Inégalités, santé et migration

INTRODUCTION

Le thème de la migration fait régulièrement partie de l’actualité médiatique et politique de notre pays. Le pourcentage de la population migrante résidant sur le territoire helvétique est l’un des plus élevés des pays européens (Office Fédéral de la Statistique [OFSP], 2008). Face à cette diversification et aux changements socio-culturels que la migration implique dans la population et dans la société suisse, les structures de santé sont confrontées à une patientèle de plus en plus diverse du point de vue de leurs origines, leurs cultures et par la manière dont elles expriment leurs symptômes et gèrent leurs pathologies (Bodenmann et al, 2010). D’après le référentiel des compétences officielles à développer, le physiothérapeute doit pouvoir «dialoguer avec le patient en respectant ses représentations et sa culture […] et adapter sa relation professionnelle et thérapeutique en intégrant le patient dans sa globalité» (Haute Ecole de Santé Vaudoise [HESAV], 2014, p. 3). Ceci signifie qu’il est important de prendre en compte le contexte socio-culturel du patient dans sa globalité pour pouvoir établir un contrat thérapeutique et mettre en place des objectifs communs de traitement, sans tomber dans le stéréotype, le stigmate ou le préjugé (Kotobi, 2000). De plus, le peu de littérature existante sur le sujet des prises en charges interculturellesen physiothérapie conclut sur l’importance du développement de compétences transculturelles pour les physiothérapeutes.

Or, la réalité du terrain lors de nos stages nous montre que les prises en charges ne sont pas systématiquement adaptées à la diversité culturelle. Au vu de cet écart entre la pratique, la littérature et les politiques de lutte contre les inégalités en matière de santé, nous nous sommes demandé si les physiothérapeutes étaient conscients et sensibilisés par rapport aux aspects culturels qui peuvent influencer les traitements et la façon dont ces derniers les perçoivent. C’est pourquoi notre réflexion s’est portée sur l’influence des différences culturelles dans l’interaction entre physiothérapeutes et patients migrants.

Nous tenterons de répondre à cette problématique par une revue qualitative de la littérature. Tout d’abord seront évoqués des éléments de contexte théorique à partir desquels nous développerons notre problématique et notre question de recherche. Puis, notre méthodologie de recherche sera abordée, suivie du détail de la sélection de nos articles. Enfin, nous présenterons les résultats et terminerons ce travail avec une discussion.

Inégalités, santé et migration

Les données chiffrées sur la santé des personnes migrantes dans les hôpitaux restent difficiles à obtenir puisque la définition de « migrant » est large et que le statut migratoire n’est pas forcément enregistré à l’admission de l’hôpital (Rechel, Mladovsky, Ingleby, Mackenbach & McKee, 2013). Cependant, des inégalités face à la santé entre les groupes populationnels existent et sont décrites dans plusieurs études. Le monitoring de santé de la population migrante suisse montre que les migrants se perçoivent en plus mauvaise santé que les suisses. Ce rapport montre qu’en vieillissant, l’écart de santé entre suisses et migrants s’accentue pour certaines pathologies telles que l’arthrose, les migraines ou encore les bronchites (OFSP, 2012). Betancourt et Renfrew montrent que face à des maladies que nous pouvons prévenir et traiter (par exemple: diabète, asthme et cardiopathies), les minorités ethniques ont de plus mauvais résultats de santé que les autochtones (2011).

L’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé en France (INPES) précise que l’état de santé d’une personne dépend de l’interaction entre plusieurs déterminants, qui sont entre autres, biologique socio-économique, éducationnel et environnementaux (2012). Bien qu’il n’y ait pas de lien de causalité direct entre la migration et l’état de santé, certains facteurs migratoires peuvent avoir une influence sur l’état de santé tels que : les conditions d’accès aux soins, l’expérience traumatisante du processus migratoire, les conditions de vie en Suisse plus ou moins précaires, l’activité professionnelle, certaines pathologies importées du pays d’origine ou encore les comportements plus àrisques (OFSP, 2008). D’une part, ces facteurs peuvent avoir un effet cumulatif et  rendre la personne migrante plus vulnérable dans sa santé. D’autre part, le personnel soignant peut être confronté à des difficultés pour effectuer des prises en charge efficaces. En effet, « les structures de soins n’arrivent pas toujours à identifier les besoins de santé des patients issus de la diversité, ni à les prendre en charge adéquatement » (Swiss Migrant Friendly Hospital, 2013). Or, aux HUG (Hôpitaux Universitaires de Genève), 50% des patients sont de nationalité étrangère et un patient sur douze ne parle pas du tout le français (Hudelson, Dao, Perneger, & Durieux-Paillard, 2014)

