Infections bactériennes sévères hors infections à mycobactéries
Epidémiologie des infections bactériennes sévères chez les PVVIH
La morbidité liée aux infections bactériennes sévères ne classant pas SIDA a longtemps été sous-estimée. L’essai START, incluant 4 695 individus, avait pour objectif d’estimer le bénéfice de l’introduction d’une cART avant que les CD4 ne chutent en dessous de 500 / mm3 (Lundgren et al., 2015). Les événements d’intérêt étaient les suivants : tout événement SIDA, maladie cardio-vasculaire, insuffisance rénale terminale nécessitant une dialyse ou une transplantation, cirrhose décompensée, cancer ne classant pas SIDA et décès non rattachés à un événement SIDA. Dans cette étude, les infections bactériennes conduisant à une hospitalisation ont été déclarées événement indésirable grave. Ces infections se sont avérées être plus fréquentes que l’ensemble des événements d’intérêt eux-mêmes. Cela illustre la méconnaissance de la morbidité liée à ces infections par une partie de la communauté scientifique. La pneumonie aiguë communautaire (PAC) présente une fréquence accrue chez les PVVIH (Benard et al., 2010 ; Crothers et al., 2011 ; Yin et al., 2012). L’agent le plus souvent incriminé est Streptococcus pneumoniae (Saag et al., 2004). H. influenzae (souches non typables) est le deuxième agent en cause tandis que les pneumopathies atypiques sont plus rares (Saag et al., 2004). Chez les PVVIH à CD4 bas, parfois dans un contexte de neutropénie induite par le VIH, Pseudomonas aeruginosa était parfois à l’origine d’infections respiratoires hautes ou basses récidivantes (Manfredi et al., 2000). Ces infections sont cependant devenues rares. L’âge supérieur à 65 ans, le stade SIDA, le tabagisme, l’usage de drogues par voie intraveineuse et des CD4 bas sont des facteurs de risque bien décrits de PAC (Benard et al., 2010 ; Sogaard et al., 2013). Les colites bactériennes restent plus fréquentes qu’en population générale, même si les cART en ont diminué l’incidence (Hung et al., 2007). Ces infections ont la particularité d’être plus souvent sévères et disséminées chez les PVVIH (Crump et al., 2015 ; Feasey et al., 2012). Comme en population générale, les principaux pathogènes incriminés sont Salmonella, Campylobacter, Shigella et Clostridium difficile (Hung et al., 2007). Ce surrisque est plus franc pour les salmonelloses non typhiques que pour les salmonelloses typhiques (Feasey et al., 2012). Chez les PVVIH, les infections à Campylobacter sont souvent associées à une diarrhée prolongée, parfois compliquée de bactériémie avec localisations extra-digestives (Evans and Riley, 1992). La shigellose se traduit typiquement par un tableau de dysenterie bacillaire associant fièvre, douleurs abdominales et diarrhée glairo-sanglante. Des épidémies par transmission sexuelle ont été rapportées parmi les HSH (Aragon et al., 2007). Les colites à Clostridium difficile surviennent en général au cours ou au décours d’une antibiothérapie. Le risque est augmenté en cas d’immunodépression prononcée (Revolinski and Munoz Price, 2019). La fréquence accrue des colites bactériennes chez les PVVIH est probablement en partie due à l’impact particulier du VIH sur le tissu muqueux MALT (Mucosae Associated Lymphoid Tissue) qui constitue le plus large réservoir de lymphocytes T CD4+ exprimant CCR5, le principal co-récepteur du VIH (Brenchley et al., 2004 ; Ladinsky et al., 2014). L’incidence des autres infections bactériennes sévères a été peu explorée chez les PVVIH. Les données existantes sont insuffisantes pour dire si le VIH augmente le risque de ces infections (Park et al., 2002).
