Les peptides
Importance et rôle essentiel des peptides
Dans le monde vivant, les peptides et protéines représentent plus de la moitié du poids sec des cellules et possèdent un rôle biologique et structural. Ils sont des éléments essentiels dans les processus biologiques et physiologiques assurant l’immense majorité des fonctions de la cellule telles que leur structuration, la catalyse, la compaction de l’ADN ou encore l’expression des gènes. Les peptides, dont l’unité de base est l’acide aminé, peuvent ainsi être considérés comme des molécules ubiquitaires sans lesquels la vie n’existerait tout simplement pas.
La chimie des peptides a fait son apparition au début du 19ème siècle grâce aux travaux d’Hermann Emil Fischer. En étudiant la synthèse des protéines, il est parvenu à établir la nature de la liaison chimique connectant les acides aminés les uns aux autres : la liaison peptidique. Cette découverte lui a permis en 1901 de réaliser la première synthèse peptidique, celle du dipeptide glycine-glycine. Cependant, l’intérêt porté par les scientifiques à la chimie des peptides n’a évolué guère jusque dans les années 1940. A cette époque, le nombre de peptides connus présentant une activité biologique était très limité. En effet, mise à part la Glutathione (Glu-Cys-Gly) , la Carnosine (β-Ala-His), molécules toutes deux synthétisées en 1935, ou encore la Gramicidine S dont la séquence des acides aminés a été élucidée en 1947, seuls quelques autres composés avaient été découverts .
L’importance et le rôle fonctionnel des peptides dans les processus vitaux ne sont devenus apparents qu’au cours des années 1950 et 1960 suite au développement croissant des techniques analytiques permettant leur isolement et leur purification. Ainsi, les séquences d’acides aminés d’importantes hormones peptidiques ont pu être élucidées au cours de ces années .
Une des avancées majeures dans la synthèse peptidique a été l’identification structurale puis la synthèse totale de l’oxytocine par Du Vigneaud en 1953 . Grâce à cette découverte, pour laquelle il a obtenu le Prix Nobel en 1955, Du Vigneaud a démontré que l’hormone synthétisée présentait une activité parfaitement similaire à celle de l’hormone isolée. La synthèse de peptides s’est alors développée dans le but d’étudier leur relation structure-activité.
Cependant, jusque dans les années 1960, la synthèse de peptides par voie chimique classique était extrêmement longue et les rendements obtenus étaient très faibles. Par exemple, la première synthèse de l’oxytocine a été achevée en plusieurs mois avec moins de 1 % de rendement. Ce n’est qu’à partir de 1963 que la chimie des peptides a pris son essor grâce à la synthèse peptidique sur phase solide (SPPS) développée par Merrifield qui a reçu le Prix Nobel de chimie en 1984 pour ses travaux. La mise au point de techniques de séparation et purification performantes telles que la chromatographie liquide haute performance ou l’extraction en phase solide (SPE) ont alors permis d’augmenter considérablement les rendements et ainsi l’exploitation industrielle des peptides.
Les peptides en tant que médicaments
La découverte d’un nombre croissant de peptides dotés de propriétés biologiques a orienté les chercheurs vers l’utilisation de peptides en tant que molécules thérapeutiques. En 2004, plus de 20 % des médicaments les plus vendus au monde étaient à base de peptides. Environ 650 peptides étaient en phase de développement et 150 étaient à différents stades de phase clinique dans différents domaines tels que le traitement de certaines formes de cancers, du SIDA, de l’ostéoporose ou encore de maladies neurodégénératives.
D’un point de vue théorique, les peptides offrent en effet plusieurs avantages par rapport aux petites molécules que constituent les médicaments traditionnels. Tout d’abord, ils représentent souvent la plus petite partie fonctionnelle d’une protéine pouvant ainsi offrir une efficacité, une sélectivité et une spécificité importante ce qui permet leur utilisation en très faible quantité. D’autre part, lors de la métabolisation, les risques de toxicité sont amoindris puisque les produits de dégradation des peptides sont des acides aminés. Enfin, ils peuvent être fabriqués à très grande échelle, ce qui en terme de coût de production n’est pas un aspect à négliger.
