La sécheresse est un stress abiotique majeur affectant la croissance et la productivité des cultures à travers toute l’Afrique sub-saharienne, zone où l’agriculture est essentiellement de type pluvial (Hugo, 1997). De manière générale, la sécheresse pourraitt être définie comme étant le niveau hydrique du sol auquel l’évapotranspiration tombe en dessous de son seuil critique (De Ronde et Spreeth, 2005). Au Sénégal, cet état semble régulièrement atteint depuis les années 1970 et paraît découler d’une réduction de la pluviométrie moyenne annuelle de l’ordre de 178 à 200 mm sur l’ensemble du pays (Khalfaoui, 1991). Ceci a un impact extrêmement négatif sur l’équilibre alimentaire du pays, à l’instar de l’ensemble de la zone subsaharienne de l’Afrique dont les besoins totaux en aide alimentaire depuis la période 2003 ont été estimés à 3,3 millions de tonnes (FAO, 2005). Dans cette zone, l’atteinte de la sécurité alimentaire est un objectif majeur pour garantir l’indépendance économique. C’est ainsi que la maîtrise de l’eau, l’intensification, l’augmentation et la diversification des productions agricoles font partie des axes stratégiques d’intervention de l’état du Sénégal (M.A.H., 2005). Pour réaliser ces objectifs, la disponibilité de variétés tolérantes à la sécheresse serait d’un intérêt considérable. Dans cette optique, le niébé (Vigna unguiculata [L.] Walps.) se présente comme une des plantes qui pourrait contribuer, de manière significative, à relever le défi de la sécurité alimentaire au Sénégal. En effet, la stabilisation et l’accroissement des rendements du niébé pourraient participer à la solution de cette situation préoccupante. Le niébé, est une légumineuse tropicale cultivée dans la quasi-totalité du globe. Il constitue un aliment de base à travers toute l’Afrique notamment dans la partie Nord Ouest du continent (Fowler, 2000). De multiples propriétés bénéfiques sont inhérentes à sa culture parmi lesquelles une grande valeur nutritionnelle et une contribution à l’amélioration de la fertilité et de la stabilité des sols de culture (Cissé et al., 1996 ; Barrera et al., 1997 ; Molouba et al., 1999 ; FAO, 2002 ; Valenzuela et Smith, 2002 ; Cissé et Hall, 2003). De plus, le niébé constitue une culture vitale pendant les périodes de soudure (août-septembre) où les gousses vertes peuvent être consommées. La culture est aussi caractérisée par une acclimatation à la chaleur et une adaptation aux régions à faibles pluviométries (Sène, 1971 ; Hall et Patel, 1985). C’est ainsi qu’avec seulement 200 mm de pluviométrie bien répartie, des variétés à cycle court peuvent atteindre des rendements de 1 t.ha-1 (Cissé et al., 1996).
IMPORTANCE DU NIEBE DANS L’AGRICULTURE EN ZONE SAHELIENNE
Le niébé est une dicotylédone de l’ordre des fabales, de la grande famille des fabacées ou légumineuses, de la sous-famille des faboïdees ou papilionacées, de la tribu des phaseolés, de la sous-tribu des phaseolinées et du genre Vigna (Verdcourt, 1970 ; Maréchal et al., 1978 ; Pasquet, 1999). La plante est diploïde, de formule chromosomique 2n=2x=22 et autogame, avec une allogamie estimée entre 0.22 et 2.06 %, principalement dûe aux insectes (Sène et Ndiaye, 1971, 1974 ; Charrier et al., 1997 ; Ehlers et Hall, 1997). La zone d’origine du niébé est aujourd’hui présentée comme étant l’Afrique plus précisément le Nigeria du fait de la présence abondante, au Nord du pays, de formes cultivées, sauvages et spontanées (Baudoin et Maréchal, 1985 ; Padulosi et Ng, 1997 ; Pasquet, 1999). Cette culture a été introduite au Sénégal probablement à partir du Mali par le biais du fleuve Sénégal (Sène, 1966). Le Sénégal constitue un centre de diversification secondaire (Sène et Ndiaye, 1971). Au Sénégal, plus de 82 % des surfaces emblavées en niébé sont estimées généralement concentrées dans les zones les plus sèches du pays notamment à Louga, Saint Louis, Diourbel et Thiès (DISA, 1998).
