Cadre stricte et absence d’initiative
La transmission des savoirs se fait uniquement de l’enseignant vers l’apprenant, duquel n’est attendu ni initiative ni créativité. Le rôle du professeur y est central : il dirige la classe, choisit les textes, produit les exercices d’application des règles de grammaire observées en classe. Il ne tolère aucune erreur, perçue comme une anomalie à corriger absolument. Le vocabulaire est mémorisé par cœur, par thème et hors contexte. La question de la motivation de l’élève ne se pose pas puisqu’il se contente de reproduire à la lettre ce qu’il a appris. Il n’y a aucune prise d’initiative dans l’apprentissage, une absence d’autonomie qui peut être, selon Edward Deci et Richard Ryan, une des principales sources d’amotivation (Deci et Ryan, 2001, cités par Fabien Fenouillet, 2019 : 81).
La méthodologie directe
Importance de l’interaction orale au détriment de l’écrit
Développée à partir de 1880 et adoptée officiellement dans l’enseignement secondaire français en 1901, cette méthodologie est appelée « directe » dans la mesure où elle se refuse d’employer la langue maternelle pour mieux se concentrer sur la langue cible dès les débuts de l’apprentissage. Alors que la méthode traditionnelle se concentrait sur l’écrit et la littérature, la méthodologie directe perçoit la langue étrangère comme un outil de communication (Bertocchini et Constanzo, 2017 : 121). Elle privilégie l’oral et la pratique tout en travaillant dans une moindre mesure, sur les 3 autres habilités (compréhension écrite et orale, production écrite). L’étude de la prononciation y occupe une place importante. Les exercices de traduction laissent place à la lecture expliquée de textes, à des jeux de questions-réponses et des saynètes.
La grammaire est enseignée de manière inductive et implicite. L’enseignant se focalise sur le sensglobal et enseigne le vocabulaire du plus concret avec les éléments environnants de la classe vers le plus abstrait par le biais de documents fabriqués, d’objets, d’images ou par association d’idées, du concret vers l’abstrait.
Prémices du ludique ?
Comme vu précédemment, avec cette méthodologie, l’interaction orale devient la priorité puisqu’il s’agit de transmettre une pratique plutôt qu’une culture. Aussi, elle se matérialise par des activités de dramatisation, des mimiques, des gestes, des dessins (Cuq et Gruca, 2017 : 267). La contextualisation des savoirs transmis par les saynètes, la reproduction de scènes du quotidien, le recours à la gestuelle sont autant d’éléments visant à augmenter la motivation chez l’apprenant et se rapprochant de la notion de jeu telle que définie par Goffman et que nous tâcherons de définir dans la troisième partie.
La méthodologie audio-orale
L’oral par la mémorisation et la répétition
Développée aux Etats-Unis dans les années 1940, la méthodologie audio-orale avait pour vocation de former rapidement de nombreux militaires pour répondre aux besoins de parler une langue étrangère en temps de guerre. C’est ainsi que l’armée américaine recourt à des linguistes s’inspirant du behaviorisme, théorie associant l’apprentissage au conditionnement. Dans le cadre de l’enseignement des langues, cela se traduira par des méthodes s’appuyant sur la mémorisation,la répétition de phrases toutes faites et l’acquisition d’automatismes (des réponses non réfléchies en réaction à des questions types) (Puren, 1988 : 2003). L’oral et la prononciation étant la priorité, la grammaire occupe une place limitée. Elle est inductive et implicite. Quant au vocabulaire, il est secondaire.
Premiers apports technologiques laissant peu de place à l’interaction
La méthodologie intègre une innovation technologique de l’époque le magnétophone. Il doit permettre à l’apprenant de réécouter les phrases à mémoriser autant que nécessaire jusqu’à leur mémorisation. Les cassettes présentent l’avantage de pouvoir faire écouter la voix de natifs de la langue cible. Ce sera aussi l’apparition de laboratoires de langues qui auront pour fonction de fixer les automatismes linguistiques.
Cette apparente modernité sera toutefois vivement critiquée. La répétition de phrases parfaites mémorisées freine les apprenants dans la capacité à interagir naturellement et à improviser. Les exercices structuraux de substitution ou de transformations d’énoncés paraissent ennuyeux et décontextualisés (Puren, 1988 : 307). Méthodologie s’inscrivant dans le contexte de la deuxième guerre mondiale, la prise en compte des motivations de l’apprenant n’est pas la priorité.