Parmi les médicaments peptidiques on peut citer certaines hormones telles que l’insuline, la calcitonine ou encore le facteur de croissance épidermique et d’autres peptides tels la cyclosporine A, un immunosuppresseur, ou encore la goséréline (Zoladex®), utilisée pour traiter les cancers du sein et de la prostate .
Cependant, avant d’atteindre sa cible, un médicament doit circuler dans l’organisme et de ce fait, rencontrer de nombreux obstacles tels le passage de certaines barrières et la diffusion dans certains liquides… Malheureusement, une fois administrés, nombreux sont les peptides qui ne combinent pas toutes les qualités leur permettant d’agir comme un médicament. Ainsi, pour plusieurs raisons, leur usage thérapeutique reste aujourd’hui limité.
Problèmes liés aux peptides
Un des inconvénients des peptides est leur haut poids moléculaire. En effet, d’après les règles établies par Lipinski, les peptides seraient incapables de passer du tractus digestif vers le système circulatoire et seraient peu absorbables par voie orale. De ce fait, l’administration des peptides thérapeutiques doit se faire par voie intraveineuse provoquant inévitablement un manque de confort pour le patient.
Le second inconvénient des peptides est leur faible stabilité métabolique au sein de l’organisme qui entraine leur rapide dégradation par les peptidases du système gastrointestinal. Cela leur confère donc une faible durée de vie, de l’ordre de quelques minutes voire au mieux de quelques heures ce qui entrainerait par conséquent, l’emploi de doses démesurées pour pallier ce problème. D’autre part, du fait de leur caractère fortement hydrophile et polaire, les peptides présentent en général une faible perméabilité membranaire. Ils sont ainsi incapables de traverser certaines barrières biologiques comme les parois intestinales ou la barrière hémato-encéphalique : Ils sont facilement éliminés par excrétion rénale et ne peuvent atteindre le système nerveux central.
Enfin, la haute flexibilité conformationnelle et en particulier celle des chaînes latérales constitue un inconvénient majeur pour les peptides. Bien qu’ils soient flexibles et en équilibre, seul un conformère sera reconnu et interagira avec le site actif récepteur. Cette flexibilité conformationnelle peut également entraîner l’activation d’autres récepteurs et donc des effets secondaires non désirés.
Pour conclure, les applications potentielles des peptides en tant qu’agents thérapeutiques paraissent évidentes. Cependant, leur utilisation pharmaceutique se heurte toutefois à de nombreuses limites, qu’elles soient liées à leur difficile administration, à leur faible capacité à traverser les membranes ou encore à leur faible durée de vie.
Afin de minimiser ces inconvénients, la recherche en chimie des peptides s’est orientée vers la synthèse de peptides modifiés : les peptidomimétiques.