Les critères de choix du niébé en Afrique et même aux USA sont multiples, mais celui justifiant le plus son intérêt reposerait essentiellement sur sa grande rusticité (Hall et al., 2003). Ce dernier caractère résulterait, entre autres, d’un système racinaire constitué d’une racine principale et de racines secondaires abondantes (Omwega et al., 1988 ; Cissè et al, 1996), d’une bonne acclimatation à la chaleur et aux faibles pluviométries (Sène, 1971 ; Hall et Patel, 1987). En effet, bien que les températures optimales de développement soient de 25 à 28°C (Cissé et al., 1996), la plante semble tolérer des températures jusqu’à 35°C (Imrie, 2005). Les besoins en eau du niébé sont estimés à 300-350 mm (Fretaud et Dancette, 1983) mais avec seulement 200 mm de pluviométrie bien répartie, certaines variétés peuvent atteindre des rendements de 1 t.ha-1 (Cissé et al., 1996). C’est pourquoi la plupart des variétés traditionnelles de l’Afrique soudano-sahèlienne présenteraient une adaptabilité locale très marquée. D’ailleurs, la plante est indiquée comme étant d’une grande valeur nutritionnelle de par des grains riches en protéines (22 à 23 %), en amidon (50 à 67 %), en vitamines et en oligo-éléments tels que le fer, le calcium et le zinc (Sène, 1971 ; Bressani, 1985 ; Singh et Rachie, 1985, Cissé et Hall, 2003). Les fanes sont également riches en protéines et constituent un excellent fourrage pour le bétail.
Les utilisations de la plante sont multiples de par les graines, les feuilles et les gousses vertes. Ces dernières sont vitales pendant la période de soudure située d’août à septembre durant laquelle les autres cultures ne sont pas encore consommables. De plus, la germination du niébé est rapide et les gousses sont facilement prélevables durant la récolte (Imrie, 2005). L’espèce peut croître sur une grande variété de sols bien que la préférence soit aux sols sableux qui favoriseraient plus le développement racinaire (Valenzuela et Smith, 2002). Le niébé peut contribuer à enrichir des sols pauvres en azote et phosphore du fait de la capacité d’association symbiotique des racines avec des bactéries fixatrices d’azote (Zabtowicz et al., 1981 ; Quin, 1997) et des champignons mycorhiziens (Valenzuela et Smith, 2002 ; Hall et al, 2003). Ces propriétés font que la plante est beaucoup utilisée dans les systèmes de culture en rotation. Egalement, en termes de solution pratique et efficace contre le ruissèlement et l’érosion des sols de type ferrugineux tropical lessivé, l’association niébé-sorgho est très préconisée (Zougmoré et al., 2005). Sur le plan économique, le niébé constituerait une source importante de revenus pour les producteurs. La précocité de certains cultivars de niébé permet une consommation et une commercialisation des gousses vertes avant les autres spéculations, notamment durant la période de soudure. A cette occasion, le niébé constitue dans la zone nord du pays, la seule nourriture disponible (Cissé et Hall, 2003) et peut être vendu à 100 FCFA.kg-1 (Faye, 1996). Généralement, les prix à la récolte, qui sont entre 50 et 70 FCFA.kg-1, peuvent monter jusqu’à 150 FCFA.kg-1 à la veille du prochain l’hivernage et atteindre 500 FCFA.kg-1 au moment des semis (Cissé et al., 1996). Depuis, ces prix ne cessent d’être revu à a hausse.
Néanmoins, il faut noter que le niébé paraît sensible à l’excès d’eau, aux sols mal drainés et surtout aux pathogènes du fait de son système floral considéré comme très attirant pour les insectes (Valenzuela et Smith, 2002, Imrie, 2005). La mauvaise organisation des circuits de commercialisation et l’inexistence d’infrastructures de stockage des produits (Cissé et al., 1996) constitueraient autant de contraintes à la promotion du niébé. De plus, la plante, bien que rustique, semble très sensible aux poches de sécheresse qui peuvent être très néfastes durant la phase de floraison et de formation des gousses (Turk et al., 1980, Akyeampong, 1986).
LA SECHERESSE ET LE NIEBE
Concept de sécheresse
La notion de sécheresse recouvre souvent à la fois des stress thermiques et hydriques, qui induiraient tous deux des stress ioniques (Diouf, 2002).
