Importance des classifications dans la vie quotidienne et dans l’activité scientifique

Le terme « végétal » est l’objet de références quotidiennes que l’on évoque à l’occasion de discussions diverses sur l’agriculture, les marées vertes bretonnes, ou encore lors d’une promenade en forêt ou durant le jardinage dominical… Ce concept quotidien est fortement imprégné du sens commun, faisant des végétaux des organismes verts et immobiles. Sur le plan scientifique, le développement de la biologie a engendré une diversité de questions et a rendu le concept de végétal fortement polysémique. Selon les disciplines biologiques, le terme « végétal » renvoie à une multiplicité de concepts, c’est-à-dire de constructions humaines répondant à des problèmes différents. Ainsi, le concept de végétal n’a pas la même signification selon le positionnement que l’on adopte : le point de vue de la systématique, interrogeant les liens de parenté au sein du vivant (phylogénie), le point de vue fonctionnel (biochimie, physiologie, écologie) ou encore le point de vue structural (biologie cellulaire, anatomie). Il ne réfère pas aux mêmes espèces.

Importance des classifications dans la vie quotidienne et dans l’activité scientifique

Classer est une activité quotidienne permettant de faire face à la colossale diversité d’objets et de processus (Mayr & Bock, 2002; Reydon, 2013). Pour mettre en ordre cette diversité, nous classons par exemple les ouvrages dans une bibliothèque, les produits au supermarché ou encore les différents types d’activité tellurique : tremblement de terre, éruption volcanique, inondation, glissement de terrain, etc. Les classifications sont donc ubiquistes dans notre vie quotidienne parce qu’elles permettent d’appréhender et d’embrasser une diversité d’objet auxquels elles donnent une cohérence synthétique.

L’activité classificatoire est également au cœur de l’activité scientifique. Pour l’historien Alistair C. Crombie (1994), la classification (ou mise en ordre taxinomique ) constitue l’un des six styles fondamentaux de la pensée scientifique de la science occidentale (Gayon, 2001; Hacking, 1992; Henderson, MacPherson, Osborne, & Wild, 2015). Le philosophe David Hull (1986, p. 163) considère que «la classification est l’un des aspects les plus fondamentaux de la science. Aucun scientifique n’y échappe : ou bien il doit établir une classification dans le domaine qu’il étudie, ou bien il utilise une classification élaborée par un autre. C’est bien parce qu’elle est fondamentale pour la science que la classification ne cesse de prêter à controverse ».

Henri Poincaré va jusqu’à considérer que la science elle-même est une classification, au sens d’un système de mise en relations, « une façon de rapprocher des faits que les apparences séparaient, bien qu’ils fussent liés par quelque parenté naturelle et cachée » (Poincaré, 1905, p. 265).

La classification des êtres vivants nous préoccupe depuis l’Antiquité. Pascal Tassy explique que : « Dans la pensée occidentale, Aristote [4e siècle avant notre ère] a joué un rôle de pionnier : il a su expliciter les fondements d’une classification rationnelle des êtres vivants tout en construisant un système des animaux » (Tassy, 2005/2014, p. 100). D’après Jean Gayon (2001, p. 101), la classification a constitué, du XVIe au XVIIIe siècle, une méthode dominante en histoire naturelle, ainsi d’ailleurs que l’enjeu d’âpres controverses.

Si le mode de raisonnement classificatoire reste très présent dans les sciences biologiques, il l’est également dans les autres disciplines qui catégorisent leurs objets d’étude. En médecine, les pathologies sont classées avec « pour but de distinguer et de séparer pour réduire la contagion et la mortalité » (Debru, 2009, p. 166). En chimie, la classification périodique regroupe les éléments chimiques selon le partage de caractéristiques atomiques et de propriétés réactionnelles (Reydon, 2013). En astronomie, les objets célestes se classent en différents groupes : étoile, planète, satellite, astéroïde, etc. La liste des exemples de classifications dans les différents champs disciplinaires est très étendue tant les classifications restent omniprésentes en science.

Cependant, certains auteurs proposent d’introduire une distinction entre les processus de classification et de catégorisation, marquant ainsi l’existence de différents degrés dans l’acte de classer. Ainsi Claude Debru (2009) définit la catégorisation comme « le regroupement d’objets en diverses catégories fondées chacune sur un critère particulier sans relations aux autres ».

