Vers une plus grande compréhension du sous-sol
Pendant la majeure partie de son histoire avec « l’or noir », l’homme ne cherche pas à comprendre les objets naturels que sont les réservoirs pétroliers. Tout simplement parce que ce n’est pas nécessaire : les ressources apparaissant à la surface (émanations de gaz, sable bitumineux, etc.) suffisent à subvenir aux besoins (éclairage, matériaux de construction…). Le XXème siècle, suite à l’essor de l’automobile, marque les débuts d’une accélération de la demande en produits dérivés du pétrole [Perrodon, 1990 ; Leflon, 2005]. Aujourd’hui, plus que jamais, l’activité humaine repose sur cette matière première. Les besoins s’intensifient avec une consommation en énergie toujours croissante , amplifiée depuis quelques années par les pays émergeants (Inde, Chine, etc.). En parallèle, les ressources se raréfient, exacerbant d’autant plus la concurrence entre opérateurs [Perrodon, 1999]. Dans un contexte si dur, l’industrie n’a de cesse de produire davantage. A présent, il ne s’agit plus seulement de récupérer les matières premières à la surface de la Terre mais d’en extraire les ressources souterraines. Elles se situent plus précisément dans des roches suffisamment poreuses pour pouvoir contenir les fluides comme l’eau, l’huile ou le gaz, et, qui sont recouvertes par une couche imperméable interdisant à ces mêmes fluides de s’échapper [Foucault et Raoult, 1995] .
Finis donc, les temps bénis du pétrole abondant, facile à pomper et bon marché. Les opérateurs du secteur s’intéressent maintenant à des zones de plus en plus difficiles d’accès et complexes. C’est notamment le cas des gisements « très enfouis » : à terre, à plus de 6000 mètres de profondeur, ou en mer, au-delà de 2000 mètres de fond. Désormais, qu’ils soient techniques, stratégiques ou financiers, les choix relatifs à l’exploration puis l’exploitation éventuelle d’un champ requièrent le souci constant d’une meilleure compréhension du milieu qui renferme ces ressources. En effet, une fois la zone intéressante repérée par la géologie ou l’imagerie sismique , l’industrie cherche à apprécier les qualités qui en conditionnent le rendement potentiel. Pendant la phase d’exploration, il faut d’abord évaluer la capacité du champ en matières premières susceptibles d’être produites : accumulation / réserve . Au stade de l’exploitation, il est alors nécessaire de prévoir, à plus ou moins long terme, l’évolution de la production en matières premières : c’est l’établissement des profils de production.
De telles grandeurs dépendent fortement de la distribution spatiale du volume (enveloppe du gisement), de la porosité (volume occupé par les fluides), de la saturation en hydrocarbures (fraction de la quantité de fluide en huile ou en gaz), et de la perméabilité (aptitude du milieu à se laisser traverser par un fluide) [Chapellier et al., 2004]. Ces propriétés, dîtes réservoir, présentent effectivement de larges degrés d’hétérogénéités, à l’origine d’une répartition inégale des différents types de milieux poreux comme de l’écoulement des fluides. C’est précisément cette part de variabilité pétrophysique, au sein même des couches susceptibles de contenir les hydrocarbures, que l’industrie se doit de connaître, si elle veut caractériser au mieux les performances du réservoir.