La méthodologie structuro-globale audio-visuelle (SGAV)
L’interaction orale sur la base de dialogues fabriqués
Développée dans les années 60, la méthodologie structuro-globale audio-visuelle reprend certains éléments de la méthodologie directe comme le document de base fabriqué et le vocabulaire transmis sans passer par la langue maternelle et d’autres de la méthodologie audio-orale comme le laboratoire de langue et les exercices structuraux. La situation de communication, le dialogue et l’image y sont au cœur de l’enseignement, l’importance étant de comprendre globalement le sens. Bien que les 4 compétences langagières y soient développées, la priorité est donnée à l’oral, l’écrit sera enseigné après l’oral pour ne pas affecter la prononciation dans la mesure où ce dernier est perçu comme un dérivé de l’oral. La grammaire est, quant à elle, transmise de manière implicite et inductive.
Lors de leurs cours, les enseignants appliquent les quatre « phases canoniques de la leçon audiovisuelle » (Puren, 1988 : 239). La première phase « présentation/explication » exploite le dialogue enregistré et les images du film fixe pour une compréhension globale de la situation. S’ensuit la « répétition/mémorisation » des phrases types extraites des dialogues.
La troisième « exploitation/fixation » passe par des exercices structuraux légèrement différents de la situation. Enfin la quatrième « transposition/appropriation » s’effectue à travers les jeux de rôle.
La contextualisation limitée et l’absence de contrôle de l’apprenant
La méthodologie SGAV présente l’intérêt de considérer la situation de communication dans son ensemble et, ainsi, de faire un effort de contextualisation par le biais de supports audio-visuels (bandes dessinées, diapositives, enregistrements audios puis vidéos). Elle sera toutefois remise en cause pour la simplicité de ses dialogues qualifiés de pauvres et artificiels ne représentant pas la réalité. Ainsi les apprenants se retrouvaient en difficulté lors d’échanges avec des locuteurs natifs. Une autre critique repose sur les images même du film fixe « polysémiques » par nature, offrant un cadrage sémantique peu clair et soumis à l’interprétation hasardeuse des apprenants qui, en outre, y appliquent leur filtre culturel. (Schmoll, 2016 : 31).
L’apprenant, s’il est actif (jeux de rôle, réponses aux sollicitations de l’enseignant), n’a toutefois aucun contrôle sur le déroulement du cours puisqu’il se contente de répéter, de mémoriser ou de partiellement transformer/transposer des phrases simples à d’autres situations. Il imite l’enseignant, considéré comme un modèle. En ce sens, nous retrouvons les mêmes limites que pour la méthodologie traditionnelle sur le plan de la motivation dans la mesure où l’apprenant ressent bien qu’il n’est pas à l’origine de l’activité.
L’approche communicative
L’interaction orale pour faire face aux besoins du quotidien
Née dans les années 70 sur fond d’élargissement de l’Europe, l’approche communicative a vocation à répondre à de nouveaux besoins sociaux et professionnels de façon à favoriser l’intégration européenne par l’apprentissage des langues (Cuq et Gruca, 2017 : 274).
Il ne s’agit donc plus de s’adresser uniquement à un public scolaire mais aussi d’adultes. Un niveau-seuil (Conseil de l’Europe, 1976) établit alors une liste de savoir-faire langagiers (actes de paroles) nécessaires pour pouvoir faire face à différentes situations de communication et définit un niveau en deçà duquel l’apprenant ne peut subvenir à ses besoins quotidiens dans un pays étranger.
Répondant aux exigences des 4 habilités, l’approche va au-delà de la simple transmission de règles de grammaire ou de vocabulaire en développant également les composantes sociolinguistiques (prise en compte de la situation socioculturelle de la situation de communication), discursives (cohésion et cohérence des types de discours) ainsi que la compétence stratégique (capacité à compenser les lacunes linguistiques ou sociolinguistiques). Ainsi, la grammaire n’est plus au centre de l’enseignement de la langue et vient répondre à des besoins langagiers. Autre point constitutif important de cette approche : l’utilisation de documents authentiques ; les apprenants accèdent à des contenus, des supports extraits de « la vie quotidienne », éléments considérés comme plus motivants et plus proches de l’usage langagier réel (Martinez, 2017 : 77) qui n’ont pas été fabriqués pour répondre à des besoins linguistiques particuliers. De cette façon, elle corrige les manquements de la méthodologie SGAV à laquelle était reprochée l’artificialité des dialogues. Savoirs langagiers, méthodes et matériels de cours, tout converge vers l’apprenant et vise à le préparer à la communication hors de la classe.
