Importance des productions jointes dans le secteur halieutique
A l’échelle mondiale, la majorité des pêcheries commerciales, artisanales et industrielles, sont caractérisées par des rejets et prises accessoires (Pascoe, 1997). Il existe néanmoins une confusion des termes et une grande variété d’interprétations parfois contradictoires du terme de prises accessoires. Le terme de rejet varie quant à lui selon les juridictions. Le Magnuson-Stevens Act des Etats-Unis (Section 3(2) 1996) assimile captures accessoires et rejets, tandis que certains travaux de la Commission Européenne (European Commission, 2002) définissent les rejets comme les espèces commerciales capturées, ramenées à bord et rejetées à la mer. Les espèces non commerciales ne sont donc pas incluses dans cette définition. La revue de littérature d’Alverson met en évidence trois sens différents pour le terme de captures ou prises accessoires (Alverson et al. 1994). Ce terme désigne dans certains cas la part des captures faite d’espèces non ciblées ou d’assemblages d’espèces, c’est-àdire les captures involontaires prises en ciblant des espèces particulières. Dans d’autres cas, il peut également désigner les rejets d’espèces ciblées et non ciblées. Le terme peut enfin être utilisé pour les rejets et les captures d’espèces non ciblées retenues. Les captures accidentelles sont un autre terme pour désigner parfois les captures d’espèces non ciblées retenues et parfois les captures d’espèces non désirées rejetées pour des raisons de réglementation par exemple. D’autres sources, pour éviter la confusion, se réfèrent aux captures retenues ou rejetées. Les captures retenues sont ensuite subdivisées en captures ciblées ou captures accidentelles (FAO, 1997). Le Newport National Industry Bycatch Workshop 1992 Oregon (McCaughran, 1992) propose la terminologie suivante adoptée dans le rapport d’Alverson et al.(1994): la capture ciblée désigne la capture d’une espèce ou d’un assemblage d’espèces d’abord recherchée par une pêcherie, la capture accidentelle se rapporte aux captures d’espèces non ciblées retenues, la capture rejetée correspond à la portion des captures qui retourne à la mer en fonction des considérations légales, économiques et personnelles, les captures accessoires sont les captures rejetées plus les captures accidentelles et les espèces interdites désignent toute espèce qui doit par règlement retourner à la mer.
Murawski (1990) souligne cependant l’imprécision de la notion de ciblage qui constitue un jugement de valeur : « Ce qui est capture accessoire aujourd’hui peut être ciblé demain ». Une catégorie peut passer de catégorie ciblée à catégorie accessoire en fonction de la taille, de la demande du marché ou des réglementations imposées par la gestion. La définition d’espèce cible dépend d’autre part de la pêcherie. Une espèce cible d’une pêcherie peut être une espèce accessoire d’une autre pêcherie. Par ailleurs, si la décision d’utiliser un engin est parfois fondée sur l’objectif de capture d’une espèce en particulier, il peut parfois ne pas y avoir de ciblage d’une espèce en particulier. Les décisions de pêche peuvent être fondées sur la valeur anticipée d’un complexe de captures, les choix étant faits d’après la composition de traits précédents ou d’après l’expérience collective. Dans ce cas, on ne définit pas à proprement parler une espèce cible.
Dans le cadre de cette thèse, nous utiliserons le terme de production jointe désirée pour désigner les catégories ciblées et les prises accessoires (captures accidentelles débarquées d’espèces ou tailles non ciblées), et le terme de rejet ou production jointe non désirée pour désigner les espèces ou tailles non ciblées et non désirées (Dewees et Ueber, 1990). Selon Nadiri (1987), la notion de productions jointes fait référence à deux cas de figure qui diffèrent par le nombre de processus de production en jeu. Dans un premier cas, les différents produits sont issus de plusieurs processus de production, la fonction de production n’est pas jointe, il s’agit d’un problème d’agrégation et non de productions jointes au sens strict. Dans un second cas, les différents produits proviennent du même processus de production, il existe un phénomène de jointure intrinsèque. Nous nous intéressons plus particulièrement, dans cette thèse, à ce deuxième cas, qui correspond à la définition plus restrictive des productions jointes retenue par Schefold (1987).
Les productions jointes résultent des caractéristiques de la fonction de production (fonction de prélèvement) et de la capacité limitée des pêcheurs à cibler une catégorie plutôt qu’une autre dans un écosystème multi-spécifique et multi-taille (Newton, 1995). L’utilisation d’engins de pêche peu sélectifs, dont le chalut de fond ou la drague sont des exemples typiques, pour cibler une espèce, un groupe d’espèces ou une catégorie en particulier engendre la capture d’une combinaison de catégories, d’espèces et de tailles différentes (Alverson et al., 1994). Les productions jointes peuvent être inter ou intra-spécifiques. Certaines de ces catégories, désirées, sont retenues et débarquées tandis que d’autres, non désirées, sont rejetées au cours d’une opération de tri des captures.