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Table des matières
I. Introduction générale
I.1 Les peptides
I.1.1 Importance et rôle essentiel des peptides
I.1.2 Les peptides en tant que médicaments
I.1.3 Problèmes liés aux peptides
I.2 Les peptidomimétiques
I.2.1 Définitions
I.2.2 Conception des peptidomimétiques
I.2.3 Modifications peptidiques
I.2.4 Les pseudopeptides
I.3 Conclusion
II. Les pseudopeptides fluorés
II.1 Propriétés de l’atome de fluor et des molécules fluorées
II.1.1 Généralités sur l’atome de fluor et la liaison C-F
II.1.2 Interactions dipôle-dipôle et charge-dipôle
II.1.3 Effet d’hyperconjugaison
II.1.4 Conséquences de l’incorporation du fluor sur les propriétés des molécules
II.2 Les différents pseudopeptides fluorés
II.2.1 Motifs monofluoroéthyle et difluoroéthyle:Ψ[CHF-CH2] et Ψ[CF2-CH2]
II.2.2 Motifs Trifluoroethylamines Ψ[NH(CH)CF3)] et Ψ[CH(CF3)NH]
II.2.2.1 Motifs Retro et retro-inverso Ψ[NH-CH(CF3)] peptides
II.2.2.2 Motif Trifluoroethylamines Ψ[CH(CF3)NH]
II.2.3 Motif trifluorométhylalcène Ψ[C(CF3)=CH]
II.3 Le motif fluorooléfine Ψ[CF=CH]
II.3.1 Le motif fluorooléfine comme mime de la liaison peptidique
II.3.2 Etude bibliographique des voies d’accès aux analogues peptidiques Ψ[CF=CH]
II.3.2.1 Travaux pionniers d’Allmendinger
II.3.2.2 Accès aux fluorooléfines α-fonctionnalisées
II.3.2.3 Réaction de défluoration réductrice
II.3.3 Applications biologiques des dipeptides à motif fluorooléfine
II.4 Travaux antérieurs du laboratoire
II.4.1 Réaction de Wittig modifiée
II.4.2 Couplage de Negishi ou réaction sur la liaison C-Br
II.4.3 Amination réductrice asymétrique
II.4.4 Application à la synthèse de dipeptides
II.4.5 Limitations
III. Nouvelle approche pour la synthèse stéréocontrôlée d’alcènes fluorés α-fonctionnalisés
III.1 Construction stéréosélective du motif fluoroalcène
III.1.1 Résultats antérieurs du laboratoire
III.1.2 Application à la synthèse des précurseurs des substrats modèles
III.2 Addition diastéréosélective de nucléophiles carbonés du côté N-terminal
III.2.1 L’auxiliaire chiral d’Ellman : le tert-butanesulfinamide
III.2.1.1 Présentation
III.2.1.2 Synthèse du tert-butanesulfinamide
III.2.2 Synthèse des N-tert-butanesulfinylimines
III.2.3 Addition nucléophile sur les N-tert-butanesulfinylimines
III.2.4 Addition d’espèces organométalliques
III.2.4.1 Bibliographie
III.2.4.2 Résultats obtenus
III.2.4.2.1 Addition d’organomagnésiens
III.2.4.2.2 Addition d’organolithiens
III.2.4.2.3 Addition d’organozincates
III.3 Contrôle diastéréosélectif du centre stéréogène du côté C-terminal
III.3.1 Synthèse du substrat gem-bromofluoroalcène
III.3.2 Synthèse du substrat fluoroalcène éther silylé
III.3.3 Synthèse du substrat présentant deux auxiliaires chiraux
III.4 Conclusion
IV. Application à la synthèse de dipeptides d’intérêt biologique
IV.1 Structure et activité biologique du 26RFa
IV.2 But de l’étude
IV.3 Synthèse des analogues fluorés de dipeptides
IV.3.1 Dipeptide Gly-Ψ[CF=CH]-Gly
IV.3.2 Dipeptide Gly-Ψ[CF=CH]-Phe
IV.3.3 Dipeptide Arg-Ψ[CF=CH]-Phe
IV.3.3.1 Synthèse du précurseur (Z)-55
IV.3.3.2 Fonctionnalisation de la partie N-terminale
IV.3.3.2.1 Optimisation sur les substrats modèles
IV.3.3.2.2 Application à la synthèse de Arg-Ψ[(Z)CF=CH]-Phe
IV.3.4 Dipeptide Ser-Ψ[CF=CH]-Phe
IV.4 Synthèse des heptapeptides porteurs d’un pseudopeptide fluoré
IV.4.1 Généralités sur la Synthèse Peptidique sur Phase Solide (SPPS)
IV.4.2 Synthèse des heptapeptides fluorés
IV.5 Evaluation biologique des heptapeptides fluorés
IV.6 Etude conformationnelle des heptapeptides par RMN
IV.6.1 Analyse structurale
IV.6.1.1 Attribution des signaux
IV.6.1.2 Les paramètres structuraux
IV.6.2 Résultats
IV.6.3 Conclusion
V. Conclusion générale