Prise en compte des eaux pluviales comme une problématique environnementale en ville
Historiquement, la nécessité de gestion des eaux en ville est apparue durant le XVIIème siècle. Au fur et à mesure des âges et du fait de l’exode rural, les villes se sont densifiées et imperméabilisées, augmentant la demande en eau et la production d’eaux usées domestique et pluviale. Au milieu du XIXème siècle, le mode de gestion promu a été le « tout à l’égout ». Ceci a engendré la mise en place massive de réseaux unitaires, collectant les eaux usées et les eaux de ruissellement.
Un premier tournant apparaît au milieu du XXème siècle via l’apparition de la notion de réseau séparatif. Ce réseau permettait de diminuer le surdimensionnement des anciens réseaux unitaires et acheminait l’eau collectée directement vers le milieu récepteur, du fait que ces eaux étaient considérées comme propres. Durant de nombreuses années, l’eau de pluie en ville n’a pas été considérée comme une source de pollutions. Ce n’est qu’au début des années 90 qu’est apparue la notion de « Rejets Urbains de Temps de Pluie » (RUTP) (Chebbo et al., 1995). Les RUTP regroupent les rejets à l’exutoire des réseaux d’assainissement de type séparatifs, les surverses de collecteurs unitaires (comme les déversoirs d’orage ou les by-pass de station d’épuration) et les rejets des stations d’épuration. Ces rejets sont en croissance, du fait de l’imperméabilisation grandissante des villes, qui engendre une augmentation des volumes d’eau de ruissellement lors du temps de pluie. Ceci crée au final de nouvelles problématiques environnementales en ville, en lien avec les flux d’eau à gérer durant le temps de pluie.
Le ruissellement de l’eau de pluie sur les surfaces urbaines engendre une remobilisation de polluants atmosphériques qui se sont accumulés via les retombées de temps sec, des polluants issus de la circulation automobile, mais aussi d’autres substances pouvant être incluses dans le matériau urbain. L’étude menée par (Eriksson et al., 2007) a permis de lister des polluants prioritaires (organiques, métalliques et des nutriments) nécessitant une attention particulière dans les eaux pluviales. Ces auteurs soulignent par ailleurs le manque de données concernant ces composés. Récemment, les matériaux utilisés dans le bâtiment ont été pris en compte comment étant une source de contamination des eaux de ruissellement. Nous pouvons citer les travaux de (RobertSainte, 2009) qui a étudié l’émission de métaux par les toitures en zinc de la région parisienne. D’autres matériaux ont été analysés, comme les membranes d’étanchéité utilisées pour les toitures végétalisées (Bucheli et al., 1998). Ces auteurs ont ainsi montré que certaines membranes peuvent émettre des quantités importantes d’un biocide (Mecoprop) lors de la pluie. Enfin, de récentes études se sont focalisées sur la présence d’agents biocides dans la composition de peintures et de crépis (Burkhardt et al., 2007a; Jungnickel et al., 2008; Schoknecht et al., 2009) ou du bois (Schoknecht et al., 2003; Miyauchi et al., 2005; Miyauchi and Mori, 2008). L’ensemble de ces travaux montrent que le bâtiment peut être considéré comme une source de contaminants par temps de pluie.
Cependant, ces études tiennent compte de composés inclus et/ou fixés dans le matériau ou dans sa couche de finition (peinture, vernis, crépis, etc). De rares travaux se sont intéressés au lessivage de pesticides épandus sur des surfaces urbaines imperméables (Ramwell et al., 2002; Blanchoud et al., 2007; Jiang et al., 2012). Dans le cas de ce type de pratiques, un produit est appliqué à la surface d’un matériau afin qu’un ou plusieurs composés agissent. Aussi, lors de la pluie, les molécules vont être directement en contact avec l’eau de ruissellement, ce qui leur confèrera une dynamique de lessivage particulière, et très certainement différente des précédentes études.
Règlementation en lien avec notre cas d’étude
La réglementation phare concernant le milieu aquatique est la Directive Cadre sur l’Eau du 23 octobre 2000 (DCE, 2000/60/CE). Elle vise à atteindre le « bon état écologique et chimique des milieux aquatiques d’ici à 2015 ». Cette directive a ainsi listé 33 substances pour lesquels les émissions doivent être réduites, voir même supprimer dans un délai de 20 ans pour les composés les plus dangereux. Cette règlementation est globale, et ne concerne pas spécifiquement la gestion des eaux en ville.
