Influence de la corrosion du fer sur les processus d’altération du verre

Les déchets radioactifs

   Depuis 1957, la France s’est équipée de 58 réacteurs nucléaires afin de se prémunir des aléas des marchés mondiaux de l’énergie et garantit ainsi son indépendance énergétique. Par conséquent, on estime qu’en France, la part de l’énergie d’origine nucléaire représentait 77% fin 2014, ce qui représente 540,2 TWh1 . Ainsi la France se place à la deuxième place du classement des pays qui produisent le plus d’électricité nucléaire, entre les Etats-Unis et la Russie. Alors que la production d’électricité d’origine nucléaire ne rejette pas de CO2, on estime qu’en France, elle génère 2 kg de déchets radioactifs par an et par habitant. Un déchet radioactif est défini comme étant une substance dont aucun usage n’est prévu, et dont le niveau de radioactivité ne permet pas la décharge sans contrôle dans l’environnement. Le sens de déchet ultime est défini par l’article 1er de la loi n°75-633 de Juillet 1975 (article L 541 du Code de l’environnement) comme étant un « résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, toute substance, matériau, produit ou plus généralement tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l’abandon ». Il ajoute « qu’est ultime au sens de la présente loi un déchet, résultant ou non du traitement d’un déchet, qui n’est plus susceptible d’être traité dans les conditions techniques et économiques du moment, notamment par extraction de la part valorisable ou par réduction de son caractère polluant ou dangereux ». Les déchets radioactifs sont produits depuis le début du XXème siècle. Ils proviennent principalement des centrales nucléaires, des usines de traitement des combustibles usés et des autres installations nucléaires civiles et militaires qui se sont développées au cours des dernières décennies.

Structure des verres

   C’est le verre R7T7, nommé ainsi en référence aux ateliers de vitrification de la Hague intitulés R7 et T7, qui a été envisagé pour l’immobilisation des radioéléments. Il possède une excellente résistance à l’auto-irradiation (Vernaz 2002). Ce verre a la capacité d’incorporer dans sa structure de nombreux éléments chimiques, avec des stœchiométries variables comme c’est le cas pour les produits de fission (Ribet et Godon 2014), avec lesquels il établit des liaisons chimiques (Figure 4). Afin de simplifier les conditions opératoires des expériences scientifiques qui concernent le verre R7T7 radioactif, un analogue inactif, nommé verre SON68, a été mis en place. Il possède les mêmes propriétés physico-chimiques et présente le même comportement en présence d’eau que le verre R7T7 (Advocat et al. 2001)

Vitesse résiduelle

   En continuant de décroître de façon exponentielle, la vitesse finit par atteindre le régime de vitesse résiduelle (notée Vr), qui est de l’ordre de 10-4g.m-2.j-1 à pH = 9 et pour une température de 90°C. A cet instant, les concentrations en éléments n’évoluent plus. Cette vitesse résiduelle n’est atteinte que pour des systèmes fermés. Comme évoqué précédemment, la formation d’un gel passivant à la surface du verre n’est possible que lorsque la solution est saturée en silicium, avec la possibilité de voir le silicium hydrolysé se recondenser dans le gel. C’est donc la valeur de la vitesse résiduelle atteinte en fonction de la concentration en silicium de la solution qui est discutée ici. Gin (Gin 2000) montre que dans l’eau pure, à 90°C et à pH=9, la vitesse d’altération passe de 1,5 g.m-2.j-1 à une valeur stable de 3.10-4g.m-2.j-1 en 90 jours, et que cette dernière est maintenue pendant 600 jours. Ces vitesses correspondent à la vitesse de dissolution initiale V0 et Vr respectivement. Cette chute de vitesse est corrélée à la concentration de silicium en solution relâchée lors de l’altération. Ainsi l’état quasi stationnaire est atteint pour une concentration de Si en solution de l’ordre de 75 à 80 ppm, et atteint même 120 ppm après 600 jours. L’auteur qualifie la couche d’altération comme étant un gel protecteur formé dans les conditions de saturation et qui constitue une barrière de diffusion dense et protectrice. En utilisant une concentration initiale de silicium en solution plus importante, de l’ordre de 280 ppm, à pH=9 et à 90°C, Gin et al. (Gin et al. 2017) montrent que la vitesse résiduelle est stable, de l’ordre de 10-4g.m-2.j-1, et qu’elle est atteinte à partir de 200 jours environ. Le Si, Zr et l’Al sont retenus dans le gel protecteur. Ferrand et al. (Ferrand et al. 2006) mettent en avant qu’en conditions statiques, à 90°C et à pH = 9,5, la vitesse de dissolution du verre est proche de V0 pour des concentrations en Si inférieures à 48 ppm, et que la dissolution du verre est de 0,04 g.m-2.j-1 pour des concentrations allant de 96 à 240 ppm. Les conditions de saturation en Si sont de 70 ppm, à 90°C et à pH = 9,5. Icenhower et Steefel (Icenhower et Steefel 2013) affinent la valeur pour laquelle est atteinte une vitesse résiduelle stable. A 90°C et à pH 9, les auteurs mettent en évidence que la décroissance de la vitesse d’altération en fonction de la quantité de Si en solution n’est pas linéaire, et qu’une vitesse stable de 2.10-3g.m-2.j-1 est obtenue avec 60 ppm de Si en solution. Neeway et al. (Neeway et al. 2011) suggèrent qu’à pH = 9,5, la vitesse de dissolution est de 9 (± 4).10-4g.m-2.j-1 dès 50 ppm de Si en solution après 200 jours. Par conséquent les auteurs précédemment cités s’accordent à dire qu’à 90°C et à pH = 9, une concentration de 50 à 80 ppm de Si en solution suffit pour faire chuter la valeur de dissolution du verre à une valeur stable et résiduelle. Pour l’heure, la littérature ne mentionne pas de valeur de Si limite pour la chute de vitesse à une vitesse résiduelle pour une température de 50°C et un pH de 7. Ferrand et al. (Ferrand et al. 2006) mentionnent toutefois que le coefficient de diffusion de l’eau est plus grand à 90°C qu’à 50°C et qu’il augmente lorsque le pH diminue. Ces auteurs trouvent une valeur de vitesse résiduelle comprise entre 10-3 et 10-4g.m-2.j-1 à 50°C et pH=7,2 c’est-à-dire proche de celle à 90°C et pH = 9,8 pour des essais d’altération dynamiques de verre sous forme de poudre. Cette vitesse a été déterminée avec 120 ppm de Si en solution, sans notifier que ces 120 ppm correspondent à la valeur nécessaire pour obtenir cette vitesse résiduelle.