Toute classification se constitue à partir de principes communs : l’établissement d’ensembles (qu’ils soient nommés classes, taxons ou groupes) selon des attributs partagés. Debru précise que « en général ces classes doivent être distinctes. Elles doivent reposer sur des discontinuités, et mieux les révéler » (2009, p. 170). Les classes sont organisées le plus souvent de manière hiérarchique (Mayr, 1968), se traduisant par l’emboîtement de groupes. Afin de poursuivre l’exemple cité précédemment, la classe ‘planètes’ se subdivise en deux autres classes : ‘planètes telluriques’ et ‘planètes gazeuses’. Claude Debru (2009) distingue les activités de création de classes et leur hiérarchisation, en reprenant une distinction proposée par Griffiths . Si la plupart des classifications présente un emboîtement lié à l’existence de plusieurs niveaux hiérarchiques, il n’en est pas toujours ainsi. Ainsi une classification alphabétique dans une bibliothèque ne se traduit pas par un emboîtement. En biologie, certaines classifications ont été linéaires mettant en jeu une Échelle des Êtres, telle que celle de Charles Bonnet en 1745, dans un cadre de pensée fixiste.

La pluralité des classifications biologiques

Notre thèse se positionne à contre-pied du mythe de l’existence d’une classification unique du vivant. Nous entendons développer les grands types de classifications en biologie (principalement phylogénétique et fonctionnelle) et, en premier lieu, montrer qu’une classification reste une construction humaine élaborée dans un cadre théorique donné.

Les classifications sont des concepts humains reposant sur des bases théoriques

Une question vive a été l’objet de débats au cours du XVIIIe siècle : celui de l’opposition entre les classifications artificielle et naturelle des êtres vivants. Cette opposition nous semble importante à présenter succinctement. Nous proposons un bref historique qui permettra ensuite de nous questionner sur les fondements épistémologiques de la classification.

Classifications artificielle et naturelle
Les XVIIe et XVIIIe siècles sont marqués par l’essor des « systèmes et méthodes», termes qualifiant les classifications de cette époque. La première méthode botanique définie sur la base de la forme de la fleur, du fruit, et sur le nombre des graines est attribuée à Andrea Cesalpino en 1583 . Une méthode est « une classification utilisant à chaque subdivision le caractère « le plus répandu, le plus constant ou le plus commode », sans principe préalablement établi, le but recherché étant à la fois une présentation didactique et un regroupement effectif des plantes les plus ressemblantes » (Patrick, 1986, p. 55). Hervé Le Guyader (1986, p. 73) cite le célèbre botaniste Michel Adanson (1763) pour lequel « la méthode ne diffère du système que par l’idée que l’auteur attache à ses principes, en les regardant comme variables dans la méthode, et comme absolus dans le système ».

Classifications et choix théoriques
Pierre Deleporte explique que : « une erreur philosophique classique du positivisme logique (Rieppel, 2005/2014) consistait à considérer que les caractéristiques des objets réels nous sont « données » de manière évidente, directement par les sens » (Deleporte, 2005/2014, p. 70). Ce positionnement est celui « des partisans de l’existence de classes évidentes », qui « considèrent qu’un ordre naturel est donné à contempler » (Ibid., p. 73). Il s’oppose à un positionnement philosophique rationaliste de l’activité scientifique pour lequel la biodiversité est « un grand désordre qu’il faut ordonner par nous-mêmes en essayant de l’expliquer. Ceci n’est faisable que dans un cadre théorique donné, qui dictera les raisons et les règles de la mise en ordre » (Ibid., p. 73). Ainsi établir une classification scientifique implique de faire des choix qui justifient la nature des caractères ou propriétés utilisés pour établir des regroupements .

Denise Orange-Ravachol (2007, p. 56) ajoute que « les critères de classification ne sont pas « donnés », autrement dit portés à la manière d’étiquettes par les êtres vivants : leur détermination/construction participe à toute élaboration classificatoire». Les classifications sont des concepts humains pouvant être conçues de différentes manières. Le lien qui unit un type de classification avec son cahier des charges correspond à l’usage que l’on veut en faire .

D’autres auteurs, comme E. Mayr et W.J. Bock (2002), explicitent également la diversité des classifications existant en biologie, chaque discipline classant ses objets d’étude, qu’il s’agisse des communautés, des organes, des tissus ou des cellules. Ainsi toutes les classifications biologiques ne sont pas évolutives.

« In biology, classifications exist of living organisms, but also of organ, cell and tissue types of diverse organisms, of ecological communities, etc. These classifications are not all of the same type; hence, ‘biological classification’ is not a single concept. Not all biological classifications are evolutionary classifications of organisms, as is all too often erroneously assumed by biologists and philosophers alike » (Ibid., p. 170), c’est nous qui soulignons.

