Le fer et ses propriรฉtรฉs redox, gรฉnรฉralitรฉs
Le fer fait partie des dix รฉlรฉments les plus abondants dans notre galaxie et sur notre planรจte. De par sa prรฉsence ubiquitaire et ses propriรฉtรฉs physicochimiques particuliรจres, cet รฉlรฉment joue un rรดle majeur dans un grand nombre de processus biogรฉochimiques impliquant des transferts dโรฉlectrons. Les rรฉactions chimiques impliquant le transfert dโun ou plusieurs รฉlectrons sont appelรฉes rรฉactions d’oxydo rรฉduction ou rรฉactions redox. Ce type de rรฉaction met en jeu au minimum deux espรจces chimiques : ยซ le rรฉducteur ยป qui cรจde des รฉlectrons et ยซ l’oxydant ยป qui les capte. Les rรฉactions d’oxydo-rรฉduction constituent une famille regroupant un grand nombre de rรฉactions chimiques et biochimiques : combustion, corrosion et biocorrosion des mรฉtaux, maturation et biodรฉgradation de la matiรจre organique et inorganique (minรฉrale), etc. Ces rรฉactions jouent notamment un rรดle fondamental en biologie puisquโelles interviennent dans tout type de mรฉcanisme de production de carbone organique ร partir de carbone minรฉral (ex : photosynthรจse, chimiosynthรจse) ou de dรฉgradation de la matiรจre organique (ex : fermentation, respiration, minรฉralisation).
La notion de potentiel dโoxydo-rรฉduction ou potentiel redox (Eh) est liรฉe ร la prรฉdiction thermodynamique du sens de la rรฉaction entre les oxydants et les rรฉducteurs prรฉsents dans un systรจme. Il sโagit dโun paramรจtre thermodynamique qui a pour but de quantifier lโactivitรฉ de lโรฉlectron en solution. Lโรฉlectron nโexiste cependant pas en tant quโentitรฉ libre en solution, son activitรฉ nโest donc pas mesurable directement et il sโagit donc dโun paramรจtre empirique qui permet de rรฉaliser des calculs thermodynamiques. Une valeur de potentiel redox basse ou nรฉgative favorise la prรฉsence dโespรจces dites rรฉduites, tandis quโune valeur haute favorise les espรจces oxydรฉes.
Cโest en gรฉnรฉral une constante pour un couple Oxi/Redi donnรฉ. {Ox} et {Red} sont les activitรฉs respectives de lโoxydant et du rรฉducteur. EH est le terme dโรฉnergie relatif ร lโรฉlectron (Eh=-RT/nFยทln{e- }) ; il est appelรฉ potentiel formel dโoxydorรฉduction. Ce paramรจtre permet de dรฉterminer la disposition dโun couple redox donnรฉe ร rรฉagir avec un autre (dans un sens ou dans lโautre). Il est ร noter que certaines rรฉactions de demi pile ne font pas simplement intervenir lโoxydant et le rรฉducteur dโun couple redox donnรฉ, mais peuvent รฉgalement impliquer par exemple le solvant, des protons, des hydroxyles, etc. Toutes les activitรฉs des espรจces intervenant dans la rรฉaction doivent รชtre prises en compte. La valeur du EH peut donc fortement dรฉvier de celle du E0 en fonction des concentrations relatives en Ox et Red et selon les conditions du milieu (pH, tempรฉrature, etc.). Si deux couples redox (1 et 2) se trouvent dans le mรชme milieu, les proportions relatives (Oxi/Redi) auront tendance ร sโadapter de maniรจre ร atteindre lโรฉquilibre redox (i.e. EH1 = EH2). Par exemple, si EH1 > EH2, alors il est possible de prรฉdire que Red2 va rรฉduire Ox1. A lโinverse, si EH1 < EH2, la rรฉaction se passe dans le sens inverse (i.e. Red1 va rรฉduire Ox2). La valeur de potentiel redox (formel ou standard) qui est dรฉterminรฉe pour un couple nโest donc pas une valeur absolue, mais une valeur relative qui est ร comparer ร celle dโun autre couple redox. Ces constantes sont par convention exprimรฉes par rapport au potentiel standard dโoxydorรฉduction du couple H+ /H2, lui-mรชme fixรฉ par convention ร la valeur de 0 V dans les conditions standards (ร 25ยฐC et 1 bar de H2).