Les pêcheries mixtes , dont font partie les pêcheries chalutières démersales, sont caractéristiques de cette situation de productions jointes. Les problèmes de productions jointes se posent également dans les pêcheries mono-spécifiques (lorsqu’une seule espèce est capturée), quand la sélectivité intraspécifique est insuffisante et que deux catégories de la même espèce au moins sont capturées. Les productions jointes peuvent être mono-spécifiques ou pluri-spécifiques.
Le problème des engins de pêche peu sélectifs n’est pas anecdotique. Ainsi la production française des chalutiers exclusifs et non exclusifs de Mer du Nord, Manche, Atlantique représente 68% des débarquements nationaux (hors flottilles tropicales) en valeur en 2003 et atteint 73% des débarquements en valeur lorsque sont ajoutés les dragueurs (Daurès et al., 2003). Les arts traînants peu sélectifs (chalut, drague) engendrent une quantité considérable de prises accessoires et de rejets dont la mortalité est très élevée. Au niveau mondial, l’ampleur des captures accessoires est considérable et le rejet d’une partie de ces captures après chaque opération de pêche est une pratique courante. La FAO estime qu’environ 8% des captures mondiales en poids sont rejetées annuellement soit 7,3 millions de tonnes de rejet par an (Kelleher, 2005). Il existe cependant des incertitudes importantes sur ces niveaux de rejet et sur leur variabilité, qui rendent difficile leur évaluation. Aussi la FAO a-t-elle revu ses évaluations de façon drastique. En 1994, Alverson et ses collaborateurs avaient estimé, en s’appuyant sur des séries de données de 1980 au début des années 1990, que le niveau de rejets dans le monde pour les pêcheries commerciales se situait entre 17,9 et 35,5 millions de tonnes par an. La meilleure estimation se situait autour de 27 millions de tonnes rejetées par an, c’est-à-dire que les rejets représentaient environ un quart des captures totales et un tiers des captures destinées à la consommation humaine (Alverson et al., 1994). En 1997, la FAO a revu à la baisse la quantité de poissons rejetés, l’estimant à environ 20 millions de tonnes par an (FAO, 1997), pour 83 millions de tonnes débarquées (FAO, 1996). L’estimation de Kelleher (2005) est donc considérablement plus faible que les estimations précédentes. Outre les différences méthodologiques d’évaluation, la réduction des rejets est attribuée à l’adoption d’engins de pêche plus sélectifs et à de meilleures pratiques de pêche qui permettent de limiter les captures accessoires, au déclin de certaines pêcheries à fort rejet mais surtout au plus fort taux de rétention des captures. Des poissons autrefois rejetés sont aujourd’hui retenus notamment pour servir de farine pour l’aquaculture dans l’Asie du Sud-est et en Europe.
La question de la quantification des rejets n’est pas évidente comme l’illustrent les propos qui précèdent. Elle constitue pourtant un enjeu majeur pour l’évaluation des stocks d’une part, mais également en termes de gestion et d’efficacité. L’évaluation des rejets fait ainsi l’objet depuis 2000, d’un vaste programme de collecte de données mis en place par l’Union Européenne (EC No 1543/2000). Le protocole s’appuie sur une évaluation par pêcherie, plus pertinente qu’une estimation des quantités globales parce qu’elle tient compte de la variabilité des pratiques de rejet en fonction des flottilles, des engins et des zones (Kelleher, 2005). S’il semble que les rejets aient diminué ces dernières années au niveau mondial, cette tendance n’est pas vérifiée pour toutes les pêcheries et pour toutes les zones (Kelleher, 2005). L’évaluation par pêcherie fait apparaître qu’il existe encore de forts taux de rejet dans certaines d’entre elles (jusqu’à 96% des captures rejetées dans certaines pêcheries chalutières crevettières et jusqu’à 83% des captures rejetées dans certaines pêcheries chalutières démersales) (Kelleher, 2005). Les rejets représentent 