4). Cette solution présente l’avantage de ne requérir qu’une seule personne pour les manipulations.
Choix du support de projection
Au LMDC, le type de support de projection a été choisi en tenant compte de plusieurs contraintes. Il devait permettre :
• Des essais reproductibles.
• Un démoulage aisé.
• Un volume projeté en adéquation avec les moyens de levage disponibles au laboratoire. Ainsi, le choix s’est porté sur un moule répondant aux normes NF P 95-102 (2002-04) et NF EN 14488-1 (2006-03) : un moule en bois de 50 cm X 50 cm avec 4 chevrons de 50 cm x 6 cm x 4 cm disposés de manière à laisser les bords de la caisse ajourés pour éviter l’emprisonnement des pertes (Figure II.5a).
Nous avons fait le choix de réaliser des corps d’épreuves constitués uniquement de béton ; il n’est pas prévu dans cette étude de caractériser l’enrobage d’armatures par le béton projeté : à cet effet, des barres d’armatures auraient pu être rajoutées sur le moule de projection comme cela est fait lors des certifications Françaises ou Américaines pour apprécier la qualité d’un projeteur.
A l’Université Laval, deux types de moules sont utilisés. Le premier, pour la mesure du rebond, est un moule en acier de 1mx1m placé verticalement (Figure II.5b). Le second, servant aux prélèvements à l’état durci, est un moule en bois 66 cm x 66 cm avec les côtés inclinés à 45°. (Figure II.5c) Ces moules répondent à la norme ASTM C1140 (largeur et hauteur minimales de 61 cm).
Choix de la technique de projection
Pour permettre de réaliser des essais reproductibles, la question de la technique de projection s’est posée. La première solution envisagée était la projection avec la lance fixée sur un support. Elle a été écartée car cela conduisait à la formation d’un cône sur le support (Figure II.6 à gauche) augmentant le rebond. En effet, d’après la bibliographie, lorsque la lance n’est pas orientée perpendiculairement au support le rebond est fortement augmenté (Chapitre 1). Cela provient du fait que les gravillons viennent impacter la surface avec un trop grand angle par rapport à la normale, générant un effet de ricochet. Pour une lance fixée perpendiculairement au support, sans mouvement circulaire pour réaliser une surface plane (Figure II.6 à droite), il se formera un cône. Ce cône modifie la géométrie de la surface et les granulats impacteront le substrat avec un angle plus important que dans le cas d’une surface plane, générant le même phénomène de ricochet que lorsque la lance n’est pas perpendiculaire à une surface plane.
La deuxième solution étudiée était la projection à l’aide d’un support automatisé (Figure II.7) pour reproduire un mouvement circulaire régulier, permettant l’obtention d’une surface plane. Un montage a été réalisé en ce sens, mais le mouvement ne permettait pas un remplissage adéquat du moule. Le réglage d’un tel dispositif aurait été trop long pour le gain de précision attendu. C’est donc la solution de projection manuelle qui a été retenue, en gardant la même distance, le même remplissage et le même opérateur.
Dispositif alternatif
Le dispositif présenté ci-dessus présente l’avantage d’être facilement et rapidement opérationnel. Certaines opérations ou mesures pourraient être améliorées ; par analogie au dispositif de l’Université Laval:
• Sur la pesée des pertes : le moule de rebond est fixé à un peson pendant toute la durée de la projection. Cela permet d’évaluer en temps réel la masse de matériau présente dans le moule. La machine et les matériaux sont eux même placés sur une balance et le débit d’eau est enregistré. Tout le dispositif est relié à un système d’acquisition. Les pertes sont évaluées par différence entre la masse projetée et la masse dans le moule, tandis que le dispositif présenté précédemment permet la mesure directe de la masse rebondie. Le dispositif canadien est présenté Figure II.8.
• Sur l’évacuation des poussières : le dispositif est équipé d’un système de hotte aspirante au lieu du ventilateur utilisé dans le conteneur pour la circulation de l’air.
• Sur l’évacuation des déchets de réglage : le réglage de la consistance implique une quantité de «béton déchet» conséquente, qu’il est nécessaire d’évacuer. Dans les deux cas, l’évacuation est faite après chaque projection, à la pelle. Des parois lisses facilitent cette opération. Cependant, pour éviter le pelletage, il pourrait être envisagé de réaliser l’ajustement dans un espace de type « caisson » qu’il serait possible d’évacuer à l’aide d’un outil de levage.
