La croissance exponentielle de la consommation énergétique primaire mondiale au cours du XIXème et XXème siècles [Schilling, 1977; Etemad et Luciani, 1991] a mis en exergue la potentialité d’un épuisement des ressources énergétiques non-renouvelables dans un monde fini et révélé les conséquences d’une telle consommation, notamment en termes d’atteintes portées à la biosphère. Par ailleurs, un faisceau de présomptions tend à prouver la responsabilité des activités humaines dans le réchauffement climatique global [GIEC et al., 2007]. Parmi les secteurs d’activités référencés par l’ADEME [2012], le secteur résidentiel-tertiaire est responsable de 43% de la consommation d’énergie finale et 20% des émissions de gaz à effet de serre (calculées en équivalent CO2) sans compter les émissions indirectes liées à la production d’électricité (consommée à plus de 60% dans les bâtiments), à la fabrication et au transport des produits de construction, etc. Les besoins de chauffage des bâtiments représentent un des principaux postes de dépenses énergétiques et d’impacts environnementaux. A titre d’exemple, en 2009, le chauffage représentait 77% des 30 kg de CO2 émis annuellement par unité de surface de logement, toujours selon la même étude de l’ADEME. On peut cependant émettre l’hypothèse selon laquelle la question énergétique se jouera non seulement dans la résorption des besoins de chauffage pendant les périodes froides hivernales mais aussi dans l’anticipation des besoins naissants de rafraichissement.
Une solution raisonnable à ces défits majeurs pourrait consister à diminuer dans un premier temps les besoins énergétiques grâce à des actions de sobriété puis à améliorer l’efficacité des systèmes avant de mettre en pratique une transition de la production d’énergie de stock vers la production d’énergie de flux, condition nécessaire mais non suffisante d’un nouveau paradigme énergétique. Des marges d’amélioration considérables en termes de sobriété existent. Par exemple, le simple fait de baisser sa consigne de chauffage d’un degrés Celsius permet de réduire potentiellement de plus de 10 % les besoins en chauffage d’une maison individuelle. Souvent liés aux comportements des occupants, les gaspillages énergétiques sont légions : chauffage au delà de 23°C, climatisation excessive, ventilation mécanique ininterrompue, etc. Dans la présente étude, nous nous intéresserons en priorité aux potentielles sources d’économies d’énergie réalisables grâce à l’efficacité énergétique. Dans cette optique, le bâtiment sera considéré comme un système dont l’efficacité est caractérisée par sa capacité à valoriser les ressources gratuites disponibles (comme les apports solaires par exemple) et à se protéger des sollicitations induisant des déperditions thermiques. Une éco-conception réfléchie permet d’améliorer significativement l’efficacité énergétique des bâtiments [Peuportier, 2008].
Inertie thermique – État de l’art
Caractérisation de l’inertie thermique
Définitions
L’inertie thermique dans les bâtiments est une notion difficile à appréhender et à définir. C’est ce que reconnaissait déjà à la toute fin des années 80 un chercheur de l’école des MINES de Paris dans une publication consacrée à l’inertie thermique [Lefebvre, 1989] :
La prise en compte de cette inertie thermique au cours de la conception d’un bâtiment est loin d’être parfaite car sa caractérisation et son analyse posent encore des problèmes, même chez les chercheurs. La difficulté majeure vient de ce que l’on ne peut définir directement l’inertie ; elle n’est pas observable, seuls ses effets le sont. […] La forte sensibilité de l’inertie thermique à la présence de matériaux lourds à l’intérieur des bâtiments […] a conduit les thermiciens à parfois utiliser le terme de masse thermique. A ce terme est attachée une représentation simpliste de l’inertie qui est un frein à sa prise en compte correcte en phase de conception ou de diagnostic. C’est pourquoi nous proposons de lui substituer définitivement celui d’inertie thermique.
On peut cependant répertorier des tentatives de définitions trouvées dans la littérature professionnelle et scientifique.
En mai 2003, à Montpellier, un colloque intitulé « l’Inertie thermique en climat méditerranéen. Confort et consommations d’énergie » regroupe un certain nombre de professionnels de la thermique du bâtiment. A l’occasion de ce dernier, O.Sidler, l’un des expert en termes de retour d’expérience dans le bâtiment, introduit l’inertie thermique comme suit [Sidler, 2003] :
L’inertie d’un bâtiment est une fonction directe de sa capacité thermique, donc du produit de la masse de tous ses composants par leur chaleur spécifique massique. Cette capacité thermique, pour autant qu’elle soit correctement mise en œuvre (c’est à dire en respectant certaines surfaces d’échange), agit concrètement comme un amortisseur, c’est à dire qu’elle tente de s’opposer à toutes les variations brutales de température. Mais c’est aussi, comme un amortisseur, un grand absorbeur d’énergie.