A la fin des années 80, le bâti a été pris en compte comme une source de contamination des eaux. C’est ainsi que la Directive Produits de Construction de 1989 (Directive 89/106/CEE, modifiée en 1993 par la Directive 93/68/CEE) comporte au sein de son Article 3 une référence quant aux exigences essentielles de l’ouvrage. Le troisième point de ces exigences (aspect « hygiène, santé et environnement ») déclare ainsi que « l’ouvrage doit être conçu et construit de manière à ne pas constituer une menace pour l’hygiène ou la santé des occupants ou des voisins, du fait notamment de la pollution ou de la contamination de l’eau ou du sol ». Cette directive concerne donc l’eau en générale, et pourrait s’appliquer au ruissellement.
Le traitement des toitures utilise différents produits que se soit pour réparer une dégradation, ou pour en prévenir l’apparition. Il peut ainsi être utilisé des produits dis biocides, qui vont avoir pour but d’éliminer les végétaux pouvant se développer à la surface du toit, phénomène aussi appelé « verdissement » (CTMNC, 2011). La Directive Biocide (DE, 98/8/CE) définit les produits biocides comme « les substances actives et les préparations contenant une ou plusieurs substances actives qui sont présentées sous la forme dans laquelle elles sont livrées à l’utilisateur, qui sont destinées à détruire, repousser ou rendre inoffensifs les organismes nuisibles, à en prévenir l’action ou à les combattre de toute autre manière, par une action chimique ou biologique ». Ces produits sont divisés en 23 types présentés en annexe V de la DE 98/8/CE. Les produits biocides utilisés pour le traitement de toiture appartiennent au Type 10 : Protection des ouvrages de maçonnerie. Cette catégorie est définie comme regroupant les produits utilisés pour « traiter à titre préventif ou curatif les ouvrages de maçonnerie ou les matériaux de construction (autres que le bois), par la lutte contre les attaques microbiologiques ou les algues » (DE, 98/8/CE). Les molécules actives de ces différents produits sont listées dans l’annexe II du (Règlement, 2032/2003/CE) du 24 novembre 2003. Pour les produits de Type 10, il existe 93 substances, dont font partit à titre d’exemple le Diuron ou le Terbutryne. D’une manière générale, la Directive Biocide a eu pour objectif d’assurer un niveau de protection de l’homme, des animaux et de l’environnement élevé, en plus d’harmoniser la réglementation des Etats membres jusqu’alors très inégale. Ceci passe par la mise sur le marché des seuls biocides efficaces et ne présentant pas de risques inacceptables. Depuis lors, toute utilisation d’une molécule biocide dans la composition d’un produit doit faire l’objet d’une autorisation de mise sur le marché très encadrée.
En dernier lieu, depuis une dizaine d’années il est constaté en France un succès grandissant chez les particuliers de la récupération et la réutilisation des eaux de ruissellement de toiture. Ce succès a été renforcé dans un cadre légal, puisque depuis le 30 décembre 2006 un crédit d’impôts a été instauré par l’Article 49 de la loi n° 2006-1772, pour les personnes s’équipant d’une cuve de récupération des eaux pluviales. Ce dispositif s’est complété 2 ans plus tard par l’(Arrêté, du 21/08/08) qui encadre la collecte et la réutilisation des eaux de ruissellement à l’intérieur et à l’extérieur du bâtiment et l’édition en 2012 d’une norme concernant les systèmes de récupération de l’eau de pluie (AFNOR, 2012). A l’intérieur du bâtiment, les usages autorisés ont été l’alimentation des chasses d’eau, le nettoyage des sols et l’alimentation des lave linge (pour ce dernier point uniquement à titre expérimental, nécessitant une déclaration en mairie et un « dispositif de traitement de l’eau adapté»). A l’extérieur du bâtiment, les usages autorisés sont plus classiques comme l’arrosage du jardin, le nettoyage des sols ou des véhicules. Cet arrêté s’intègre parfaitement dans les réflexions récentes sur la gestion des eaux de pluie à l’amont, en permettant de retenir une partie du flux d’eau au niveau de la parcelle plutôt que de l’envoyer au milieu récepteur au travers du réseau d’assainissement.