Déroulement d’une projection
Une formulation de béton projeté est caractérisée par sa composition sèche. Lors de la projection, l’eau est ajoutée par l’intermédiaire de l’anneau de mouillage intégré à la lance. De plus, la quantité d’eau est ajustée par l’opérateur sur un critère principalement visuel. Un mélange sec peut alors donner une large gamme de béton en fonction de l’eau ajoutée selon l’appréciation de l’opérateur. Une formulation de béton projeté n’est donc pas caractérisée par une seule valeur de rebond. Pour chaque formulation, au moins cinq réglages en eau sont réalisés dans le but d’évaluer la variation du rebond en fonction des consistances. Le remplissage d’une caisse (au moins 10cm d’épaisseur) correspond à un réglage de teneur en eau.
Les principales étapes de la procédure de projection réalisée au LMDC sont les suivantes:
o La veille : pesée des matériaux et stockage. Les granulats ne sont pas séchés complètement,
leur teneur en eau se situe entre 3% et 4%.
o Le jour même, préparation de la machine, branchement au compresseur 6 bars et au réseau d’eau (en hiver, penser à stocker les tuyaux en intérieur pour éviter le gel de l’eau résiduelle ou bien évacuer complètement l’eau à l’aide du compresseur)
o Malaxage le jour même (5min), mise en big-bag et installation du big bag au-dessus de la machine
o Pesage de la caisse et de la bâche vide avant installation de la zone de mesure
o Démarrage de la projection (air, puis eau, puis matériaux) et réglage de l’eau dans la zone d’ajustement
o Passage de la lance dans la zone de mesure jusqu’à remplissage complet du moule de rebond o Retour dans la zone de réglage pour l’arrêt de l’arrivée des matériaux puis eau et air
o Pesage de la caisse et de la bâche o Mise à la benne des pertes
o Réalisation des tests1 à l’état frais environ 10 min après la projection sur le panneau projeté o Prélèvement pour mesure de la teneur en eau à l’état frais
o Stockage du panneau en salle humide
o Nettoyage et réinstallation pour la réalisation du 2ème panneau.
Les tests à l’état durci sont réalisés sur le même panneau qui sert aux mesures à l’état frais et au pesage du rebond. Les échantillons ne sont donc pas moulés, mais débités dans le panneau après durcissement.
Pour une formulation, environ 250l de matériaux secs sont préparés, ce qui permet de réaliser cinq mesures de rebond avec des consistances différentes et donc d’avoir cinq panneaux pour les essais à l’état durci. Les caisses une fois projetées pèsent autour de 50 kg. Pour effectuer un essai de rebond complet, avec ré-installation comprise, il faut environ 40 minutes. Le test d’une formulation à différentes consistances peut donc être réalisé en une demi-journée.
Après avoir présenté le dispositif et le déroulement d’une projection, nous allons maintenant nous intéresser aux mesures réalisées sur le matériau béton. En effet, pour la réduction du rebond, il est nécessaire d’identifier les propriétés du matériau à l’état frais. De plus, des propriétés à l’état durci sont étudiées afin de ne pas porter atteinte à la robustesse de l’ouvrage. La partie suivante traite donc des propriétés du béton projeté à l’état frais et à l’état durci.
Caractérisation de l’état frais et des pertes par rebond
Après avoir présenté le dispositif, nous allons maintenant nous intéresser aux mesures réalisées après la projection. Après la mesure du rebond, et pour tenter de relier les propriétés fraiches du béton aux pertes engendrées, des mesures de teneur en eau, ainsi que des mesures de contrainte statiques et dynamiques sont réalisées.
Pertes par rebond
Le rebond est défini comme la proportion massique de matériau qui n’adhère pas à la surface. Le dispositif mis en place au LMDC permet de mesurer la quantité de matériaux adhérant au moule de rebond et la quantité de matériaux retombant dans la bâche de recueil des pertes. Le calcul du rebond après chaque projection est calculé comme : Rebond [%]= MP[kg] x 100 MT[kg];
avec :
• MP [kg] = Masse des pertes = Masse Bâche pleine – Masse bâche vide
• Mm [kg] = Masse de béton adhérent au support = Masse moule plein – Masse moule vide
• MT [kg] = Masse totale de béton projeté = MP + Mm
Pour ce calcul, plusieurs hypothèses sont faites :
• Tout le béton projeté est récupéré soit dans le moule, soit dans la bâche : c’est une hypothèse acceptable du fait que la partie de la projection susceptible de ne pas se trouver dans le dispositif sont les poussières dont la masse est négligeable devant celle du béton du moule ou de la bâche (qui s’évalue en dizaine de kilogrammes).