Lavigne [2006] propose une définition plus générale. Il insiste sur le concept d’inertie, provenant initialement du domaine de la mécanique des solides :
L’inertie se définit comme la résistance à un changement, par exemple et pour ce qui nous intéresse, de la température intérieure d’un bâtiment.
C’est aussi l’analyse d’Izard [2006] qui définit l’inertie thermique comme la propriété d’un bâtiment à s’opposer aux variations de température. L’inertie thermique s’opposerait donc aux effets des sollicitations sur les fonctions d’état de l’ambiance intérieure. Li et Xu [2006] décrivent le concept de « thermal mass », c.a.d. de masse thermique ou d’inertie thermique – on retrouve ici la difficulté à appréhender le concept –, de manière plus technique :
La masse thermique de l’ensemble composé par l’enveloppe du bâtiment, les parois intérieures, les meubles et même l’air intérieur au bâtiment est définie comme la masse pouvant stocker une énergie thermique. Pour stocker de la chaleur dans les bâtiments, les matériaux ont deux propriétés thermiques importantes à considérer, c.a.d. la capacité thermique volumique et le taux de transfert de chaleur. La première propriété détermine la capacité de l’élément à stocker de l’énergie thermique, alors que la seconde détermine la capacité d’un élément à conduire l’énergie thermique. Le coefficient d’échanges superficiels combinant les phénomènes convectifs et radiatifs ainsi que la surface d’échange de la masse thermique déterminent le taux de transfert de chaleur entre la masse thermique de l’élément et l’air.
Cette définition est intéressante car elle replace le concept d’inertie thermique dans un cadre plus global qui est celui de l’échange énergétique entre les parois du bâtiment et les ambiances thermiques adjacentes. Comme le spécifiait aussi O.Sidler, le paramètre essentiel de l’inertie thermique semble donc être la capacité thermique volumique du système. Il s’agit de la quantité d’énergie que peut stocker un volume d’un mètre cube de matériau en s’élevant d’une unité de température. Cette notion est donc quantitative. La seconde propriété que décrivent Li et Xu est plus qualitative. En effet, l’intensité du transfert de chaleur entre la masse inertielle et l’air ambiant est d’autant plus élevée que les coefficients d’échanges convectifs et radiatifs ainsi que la surface d’échange sont importants. Cependant, les deux auteurs ne décrivent pas clairement le rôle de la conductivité thermique des matériaux qui peut être vu comme un paramètre qualitatif complémentaire des deux autres : plus la conductivité d’un matériau est élevée, plus la chaleur pourra être transmise à l’ensemble de son volume et plus sa capacité à absorber de l’énergie thermique sera sollicitée. On propose à présent la définition générale suivante, valable dans le domaine de l’énergétique des bâtiments, associant les notions de système, de sollicitations et d’ambiances thermiques :
L’inertie thermique est une propriété du bâtiment, système défini comme la réunion des parois et du mobilier, résultant de sa capacité à s’opposer aux effets de l’ensemble des sollicitations imposées à ses frontières sur la température de l’ambiance intérieure. Cette propriété induit un comportement thermique dynamique propre au bâtiment.
Modélisation des phénomènes physiques sous-jacents
Nous avons défini l’inertie thermique comme une propriété du système bâtiment. Elle est directement impliqué dans des phénomènes physiques de transferts de chaleur à l’intérieur et aux frontières de ce système.
Établissement de l’équation de diffusion de la chaleur
Le bâtiment étant défini comme la réunion de ses parois et du mobilier, il s’agit avant tout d’une propriété relative aux phénomènes de transferts de chaleur par conduction. Comme on l’a vu, la notion d’inertie thermique est liée à la celle du stockage, ce qui suppose que l’énergie puisse être transférée entre la surface et l’intérieur de la paroi. Les transferts de chaleur par conduction sont donc importants. Pour rappel, l’équation de la chaleur régissant les transferts de chaleur par conduction est basée sur le premier principe de la thermodynamique et la loi de Fourier [1822]. Soit, en considérant un transfert de chaleur unidimensionnel selon un axe normal à la paroi (axe Ox) et une production de chaleur interne nulle .