Ces différents types de stress pourraient agir séparément ou en association. Le même auteur distingue la sécheresse climatique de la sécheresse agronomique. La première correspond à une baisse de la pluviométrie par rapport au régime normal déterminé à partir de séries pluriannuelles sur 30 ans au moins. La seconde repose sur la quantification des effets de la sécheresse sur la productivité des cultures. La réduction de la pluviométrie serait due, entre autres, à une réduction très nette de la longueur de la saison des pluies et/ou des absences de précipitations plus ou moins longues et prolongées. Ces derniers phénomènes sont les poches de sécheresse qui interviennent de façon imprévisible dans les environnements semi arides, zones de prédilection du niébé (Hall et Patel, 1987 ; Ludlow et Muchow, 1990). Une plante est considérée comme étant adaptée à la sécheresse lorsqu’elle montre la capacitè à croître dans une zone soumise périodiquement au stress hydrique en maintenant sa production à des niveaux acceptables (Do, 1994 ; Monneveux et This, 1997). En effet les plantes sont capables de mettre en œuvre des mécanismes qui leur permettent de vivre et de produire. Les différents mécanismes d’adaptation (Fig. 1) généralement notés chez les végétaux en conditions de sécheresse peuvent être scindés en 2 sortes : l’esquive et la tolérance. Les plantes qui esquivent la sécheresse ne la subissent pas, alors que celles qui ont subi la sécheresse et ont survécu semblent l’avoir toléré. La tolérance comprend : l’évitement et la tolérance proprement dite. L’esquive à la sécheresse caractériserait la capacité des plantes à réaliser leur cycle complet de développement avant l’expression d’un déficit hydrique important dans le sol. Les mécanismes d’esquive concernent par exemple la précocité chez les céréales et la briéveté du cycle pour les cultures pluviales en zones tropicales (Diop, 2002). L’évitement du déficit hydrique consisterait à maintenir un potentiel hydrique élevé dans les tissus. C’est une stratégie qui est expliqué comme résultant de l’augmentation de l’absorption d’eau par les racines et la réduction des pertes d’eau. Le premier mécanisme s’obtiendraitt par un système racinaire profond ou superficiel mais dense ou par une augmentation du diamétre des vaisseaux xylémiens (Levitt, 1980 ; Diouf, 2002). La réduction des pertes d’eau s’obtiendrait grâce à une réduction des surfaces évaporantes, une sénescence et une abscission précoce des feuilles, une fermeture des stomates et une protection des cuticules, une régulation stomatique ou par un changement du type métabolique photosynthétique (Louguet, 1984 ; Turner, 1986 ; Diouf, 2002).
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Table des matières
INTRODUCTION
CHAPITRE I : REVUE BIBLIOGRAPHIQUE
I-1 IMPORTANCE DU NIEBE DANS L’AGRICULTURE EN ZONE SAHELIENNE
I-2 LA SECHERESSE ET LE NIEBE
I-2-1 Concept de sécheresse
I-2-2 Réponses du niébé au déficit hydrique
– Réponses agromorphologiques
– Réponses physiologiques
– Autres types de réponses
I-3 AMELIORATION VARIETALE DE LA TOLERANCE A LA SECHERESSE DU NIEBE
I-3-1 Sélection classique
1-3-1-1 Les caractères considérés en sélection
1-3-1-2 Variabilité génétique des caractères à sélectionner
I-3-1-3 Analyse génétique des caractères
I-3-1-4 Acquis et limites de la sélection classique
I-3-2 Génétique moléculaire
I-3-2-1 La sélection assistée par marqueurs moléculaires (SAM)
I-3-2-2 Applications de la SAM chez le niébé
a – Cartes génétiques chez le niébé
b – Cartes de QTL chez le niébé
CHAPITRE II : MATERIEL ET METHODES
II-1 MATERIEL VEGETAL
II-2 METHODES
II-2-1 IDENTIFICATION DE CARACTERES DISCRIMINANTS CONTRIBUANT AU RENDEMENT EN CONDITIONS DE DEFICIT HYDRIQUE CHEZ LE NIEBE
II-2-1-1 Caractérisation agromorphologique et physiologique de 20 génotypes de niébé
Mise en culture
Facteurs étudiés
Dispositif expérimental
Caractères quantitatifs étudiés
Traitements et analyses des données