• Il n’y a pas d’emprisonnement de pertes dans le moule : du fait des ouvertures latérales, ces pertes sont évacuées.
• La masse de matériau dans la bâche est due au rebond. Si lors de la projection un bloc se détache du moule par décohésion ou glissement, l’essai est écarté. En effet, la masse de matériau récupérée dans la bâche ne serait pas uniquement due au phénomène de rebond, ce qui fausserait l’étude.
Dans le système développé à l’Université Laval (Figure II.8), la masse de pertes n’est pas mesurée directement mais déduite de la masse dans le moule et de la masse de matériaux projetée.
Mesure de la teneur en eau
Pour connaitre la teneur en eau du béton projeté par voie sèche, il faut attendre la fin de la projection (contrairement au béton projeté par voie mouillée où un malaxage avec l’eau est réalisé avant la projection).
La mesure de teneur en eau est réalisée en prélevant et pesant un échantillon d’environ 2kg de béton frais (mhumide) dans le panneau.
Ce prélèvement est séché sous une lampe chauffante jusqu’à évaporation complète de l’eau (environ 45 min) et stabilisation de la masse (msèche). La teneur est eau du béton frais est alors déterminée comme : W (%) =( ) . 100 = ( ) − è ℎ ( ) . 100 béton frais è ℎ ( ) è ℎ ( );
Différentes méthodes de séchage peuvent être employées, comme un brûleur ou un micro-onde industriel (méthode utilisée dans la campagne d’essai à l’Université Laval).
Le recours à la lampe chauffante, comme au brûleur, implique de brasser le mélange pour obtenir un séchage homogène et complet. Toutefois, cette intervention en cours du séchage peut générer des pertes en matériaux, même infimes, réduisant ainsi la masse sèche et par conséquent augmentant artificiellement la teneur en eau. Les valeurs obtenues avec ces techniques sont donc à considérer avec précaution ; elles permettent toutefois de dégager des tendances générales.
Mesure de la contrainte de contact statique
Cette mesure a été réalisée par de nombreux auteurs (Figueiredo 1999; Armelin et al. 1997; Jolin 1999; Bolduc et al. 2002) afin de déterminer la consistance du béton frais. Plus la contrainte statique est élevée, plus le béton est ferme. De même, une contrainte statique faible traduit un béton plus fluide contenant généralement plus d’eau (chapitre 1).
Dans notre étude, cette mesure a été faite à l’aide d’un pénétromètre (Figure II.9) dont l’aiguille cylindrique a un diamètre de 6mm. L’aiguille est enfoncée à vitesse constante dans le béton jusqu’à une profondeur de 2,5 mm. La résistance à l’enfoncement est mesurée grâce à un système de ressort. La mesure est répétée 15 fois, ce qui permet d’obtenir un coefficient de variation de 30%. L’aiguille utilisée n’est pas instrumentée, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible d’enregistrer la contrainte en fonction de l’enfoncement. Cependant, les résultats présentés au chapitre 1 montrent qu’à partir d’un enfoncement de l’ordre de grandeur du diamètre de l’aiguille, la contrainte se stabilise. La valeur relevée sur le pénétromètre à ressort est la valeur obtenue pour 25mm (> 4Ø) d’enfoncement, on peut donc considérer que la valeur relevée correspond au seuil de contrainte.
Mesure du coefficient de migration des chlorures
Le coefficient de migration des chlorures donne une indication sur la manière dont une espèce ionique diffuse dans une matrice poreuse. Les chlorures, en particulier, sont responsables de la corrosion des armatures. S’ils pénètrent trop en profondeur dans un ouvrage en contenant, cela peut accélérer le vieillissement et l’endommagement d’une structure.
Le processus de diffusion naturel est lent, mais il est possible de forcer la migration grâce à l’application d’une différence de potentiel électrique. Cette méthode, qui permet la mesure d’un coefficient de migration des ions chlorures, est effectuée en suivant la méthode NT Build 492 [chloride migration coefficient from non-steady-state migration experiments]. Le dispositif est présenté sur la Figure II.16. L’échantillon à tester est manchonné et l’étanchéité est assurée par un joint silicone (en noir sur la Figure II.17). La partie supérieure est mise en contact avec une solution anodique et la partie inférieure est en contact avec la solution cathodique (Figure II.16 et Figure II.17b).