Un couple est dit ยซ Nernstien ยป si la rรฉaction redox associรฉe est rรฉversible du point de vue รฉlectrochimique, cโest-ร -dire que les proportions relatives entre oxydant et rรฉducteur peuvent รชtre changรฉes dans un sens ou dans lโautre par un apport suffisant dโรฉnergie. Cette notion de rรฉversibilitรฉ se distingue de la rรฉversibilitรฉ ยซ chimique ยป (capacitรฉ dโune rรฉaction ร se dรฉrouler dans lโautre sens) ou rรฉversibilitรฉ thermodynamique [1].
Effets des ligands sur le potentiel redox des couples Fe(II)/Fe(III)
En fonction de la nature des ligands de la sphรจre de coordination du fer en solution, le potentiel redox des couples dโespรจces aqueuses du fer varie significativement. Par exemple, les potentiels de rรฉduction standard des espรจces aqueuses ยซ simples ยป sโรฉchelonnent de +0,77 V pour le couple Fe3+/Fe2+ qui domine ร bas pH dans les solutions peu salines, ร -0,11 V pour le couple Fe(OH)4-/Fe(OH)3- qui domine ร plus haut pH (figure 1). Les ligands organiques qui stabilisent soit les espรจces Fe(II), tels que la phรฉnanthroline, soit les espรจces Fe(III), tels que le salicylate, รฉtendent cet intervalle de variation de +1,12 V ร -0,63 V.
De la mรชme faรงon que les ligands en solution ont une influence sur le potentiel redox des couples Fe(II) /Fe(III) aqueux, la faรงon dont le fer peut รชtre coordonnรฉ dans une structure minรฉrale influence รฉgalement son potentiel redox.
Pourquoi sโintรฉresser aux propriรฉtรฉs redox du fer contenu dans les argiles ?ย
Si les connaissances sur les espรจces chimiques solubles du Fe sont relativement รฉtendues, celles sur les propriรฉtรฉs redox du fer structural dans les minรฉraux, ainsi que sur les mรฉcanismes des rรฉactions impliquant de telles espรจces, sont beaucoup plus limitรฉes. En dehors des oxydes et des hydroxydes, une part importante du ferprรฉsent dans les environnements de surface se trouve dans des minรฉraux de composition chimique plus complexes tels que les phyllosilicates parmi lesquels on trouve les micas et les smectites. Cette derniรจre famille de minรฉraux est le sujet dโun nombre croissant dโรฉtudes, du fait de leur prรฉsence ubiquitaire (sols, sรฉdiments, roches sรฉdimentaires) et des propriรฉtรฉs trรจs particuliรจres de leur fer structural (Festr) vis-ร -vis des rรฉactions redox. Les รฉtudes des propriรฉtรฉs redox du fer structural peuvent mettre en lumiรจre leur implication dans un grand nombre de mรฉcanismes naturels ou induits par lโhomme. Les domaines concernรฉs vont des รฉtudes sur la maturation de la matiรจre organique, la mobilitรฉ des nutriments ou des polluants dans les sols et les sรฉdiments [2]. La grande variรฉtรฉ et la complexitรฉ des mรฉcanismes impliquรฉs font de lโรฉtude des propriรฉtรฉs redox du fer structural un vรฉritable challenge. La prรฉsente thรจse de doctorat nโa pas pour ambition dโรฉtudier les propriรฉtรฉs redox du fer dans lโensemble des structures minรฉrales, ni mรชme dans lโensemble des phyllosilicates, et se focalise ainsi uniquement sur lโรฉtude du Festr dans les smectites dioctaรฉdriques.
Quelles sont les techniques nรฉcessaires ร une telle รฉtude ?
Plusieurs approches expรฉrimentales permettent lโรฉtude des propriรฉtรฉs des smectites et de leurfer structural. La premiรจre approche fait appel ร la chimie classique (dissolution, titrages, expรฉriences de sorption/desorption, rรฉactions en solution, etc.) [3-9]. Le niveau de rรฉduction dโune argile (i.e. rapport Fe2+/Fetotal) est, en gรฉnรฉral, mesurรฉ par digestion acide dโun รฉchantillon et dosage par colorimรฉtrie selon un protocole bien รฉtabli [10-13].