Conditions aux limites
Un problème de transfert de chaleur par conduction ne pourrait être bien posé sans conditions aux limites et sans conditions initiales. Nous nous concentrerons ici simplement sur les conditions aux limites à l’interface solide/fluide. Les conditions aux limites permettent de garantir la continuité des températures et des flux thermiques entre les milieux fluide et solide en établissant l’égalité entre le flux échangé par conduction et le flux échangé par convection et rayonnement (GLO et CLO) à la frontière entre le milieu solide et fluide à tout instant. Par ailleurs, les conditions initiales représentent la connaissance du champ de température après discrétisation spatiale des milieux solides et fluides à l’instant initial. L’inertie thermique n’est donc pas simplement liée aux phénomènes conductifs mais aussi aux transferts de chaleurs superficiels (convection intérieure, rayonnement GLO entre les parois, rayonnement solaire), comme le faisaient remarquer justement Li et Xu [2006]. La définition de l’inertie thermique nous a conduit à introduire les phénomènes de conduction dans une paroi ainsi que les conditions limites aux frontières d’une paroi homogène. Consécutivement, nous allons distinguer les paramètres intrinsèques (liés au milieu solide) des paramètres extrinsèques (liés aux échanges entre le milieu solide et les milieux fluide, c.a.d. les ambiances intérieures et extérieures). Cette distinction fait respectivement référence aux transferts de chaleur conductifs et superficiels.
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Table des matières
Introduction
1. Inertie thermique – État de l’art
1.1 Caractérisation de l’inertie thermique
1.1.1 Définitions
1.1.2 Modélisation des phénomènes physiques sous-jacents
1.1.3 Analyse des paramètres directeurs
1.1.4 Conclusions
1.2 Modélisation du comportement thermique d’un bâtiment
1.2.1 Méthodes analytiques
1.2.2 Méthodes numériques
1.2.3 Choix d’une plateforme de modélisation
1.2.4 Conclusions
1.3 Caractérisation des effets de l’inertie thermique
1.3.1 Comment mesurer les effets de l’inertie thermique ?
1.3.2 La performance énergétique des bâtiments
1.3.3 Le confort thermique des bâtiments
1.3.4 La performance environnementale des bâtiments
1.3.5 Conclusions
1.4 Conclusions
2. Modélisation des transferts de chaleur superficiels
2.1 Modélisation des échanges radiatifs GLO intérieurs
2.1.1 Transferts de chaleur radiatifs GLO dans le réseau « simplifié »
2.1.2 Transferts de chaleur radiatifs GLO intérieurs dans le réseau « Flux nets radiatifs »
2.1.3 Transferts de chaleur radiatifs GLO intérieurs dans le réseau « T∗ »
2.1.4 Conclusions
2.2 Modélisation des échanges convectifs intérieurs
2.2.1 Coefficients d’échanges superficiels convectifs constants
2.2.2 Coefficients d’échanges superficiels convectifs variables
2.2.3 Conclusions
2.3 Modélisation de la distribution des apports solaires
2.3.1 Du traitement des apports solaires dans la PSB
2.3.2 Modèle géométrique de suivi de la tache solaire
2.3.3 Conclusions
2.4 Intégration des modèles dans la PSB
2.4.1 Modification de la PSB
2.4.2 Corrections des modèles zonaux
2.4.3 Conclusions
2.5 Conclusions
3. Étude de la fiabilité des modèles détaillés
3.1 Validation des modèles détaillés : méthodologie
3.1.1 Sources d’erreurs
3.1.2 Méthodologie de validation des codes de calculs
3.1.3 Méthodologie sélectionnée
3.1.4 Conclusions
3.2 Validation numérique de certains algorithmes
3.2.1 Évaluation de la matrice de Gebhart
3.2.2 Évaluation des échanges radiatifs GLO
3.2.3 Identification du réseau simplifié à partir du réseau T∗
3.2.4 Conclusions
3.3 Validation numérique et sensibilité à l’inertie thermique
3.3.1 Présentation des cas d’études du BESTEST sélectionnés
3.3.2 Caractérisation de l’inertie thermique des cas d’études 600 et 900
3.3.3 Résultats des cas d’études du BESTEST sélectionnés
3.3.4 Analyse des résultats
3.3.5 Conclusions
3.4 Conclusions
4. Validation sur une maison passive à forte inertie
4.1 Présentation de la maison passive I-BB
4.1.1 Description de la maison passive I-BB
4.1.2 Protocole expérimental
4.1.3 Hypothèses de modélisation
4.1.4 Conclusions
4.2 Méthodologie d’Analyse de Sensibilité et d’Incertitudes (ASAI)
4.2.1 État de l’art
4.2.2 Criblage : sélection des facteurs d’entrée influents
4.2.3 Propagation des incertitudes par un tirage hypercube latin (LHS)
4.2.4 Analyse de sensibilité globale : indices de Sobol
4.2.5 Conclusions
4.3 Validation empirique de la PSB et de la PST∗Conv
4.3.1 Criblage : sélection des facteurs d’entrée influents
4.3.2 Propagation de l’incertitude associée aux facteurs d’entrée sélectionnés
4.3.3 Analyse de sensibilité globale
4.3.4 Conclusions
4.4 Conclusions
Conclusion