Prise en compte des motivations de l’apprenant
L’apprenant est au cœur de l’apprentissage. Sa personnalité et sa motivation sont prises en compte. Le cours et l’enseignant vont, en théorie, répondre à ses besoins en proposant un parcours personnalisé constitué des actes de paroles qui lui sont nécessaires. Ce qui, dans les faits, peut s’avérer compliqué lorsque la classe se compose d’élèves aux objectifs différents.
L’enseignant n’est donc plus un modèle à imiter. S’il reste la référence linguistique, il est conscient de « l’arrière-plan de son enseignement » (Martinez, 2017 : 78). Il s’agit de responsabiliser l’apprenant, de lui donner plus d’autonomie corrigeant une des principales lacunes des méthodologies précédentes en termes de motivation : le sentiment d’autodétermination.
Mais cette plus grande considération des étudiants n’est pas le seul apport de l’approche communicative, celle-ci voit également arriver de nouveaux supports plus ludiques.
Introduction du jeu dans la didactique des langues
Avec l’approche communicative centrée sur la motivation des apprenants apparaissent les premières tentatives d’introduction du jeu comme outil pédagogique (Sylva, 2008 : 20). Ils prennent la forme de jeux de lettres (Figure 1), jeux de société et d’activité d’expression dramatique. Les activités de classe sont plus créatives et ciblent davantage une compétence.
Notons d’ailleurs la publication du premier ouvrage entrant dans cette logique de Caré et Debyser (1978) intitulé Jeu, langage et créativité. Les jeux dans la classe de Français. Il est ainsi intéressant d’observer que le jeu ait fait son apparition dès lors que les motivations de l’apprenant ont été prises en compte bien qu’il n’existe, en apparence, aucun lien de cause à effet entre ces deux notions.
L’interaction orale dans l’enseignement-apprentissage des langues
Comme l’indique notre problématique « Comment le jeu sérieux peut-il agir sur la motivation des apprenants de français langue étrangère dans le cadre d’interactions orales ? », l’enjeu de notre recherche tient donc au fait de donner envie à tous nos apprenants de participer à l’oral, d’interagir au sein de la classe avec l’enseignant certes mais surtout avec les autres apprenants. Cet objectif est d’autant plus important que, comme nous l’avons observé dans la précédente partie, l’interaction orale occupe une place importante dans l’enseignementapprentissage, surtout depuis l’avènement de l’approche communicative où l’on souhaite quel’usager soit en mesure de « survivre » lors d’un déplacement dans un pays étranger. Mais qu’entend-on par interaction orale ? Nous avons pu en introduction de notre première partie en donner une définition en nous appuyant sur le CECRL mais que recouvre-t-elle plus précisément en dehors de l’idée d’un échange comprenant des phases de production et de réception ?
Par ailleurs, notre problématique, en cherchant à savoir comment motiver les élèves, suggère qu’il existerait un certain nombre de limites, de freins à la prise de parole et à l’écoute au sein de la classe et peut-être encore plus lors d’interactions en ligne. Quelles sont-elles ? Et, à l’inverse, quels sont les leviers sur lesquels peut agir l’enseignant pour mobiliser sa classe et l’inviter à parler spontanément et sans barrière dans une langue qu’elle ne maîtrise pas ?
C’est à toutes ces questions que nous tenterons de répondre dans cette partie pour mieux comprendre les éléments sur lesquels le jeu sérieux devra agir pour répondre à notre objectif.
En quoi consiste l’interaction orale ?
A l’aide du jeu vidéo sérieux, notre étude vise donc à trouver un moyen de motiver les apprenants à interagir à l’oral. Puisqu’il s’agit de travailler cette habilité avec notre classe, il convient désormais d’en étudier les composantes, ce qui l’influence et les formes qu’elle peut prendre de manière à mieux comprendre ce que l’enseignant est en droit d’attendre de ses apprenants lorsqu’il leur demande de participer, d’interagir oralement. Précisons toutefois que, le sujet étant complexe et couvrant un périmètre large, il ne s’agira que d’en résumer les éléments qui nous sont parus les plus pertinents pour notre étude.
Quelles caractéristiques retenir ?
Des trois approches développées, nous en retiendrons donc que le jeu est une imitation d’une situation du quotidien obéissant à un système de règles mais dont les décisions des participants n’affectent aucunement la réalité. Celui-ci ne s’arrête pas à l’objet ou à l’activité mais dépend aussi de son contexte et implique une part de subjectivité puisque, pour qu’il y ait jeu, il faut que le participant soit convaincu du caractère ludique de l’activité.