II-2-1-2 Caractérisation agromorphologique et physiologique de 5 génotypes de niébé
Conditions expérimentales
Facteurs étudiés
Dispositifs expérimentaux
Caractères quantitatifs étudiés
Traitements et analyses des données
II-2-2 CARACTERISATION AGROMORPHOLOGIQUE ET PHYSIOLOGIQUE D’UNE POPULATION DE LIGNEES RECOMBINANTES (RILs) EN F8
Mise en culture au champ
Facteurs étudiés
Dispositifs expérimentaux
Caractères quantitatifs étudiés
Traitements et analyses des données
II-2-3 ANALYSE MOLECULAIRE DE LA POPULATION DE 102 RILs AVEC DES MARQUEURS SSRs : APPROCHES DE CARTOGRAPHIE GENETIQUE ET DE DETECTION DE QTL
II-3-3-1 Analyse des marqueurs SSRs
Réaction de polymérisation en chaîne de l’ADN (PCR)
Analyse sur gel d’agarose des ADN génomiques des 2 variétés, Mouride et Bambey
Analyse sur séquenceur des ADN génomique des 2 variétés, Mouride et Bambey
Criblage de la population de lignées recombinantes avec les marqueurs SSRs
polymorphes sur gel de polyacrylamide
II-3-3-2 Liaison des marqueurs ségrégant avec les caractères quantitatifs d’intérêt
CHAPITRE III : RESULTATS
III-1 IDENTIFICATION DE CARACTERES DISCRIMINANT CONTRIBUANT AU RENDEMENT EN CONDITIONS DE DEFICIT HYDRIQUE CHEZ LE NIEBE
III-1-1 CARACTERISATION AGROMORPHOLOGIQUE ET PHYSIOLOGIQUE DE 20 GENOTYPES DE LA COLLECTION DE L’ISRA
III-1-1-1 Niveau de significativité des facteurs étudiés
III-1-1-2 Regroupement des 20 génotypes selon leur comportement phénotypique
– Choix de 5 génotypes en fonction du comportement agromorphologique en conditions de STR
III-1-1-3 Corrélation du rendement aux autres caractères quantitatifs étudiés (Test de Pearson)
III-1-1-4 Comparaison des comportements en conditions d’ETM et de STR : prévision des performances d’un génotype en conditions limitatives (Test de Spearman)
III-1-2 CARACTERISATION AGROMORPHOLOGIQUE DES 5 GENOTYPES CHOISIS
III-1-2-1 Niveau de significativité des facteurs étudiés
III-1-2-2 Corrélation du rendement aux autres caractères quantitatifs :Test de Pearson
III-1-2-3 Corrélation des comportements en conditions d’ETM et de STR :Test de Spearman
III-2 CARACTERISATION AGROMORPHOLOGIQUE ET PHYSIOLOGIQUE DE LA POPULATION DE 102 RILs EN F8
III-2-1 Mode de distribution des caractères étudiés dans les différents environnements
III-2 -2 Significativité des effets des facteurs étudiés : Analyses de variance
III-2-2-1 Essai 4 (environnements ETM et STR)
III-2-2-2 Essais 5 et 6 (environnements hivernage Bambey et Thilmakha)
III-2 -3 Corrélations génétiques
III-2 -3-1 Corrélation du rendement aux autres caractères
III-2-3-2 Corrélation du comportement en conditions STR à ceux dans les autres environnements
III-2 -4 Héritabilité du rendement et des caractères ciblés en conditions de STR
III-3 ANALYSE MOLECULAIRE DE LA POPULATION DE 102 RILs AVEC DES MARQUEURS SSRs : APPROCHES DE CARTOGRAPHIE GENETIQUE ET DE DETECTION DE QTL
III-3-1 Analyses de marqueurs SSRs avec les 2 variétés parentales, Mouride et Bambey 21 sur gel d’agarose
III-3-1-1 Analyse des 121 marqueurs SSRs du genre Vigna
III-3-1-2 Analyse de 12 marqueurs SSRs du genre Phaseolus
III-3-2 Analyses des marqueurs SSRs sur les 2 variétés Mouride et Bambey 21 avec la technique de révélation sur séquenceur
III-3-3 Criblage des marqueurs SSRs polymorphes sur la population de 102 RILs avec la technique de révélation sur gel de polyacrylamide
III-3-3-1 Analyse de 11 marqueurs SSRs polymorphes
III-3-3-2 Codification des 102 RILs avec les marqueurs SSRs ségrégant
III-3-4 Liaison du rendement et des caractères ciblés en conditions de STR avec les marqueurs ségrégant
IV- DISCUSSION
IV-1 : Identification de caractères explicatifs du rendement du niébé en conditions de déficit hydrique
IV-2 : Déterminisme génétique des caractères cibles et définition de bons critères de sélection pour la tolérance à la sécheresse du niébé
IV- 3 : Génotypage de la population de lignées recombinantes en F8 et ébauche d’analyse du déterminisme génomique des caractères cibles
CONCLUSION