Les phyllosilicates simples

   Le nombre de couches qui constituent le feuillet permet de classer les phyllosilicates. Un phyllosilicate 1 : 1 est formé par l’empilement d’une couche tétraédrique et d’une couche octaédrique, c’est le cas pour le groupe des serpentines-kaolinites. Un phyllosilicate de type 2 : 1 possède 2 couches tétraédriques et une couche octaédrique (groupe des smectites, talc etc…). Un feuillet 2 : 1 : 1 (exemple groupe des chlorites) contient 2 couches tétraédriques, 1 couche octaédrique et une couche octaédrique interfoliaire. Ces groupes sont détaillés dans les parties qui suivent.

Influence de la température lors des expériences fer/argile et verre/fer/argilite

   Nous pouvons nous interroger sur la façon dont la température influe sur la formation d’un phyllosilicate plutôt qu’un autre. En effet, selon Mosser-Ruck et al. (Mosser-Ruck et al. 2010), la température est l’un des paramètres les plus importants qui contrôlent la transformation des smectites de l’argilite pour former des serpentines. Les études citées ci-dessus ont montré que les serpentines ferrifères se forment préférentiellement à 90°C. L’une des limites des expériences citées est qu’elles ont lieu à température fixe (50°C ou 90°C). Cela ne correspond pas tout à fait aux conditions de température imposées par le colis de déchets vitrifiés, qui verra sa température décroitre en fonction du temps. Nous sommes donc en mesure de nous questionner sur l’influence de la variation de la température sur les phases rencontrées. En d’autres termes, lors d’un refroidissement de 90°C à 50°C, les serpentines vont-elles être déstabilisées et former de la nontronite, ou bien peut-on envisager la présence de ces 2 groupes (smectite dioctaédrique riche en fer et serpentine ferrifère) ? Pignatelli et al. (Pignatelli et al. 2013; Pignatelli et al. 2014) proposent des expériences où l’argilite du COx est mise en contact avec du fer métallique (rapport Fe/argilite = 0,5) pendant plusieurs mois à pH neutre en conditions anoxiques. L’objectif est de vérifier l’impact de la température sur la déstabilisation de l’argilite du COx associée à la formation de nouvelles phases silicatées. Pour cela les auteurs démarrent les essais à 90°C et les refroidissent au fur et à mesure, avec un pas de 10°C pour atteindre 40°C. A chaque baisse de température de 10°C, le dispositif expérimental est analysé. Le schéma de la Figure 12 illustre ces propos. Les résultats indiquent qu’à 90°C le quartz et les smectites sont déstabilisés et que le produit obtenu correspond à de la serpentine riche en fer. C’est de 80°C à 60°C que la cronstedtite est le mieux cristallisée, avec la formation de greenalite qui intervient à 70°C. La limite de stabilité des serpentines est fixée à 50°C puisqu’elles ne sont quasiment plus détectées à 50°C et 40°C.

