La construction d’un système capable de reproduire les activités de raisonnement de l’être humain représente le rêve des chercheurs travaillant en intelligence artificielle. C’est la raison pour laquelle la conception des systèmes à base de connaissances capables de réaliser des fonctions de raisonnement symbolique constitue actuellement un champ primordial des recherches. De tels systèmes nécessitent en particulier une représentation adéquate des connaissances mises en jeu, ainsi que des mécanismes efficaces d’exploitation de ces connaissances, ou de raisonnement.
Le raisonnement en intelligence artificielle concerne l’ensemble des techniques permettant la manipulation des connaissances déjà acquises afin de produire de nouvelles connaissances. Pour un système intelligent, le raisonnement est en général conditionné par le but que l’on souhaite atteindre pour résoudre un problème donné ; ainsi, ce type de raisonnement ne déduit pas l’ensemble des connaissances mais seulement la partie des connaissances intéressantes qui sont associées au but recherché. Différents mécanismes de raisonnement sont utilisés en intelligence artificielle pour produire de nouvelles connaissances. Ainsi, le raisonnement peut être qualifié en fonction de sa nature (raisonnement par induction, par abduction, par analogie, par classification, par contraintes, etc.), ou en fonction de la nature des connaissances sur lesquelles il s’appuie (raisonnement approximatif, qualitatif, temporel, etc.). Bien qu’il existe différents modes de représentation des connaissances possibles (représentations logiques, réseaux sémantiques, règles de production, etc.), aucun de ces modes ne peut être considéré comme étant un mode idéal ou générique. Ce problème occupe une position privilégiée en recherche et la tendance actuelle est de faire coexister dans un même système plusieurs modes de représentation de façon à mieux prendre en compte la diversité des connaissances mises en œuvre.
Dans le domaine médical, le raisonnement désigne les stratégies utilisées par les médecins dans l’objectif d’établir un diagnostic en s’appuyant sur les données hétérogènes disponibles extraites des systèmes d’acquisition. A titre d’exemple, les données médicales peuvent être les résultats d’un examen clinique, une image, un résultat de laboratoire, un signal, une séquence vidéo, etc. Lorsqu’on traite des données du monde réel, comme les données médicales, nous ne pouvons pas occulter l’aspect lié à l’imperfection affectant ces données. En effet, les données médicales souffrent, en général, au moins d’un type d’imperfection comme par exemple l’imprécision, l’incertitude, ou encore, les données manquantes. Pour ces raisons, les deux aspects qui sont l’hétérogénéité et l’imperfection des données, doivent être pris en considération dans l’élaboration des systèmes destinés à apporter une aide au diagnostic qui sera réalisé par les médecins.
Aide au diagnostic médical
Le mot « diagnostic » provient du grec διάγνωση, diágnosi, à partir de δια-, dia-, par, à travers, séparation, distinction et γνώση, gnósi, la connaissance, le discernement ; il s’agit donc d’acquérir la connaissance à travers les signes observables. Cette définition introduit naturellement la notion de catégories ou classes diagnostiques préexistantes, l’instance à classer et le jugement que l’instance appartient à une classe plutôt qu’à une autre [1]. Le diagnostic médical a été défini par Jean-Charles Sournia dans [2] comme suit :
« Démarche intellectuelle par laquelle une personne d’une profession médicale identifie la maladie d’une autre personne soumise à son examen, à partir des symptômes et des signes que cette dernière présente, et à l’aide d’éventuelles investigations complémentaires ».
En effet, un diagnostic médical représente une tâche difficile à réaliser parce qu’il repose sur la capacité de raisonnement du médecin et de son aptitude à prendre des décisions alors que les informations utilisées sont potentiellement entachées d’incertitude et d’autres formes d’imperfection. L’incertitude est d’origine multiple : possibilité d’erreur dans les données, ambigüité de la représentation de l’information, incertitude sur les relations entre les diverses informations [3]. Cette difficulté a conduit à la conception et au développement de systèmes d’aide au diagnostic ayant pour but d’assister les médecins dans l’élaboration de leurs diagnostics. Dans ce chapitre, nous allons présenter les points essentiels suivants :
✦ La notion de diagnostic médical ;
✦ Les systèmes d’aide au diagnostic médical ;
✦ Les principaux problèmes dans un système d’aide au diagnostic ; et finalement
✦ La proposition d’un schéma général du système d’aide au diagnostic.