Actions en faveur des réductions des inégalités en matière de santé en Suisse

Dans le cadre de l’OIE (Ordonnance sur l’Intégration des Etrangers), l’OFSP a mis enplace en 2002, un programme national « Migration et santé ». Ce programme a été reconduit à plusieurs reprises et sera prolongé jusqu’en 2017 avec pour objectif de permettre un accès plus égalitaire au système de santé suisse pour la population migrante (OFSP, 2015b). Plusieurs hôpitaux, dont les HUG et le Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV) en Suisse romande, participent au projet « Migrant friendly hospital » (MFH). Le but de ce projet est de mettre en œuvre des stratégies adaptées aux besoins des patients migrants tels qu’un accès équitable aux soins, des traitements sécuritaires et de qualité, des formations en compétences transculturelles et un service d’interprétariat (OFSP, 2014). Ce programme a entre autre apporté un soutien financier à la création de « la consultation transculturelle et interprétariat » aux HUG. Cette consultation offre aux professionnels de la santé une assistance dans « des situations de soins où le soignant et le soigné proviennent de cultures différentes » (Haute Ecole de Santé – Genève, 2014).

Une recherche publiée en 2014, qui évalue les effets du programme MFH sur les savoirs et les pratiques des professionnels de santé conclue qu’il serait nécessaire de rendre plus visible et de promouvoir les programmes MFH mis en place en Suisse, ceci afin d’augmenter l’utilisation par les soignants des ressources mises à disposition (Hudelson et al, 2014). Le personnel doit être sensibilisé à l’utilisation de ce type de service, comprendre quand et comment les utiliser, et être convaincu de leur utilité [traduction libre] (Hudelson et al, 2014, p. 1).

Physiothérapie, interculturalité et compétences transculturelles

Les inégalités en santé par rapport à l’accès aux soins, à la qualité des traitements et aux résultats, se retrouvent beaucoup dans les programmes de réhabilitation et dans les contextes dans lesquels les patients ont une interaction avec des physiothérapeutes [traduction libre] (Leavitt, 2010, p.112). C’est pourquoi l’American Physical Therapy Association demande aux physiothérapeutes d’apporter leur contribution à la réduction des inégalités dans leurs propres pratiques [traduction libre] (Leavitt, 2010, p.112).

Or, bien que la physiothérapie joue un rôle majeur dans la santé des individus, il y a des lacunes de littérature par rapport aux prises en charge interculturelles (Leavitt, 2010). Nos recherches pour ce travail nous ont également menées à la constatation qu’il est difficile de trouver des données spécifiques aux physiothérapeutes. En effet, dans les études de Bischoff (2010), d’Hudelson & Vilpert (2009) et Hudelson et al (2014) réalisées dans des hôpitaux suisses, dans lesquels divers professionnels de la santé sont interrogés par rapport à l’utilisation des services d’interprètes et du MFH, les physiothérapeutes ne sont pas inclus. Puisque les services de physiothérapie sont présents dans les hôpitaux suisses, et peuvent bénéficier de ces programmes, nous nous sommes demandés si les physiothérapeutes ont recours à ce type de ressources et s’ils sont conscients et sensibles face auxproblématiques des prises en charge interculturelles. De ce fait, nous avons pu bénéficier d’un entretien avec M. Rossier, physiothérapeute et praticien formateur travaillant à la consultation spécialisée « physio-migrants » de la Haute Ecole de Santé de Genève (HES-GE).

Nous avons échangé à propos de ses expériences avec ce type de patientèle. Les propos évoqués durant cette rencontre vont dans le sens de la discussion d’expert de l’Université McGill, qui suggère que les physiothérapeutes devraient comprendre et prendre en compte l’influence de la culture dans leurs prises en charge pour des traitements plus efficaces et de meilleure qualité (Hunt, 2007). C’est dans cet esprit que Desmond, O’Shaughnessy et Tilki (2007), Black et Purnell (2002) et Jackson (2009) proposent des programmes de compétences transculturelles pour les physiothérapeutes. L’OFSP a également publié des recommandations de formation (OFSP, 2015b).Or, il y a un écart entre nos expériences de stages et les recommandations citées ci-dessus. En effet, dans les services de physiothérapie hospitaliers dans lesquels nous avons pratiqué, les prises en charge interculturelles étaient existantes mais elles n’étaient pas forcément adaptées (pas de recours à des interprètes, pas de connaissance de la culture de l’autre, présence de stéréotypes).