De fait, l’appréciation de ces paramètres clés pour l’industrie passe par la traduction des propriétés topologiques, géométriques et physiques des hétérogénéités géologiques les plus actives vis-à-vis de l’écoulement des fluides. Cette étape fait classiquement intervenir la modélisation numérique de réservoir. Elle consiste à construire un modèle géologique – généralement en 3 dimensions – du milieu, ou géomodèle . Celui-ci intègre les caractéristiques pétrophysiques – pour les calculs en accumulations – à partir desquelles les simulateurs d’écoulements reproduisent le comportement dynamique de la zone – pour l’établissement des profils de production et des réserves. Plus exactement, ce géomodèle reproduit dans un maillage à trois dimensions :
(1) la structure du gisement, c’est-à-dire les toits, murs, limites latérales, et isopaques, et isobathes à partir des horizons et des failles pointés sur la sismique 3D et les marqueurs aux puits ;
(2) l’architecture interne du réservoir définie par exemple, à l’aide des surfaces géologiques intermédiaires non visibles sur la sismique, elles sont corrélées et interpolées entre les puits en tenant compte de l’histoire géologique de la zone; en ce qui concerne les environnements de plates-formes carbonatées par exemple, le recours aux principes de la stratigraphie séquentielle [Vail, 1977 ; Homewood et al, 2000] permet d’obtenir ces limites en rendant compte de l’organisation séquentielles des dépôts ;
(3) les propriétés relatives à la lithologie avec en particulier, (a) les proportions de faciès , on parle alors de cube de proportions. Issu de l’interprétation géologique des données et des statistiques concernant la répartition des faciès dans l’espace, il représente en tout point du modèle la probabilité d’occurrence des différentes catégories de sédiments ; et (b) les faciès eux-mêmes déterminés à partir de cette loi de probabilité ;
(4) les évolutions pétrophysiques pour chaque faciès en tout point du réservoir, comme la porosité, la hauteur utile , la saturation en hydrocarbures ou les perméabilités absolues et relatives, etc.
(5) les paramètres nécessaires à toutes simulations dynamiques, ils viennent compléter les données statiques (porosité, perméabilités) précédemment générées ; on recense notamment les propriétés thermodynamiques des fluides (compressibilité, diagramme de phase, facteur de volume) ainsi que le plan de développement qui précise l’implantation des puits et la stratégie de production ;
(6) et bien entendu, les incertitudes associées et, inhérentes à toute prédiction, avec par exemple, une quantification autour de la capacité ou du profil médian, ces incertitudes se répercutant sur les estimations d’accumulations ou de productions du réservoir.
Car une telle description du milieu souterrain et de son comportement dynamique constitue un exercice ardu et particulièrement incertain. Or, d’importantes décisions liées à des investissements lourds, comme l’achat de licences d’exploitation ou le développement de projets en haute mer, se prennent sur la base de ces représentations incertaines du champ. Ainsi, une incertitude négligée, ou qui échappe à l’identification, conduit souvent à la ruine d’un projet de développement prometteur. Le passage d’un bon candidat à un champ économiquement viable impose donc de savoir évaluer et limiter ces incertitudes. Gérer celles qui ne peuvent être suffisamment réduites s’avère également capital. On distingue classiquement trois grandes familles d’incertitudes selon l’étape de construction du modèle où elles interviennent et le type d’information utilisé. On parle d’incertitudes structurales lors de la définition de la géométrie du réservoir , géologiques pour la construction du maillage interne, le remplissage en propriétés lithologiques et pétrophysiques (étapes (2), (3) et (4)), et dynamiques pour la conception du modèle en écoulement – perméabilités relatives, données thermodynamiques, compressibilité, etc. – (étape (5)). Il est donc essentiel d’évaluer leurs rôles et de les hiérarchiser, afin de mieux les appréhender. Nous nous intéresserons plus particulièrement aux incertitudes géologiques qui ne sont pas complètement intégrées dans les chaînes d’étude actuelles [Massonnat, 2000 ; Poirot, 2002 ; Sheppers, 2003].