La seconde approche largement employรฉe fait appel ร la spectroscopie : en gรฉnรฉrals pectromรฉtrie Mรถssbauer du 57Fe [14-19], diffraction des rayons X โ DRX [20-24], spectromรฉtrie dโabsorption infra-rouge โ IR [25-31] ou, plus rarement, spectromรฉtrie dโabsorption UV-visible [32-33], des mรฉthodes faisant appel au rayonnement synchrotron (XAS : EXAFS [31, 34-36], XANES [34-35, 37-38]) ou la rรฉflectance dans le visible et proche infra-rouge et proche ultra-violet โ NIR-NUV [15, 39]. La spectromรฉtrie Mรถssbauer du 57Fer permet, entre autres, de distinguer les proportions en Fe2+ et Fe3+ dans le solide, et de dรฉduire son environnement (octaรฉdrique ou tรฉtraรฉdrique). Cette mรฉthode permet aussi de distinguer le Festr du Fe prรฉsent dans des oxydes ou des oxyhydroxydes [40-41]. La spectroscopie IR permet de mesurer les bandes dโabsorbance IR des groupements hydroxyles prรฉsents dans une structure argileuse. La position de ces bandes dans le spectre est caractรฉristique de lโenvironnement cationique autour dโun groupement OH donnรฉ [26, 30-31], et est รฉgalement sensible ร lโรฉtat dโoxydation du Fe ainsi que la prรฉsence de fortes proportions de Fe tรฉtraรฉdrique [27- 29]. Lโabsorption UV-visible est plus rarement utilisรฉe, et se limite en gรฉnรฉral ร la mesure dโune bande (720 nm) attribuรฉe aux phรฉnomรจnes de transfert dโรฉlectrons entre Fe voisins et de valences diffรฉrentes (IVTC) [32-33]. Cette mรฉthode permet dโestimer le niveau de rรฉduction dโune argile, mais est peu sensible et se limite donc ร des รฉchantillons fortement ferrugineux. La rรฉflectance NIR-NUV est une mรฉthode peu employรฉe, bien que certaines รฉtudes tendent ร montrer que, en complรฉment ร lโIVCT, cโest une mรฉthode relativement sensible ร lโenvironnement du fer dans la structure, et trรจs sensible ร la prรฉsence de fer tรฉtraรฉdrique [15, 39]. Le XANES (au seuil du fer) permettrait de distinguer lโรฉtat dโoxydation du Fe, ainsi que sa coordination [34-35, 37-38]. LโEXAFS permet de dรฉduire le voisinage cationique du Fe dans les feuillets octaรฉdriques, en identifiant le nombre moyen de voisins, leur nature et la distance qui les sรฉpare de lโatome cible. Enfin, la DRX peut permettre dโobtenir un certain nombre dโinformations concernant lโorganisation gรฉnรฉral de la structure (entre autres : paramรจtres cristallographiques, mode dโempilement des feuillets, mode de lacune tv ou cv). Dans tous les cas, lโinterprรฉtation convenable de donnรฉes spectroscopiques nรฉcessite de coupler ces techniques spectroscopiques ร un modรจle structural cohรฉrent, et en gรฉnรฉral ร des approches chimiques plus classiques.
Enfin, lโapproche la plus directe pour pouvoir รฉtudier les propriรฉtรฉs redox du Festr devrait provenir de lโรฉlectrochimie, puisque basรฉe sur des mesures directes de courant et de potentiel dans un systรจme redox. Malgrรฉ une bibliographie trรจs fournie sur lโutilisation des smectites en รฉlectrochimie au cours des trente derniรจres annรฉes, un faible nombre dโรฉtudes a donnรฉ des rรฉsultats significatifs dans lโรฉtude des propriรฉtรฉs redox du Festr [42-43], du fait de la difficultรฉ dโรฉtablir un contact รฉlectrique correct entre une รฉlectrode solide (Platine, Or, Argent, Cuivre, Carbone Vitreuxโฆ) et des particules dโargiles. Les avancรฉes les plus importantes dans ce domaine ont รฉtรฉ rรฉalisรฉes durant la mรชme pรฉriode que le prรฉsent travail de thรจse [37, 44-45]. Nous avons eu connaissance de ces travaux avancรฉs au cours du dรฉroulement de la thรจse, et avons donc dรฉcidรฉ de nous focaliser sur dโautres aspects de la problรฉmatique.
