Importance des petits pélagiques en Afrique de l’Ouest
Les pays de l’Afrique de l’Ouest, du Maroc au Nigéria, sont dotés de ressources pélagiques parmi les plus importantes au monde. La zone nord-ouest africaine a une productivité biologique élevée attribuée à l’upwelling côtier permanent ou saisonnier et à l’existence d’estuaires et archipels océaniques (les îles du Cap-Vert). Dans cette zone, les poissons pélagiques côtiers constituent, en tonnage débarqué, les ressources marines les plus importantes et partagées du fait de leur comportement migratoire. Au Sénégal et en Gambie, les clupéidés sont principalement représentés par les deux espèces de sardinelles (Sardinella aurita et Sardinella maderensis) et le bonga ou l’éthmalose (Ethmalosa fimbriata) qui vivent dans les estuaires et les zones côtières. Les sardinelles sont considérées comme les espèces pélagiques les plus représentatives au Sénégal. Les carangidés exploités dans la zone sont le chinchard noir (Trachurus trecae) et le chinchard jaune (Decapterus rhonchus). Le maquereau espagnol (Scomber japonicus) signalé sur toute la côte Ouest Africaine fait l’objet de captures insignifiantes. Parmi les espèces capturées secondairement dans les pêcheries pélagiques côtières, on peut citer : le pelon (Brachydeuterus auritus), le plat-plat (Chloroscombrus chrysurus), la ceinture ou poisson sabre (Trichiurus lepturus). Ces ressources pélagiques suivent un schéma migratoire dans l’espace CCLME (Canary Current Large Marine Ecosystem) située entre le Sud du Sénégal et le Nord du Maroc (Figure 1-1). Il s’agit donc de ressources partagées dont la gestion s’effectue à un niveau régional dans le cadre du Groupe de Travail COPACE (Comité des Pêches de l’Atlantique Centre – Est) qui se réunit chaque année sous la tutelle de la FAO. Les données les plus récentes font état d’une surexploitation du stock de sardinelle ronde Sardinella aurita et du chinchard noir Trachurus trecae, tout comme probablement celui de la sardinelle plate Sardinella maderensis. De même, le stock de chinchard blanc Trachurus trachurus et de maquereau Scomber japonicus est pleinement exploité (FAO 2016). Ces conclusions se fondent, pour une bonne partie, sur les évaluations acoustiques qui sont entreprises depuis plusieurs décennies, par l’Union soviétique dans le passé, les navires de recherche de la Norvège (‘RV Dr Fridtjof Nansen’), et plus récemment, par les navires nationaux offerts par la coopération japonaise (N/O Itaf Deme du Sénégal, N/O Al Awam de la Mauritanie, N/O Al Amir du Maroc).
A l’échelle spécifique du Sénégal, les ressources halieutiques constituent un pilier de la politique de l’État en matière de sécurité alimentaire en couvrant près de 75% des besoins en protéines d’origine animale des populations sénégalaises, parmi celles-ci les ressources pélagiques côtières en occupent une place de premier plan et sont constituées principalement de sardinelles, chinchards, maquereaux et éthmaloses. En moyenne, elles représentent selon les années, près de 70 à 80 % des prises réalisées (Ba et al., 2017). Elles dominent dans les captures et constituent les ressources les plus abondantes. L’exploitation de ces ressources est assurée à la fois par des flottilles de pêche artisanale et industrielle même si les débarquements les plus importants de pélagiques côtiers sont le fait de la pêche artisanale.
Parmi les diverses populations de pélagiques présentes au Sénégal, les deux sardinelles occupent une place de choix et leurs biomasses estimées dans les campagnes pélagiques représentent très souvent à elles seules plus de la moitié de la biomasse totale des petits pélagiques au Sénégal). A titre indicatif, la dernière campagne effectuée en novembre 2015 au Sénégal par le ‘RV Dr Fridtjof Nansen’ fait état d’une biomasse totale de 370 000 tonnes de sardinelles, 138 000 tonnes de chinchards et 454 000 tonnes de carangidés et associés (Toresen et al, 2015) et le récapitule les estimations de biomasses sur les trente-cinq dernières années par le ‘RV Dr Fridtjof Nansen’ sur la zone sénégambienne (espace Sénégalo-Gambien).