Diagnostic médical
La médecine n’est pas seulement une discipline scientifique mais elle est également une discipline d’action qui requiert souvent une prise de décision. Ce processus résulte de la confrontation d’un problème réel à l’expérience acquise et à un corpus de connaissances théoriques. Un diagnostic médical représente l’acte d’associer le nom d’une ou plusieurs maladies ou syndromes à des manifestations observées (antécédents, symptômes, signes) dans un cas de patient [4]. Ce processus de diagnostic médical se déroule comme suit : Premièrement, le médecin constate les symptômes se manifestant chez un patient. A partir des symptômes, il formule des hypothèses diagnostiques initiales. Dans un deuxième temps, il procède à un examen initial du patient, qui lui permet d’augmenter la part de confiance en certaines hypothèses, et la diminuer pour d’autres. En même temps, le médecin pose au patient des questions dont les réponses peuvent être utiles à conforter ou rejeter une hypothèse initialement formulée. Le médecin « réalise » une mise en correspondance entre les informations obtenues au cours des trois étapes précédentes avec les connaissances qu’il possède de part sa formation et son expérience. Si, au terme des étapes précédentes, le taux de confiance d’une certaine hypothèse s’accroît au point de dissiper le doute sur la maladie à laquelle est confronté le médecin, ce dernier peut alors formuler son diagnostic final et prescrire le traitement adéquat au patient. Si le cas reste ambigu après les trois étapes indiquées, le médecin cherche alors une autre source d’informations qui puisse apporter une quantité d’informations supplémentaires permettant d’éliminer l’ambiguïté. Souvent, il demande une analyse complémentaire qui peut être sous forme d’analyses sanguines, d’imagerie médicale, etc. Il acquiert de l’information supplémentaire qui vient compléter la quantité d’informations dont il dispose déjà, et qui lui permettent de confirmer ou d’infirmer la ou les hypothèses qu’il a déjà énoncées. Si le médecin n’arrive toujours pas à établir un diagnostic fiable, une dernière étape consiste à ce qu’il ait recours à l’étude d’une base de cas similaires traités par le passé afin d’établir une correspondance avec le cas actuel auquel il est confronté en s’appuyant sur toutes les informations dont il dispose. Il utilise alors les cas les plus similaires (leurs solutions) afin d’en extraire des informations l’aidant à trouver une solution à son cas. En effet, il est très clair que le processus de diagnostic médical repose sur la capacité de raisonnement du médecin et de son aptitude à prendre des décisions alors que les informations utilisées sont généralement hétérogènes (examen clinique, images, tests de laboratoire, signaux, vidéos, etc.), et potentiellement entachées d’incertitudes. Ces incertitudes sont d’origines multiples : les informations utilisées peuvent être ambiguës car le malade peut exprimer une complainte et le médecin en entendre une autre. Ces informations peuvent être incomplètes car, en situation de prise de décisions, le médecin doit agir sans connaitre l’ensemble des données relatives à un patient et bien entendu toute la connaissance spécifique de la situation. Elles peuvent être incertaines car les connaissances cliniques peuvent concerner des maladies plus ou moins fréquentes, ayant des formes cliniques différentes et n’exprimant pas toujours la même symptomatologie, partageant certains signes avec d’autres maladies ou présentant des réponses variables à un traitement donné. Ces différentes raisons prouvent que le diagnostic médical est un processus difficile à réaliser, et le médecin a souvent besoin d’aide afin d’établir une décision de qualité. Ce besoin a conduit à la conception et au développement de systèmes d’aide au diagnostic ayant pour but d’assister les praticiens dans l’élaboration de leur diagnostic.
Système d’aide au diagnostic médical
Plusieurs définitions, du système d’aide au diagnostic, ont été proposées dans la littéraire. Sim et al. [5][6] ont proposé la définition suivante :
« Software designed to be a direct aid to clinical decision-making, in which the characteristics of an individual patient are matched to a computerized clinical knowledge base and patient specific assessments or recommendations are then presented to the clinician or the patient for a decision ».
Kawamoto et al. [7] ont défini le système d’aide au diagnostic comme suit :
« We defined a clinical decision support system as any electronic or non-electronic system designed to aid directly in clinical decision making, in which characteristics of individual patients are used to generate patient-specific assessments or recommendations that are then presented to clinicians for consideration ».