Cependant, la promotion de la collecte / utilisation des eaux de ruissellement ne s’est pas accompagnée d’une étude approfondie concernant l’adéquation de la qualité de l’eau collectée et les usages promus, ni du mode d’entretien de la surface de collecte et de la cuve de récupération des eaux. Nous pouvons donc voir que de nos jours encore, l’eau de ruissellement de toiture reste considérée comme propre.
La thèse au sein du projet Qualico et du Programme OPUR
Cette thèse s’inscrit dans le cadre de 2 projets dirigés par le Leesu : le programme OPUR (Observatoire des Polluants URbains), soutenu par l’Agence de l’Eau Seine-Normandie, la Ville de Paris, la Direction de l’Eau et de l’Assainissement de la Seine Saint-Denis (DEA 93), la Direction des Services de l’Environnement et de l’Assainissement du Val de Marne (DSEA 94) et le Syndicat Interdépartemental pour l’Assainissement de l’Agglomération Parisienne (SIAAP) et le projet Qualico, financé par la Région Ile-de-France dans le cadre des appels à projets R2DS (Réseau de Recherche sur le Développement Soutenable).
Le programme OPUR a débuté en 1994. Il est divisé en phases de recherche de 6 ans. La Phase 1 s’est focalisée sur les sources et le transport des polluants en réseau unitaire. Les résultats ont ensuite été utilisés dans la Phase 2 du programme, qui a visé à intégrer les données dans des bassins versant emboîtés de tailles croissantes. La Phase 3 d’OPUR, débutée en 2007, s’intéresse plus particulièrement aux micropolluants listés par la Directive Cadre sur l’Eau de 2000, avec la prise en compte de zones d’études plus vastes que durant les phases précédentes, allant du périurbain à l’urbain dense, et le tout pour différentes techniques de gestions des eaux.
Le projet Qualico (action 2 du thème 1 : sources et flux de contaminants dans les eaux de ruissellement des infrastructures urbaines) porte sur la qualité et le potentiel d’usage des eaux de ruissellement collectées sur les toitures des pavillons en Ile de France. Ce projet vise à établir un cadre de référence (concernant la qualité physicochimique et microbiologique des eaux de ruissellement) pour la collecte et la réutilisation des eaux issues des toitures franciliennes. La thèse fait partie du volet physicochimique, en lien avec l’entretien des toitures qui peut être mis en œuvre par les propriétaires des pavillons.
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
I. Contexte de la thèse
I.1 Prise en compte des eaux pluviales comme une problématique environnementale en ville
I.2 Règlementation en lien avec notre cas d’étude
II. La thèse au sein du projet Qualico et du Programme OPUR
III. Objectifs de la thèse et plan du manuscrit
III.1 Objectifs du travail de thèse
III.2 Structuration du manuscrit
PARTIE I : LE TRAITEMENT DE TOITURE : IDENTIFICATION DES PRATIQUES, DES BIOCIDES UTILISES ET DE LEUR TOXICITE
I. Remise en contexte et objectifs
II. Altérations des matériaux de toiture non métalliques au cours de leur vie en œuvre
III. Modes d’entretien curatifs des matériaux de toiture
III.1 Obtention des informations auprès des professionnels
III.2 Résultats de l’enquête
III.2.1 Détails des entreprises interrogées
III.2.2 Types de traitements, produits utilisés et conditions de mise en œuvre
III.2.3 Clientèle et motivation du traitement
III.2.4 Traitement de toiture et récupération des eaux de ruissellement
III.3 Conclusion
IV. Recensement des produits de traitement et identification des substances actives
IV.1 Produits de nettoyage
IV.2 Produits anti-mousses
IV.3 Produits imperméabilisants
IV.4 Peintures
IV.5 Limites des informations fournies par les fabricants
IV.6 Choix de la pratique et des composés pour la suite de l’étude
IV.7 Le benzalkonium
IV.7.1 Propriétés physico-chimiques
IV.7.2 Propriétés biocides
IV.7.3 Toxicité et écotoxicité
IV.7.4 Source et devenir dans l’environnement
IV.7.5 Utilisation du benzalkonium dans les produits de démoussage de toiture