Rappelons que ces approches ont été choisies pour leur relative affinité avec notre sujet d’étude écartant du même fait d’autres activités naturellement associées à cette notion. Nous aurions pu ainsi évoquer Caillois et sa typologie des jeux (1967 : 47) incorporant d’autres objets ou activités ne répondant pas nécessairement aux descriptions données ci-dessus tels que la machine à sous, la balançoire ou même la course à pied qui n’ont à priori d’autre point commun que le divertissement mais qui représentent un intérêt limité en didactique des langues.
Il semble toutefois nécessaire de porter notre attention sur un dernier point important dans le cadre de l’activité que nous souhaitons mettre en place : différencier le jeu du jouet (Alvarez 2012 : 20). En effet, si les deux poursuivent le même objectif de divertissement, le premier amène le joueur à suivre un certain nombre de règles pour gagner comme le Monopoly (Charles Darrow, 1935), le second n’a de limite que l’imaginaire de celui qui l’utilise pour s’amuser comme la Barbie (Ruth Handler, 1959). Le jeu vidéo, quant à lui, forme que nous retiendrons dans notre étude, sera considéré comme la prolongation virtuelle d’activités récréatives obéissant à des systèmes de règles et pouvant revêtir de nombreuses formes.
Il nous reste maintenant à comprendre comment se positionne le jeu sérieux ou « Serious game » et ce qui le différencie de la forme qui nous venons de décrire.
L’intégration du jeu sérieux en classe de langue
Dans la partie précédente, nous nous sommes employés à décrire ce que peut désigner le mot « jeu » nous permettant de mieux cerner ce que recouvre l’activité que nous souhaitons mettre en place pour motiver les apprenants en classe de langue, activité à laquelle avons associé par extension le jeu vidéo. Mais pour répondre à notre objectif de motivation des apprenants en interaction orale, il nous reste à comprendre comment concilier le cadre ludique avec celui plutôt sérieux de l’éducation. Le « serious game » ou jeu sérieux semblerait bienpouvoir illustrer la résolution de cet oxymore.
Le jeu sérieux : un dispositif combinant l’utilitaire et le ludique
En soi, si on en entend surtout parler depuis les années 2000, le jeu sérieux remonterait à la création du jeu d’échecs il y a plus de 1500 ans pour enseigner l’art de la guerre. Et c’est encore dans le domaine militaire qu’il ressurgit en 2002 sous sa forme vidéo-ludique puisqu’aux Etats-Unis, le 4 juillet 2002, jour de fête national, voit le jour America’s Army (U.S. Army, 2002), jeu reproduisant une situation de guerre où un soldat doit opérer diverses missions au sein d’une escouade. Le programme vise alors à valoriser l’armée américaine pour pouvoir mieux recruter mais aussi entraîner les jeunes recrues. Mais de quoi parle-t-on lorsque l’onévoque le « jeu sérieux » ?
Le jeu sérieux recouvre un spectre assez large et n’est pas nécessairement vidéo-ludique.
C’est pourtant au domaine numérique qu’il est le plus largement associé de nos jours. Alvarez le définit de la manière suivante : « dispositif, numérique ou non, dont l’intention initiale est de combiner, avec cohérence, à la fois des aspects utilitaires (serious) tels, de manière non exhaustive et non exclusive, l’enseignement, l’apprentissage, la communication ou encore l’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu, vidéoludique ou non (game) » (Alvarez, 2016 : 17). Les aspects ludiques pourront recouvrir les caractéristiques que nous avons fait ressortir précédemment comme la modalisation, le système de règle ou la frivolité. L’aspect utilitaire peut, quant à lui, tenir à comprendre, transmettre un message, ou même entraîner moralement et même parfois physiquement.
En soi, le dispositif peut prendre de nombreuses formes. Il peut avoir été conçu spécialement pour concilier utilitaire et ludique ou il peut s’agir d’un jeu qui aura été détourné de sa fonction d’origine pour répondre à des objectifs sérieux.