Risque d’infection bactérienne sévère selon la consommation d’alcool
Consommation élevée d’alcool en population générale
L’alcool fait partie des substances psychoactives les plus nocives en termes de dommages physiques, sociaux, et de dépendance (Nutt et al., 2007). La consommation élevée d’alcool est la deuxième cause de mortalité évitable en France après le tabagisme (Guerin et al., 2013). Les décès liés à l’alcool sont liés à la survenue de cancers (voies aérodigestives supérieures, foie, colon-rectum et sein), de cirrhoses et d’accidents de la route. Cette consommation excessive peut débuter dès l’adolescence, période pendant laquelle elle a des effets neurotoxiques prononcés sur le cerveau, notamment en cas d’intoxication massive ou binge drinking (Guerin et al., 2013). Une consommation élevée d’alcool est définie par une consommation moyenne au delà d’un certain seuil. Le seuil le plus couramment utilisé est de 20 grammes par jour chez la femme et de 30 grammes par jour chez l’homme, ou encore de 14 verres par semaine chez la femme et de 21 verres par semaine chez l’homme (Tron et al., 2019). L’alcool affecte aussi bien l’immunité innée, inhibant la fonction des cellules qui ingèrent et détruisent les bactéries pathogènes (cellules phagocytaires, i.e. monocytes, macrophages, cellules dendritiques et polynucléaires neutrophiles), que l’immunité adaptative (i.e. reconnaissance antigénique, inhibition des lymphocytes B et T), ce qui peut entraîner une diminution des défenses de l’hôte (Brown et al., 2006 ; Thiele et al., 2002) .
Consommation élevée d’alcool chez les PVVIH
L’excès d’alcool modifie les comportements sexuels et augmente le risque d’acquisition du VIH (Scott-Sheldon et al., 2016). L’alcool est associé à une diminution du taux de CD4 sans cART, ainsi qu’à un frein à la remontée des CD4 sous cART (Baum et al., 2010 ; Samet et al., 2007). A l’inverse, le sevrage en alcool est associé à une remontée des CD4 (Pol et al., 1996). L’abus d’alcool est associé à un défaut d’adhérence aux cART et à des échecs virologiques plus fréquents (Robbins et al., 2010). Une consommation élevée d’alcool diminue la survie des PVVIH (Braithwaite et al., 2007). Dans l’étude ANRS EN20 Mortalité 2010, analysant la cause des 728 décès survenus parmi 82 000 PVVIH en France, une consommation élevée d’alcool a été observée chez 25% des patients décédés et chez 41% des patients décédés d’insuffisance hépatocellulaire (Morlat et al., 2014). La consommation élevée d’alcool a été étudiée au sein de la ART-CC (Antiretroviral Cohort Collaboration), qui regroupe plusieurs cohortes européennes et nord américaines, et qui s’intéresse au pronostic des sujets naïfs après initiation de la cART (May et al., 2014). La consommation d’alcool était disponible pour 9 363 patients, majoritairement de sexe masculin et d’âge médian 37 ans. Une consommation élevée d’alcool, ici définie par 28 verres ou plus par semaine chez l’homme et 21 verres ou plus par semaine chez la femme, a été associée au risque de décès de cause non SIDA avec un risque relatif ajusté (RRa) de 1,81 (Intervalle de confiance à 95% (IC 95%) 1,15-2,85).
Consommation élevée d’alcool et infections bactériennes
Une consommation élevée d’alcool a été associée au risque de PAC (de Roux et al., 2006 ; Fernandez-Sola et al., 1995), même si certaines études ont conclu à l’absence d’association (Almirall et al., 2008 ; Baik et al., 2000). En dehors de la prise en charge en réanimation, les pneumonies sont rarement documentées. Cela explique pourquoi l’étude des infections à pneumocoque porte essentiellement sur les infections invasives où l’on dispose d’une documentation, i.e. bactériémies, souvent associées à une pneumonie ou une méningite. Une consommation élevée d’alcool a été associée au risque d’infection invasive à pneumocoque, odds ratio ajusté (ORa) de 5,3 (IC 95%, 2,1-13,4) (Grau et al., 2005). L’incidence desinfections invasives à pneumocoque chez l’adulte sans comorbidité a été estimée à 8,8 pour 100 000 patient-années (PA) vs. 100,4 chez les personnes ayant une consommation élevée d’alcool (May et al., 2007).