Ces différentes définitions confirment le fait que l’aide (i.e. informations obtenues par le système) fournie au médecin dans son processus de diagnostic, peut prendre plusieurs formes (i.e. cas similaires déjà diagnostiqués, diagnostics potentiels, etc.). En effet, les systèmes d’information, les bases de données et les dossiers informatisés facilitent la prise de décision en améliorant l’accès aux données pertinentes et leur mise en perspective. Néanmoins, il ne s’agit que d’une aide indirecte présentant des faits sur lesquels le décideur doit appliquer un raisonnement. Les systèmes d’aide à la décision ont l’ambition d’assister le médecin, en remplaçant ou en reproduisant le raisonnement humain. Les systèmes experts, les systèmes d’apprentissage, les systèmes de fouille de données, les systèmes d’indexation et de recherche d’images, les systèmes de raisonnement à base de cas et les systèmes de raisonnement par classification sont tous des exemples des systèmes d’aide au diagnostic.
Parmi ces différents types de systèmes d’aide au diagnostic proposés dans la littérature, nous nous intéressons particulièrement à deux types : les systèmes fondés sur le raisonnement à base de cas (i.e. le raisonnement par similarité) et les systèmes fondés sur le raisonnement à base de connaissances (i.e. le raisonnement par classification). Par la suite, nous présentons les aspects principaux de chacun de ces deux modes de raisonnement.
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Table des matières
Introduction générale
Chapitre 1 : Aide au diagnostic médical
1.1. Diagnostic médical
1.2. Système d’aide au diagnostic médical
1.2.1. Système de raisonnement par similarité
1.2.2. Exemples de systèmes de raisonnement par similarité
1.2.3. Systèmes de raisonnement par classification
1.2.4. Exemples des systèmes de raisonnement par classification
1.3. Problématique
1.4. Notre contribution
1.5. Conclusion
Chapitre 2 : Théorie des possibilités
2.1. Imperfection, Hétérogénéité
2.2. Cadres mathématiques
2.2.1. Théorie des probabilités
2.2.2. Théorie d’évidence
2.2.3. Théorie des ensembles flous
2.3. Théorie des possibilités
2.3.1. Distribution de possibilité
2.3.2. Hauteur
2.3.3. Mesure de possibilité Ŕ Mesure de nécessité
2.3.4. Transformation Distribution de probabilité distribution de possibilité
2.3.5. Possibilité conjointe Ŕ Possibilité marginale
2.3.6. Fusion d’informations dans un cadre possibiliste
2.3.7. Possibilité conditionnelle
2.4. Distribution de possibilité anormale
2.4.1. Méthodes de normalisation
2.4.2. Approches appliquées directement sur une distribution de possibilité anormale
2.4.3. Etude comparative des propriétés
2.5. Mesures d’incertitude
2.5.1. Spécificité Sp
2.5.2. La mesure d’incertitude U
2.5.3. Indice de confiance Ind
2.6. Mesures de similarité
2.6.1. Mesure de similarité δ
2.6.2. Mesure de similarité InfoAff
2.6.3. Mesure de similarité (SI)
2.7. Critères de décision possibiliste
2.7.1. Mesure de possibilité maximale
2.7.2. Mesure de nécessité maximale
2.7.3. Indice de confiance maximal
2.7.4. Moyenne maximale
2.8. Conclusion
Chapitre 3 : Modélisation possibiliste des connaissances médicales
3.1. Introduction
3.2. Modes de représentation des connaissances
3.2.1. Schéma logique
3.2.2. Schéma procédural
3.2.3. Schéma de représentation en réseau
3.2.4. Schéma structurel
3.3. Représentation de connaissances médicales par l’expert
3.3.1. Base de connaissances
3.3.2. Base de cas
3.4. Modélisation possibiliste des connaissances médicales
3.4.1. Approche directe
3.4.2. Approche indirecte
3.4.3. Approche couple
3.4.4. Exemple illustratif
3.5. Conclusion
Chapitre 4 : Raisonnement possibiliste en diagnostic médical
4.1. Introduction
4.2. Confrontation entre un cas et un diagnostic
4.2.1. Raisonnement possibiliste par classification
4.2.2. Ordonnancement et Evaluation
4.2.3. Application endoscopique
4.3. Confrontation entre cas
4.3.1. Raisonnement possibiliste par similarité
4.3.2. Ordonnancement des cas similaires
4.3.3. Application endoscopique
4.4. Confrontation entre diagnostics
4.4.1. Confrontation entre diagnostics dans une même base de connaissances
4.4.2. Confrontation entre deux descriptions différentes du même diagnostic
4.4.3. Application endoscopique
4.5. Confrontation entre bases de connaissances
4.5.1. Construction d’une base de connaissances possibiliste à partir d’une base de cas
4.5.2. Confrontation possibiliste entre deux bases de connaissances
4.6. Conclusion
Conclusion générale
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