Nos observations et nos expériences de formations pratiques en milieux hospitaliers s’illustrent bien à l’aide de cette recherche menée dans des hôpitaux au Danemark, qui conclut que les physiothérapeutes récoltent peu d’informations quant aux aspects socio-culturels de leurs patients, et lorsqu’ils en ont, cela a peu d’impact sur leur intervention (Jorgensen, 2000).

Représentations de la relation soignant/soigné

Les représentations du rôle du professionnel varient entre les patients et les  professionnels. Ces derniers ont la sensation que leur rôle est parfois sublimé par les patients (Dressler & Pils, 2009 ; Lee et al, 2006a ; Priebe et al, 2011). A tel point que des physiothérapeutes imaginent que les patients croient ne pas avoir besoin de s’impliquer pour guérir et qu’ils comptent uniquement sur les professionnels (Dressler & Pils, 2009, p. 1185). Si l’expérience diffère trop des attentes de ce que devrait être la relation soignant-soigné, ceci peut mener à de l’incertitude et à de la méfiance de la part du patient (Priebe et al, 2011). Selon les professionnels, les expériences antérieures des patients dans d’autres systèmes de santé peuvent expliquer leurs représentations quant aux rôles des patients et des professionnels (Priebe et al, 2011).

De plus, des expériences négatives dans le système de soins du pays d’accueil peuvent pousser les patients à avoir peur d’être discriminés et à adopter des attitudes négatives envers les professionnels (Priebe et al, 2011). Priebe et al ajoutent que les représentations sur l’interaction entre professionnels et patients migrants sont tissées de stéréotypes et d’attentes non réalistes, ce qui affecte négativement les soins (2011).

Religion

Les pratiques religieuses peuvent influencer les traitements et l’organisation des structures de soins. Les interviewés se sentent concernés par rapport à la préservation et au respect des restrictions religieuses (Dressler & Pils, 2009 ; Priebe et al, 2011).

Parfois, les locaux hospitaliers ne sont pas adaptés à la diversité religieuse des patients. Dressler et Pils relèvent l’existence de lieu de culte chrétien et l’absence de lieu de culte musulman (2009). Ces mêmes auteurs soulignent également que les professionnels font peu de différenciation entre religion et origine. En effet, ils remarquent par exemple, que les patients turcs sont directement considérés comme étant musulmans (Dressler & Pils, 2009). Cependant, certains professionnels voient les normes culturelles, les pratiques religieuses et les coutumes comme étant des potentielles difficultés à l’examen et au traitement (Priebe et al, 2011).

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Table des matières

1 Introduction
2 Cadre théorique
2.1 Migration et population en Suisse
2.2 Inégalités, santé et migration
2.3 Actions en faveur des réductions des inégalités en matière de santé en Suisse
2.4 Compétences transculturelles
2.5 Physiothérapie, interculturalité et compétences transculturelles
3 Problématique
4 Définitions des termes utilisés
4.1 Migrant
4.2 Culture
4.3 Différences culturelles
4.4 Interaction physiothérapeute-patient
4.5 Milieu hospitalier
5 Méthodologie
5.1 Philosophie de recherche
5.2 Stratégies de recherche
5.2.1 Mots-clés
5.2.2 Bases de données
5.2.3 Recherche manuelle
5.3 Sélection des articles
5.3.1 Critères d’inclusion et d’exclusion
5.3.2 Etapes de sélection
5.3.3 Evaluation de la qualité des articles
5.3.4 Extraction des résultats
6 Résultats
6.1 Différences culturelles
6.1.1 Communication
6.1.2 Représentations de la santé et de la maladie
6.1.3 Représentations de la relation soignant/soigné
6.1.4 Religion
6.1.5 Genre
6.1.6 Pudeur
6.1.7 Notion du temps
6.1.8 Entourage familial

6.2 Stratégies mises en place
6.2.1 Stratégies de communication
6.2.2 Stratégies en lien avec la culture et la religion
6.2.3 Stratégies en lien avec les représentations des prises en charge
6.2.4 Stratégies en lien avec la famille et le statut social
6.3 Eléments de bonnes pratiques
6.3.1 Formations professionnelles
6.3.2 Informations des patients
6.3.3 Structures de soins
7 Discussion
7.1 Interprétation des résultats
7.1.1 Différences culturelles et incompréhensions
7.1.2 Différences culturelles et stratégies adoptées
7.1.3 Différences culturelles et bonnes pratiques
7.2 Limites de notre démarche
7.3 Implications cliniques
7.4 Pistes futures
8 Conclusion
Liste de références
Annexes

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