Un potentiel électrique est appliqué et ajusté en fonction du béton, pour que les ions ne traversent
pas entièrement l’échantillon. A la fin de l’essai, les éprouvettes sont fendues et le front de migration des ions est révélé par du nitrate d’argent (Figure II.17c).
Laitier granulé moulu de hauts fourneaux
Le laitier de hauts fourneaux est un résidu de l’industrie sidérurgique. Lors de la fabrication de la fonte, le minerai de fer et le fondant (permettant d’abaisser la température de fusion) sont amenés à la fusion (températures entre 1400°C et 1600°C) dans un haut fourneau. La gangue du minerai, liquéfiée par l’opération de fusion, et ayant une densité plus faible, surnage au-dessus de la fonte ce qui permet une extraction du laitier par écoulement séparé.
Les granulés sont obtenus par une trempe à l’eau. Le matériau n’a donc pas le temps de cristalliser, ce qui en fait une matière vitreuse. Une fois extrait, le laitier est séché et moulu. Il est composé des oxydes majeurs : chaux, silice, alumine et magnésie. Le rapport massique (CaO + MgO)/(SiO2) est supérieur à 1.
La production d’une tonne de laitier moulu émet de l’ordre de 20kg de CO2, ce qui en fait une addition avec un grand atout environnemental. De plus, la norme NF EN 206/CN permet de fort taux de remplacement de ciment par le laitier, jusqu’à 50% pour des bétons d’ingénierie. Ces deux avantages augmentent son intérêt d’utilisation.
Le laitier a des propriétés hydrauliques latentes (il fait prise avec l’eau, mais sur des temps de plusieurs jours). Cela peut présenter un inconvénient à court terme, dans la mesure où les résistances se développent plus lentement. De plus, l’hydratation des ciments au laitier est fortement dépendante de la température (Escalante et al. 2001). Il est possible de l’activer thermiquement ou chimiquement par la chaux (Ca(OH)2) libérée lors de l’hydratation du ciment ou par activation alcaline (soude, silicate de sodium, carbonate de sodium (Na2CO3) par exemple) (Jacquemot 2014).
En termes de développement des résistances, à 20°C, un béton à base de 50% de laitier et 50% de CEM I 52.5N non activé verra sa résistance à long terme (à partir de 28j) augmenter et atteindre le niveau de celle d’un béton à base de 100% de CEM I 52.5N. La résistance du béton au laitier pourra même être supérieure au-delà de 28j. Cependant, avant 28j, le développement des résistances est plus lent pour le béton au laitier que pour le béton à 100% de ciment.
Le laitier permet l’affinement de la structure poreuse et la limitation de la diffusivité (Hang 2015) ce qui est un avantage pour la durabilité.
A l’état frais, pour un rapport eau/liant constant, le laitier peut apporter un gain de maniabilité (Tattersall & Banfill 1983; Zhao et al. 2015). Sa demande en eau est moindre que celle des métakaolins (Perlot & Rougeau 2007).
Le gain en durabilité, en résistance et la diminution de l’empreinte environnementale en fait une addition de substitution intéressante. Le laitier utilisé, produit par ECOCEM, est légèrement plus fin que le CEM I 52.5 ce qui peut présenter un avantage pour la limitation du rebond d’après Bindiganavile & Banthia (2000). Les propriétés physiques et chimiques du laitier, moulu, granulé, de haut fourneau utilisé lors de cette étude sont présentées dans le Tableau II.2 et le Tableau II.3 (paragraphe 2.2.6).
Filler Calcaire
Les fillers calcaires sont des fines minérales quasi-inertes. Leur rôle est de densifier la matrice liante. Le filler calcaire utilisé a une surface spécifique plus élevée que le ciment et constitue une addition de faible coût économique. Bindiganavile & Banthia (2000) suggèrent que la finesse d’une addition a une forte influence sur le rebond. Le filler a été utilisé en combinaison du laitier dans l’optique d’affiner la granulométrie et donc réduire le rebond. De plus, Armelin (1997) a constaté qu’il permettait de réduire le rebond tout en maintenant de bonnes résistances mécaniques. Les propriétés physiques du filler Calcaire Betocarb HP Omya (98.8% de CaCO3) utilisé dans cette étude sont répertoriées dans le Tableau II.3.