La série illustre l’importance des deux sardinelles au Sénégal. Ceci explique que plusieurs études soient portées sur leur biologie (Conand, 1977 ; Boëly et al., 1982 ; Camarena-Lurhs, 1986 ; Fréon , 1988 ; Diouf et al., 2010 et Samba, 2011) et leur répartition géographique (Boëly et al, 1979, Bouaziz A., 2007). Dans le cadre de ce travail, on fera très souvent référence aux deux sardinelles vue leur place dans l’écosystème pélagique sénégalais. Le chapitre 2 reviendra en détail aussi bien sur leur dynamique et distribution spatiale ainsi que la dynamique des pêcheries qui les exploitent et leurs schémas migratoires. Du point de vue économique, notons qu’au Sénégal la pêche constitue le premier secteur de l’économie nationale pourvoyeur de devises étrangères (environ 200 milliards de FCFA de recettes générées par an, soit 30% des recettes totales d’exportation), d’emplois (environ 600 000 personnes, soit 15% de la population totale active) et de protéines animales. Ces performances économiques et sociales sont dues en grande partie à la pêche artisanale qui est à l’origine de plus de 80% de la production nationale (350 000 tonnes) provenant essentiellement du segment pélagique (Ba et al., 2017).
Contexte bio-écologique et habitats des petits pélagiques
Topographie de la région nord-ouest africaine
Les vastes plateaux et les montagnes de l’Atlas, au Maroc, constituent la région la plus élevée, avec des sommets atteignant entre 3 000 et 4 000 mètres au-dessus du niveau de la mer, et longent l’Atlantique. Ils sont séparés du littoral par une étroite plaine qui se prolonge au sud dans les vastes étendues de terres basses de la zone sahélienne.
Apparaissent ensuite les affleurements montagneux de la Mauritanie et quelques collines peu élevées dans le sud-est du Sénégal, dont le point culminant, près de Nepen Diakha, atteint 581 mètres au-dessus du niveau de la mer. La topographie côtière du delta du Sine Saloum, plus au sud, se caractérise par une faible altitude et un nombre croissant de plaines inondables vers le sud. Ensuite, la Gambie est presque entièrement composée de plaines alluviales flanquées de collines basses atteignant une altitude maximale de 53 mètres au-dessus du niveau de la mer. Le nord de la Guinée-Bissau est également dominé par des plaines côtières basses ne dépassant pas 300 mètres au-dessus du niveau de la mer et recouvertes de savanes. Les îles du Cabo Verde et les îles Canaries ont au contraire un relief escarpé et accidenté, caractérisé par des roches volcaniques (FAO, 2015).
Géomorphologie du plateau continental sénégalais
La nature du sédiment de fond conditionne la répartition des espèces, certaines étant associées à des fonds sableux, d’autres à des fonds rocheux ou encore boueux. Les côtes sénégalaises sont principalement orientées nord-sud. Avec une ouverture sur l’Océan Atlantique centre-est, le Sénégal bénéficie d’un littoral marqué par la presqu’île du CapVert qui forme l’extrémité occidentale du continent à la pointe des Almadies, avec des îles (Gorée, Ngor), des îlots (les Madeleines) et une ample baie (Hann). Les côtes sénégalaises sont caractérisées par une grande diversité morphologique (Figure 1-2). La presqu’île du Cap-Vert la divise en trois grandes zones qui sont, du nord au sud (Domain, 1980) :
❖ La Grande Côte qui est une zone dunaire avec un hinterland occupé par une frange côtière à forte activité agricole (les Niayes). Cette zone, fortement marquée par le delta du fleuve Sénégal, se prolonge vers le nord par la côte sud mauritanienne qui présente le même biotope. Dans cette zone, le littoral est principalement sableux avec un relief peu marqué, caractérisé essentiellement par des massifs dunaires.
❖ La presqu’île du Cap-Vert, d’orientation est-ouest, est une zone à côte escarpée bordée de falaises, d’îles et de quelques plages sableuses.
❖ La Petite Côte et la Casamance forment une zone basse au sud, d’abord sableuse jusqu’à Joal, puis parsemée d’embouchures de fleuves (les fleuves Sine-Saloum, Gambie et Casamance et les rivières du sud) marquées par la mangrove.
Le plateau continental est limité par l’isobathe des 200 m (Domain, 1980). Sa superficie est de l’ordre de 28 700 km2 . De 27 milles nautiques au large de Saint Louis, il se réduit à 5 milles au niveau de la presqu’île du Cap-Vert. Au sud du Cap-Vert, le plateau continental s’élargit progressivement pour atteindre 87 miles nautiques au niveau de la Casamance. Cet élargissement notable du plateau au sud de Dakar est d’un impact important sur les évaluations des ressources de poissons par les navires scientifiques, comme on le verra plus loin. Globalement, le plateau continental sénégalais est peu accidenté, avec toutefois, quelques canyons sous marins dont le plus important sur la côte nord est la fosse de Kayar. Il existe également deux falaises sous-marines au sud de la presqu’île du Cap-Vert à 45 et 70 m de profondeur. La pente du plateau est assez douce jusqu’à l’isobathe 60 m et s’accentue par la suite.