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Table des matières

Introduction
I. Etat de l’art
1.1 Contexte de l’étude : gestion des déchets radioactifs
1.1.1 Les déchets radioactifs
1.1.2 Le concept Cigéo
1.1.2.1 Généralités
1.1.2.2 Le concept multi-barrières
1.2 Le verre comme matrice de confinement
1.2.1 Structure des verres
1.2.2 Altération du verre en milieu aqueux : mécanismes et cinétiques
1.2.2.1 Hydratation
1.2.2.2 Interdiffusion (ou échange ionique)
1.2.2.3 Hydrolyse
1.2.2.4 Chute de vitesse et formation d’un gel
1.2.2.5 Vitesse résiduelle
1.2.2.6 Reprise d’altération
1.3 Corrosion du fer en milieu aqueux et carbonaté
1.3.1 Généralités
1.3.2 Réactions électrochimiques
1.3.3 Approche thermodynamique
1.3.4 Produits de corrosion (PC) formés
1.4 Formation de phyllosilicates
1.4.1 Structure des phyllosilicates
1.4.1.1 La couche tétraédrique
1.4.1.2 La couche octaédrique
1.4.2 Les phyllosilicates simples
1.4.2.1 Les serpentines-kaolinites 1 : 1
1.4.2.2 Les argiles 2 : 1
1.4.2.3 Les chlorites 2 : 1 : 1
1.4.3 Les interstratifiés
1.4.4 Influence des paramètres géochimiques
1.5 Altération du verre en présence de fer
1.5.1 Influence de la présence de fer sur l’altération du verre
1.5.2 Les silicates de fer dans les systèmes verre/fer
1.6 Synthèse bibliographique et problématique de la thèse
II. Méthodologie
1.1 Approche multiéchelle pour la caractérisation
1.1.1 Méthodologie multiéchelle
1.1.2 Préparation des échantillons
1.1.3 Microscopie optique
1.1.4 Analyses micrométriques
1.1.4.1 Microscopie électronique à balayage couplée à la spectroscopie à dispersion d’énergie (MEB-EDS)
1.1.4.2 Spectroscopie Raman
1.1.4.3 Diffraction des Rayons X (DRX)
1.1.5 Analyses nanométriques
1.1.5.1 Sonde ionique focalisée (FIB)
1.1.5.2 Scanning transmission X-ray Microscopy (STXM)
1.1.5.3 Microscopie électronique à transmission (MET)
1.1.5.4 Spectroscopie des électrons Auger (AES)
1.1.5.5 ToF-SIMS
1.2 Phases de référence
1.3 Présentation des systèmes verre/fer/argilite
1.3.1 « Expérience intégrale »
1.3.2 « MVE »
1.3.3 «MCO-10E3»
1.3.4 « EDF »
1.3.5 Bilan du corpus expérimental
III. Résultats
1. « Expérience intégrale »
1.1 Description macroscopique
1.2 Altération du verre
1.2.1 Altération du verre dopé à l’interface avec le fer
1.2.1.1 Zone A
1.2.1.2 Zone B
1.2.2 Altération du verre dopé en regard de l’argilite
1.3 Corrosion du fer à l’interface verre dopé/fer
1.3.1 Corrosion du fer, zone A
1.3.2 Corrosion du fer, zone B
1.4 Résumé des résultats l’expérience intégrale
2. Système « MVE »
2.1 Présentation du système « MVE »
2.1.1 Description macroscopique
2.1.2 Variabilité du système
2.1.3 Caractérisations de la zone 2
2.1.4 Caractérisations de la zone 1
2.1.5 Caractérisations de la zone 3
2.1.6 Résumé des observations sur le système « MVE »
3. Système « EDF »
3.1 Caractérisation du système
3.2 Résumé des observations sur le système EDF
4. Système «MCO-10E3»
4.1 Résumé de la publication
4.2 Identification des silicates de fer
4.3 Résumé de l’altération du système «MCO-10E3»
IV. Discussion
1. Altération du verre
1.1 Processus d’altération
1.1.1 Caractéristiques des différents systèmes
1.1.2 Cas spécifique de l’expérience intégrale
1.2 Interaction fer/silicium et formation de silicates de fer
1.2.1 Absence de saponite dans les systèmes verre/fer/argilite
1.2.2 Formation des nontronites
1.2.2.1 Paramètres thermodynamique (température, Eh, pH, pression)
1.2.2.2 Présence des éléments en solution
1.2.3 Simulation thermodynamique
1.3 Impact de la précipitation de silicates de fer sur les vitesses d’altération du verre
1.3.1 Vitesses d’altération mesurées sur les systèmes étudiés
1.3.1.1 Vitesses évaluées à partir de l’épaisseur de la CA
1.3.1.2 Vitesses évaluées à partir du rapport Si/Zr
1.3.1.3 Synthèse
1.3.2 Nature de la CA et vitesse de corrosion en présence de fer
1.3.2.1 Conditions de formation d’un gel stable et protecteur
1.3.2.2 Compétition gel passivant/nontronite
2. Mécanisme d’altération du verre en présence de fer
2.1 Etape 1 : altération du verre et corrosion du fer (Figure 113)
2.2 Etape 2 : interaction fer/silicium (Figure 114)
2.3 Etape 3 : compétition gel/nontronite (Figure 115)
Conclusion et perspectives

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