V. Conclusion de la Partie I
PARTIE II : MISE AU POINT DE LA TECHNIQUE D’ANALYSE DU BENZALKONIUM
I. Objectifs du protocole analytique en liaison avec les objectifs du projet
II. Bibliographie
II.1 L’analyse du benzalkonium : détection et quantification
II.2 Extraction du benzalkonium
II.2.1 Extraction de la fraction dissoute
II.2.2 Extraction de la fraction particulaire
II.3 Choix des molécules analysées
III. Mise au point de la partie chromatographie de l’analyse
III.1 Molécules et solvants utilisés
III.2 Préparation des solutions étalons
III.3 Paramètres utilisés au niveau du LC-MS/MS
III.4 Résultats de l’optimisation
III.4.1 Optimisation du spectromètre de masse
III.4.2 Séparation des composés
III.4.3 Quantification des échantillons
III.4.4 Limites de détection et de quantification de la LC-MS/MS
III.5 Suivi qualité de la méthode
IV. Développement et optimisation de l’extraction
IV.1 Phase dissoute
IV.1.1 Sélection de la cartouche d’extraction
IV.1.2 Optimisation du protocole SPE
IV.1.2.1 pH de l’échantillon
IV.1.2.2 Chargement de l’échantillon sur la cartouche SPE
IV.1.2.3 Linéarité de l’extraction
IV.1.3 Protocole SPE final et rendement
IV.1.4 Analyse d’échantillons très contaminés
IV.2 Phase particulaire
IV.2.1 Matériels et méthodes de la mise au point de l’extraction
IV.2.2 Choix du solvant d’extraction et premiers résultats
IV.2.3 Optimisation du protocole d’extraction particulaire
IV.2.4 Rendement de l’extraction particulaire
V. Calcul des LODs et LOQs du protocole global
V.1 LOD et LOQ de l’extraction SPE
V.2 LOD et LOQ de l’extraction particulaire
VI. Protocole en final utilisé en routine
VII. Incertitudes analytiques
PARTIE III : ETUDE EXPERIMENTALE DU COMPORTEMENT AU RUISSELLEMENT DU BENZALKONIUM EPANDU SUR UN TOIT
CHAPITRE I : SUIVI A PETITE ECHELLE DE L’EMISSION DE COMPOSES PAR LE BATI – SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
I. Etat des connaissances sur la contamination des eaux de ruissellement par les matériaux et produits d’entretien du bâti
I.1 Émission de métaux par les matériaux urbains
I.1.1 Émission de métaux par les toitures métalliques
I.1.2 Émission de métaux par le béton
I.1.3 Émission de métaux par les peintures
I.2 Émissions de molécules organiques par les matériaux urbains et produits d’entretien
I.2.1 Émissions de composés organiques par les bitumes et les goudrons
I.2.2 Émissions de micropolluants organiques par les toitures et les façades
I.2.3 Lessivage de pesticides épandus sur des surfaces imperméables
II. Méthodologies d’étude
II.1 Essais de lixiviation : analyses laboratoire en conditions contrôlées
II.2 Essais à l’échelle pilote : analyses in situ
III. Identifications des dynamiques d’émission des contaminants
III.1 Dynamiques d’émissions observées lors d’essais de lixiviation en conditions contrôlées
III.2 Dynamiques d’émission observées in situ
IV. Conclusion
CHAPITRE II : METHODOLOGIE MISE EN ŒUVRE POUR LE SUIVI DU LESSIVAGE DU BENZALKONIUM A PETITE ECHELLE
I. Réflexions sur le mécanisme de lessivage du benzalkonium après un traitement
I.1 Processus mis en jeu dans le devenir du composé
I.2 Création du stock lors de l’épandage du produit
I.3 Evolution du stock durant la pluie
I.4 Evolution du stock lors du séchage
I.5 Evolution du stock par temps sec
II. Objectifs des expérimentations et méthodologie générale
II.1 Ordres de grandeur des flux émis dans le ruissellement à l’échelle d’une année
II.2 Compréhension des facteurs influençant le lessivage
CHAPITRE III : ANALYSE PRELIMINAIRE DU LESSIVAGE D’UNE TUILE TRAITEE PAR UN PRODUIT BIOCIDE DE DEMOUSSAGE
I. Objectifs
II. Méthodologie
III. Résultats
III.1 Analyse du produit anti-mousse utilisé
III.2 Ruissellements réalisés
III.3 Concentrations dans le ruissellement et fraction de benzalkonium lessivée
III.4 Bilan de masse
III.5 Conclusion de l’analyse préliminaire
CONCLUSION GENERALE
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