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Table des matières
Introduction
1 Chapitre I : Contexte général
1.1 Importance des petits pélagiques en Afrique de l’Ouest
1.2 Contexte bio-écologique et habitats des petits pélagiques
1.2.1 Topographie de la région nord-ouest africaine
1.2.2 Géomorphologie du plateau continental sénégalais
1.2.3 Hydrologie du plateau continental
1.2.4 Caractéristiques du milieu estuarien
1.2.5 Evolution des facteurs environnementaux
1.2.6 bio-écologie des sardinelles de la zone nord-ouest africaine
1.3. Suivi des stocks de petits pélagiques en Afrique occidentale : historique des campagnes hydroacoustiques et développements récents
1.3.1. L’outil acoustique comme moyen de suivi des stocks de poissons pélagiques
1.3.2. Historique des campagnes hydroacoustiques au Sénégal
1.3.3. Harmonisation des resultats acoustiques issus des navires de la région
1.3.3.1. Les intercalibrations de navires d’évaluation de stock en Afrique du Nord Ouest
1.3.3.2. L’intercalibration de 2015 entre les navires Fridtjof Nansen et Itaf Deme
1.3.3.3. L’harmonisation dans l’interprétation des échogrammes
1.4. Conclusion
2. Chapitre 2 : Dynamique et distribution spatiale des ressources pélagiques en Afrique de l’Ouest et évulation direct par acoustique
2.1. Répartition et schémas migratoires des deux sardinelles
2.1.1. Schémas migratoires de Sardinella aurita
2.1.2. Schémas migratoires de Sardinella maderensis
2.2. Les ressources pélagiques en Afrique de l’Ouest, potentialités, pêcheries et exploitation
2.2.1. Flottilles en œuvre du Maroc au Senegal
2.2.2. Débarquements
2.3. Dynamique des pêcheries de sardinelles au Sénégal
2.3.1. Effort de pêche des flottilles ciblant les sardinelles
2.3.2. Evolution des débarquements de sardinelles
2.3.3. Indicateurs de l’état d’exploitation des sardinelles
2.4. Evaluation des stocks de petits pélagiques par acoustique
2.4.1. Calcul des biomasses lors des campagnes du N/O Itaf Déme et du N/O Fridtjof Nansen
2.4.2. Variabilité spatiale et temporelle de la biomasse de petits pélagiques en Afrique de l’Ouest
2.5. Améliorations nécessaires sur les évaluations par campagnes acoustiques
2.5.1. Comparabilité des résultats de campagnes acoustiques dans la région
2.5.2. Incertitudes sur les valeurs de TS (Target Strength) utilisées
2.5.2.1. Tentatives de réactualisation du TS en 2007 à Nouadibou
2.5.2.2. Tentatives de réactualisation du TS en 2015 au Maroc
2.5.3. Représentativité des campagnes acoustiques par rapport aux stocks ciblés
2.5.3.1. Contexte
2.5.3.2. Spatial distribution of main clupeid species in relation to acoustic assessment surveys in the continental shelves of Senegal and The Gambia
2.6. Conclusion
3. Chapitre 3. Impact du changement climatique sur la distribution des petits pélagiques en Afrique de l’Ouest
3.1. Contexte de l’étude
3.2. Intense warming causes a spatial shift of small pelagic fish: early warning for food security in North-West Africa
3.3. Déplacement du barycentre des biomasses de sardinelles depuis 1995
3.4. Les observations supplémentaires du décalage latitudinal de la sardinelle ronde
3.4.1. Résultats des campagnes acoustiques du navire marocain
3.4.2. Evolution des captures de sardinelles de la flotte russe au Maroc
3.4.3. Changement de comportement des pêcheurs sénégalais
3.5. Conclusions
4. Conclusion générale, discussions et perspectives d’études
4.1. Rappel d’éléments de contexte
4.2. Conclusion générale, discussions et apports de cette thèse
4.3. Perspectives d’étude sur la variabilité du micronecton
4.3.1. Introduction : Les couches diffusantes
4.3.2. Méthodes
4.3.2.1. Compilation des données disponibles
4.3.2.2. Outil de traitement
4.3.3. Résultats
4.4. Perspectives générales d’études
Conclusion
5. Liste des références bibliographiques
6. Annexes