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Table des matières
1 RESUME
2 ABSTRACT
3 PRODUCTION SCIENTIFIQUE
4 GLOSSAIRE
5 INTRODUCTION
6 ETAT DE L’ART : INFECTIONS SEVERES CHEZ LES PERSONNES VIVANT AVEC LE VIH
6.1 Infections bactériennes sévères hors infections à mycobactéries
6.1.1 Epidémiologie des infections bactériennes sévères chez les PVVIH
6.1.2 Risque d’infection bactérienne sévère selon la consommation d’alcool
6.1.2.1 Consommation élevée d’alcool en population générale
6.1.2.2 Consommation élevée d’alcool chez les PVVIH
6.1.2.3 Consommation élevée d’alcool et infections bactériennes
6.1.3 Risque d’infection bactérienne sévère en cas de comorbidité altérant la fonction neutrophile
6.1.3.1 Comorbidités altérant la fonction neutrophile en population générale
6.1.3.2 Comorbidités altérant la fonction neutrophile chez les PVVIH
6.1.3.3 Comorbidités altérant la fonction neutrophile et infections bactériennes
6.2 Infections opportunistes (IO)
6.2.1 IO virales
6.2.1.1 Leuco-encéphalopathie multifocale progressive (LEMP)
6.2.1.1.1 LEMP hors infection par le VIH
6.2.1.1.2 Chez les PVVIH
6.2.1.1.3 Risque de LEMP lors de la restauration immune
6.2.1.1.4 Risque de LEMP selon l’origine géographique. Hypothèses
6.2.1.2 Infections à cytomégalovirus
6.2.1.2.1 Infections à cytomégalovirus hors infection par le VIH
6.2.1.2.2 Chez les PVVIH
6.2.2 IO bactériennes
6.2.2.1 Infections à mycobactéries
6.2.2.1.1 Tuberculose
6.2.2.1.1.1 Tuberculose hors infection par le VIH
6.2.2.1.1.2 Chez les PVVIH
6.2.2.1.2 Infection à mycobactéries non tuberculeuses
6.2.2.1.2.1 Infection à mycobactéries non tuberculeuses hors infection par le VIH
6.2.2.1.2.2 Chez les PVVIH
6.2.3 IO fongiques et parasitaires
6.2.3.1 Pneumocystose
6.2.3.1.1 Pneumocystose hors infection par le VIH
6.2.3.1.2 Chez les PVVIH
6.2.3.2 Cryptococcose
6.2.3.2.1 Cryptococcose hors infection par le VIH
6.2.3.2.2 Chez les PVVIH
6.2.3.3 Toxoplasmose
6.2.3.3.1 Toxoplasmose hors infection par le VIH
6.2.3.3.2 Chez les PVVIH
7 MATERIEL ET METHODES
7.1 La base de données hospitalière française sur l’infection à VIH (French Hospital Database on HIV, ANRS CO4-FHDH)
7.1.1 Cohorte ANRS CO4-FHDH (FHDH)
7.1.2 Les objectifs de la cohorte ANRS CO4-FHDH
7.1.3 Données recueillies dans la cohorte ANRS CO4-FHDH
7.2 Méthodologie du travail de thèse
7.2.1 LEMP
7.2.1.1 Définition
7.2.1.2 Validité du diagnostic
7.2.1.3 Sélection de la population d’étude dans la base ANRS CO4-FHDH
7.2.1.4 Choix du modèle utilisé
7.2.1.5 Analyse principale
7.2.1.5.1 Variable d’intérêt
7.2.1.5.2 Variables d’ajustement
7.2.1.5.3 Analyses de sensibilité
7.2.1.6 Analyse complémentaire
7.2.2 Infections bactériennes sévères
7.2.2.1 Définition
7.2.2.2 Validité du diagnostic
7.2.2.3 Sélection de la population d’étude dans la FHDH
7.2.2.4 Choix du modèle utilisé
7.2.2.5 Analyse principale
7.2.2.5.1 Variables d’intérêt
7.2.2.5.2 Variables d’ajustement
7.2.2.5.3 Analyses de sensibilité
7.2.2.6 Analyse complémentaire
8 CONCLUSION
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