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Table des matières
CHAPITRE 1 : Béton projeté : état de l’art
INTRODUCTION
1. Historique et Définition
1.1. Historique
1.2. Définition des bétons projetés
1.3. Techniques de projection
1.4. Outillage en voie sèche
1.5. Ferraillage et fibres
1.6. Synthèse
2. Caractéristiques du béton projeté par voie sèche
2.1. Caractéristiques à l’état durci
2.2. Caractéristiques à l’état fraiS
2.3. Synthèse
3. Paramètres influençant le rebond
3.1. Paramètres techniques
3.2. Paramètres de formulation
3.3. Influence du rebond sur la composition du béton
3.4. Synthèse
CHAPITRE 2 : Stratégie d’étude du béton projeté : méthodes et matériaux
INTRODUCTION
1. Méthodes
1.1. Développement du dispositif expérimental
1.2. Caractérisation de l’état frais et des pertes par rebond
1.3. Mesures à l’état durci
2. Matériaux
2.1. Sable et gravillon
2.2. Phase liante : Ciment et additions
2.3. Phase liante : Additif
CHAPITRE 3 : Influence de la granulométrie sur le comportement du béton projeté
INTRODUCTION
1. Squelette granulaire des bétons projetés par voie sèche
1.1. Recommandations existantes
1.2. Compacité théorique maximale d’un mélange granulaire
1.3. Synthèse
2. Compositions et caractéristiques granulaires des mélanges projetés
2.1. Composition et dénomination des mélanges
2.2. Squelette granulaire des bétons projetés
3. Rebond et granulométrie
3.1. Influence de la granulométrie et de la teneur en eau sur le rebond
3.2. Influence du rebond sur la modification du squelette granulaire
3.3. Synthèse
4. Influence de la granulométrie et de la teneur en eau sur les résistances en compression
4.1. Résistance en compression pour les différentes granulométries étudiées
4.2. Influence de la granulométrie sur la résistance
4.3. Relation entre rebond et résistance en compression
4.4. Synthèse
CONCLUSION
CHAPITRE 4 : Intérêt des additions dans le béton projeté par voie sèche
1. Formulations.
1.1. Choix des additions et additifs
1.2. Dénomination des mélanges
1.3. Composition des mélanges
2. Influence des additions sur le rebond
2.1. Méthode d’analyse des résultats de rebond
2.2. Modification de la consistance par les additions
2.3. Discussion sur l’effet des additions
2.3.1. Rebond représentatif
2.3.2. Influence des additions sur la contrainte de contact dynamique
2.4. Influence combinée des additions et du squelette granulaire
3. Influence des additifs sur le rebond
3.1. Modification de la consistance par les additifs
3.2. Bilan de l’effet des additifs
4. Critères complémentaires de validation des formulations
4.1. Contraintes d’approvisionnement sur chantier
4.2. Résistance en compression
4.3. Bilan carbonE
4.4. Evaluation du coût économique
CHAPITRE 5 : Modélisation du rebond et détermination des paramètres influents
INTRODUCTION
1. Définition du rebond
2. Modèles existants
2.1. Modèles aux éléments discrets
2.2. Modèle analytique
2.3. Choix du modèle
3. Développements à partir du modèle analytique
3.1. Modification de la méthode de calcul
3.2. Analyse de sensibilité du modèle
3.3. Application du modèle au mélange T-1/2
3.4. Enrichissement du modèle
3.5. Synthèse
4. Caractérisation du substrat en amont de la projection
4.1. Modèles aux éléments finis
4.2. Etude rhéologique
4.3. Mesure par transmission d’ultra-son
4.4. Synthèse
CHAPITRE 6 : Durabilité des bétons projetés
INTRODUCTION
1. Approche normative sur la formulation des bétons
1.1. Approche prescriptive traditionnelle
1.2. Approche performantielle
1.3. Cas du béton projeté
2. Durabilité du béton projeté par voie sèche.
2.1. Rappel notation
2.2. Détermination des critères de durabilité
2.3. Résistance mécanique
2.4. Porosité accessible à l’eau
2.5. Perméabilité à l’air
2.6. Pénétration des ions chlorures
2.7. Synthèse
3. Quelle durabilité pour les bétons projetés ?
3.1. Comparaison à un béton coulé de formulation identique
3.2. Bétons projetés en condition chantier
3.3. Spécificités du béton projeté
Conclusions générales et perspectives
Références bibliographiques
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