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Table des matières

INTRODUCTION
CHAPITRE 1 : LES ENJEUX DE LA RECHERCHE
1. UNITÉ ET DIVERSITÉ DES CLASSIFICATIONS
1.1. Importance des classifications dans la vie quotidienne et dans l’activité scientifique
1.2. La pluralité des classifications biologiques
2. LES VÉGÉTAUX : UN CONCEPT AUX MULTIPLES VISAGES
2.1. Les végétaux dans les classifications fonctionnelles
2.2. Les végétaux dans la classification phylogénétique actuelle
2.3. Les végétaux, un concept issu d’une histoire scientifique et sociale
2.4. Le concept de végétal selon les disciplines biologiques et les problèmes travaillés
3. LE PUBLIC ÉTUDIÉ
3.1. Les raisons du choix du public
3.2. Une recherche positionnée autour d’une réforme de la formation et du recrutement des enseignants
4. FÉCONDITÉ D’UNE APPROCHE HISTORIQUE AU NIVEAU DIDACTIQUE
4.1. L’histoire des sciences comme moyen d’éclairer les difficultés des apprenants
4.2. L’histoire des sciences comme source de problèmes féconds permettant d’élaborer un parcours d’apprentissage
4.3. L’histoire des sciences comme approche de la nature de la science
5. LE CADRE MÉTHODOLOGIQUE DE LA RECONSTRUCTION DIDACTIQUE FONDÉE SUR L’HISTOIRE DES SCIENCES ET SON ADAPTATION À NOTRE RECHERCHE
5.1. Présentation du cadre méthodologique
5.2. Pourquoi mobiliser ce cadre méthodologique dans notre recherche ?
5.3. Adaptation du cadre à nos positionnements théoriques spécifiques et à nos objectifs
6. PROBLÉMATIQUE ET PREMIÈRE FORMULATION DES QUESTIONS DE RECHERCHE
6.1. Problématique de la thèse
6.2. Première formulation des questions de recherche
CHAPITRE 2 : ENQUÊTE DIDACTIQUE SUR LES CONCEPTIONS DES VÉGÉTAUX
1. POSITIONNEMENT THÉORIQUE SUR LES CONCEPTIONS DES APPRENANTS
1.1. La notion de conception en didactique des sciences
1.2. Conceptions et obstacles épistémologiques
1.3. Les conceptions : des constructions des chercheurs
1.4. Bilan sur notre position concernant la notion de conception
2. NOUVELLE FORMULATION DES QUESTIONS DE RECHERCHE
2.1. Identification des conceptions des végétaux dans le cadre d’une situation ouverte de classification, de leurs modes de fonctionnement et de leurs origines possibles
2.2. Étude des logiques de réponses en fonction des situations et de leur articulation entre classification fonctionnelle et phylogénétique
3. MÉTHODOLOGIE
3.1. Méthodologie de recueil des données par questionnaire
3.2. Méthodologie d’analyse des conceptions dans le cadre d’une situation ouverte de classification
3.3. Méthodologie d’analyse de la relation entre les logiques de réponses et les types de classification
3.4. Synthèse de la méthodologie mise en œuvre
4. RÉSULTATS ET DISCUSSION
4.1. Résultats concernant les conceptions des végétaux dans une situation ouverte de classification (QR1)
4.2. Résultats concernant la relation entre les logiques de réponses et les situations de classification (QR2)
5. CONCLUSION DE L’ENQUÊTE DIDACTIQUE
CHAPITRE 3 : ÉTUDE HISTORIQUE DE LA NATURE DU GROUPE DES VÉGÉTAUX DANS LA SYSTÉMATIQUE DU VIVANT
1. REFORMULATION DES QUESTIONS DE RECHERCHE À LA LUEUR DES RÉSULTATS DE L’ENQUÊTE DIDACTIQUE
1.1. Bilan de l’enquête didactique, source de questions posées à la sphère historique
1.2. Nouvelle formulation des questions de recherche
2. LES CHANGEMENTS TAXONOMIQUES SUCCESSIFS ET LEURS CONSÉQUENCES SUR LA NATURE DU GROUPE DES VÉGÉTAUX
2.1. Le problème de la place des unicellulaires dans la classification : la fin du système à deux règnes du vivant
2.2. Le problème de l’importance accordée aux modes de nutrition : un cinquième règne du vivant
2.3. Conclusion relative à l’évolution du groupe des végétaux dans la systématique du vivant
3. LES OBSTACLES ÉPISTÉMOLOGIQUES ET LEUR INFLUENCE DANS LA SYSTÉMATIQUE
3.1. La pensée catégorielle
3.2. Le macrocentrisme
3.3. Le gradisme
3.4. L’essentialisme
4. CONCLUSION DE L’ÉTUDE HISTORIQUE
CHAPITRE 4 : RECONSTRUCTION DIDACTIQUE FONDÉE SUR L’HISTOIRE DES SCIENCES ET DES ARTICLES SCIENTIFIQUES
CONCLUSION

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