La population de traumatisés
La traumatologie est la première cause de mortalité et de handicap des patients de moins de 45 ans en France [1]. Les principales causes de mortalité sont l’hémorragie, le traumatisme crânien grave, puis la survenue d’un syndrome de défaillance multiviscérale [2]. Parmi ces défaillances, la première à survenir est respiratoire avec l’apparition d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA) [3]. Les traumatisés qui présentent au moins deux défaillances d’organes au-delà de la 24e heure de leur prise en charge décèderont dans 44% des cas [3].
Physiopathologie et problèmes posés par le SDRA chez le traumatisé
Le SDRA est défini par la conférence de consensus de Berlin et associe les critères suivants [4]:
– Une atteinte pulmonaire de moins de sept jours
– Opacités bilatérales non complètement expliquées par un épanchement, une atélectasie, ou des nodules pulmonaires
– Détresse respiratoire non complètement expliquée par une défaillance cardiaque ou une augmentation de la volémie
– Les niveaux de gravité sont établis selon le rapport PaO2/FiO2 mesuré en présence d’une PEP externe d’au moins 5 cmH2O : mineur (200 < PaO2/FiO2 ≤ 300 mmHg), modéré (100 < PaO2/FiO2 ≤ 200 mmHg) et sévère (PaO2/FiO2 ≤ 100 mmHg) .
Le SDRA post traumatique est fréquent et grave, il survient dans 5 à 35% des cas selon les études [5,6]. La mortalité est élevée de 16% à 43 % indépendamment de la sévérité [7,8]. Ce SDRA est également associé à une augmentation de la durée de ventilation mécanique et à une augmentation de la durée de séjour hospitalier [7]. Des études ont décrit des facteurs de risque de survenue de SDRA post traumatique, toute sévérité confondue: le traumatisme thoracique, le recours à une transfusion massive, l’âge avancé, les contusions pulmonaires, le sexe masculin, le traumatisme thoracique pénétrant et l’ISS élevé [9–13]. L’incidence des SDRA sévères post-traumatiques selon la définition de Berlin est peu décrite dans la littérature, ainsi que les facteurs associés leur survenue [13]. Ce serait d’autant plus intéressant que la mortalité liée au SDRA dans la population générale est liée à sa sévérité. Dans une série de 2377 patients présentant un SDRA en réanimation, le taux de mortalité était de 35% pour les SDRA légers à 46% pour les SDRA sévères [14].
Schéma de l’étude et population étudiée
L’étude a été conduite dans deux traumas centers militaires de niveau 1 : l’Hôpital d’Instruction des Armées (HIA) Sainte-Anne à Toulon et l’HIA Percy à Paris. Tous les traumatisés pris en charge dans ces HIA entre janvier 2013 et décembre 2019 ont été inclus. Les patients admis dans la filière « traumatisé sévère » et séjournant au moins 24h en unité de soins intensifs étaient inclus. Parmi ces patients, ceux qui développaient un SDRA selon la définition de Berlin (clinique et radiologique) étaient inclus sur l’analyse du dossier médical extrait du logiciel AMADEUS des deux HIA [4]. Au moins deux gazométries artérielles successives retrouvant un rapport PaO2/ FiO2 ≤ 300 en moins de 24h au cours de la première semaine de prise en charge de ces patients étaient nécessaires à leur inclusion. Les patients âgés de moins de 18 ans et ceux pour lesquels il existait des données manquantes étaient exclus (dossier médical non retrouvé). De même, étaient exclus les patients dont le décès survenait au cours des 24 premières heures de la prise en charge.
Validité externe
Études similaires
Une seule étude à ce jour a cherché à mettre en évidence les facteurs de risque de SDRA post-traumatique selon les critères définis par la conférence de Berlin [4]. Ainsi, Daher et al. ont étudié 2704 traumatisés entre 2010 et 2015 [13]. Parmi eux, 432 (16%) ont développé un SDRA (vs. 8% dans notre étude), avec 156 (36%) SDRA sévères (vs. 32% dans notre étude) [13,15]. Leur cohorte de patients traumatisés avaient des caractéristiques semblables à la notre: majoritairement des hommes d’âge médian de 48 ans, pris en charge dans les suites d’un traumatisme non pénétrant dans 95% des cas avec un ISS médian de 29 (± 13). Les auteurs ont mis en évidence la sévérité du traumatisme thoracique (AIS thorax ≥ 3) et la transfusion de PFC comme facteurs de risque indépendants de SDRA sévère. En revanche, aucune différence de mortalité selon la sévérité du SDRA n’était retrouvée dans l’étude de Daher et al, contrairement à notre étude. Le taux de mortalité des patients présentant un SDRA sévère était inférieur (22% vs. 31% dans notre étude), ce résultat peut être expliqué par l’exclusion des traumatisés ne survivant pas au 72 premières heures. Cependant, contrairement à notre étude, aucune donnée n’est rapportée par l’équipe de Daher et al. sur les paramètres ventilatoires et l’intensité thérapeutique nécessaire dans une population de traumatisés développant un SDRA post-traumatique.