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Table des matières
Introduction
1. Vers une plus grande compréhension du sous-sol
2. Objectifs et organisation générale
Partie I : Incertitude géologique et modélisation du sous-sol
Chapitre 1 L’incertitude géologique
1.1 Un milieu à l’histoire géologique complexe
1.2 Des données incomplètes
1.3 Un modèle géologique incertain
Chapitre 2 Le traitement de l’incertitude géologique
2.1 Le cadre probabiliste
2.2 Les méthodes statistiques
2.2.1 Les simulations par cubature
2.2.2 Un exemple illustratif
2.3 Les méthodes statistiques spatiales
2.4 Les études à scénarios multiples
Partie II : Multi-réalisation sur les paramètres du scénario géologique
Chapitre 3 Incertitude et Neptune
3.1 Neptune, bases et concepts
3.2 Neptune, les paramètres incertains
3.3 Neptune, hiérarchie des sources d’incertitudes
3.4 Neptune, la multi-réalisation des scénarios géologiques
Chapitre 4 Incertitude aux puits (1D)
4.1 La bathymétrie aux puits
4.1.1 La relation bathymétrie/faciès
4.1.2 La multi-réalisation du modèle de faciès
4.2 Les corrélations aux puits
Chapitre 5 Incertitude sur les cartes (2D)
5.1 Les signaux sur les surfaces isochrones
5.1.1 Extrapolation des épaisseurs
5.1.2 Calcul du potentiel d’accommodation
5.1.3 Définition de la carte de bathymétrie de référence
5.2 La multi-réalisation des cartes de bathymétrie
5.2.1 Une nécessaire adaptation des cartes de base
5.2.2 Une approche à scénarios multiples
5.2.3 Une approche selon les modèles de mélange
Chapitre 6 Incertitude sur le réservoir (3D)
6.1 Modélisation des proportions de faciès
6.2 Modélisation de la diagenèse précoce
Conclusions et Perspectives (1)
Partie III : Simulations stochastiques de cubes de proportions
Chapitre 7 Panorama d’une méthode de simulation des cubes de proportions
7.1 Introduction
7.2 Principe général de la méthode
Chapitre 8 Simulation régionalisée des proportions de faciès
8.1 Hypothèses de travail
8.1.1 Rappel : le cube de proportions de faciès
8.1.2 Des lois de probabilité ponctuelles
8.1.3 Un support géométrique commun
8.2 Choix des lois de probabilité ponctuelles
8.2.1 Des lois paramétriques
8.2.2 Contraintes de probabilité
8.2.3 Petit historique des lois testées
8.3 Caractérisation des distributions ponctuelles
8.3.1 Estimation des paramètres des lois P(α)
8.3.2 Retour sur les scénarios de base
8.3.3 Simulations de vecteurs de proportions régionalisées
Chapitre 9 Simulation globale des cubes de proportions
9.1 Conservation de la cohérence spatiale
9.1.1 Où introduire la continuité spatiale ?
9.1.2 Recours au cadre géostatistique
9.2 En domaine de plate-forme
9.2.1 Le modèle de référence
9.2.2 Une corrélation spatiale inférée
9.2.3 Une corrélation spatiale infinie
9.3 En domaine chenalisé
9.3.1 Le modèle de référence
9.3.2 Cas pratique nº 1 : Simulation de zones préférentielles pour les chenaux
9.3.3 Cas pratique nº 2 : Simulation de cartes de proportions via la sismique
9.3.4 Cas pratique nº 3 : Intégration de plusieurs modèles de dérives
Chapitre 10 Mise en cohérence des cubes de proportions
10.1 Intégration des données de puits
10.1.1 Nature des contraintes
10.1.2 Mise en œuvre sur un exemple
10.1.3 Des données dures incertaines
10.2 Intégration des cartes sismiques
10.2.1 Nature des contraintes
10.2.2 Assimilation des contraintes sismiques
10.2.3 Des cartes sismiques incertaines !
Chapitre 11 Combinaison de cubes de proportions
11.1 Des cubes de proportions d’origines diverses
11.2 Couplage des lois de Dirichlet
11.2.1 Objectif
11.2.2 Mélange par combinaisons linéaires
11.2.3 Mélange bayésien
Chapitre 12 Régionalisation de l’incertitude
12.1 Un cas synthétique
12.2 En amont des simulations
12.3 En aval des simulations
12.4 Tri des cubes de proportions
Conclusion
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