43% en poids des captures totales de langoustines dans les pêcheries de langoustines ciblant le stock de mer du Nord (Catchpole et al., 2005) et 70% du nombre total d’individus capturés dans la pêcherie chalutière à crustacés portugaise (Fonseca et al., 2005). Le taux de rejet de langoustines de la pêcherie chalutière langoustinière du golfe de Gascogne fluctue entre 41% et 65% (en nombre d’individus) sur la période de 1987 à 2005 (ICES, 2006) avec un taux de mortalité de 70% (Guéguen et Charuau, 1975). Les pêcheries chalutières à langoustines rejettent également d’autres espèces: crustacés et échinodermes dans le cas des pêcheries du Royaume-Uni (Bergmann et al., 2002); merlans en Mer du Nord (Catchpole et al., 2005b); merlu, baudroies, cardines dans le golfe de Gascogne (Talidec et al., 2005).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
1. IMPORTANCE DES PRODUCTIONS JOINTES DANS LE SECTEUR HALIEUTIQUE
2. PRODUCTIONS JOINTES ET CALCUL ECONOMIQUE PRIVE
3. EXTERNALITES ET MESURES DE GESTION EN L’ABSENCE DE PRODUCTIONS JOINTES
4. PRODUCTIONS JOINTES ET EXTERNALITES DANS LE SECTEUR HALIEUTIQUE
5. LE CAS D’APPLICATION : LA PECHERIE CHALUTIERE LANGOUSTINIERE DU GOLFE DE GASCOGNE
6. PROBLEMATIQUE ET PLAN
PARTIE 1 PROCESSUS DE PRODUCTION UTILISANT DES ENGINS DE PECHE PEU SELECTIFS : LE CAS DE LA FLOTTILLE CHALUTIERE LANGOUSTINIERE DU GOLFE DE GASCOGNE
CHAPITRE 1 : LA FONCTION DE CAPTURE
1. INTRODUCTION
2. CARACTERISATION DE LA FLOTTILLE LANGOUSTINIERE DU GOLFE DE GASCOGNE
3. STRATEGIES DE PECHE DE LA FLOTTILLE LANGOUSTINIERE A COURT TERME
4. EVOLUTIONS A LONG TERME DE LA FLOTTILLE CHALUTIERE LANGOUSTINIERE DU GOLFE DE GASCOGNE69
5. CARACTERISATION DES PRODUCTIONS JOINTES
6. DISCUSSION ET CONCLUSIONS DU CHAPITRE 1
CHAPITRE 2 : REJETS ET COMPORTEMENTS DE TRI
1. INTRODUCTION
2. IMPORTANCE DU PHENOMENE DES REJETS DANS LA PECHERIE LANGOUSTINIERE
3. REVUE DE LITTERATURE DES MODELES MICROECONOMIQUES DE REJET
4. MISE EN EVIDENCE EMPIRIQUE DES FACTEURS DE REJETS
5. FONCTION DE TRI ET COUTS DE TRI
6. MODELE MICROECONOMIQUE DE COMPORTEMENT DE TRI DES CAPTURES
7. APPLICATION AUX COMPORTEMENTS DE TRI DES NAVIRES DE LA FLOTTILLE LANGOUSTINIERE DU GOLFE DE GASCOGNE
8. DISCUSSION ET CONCLUSIONS DU CHAPITRE 2
PARTIE 2 ANALYSE BIO-ECONOMIQUE DES MESURES DE GESTION PERMETTANT DE LIMITER LES EFFETS EXTERNES NEGATIFS DES PRODUCTIONS JOINTES
CHAPITRE 3: RENTABILITE SOCIALE ET PRIVEE DE LA SELECTIVITE ET EQUILIBRE OPTIMAL DE LA PECHERIE, UN MODELE BIO-ECONOMIQUE SIMPLIFIE
1. INTRODUCTION
2. HYPOTHESES DU MODELE
3. IMPACTS D’UNE AMELIORATION DE LA SELECTIVITE SUR LES CAPTURES ET LA VALEUR DEBARQUEE
4. EQUILIBRE OPTIMAL DE LA PECHERIE
5. RENTABILITE SOCIALE ET RENTABILITE PRIVEE DE LA SELECTIVITE
6. DISCUSSION ET CONCLUSIONS DU CHAPITRE 3
CHAPITRE 4 – ANALYSE COUT-BENEFICE D’UNE AMELIORATION DE LA SELECTIVITE DANS LA PECHERIE LANGOUSTINIERE DU GOLFE DE GASCOGNE
1. INTRODUCTION
2. LE MODELE BIO-ECONOMIQUE DE SIMULATION
3. ANALYSE COUT-BENEFICE DE MESURES D’AMELIORATION DU DIAGRAMME D’EXPLOITATION DE LA LANGOUSTINE
4. PRISE EN COMPTE DES DYNAMIQUES D’INVESTISSEMENT ET AUGMENTATION DE LA CAPTURABILITE
5. PRISE EN COMPTE DES MODIFICATIONS DE COMPORTEMENT DE REJET EN REPONSE A UNE AMELIORATION DE LA SELECTIVITE
6. DISCUSSION ET CONCLUSIONS DU CHAPITRE 4
CHAPITRE 5 – PRODUCTIONS JOINTES ET TECHNIQUE DE PECHE ALTERNATIVE
1. INTRODUCTION
2. ESTIMATION DU COUT SOCIAL DES REJETS DE LANGOUSTINES ET MERLUS SOUS-TAILLE PAR LA FLOTTILLE CHALUTIERE LANGOUSTINIERE DU GOLFE DE GASCOGNE
3. LE CASIER A LANGOUSTINE COMME TECHNIQUE DE PECHE ALTERNATIVE AU CHALUT DE FOND : UNE ANALYSE COMPARATIVE
4. ATTRACTIVITE DES METIERS ET INCITATIONS AU CHANGEMENT DE TECHNIQUE DE PECHE : DU CHALUT AU CASIER
5. ANALYSE DES BENEFICES A LONG TERME DE L’ADOPTION D’UN ENGIN DE PECHE ALTERNATIF AU CHALUT
6. DISCUSSION ET CONCLUSIONS DU CHAPITRE 5
CONCLUSION GENERALE
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
TABLE DES ANNEXES