Délai de survenue du SDRA
Les résultats de notre étude confirment les résultats de l’étude de Schmitt et al. publiée en 2020 et décrivant l’incidence et la sévérité du SDRA des patients évacués d’opération extérieure [16]. En effet, dans leur cohorte de 57 patients, l’oxygénation était la plus altérée au 4e jour de prise en charge avec un rapport PaO2/FiO2 médian à 194 [156-249].
Pronostic
Bellani et al. ont mis en évidence une augmentation de la durée de VM invasive, de la durée de séjour en réanimation et du taux de mortalité selon la gravité du SDRA, toutes causes confondues [14]. Nos résultats montrent une tendance similaire, sans atteindre le seuil de significativité statistique concernant la durée de VM invasive et la durée de séjour en réanimation. Cette différence peut être expliquée par le caractère rétrospectif de notre et le recours fréquent à la trachéotomie au cours du sevrage ventilatoire.
Originalité de l’étude
Peu d’auteurs se sont intéressés au SDRA sévère post-traumatique. Pourtant, il représente une cause de mortalité chez le traumatisé [2, 3]. Les mécanismes pathogènes à l’origine de sa genèse sont encore peu connus, par son étiologie multifactorielle et l’hétérogénéité des patients concernés. Par ailleurs, il s’agit à notre connaissance de la seule étude décrivant les conditions ventilatoires selon la gravité du SDRA post-traumatique.
Implications en traumatologie civile
Notre étude met en valeur que les patients traumatisés développant un SDRA ont un séjour prolongé en réanimation avec une durée médiane de VM invasive de 10 jours. Un nombre significatif d’entre eux nécessitait le recours au DV (13%) et à la trachéotomie (24%).
Implications en traumatologie militaire
Le blessé de guerre est un blessé hémorragique par traumatisme pénétrant [17]. Les agents vulnérants sont projectilaires avec une majorité de lésions par explosion. La doctrine du service de santé des armées repose sur trois principes qui sont la médicalisation de l’avant, la réanimation et chirurgicalisation de l’avant ainsi que l’évacuation médicale stratégique, systématique et précoce. Actuellement, le contrôle de l’espace aérien permet un rapatriement systématique en moins de 24h des blessés de guerre vers un HIA [18]. Le programme Scorpion de 2018 prépare l’armée française à un conflit dit de haute intensité. En effet, les conflits envisagés dans le futur pourraient être des conflits non asymétriques avec un flux important par jour de blessés et une absence de maîtrise de l’espace aérien, ne permettant pas l’évacuation systématique et précoce des blessés de guerre. Notre étude permet une estimation des besoins thérapeutiques nécessaires aux blessés de guerre les sept premiers jours suivant leur traumatisme. Elle apporte un rationnel pour accompagner l’évolution de la dotation des moyens de réanimation à l’avant en contexte de guerre: le DV et le NO notamment.
Notre étude a mis en évidence que 24% [22-27] des patients traumatisés développaient un SDRA la première semaine de prise en charge et que parmi eux 32% [27-38] présentaient un SDRA sévère. La mortalité était corrélée à la sévérité du SDRA post-traumatique. L’analyse multivariée mettait en évidence les contusions pulmonaires et la transfusion de PFC comme facteurs de risque indépendants de survenue de SDRA sévère. Le recours au DV était nécessaire dans 13% des cas, comme le recours au NO (15%). Les résultats sont essentiels dans la réflexion du dimensionnement de réels moyens de réanimation prolongée à l’avant en contexte de guerre par les conflits dits de haute intensité.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. La population de traumatisés
2. Physiopathologie et problèmes posés par le SDRA chez le traumatisé
MATERIEL ET METHODE
1. Schéma de l’étude et population étudiée
2. Objectifs de l’étude
3. Aspect éthique
4. Définitions
5. Données recueillies
6. Analyse statistique
RESULTATS
1. Population d’étude
2. Incidence du SDRA sévère
3. Description des épisodes de SDRA et intensité thérapeutique
4. Pronostic
5. Facteurs de risque de SDRA sévère
5.1 Caractéristiques des patients développant un SDRA sévère
5.2 Facteurs de risque de survenue d’un SDRA sévère
DISCUSSION
CONCLUSION
ANNEXE 1 : DONNEES SUPPLEMENTAIRES
ANNEXE 2 : SOFA score
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