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Table des matiรจres
1. Introduction
1.1. Le fer et ses propriรฉtรฉs redox, gรฉnรฉralitรฉs
1.2. Effets des ligands sur le potentiel redox des couples Fe(II)/Fe(III)
1.3. Pourquoi sโintรฉresser aux propriรฉtรฉs redox du fer contenu dans les argiles ?
1.4. Quelles sont les techniques nรฉcessaires ร une telle รฉtude ?
1.5. Organisation du manuscrit
2. Structure et redox. De la minรฉralogie / cristallographie ร la thermodynamique: analyse de la littรฉrature
2.1. Prรฉsentation du chapitre
2.2. Spรฉcificitรฉs structurales des minรฉraux argileux en gรฉnรฉral et des smectites dioctaรฉdriques en particulier
2.2.1. Structure et composition des argiles
2.2.2. Les smectites
2.2.3. Spรฉcificitรฉ du fer structural des smectites
2.3. Environnement structural du fer et potentiel redox : approche thรฉorique
2.3.1. Pourquoi une approche thรฉorique ?
2.3.2. Principes de base
2.3.3. La thรฉorie du champ cristallin
2.3.4. De lโรฉnergie de stabilisation du champ cristallin au potentiel redox
2.3.5. Avantages et limites de la mรฉthode
2.4. Une approche thermodynamique empirique du redox dans les rรฉseaux silicatรฉs
2.4.1. Prรฉsentation gรฉnรฉrale de lโapproche
2.4.2. Approche expรฉrimentale
2.4.3. Calcul du potentiel dโoxydation de surface
2.4.4. Validitรฉ de la mรฉthode et applicabilitรฉ ร nos objectifs
2.5. Lโรฉlectrochimie des argiles et des micas : vers une mesure directe du potentiel redox du fer structural
2.5.1. De lโutilisation dโargiles de type smectite (et parfois laponite ou vermiculite)
2.5.2. Travaux de Xiang et Villemure
2.5.3. Travaux de Gorski et al
3. Impact de la rรฉduction du Festr sur la CEC des argiles : approches existantes, nouvelles donnรฉes expรฉrimentales et interprรฉtation
3.1. Objectifs de ce chapitre
3.2. Abstract
3.3. Introduction
3.4. Theoretical and experimental background
3.4.1. Successive model development
3.4.2. Model limitation
3.5. Materials and methods
3.5.1. Chemicals
3.5.2. Solid samples
3.6. Results
3.6.1. Characterisation of initial nontronite samples
3.6.2. Clay reactivity to reductive CBD solutions: dissolution versus reduction
3.6.3. CEC versus reduction level
3.7. Discussion
3.7.1. A clay reduction model
3.7.2. Model verification
3.7.3. Structural iron sites versus reduction efficiency
3.7.4. Clay dissolution
3.8. Conclusion
3.9. Acknowledgements
3.10. Supporting information
4. Un modรจle structural et quantitatif de la rรฉduction du Festr dans les argiles : vers un lien entre changements structuraux et propriรฉtรฉs redox
4.1. Objectifs de ce chapitre
4.2. Abstract
4.3. Introduction
4.3.1. Theoretical background: Iron, Iron reduction, clays structural Iron, structural Iron reduction
4.3.2. Structural Iron reduction: thermodynamics aspects
4.4. Model development
4.4.1. General framework
4.4.2. Building of the initial (oxidized) structure
4.4.3. Reduction process and structural transformations
4.4.4. Model summary
4.5. Results and discussion
4.5.1. Evaluation of tested mechanisms
4.5.2. Solving problem of inconsistency between measured CEC and structural formula
4.5.3. Matching measured CEC changes and reduction level
4.5.4. Relating a structural model to empirical Kr parameter values
4.6. Conclusions
4.7. Acknowledgements
5. Perspectives : du modรจle structural au modรจle thermodynamique
5.1. Objectif de ce chapitre
5.2. Conditions de rรฉversibilitรฉ des rรฉactions dโoxydo-rรฉduction
5.3. Description thermodynamique de la rรฉduction / oxydation des argiles
5.3.1. Introduction
5.3.2. Etude de Favre et al. (2006)
5.3.3. Proposition dโune nouvelle description thermodynamique des รฉquations redox dans les feuillets argileux
6. Conclusions