Le jeu vidéo d’apprentissage (Serious games) : transmettre des savoirs langagiers au détriment du sentiment de contrôle
Ce dispositif a été spécifiquement créé avec une intention sérieuse, éducative dans le cas de la didactique des langues (Schmoll, 2016 : 94). Il délaisse donc le caractère authentique du jeu vidéo détourné mais en conserve le système de règles établissant les conditions à remplir pour gagner ou perdre. Il peut recouvrir de nombreuses formes allant du puzzle au jeu d’aventure dans un monde ouvert. Le pari de ce type de jeu sérieux tient dans la « capacité » à transmettre des savoirs (langagiers dans notre cas) ou à entraîner l’apprenant à certaines pratiques sans qu’il ne le perçoive comme un exercice. Dans les faits, en FLE, les jeux allant au-delà de la simple application « mini-jeux » comme illustrés en annexe 2 avec Agenda 3 restent assez limités. Nous pouvons cependant citer 3 exemples français tentant de s’apparenter à des jeux vidéo authentiques : Thélème (Almédia, 2009), Les Éonautes (Almédia, 2012),Architecte 2015 (Pädagogische Hochschule Karlsruhe, 2014). Ces derniers font ressortir quelques limites aux jeux vidéo spécialement développés avec un objectif sérieux. On yobserve un manque de contrôle du joueur dans l’interaction que lui fait subir le scénario pensé à des fins pédagogiques (Schmoll, 2016 b : 11 – 12). Le joueur ressent ce manque dans sa progression lui faisant percevoir l’expérience comme un exercice, ce qui affecte sa motivation et présente peu d’intérêt dans notre objectif d’interaction orale spontanée.
Matérialiser le contexte d’une interaction orale
Lors d’un échange, la construction du sens est fortement influencée par son environnement spatio-temporel déterminant, entre autres, la posture des interlocuteurs, leur place et si leur participation est requise ou non. (Goffman, 1998). Or, en classe et plus encore lors de cours en distanciel, la simulation d’échanges reproduisant des scènes du quotidien est fortement limitée par son manque de moyens matériels à même de donner un cadre à ces activités. Cette situation représente, de fait un handicap à l’interaction puisqu’elle vient gêner la compréhension comme nous avons pu l’observer précédemment.
Les progrès techniques et technologiques vidéoludiques aussi bien dans les graphismes que dans les possibilités de choix et d’actions donnent la capacité aux jeux vidéo de représenter de manière virtuelle et avec précision des éléments socioculturels et des activités courantes de la « véritable vie » et donc de répondre à ces manquements en classe de langue.
Prenons l’exemple d’un acte de parole élémentaire : passer une commande dans un restaurant. Cette activité en classe, pouvant prendre la forme d’un jeu de rôle, ne pourra s’appuyer au mieux que sur quelques accessoires : un menu, de la monnaie, une table. Dans un jeu vidéo, le joueur/apprenant visualise le décor, l’ambiance d’un fast-food, d’une cafétéria, d’une taverne ou d’un restaurant chic, une mise en situation « proche de la vie réelle » comme le préconise le CECRL (Conseil de l’Europe, 2006 : 121). Les éléments sociolinguistiques y prennent alors tout leur sens en suggérant le ton et le style à employer selon le cadre spatial.
L’attitude des autres clients, des serveurs, l’aspect des plats, la propreté des lieux, etc. sont autant d’éléments clés déterminants dans l’échange que s’apprête à effectuer l’apprenant. Il ne se contente plus de répéter un acte de parole dans un environnement faiblement contextualisé.
Il prend part à un scénario cohérent s’inscrivant clairement dans le temps et l’espace lui apportant de nombreux indices sur la situation dans laquelle il se trouve et sur le type de discours à employer. Il se trouve dans une situation concrète reproduisant fidèlement la réalité.
Aide à la contextualisation, effets sur les émotions, le jeu vidéo apparaît comme un dispositif facilitateur aussi bien en production qu’en réception dans le cadre d’interactions orales. Pourtant, y recourir en classe de langue nécessite des moyens et une préparation des acteurs de la classe peu habitués à ce type d’expérience dans une école.
Des limites de taille mais pas insurmontables
Si le jeu vidéo appliqué à la didactique des langues présente de nombreux avantages pour contextualiser l’interaction orale et motiver les apprenants à y participer, il s’expose toutefois à quelques obstacles non négligeables.
Le premier d’entre eux tient à sa légitimité. Celui-ci est encore très souvent perçu exclusivement comme une source de divertissement que ce soit par les enseignants, les parents d’apprenants pour le jeune public ou même, les apprenants eux-mêmes ayant des difficultés à percevoir l’intérêt du dispositif. Or, comme l’indique Viau (1995 : 155), pour qu’une activité motive l’apprenant à y participer, celle-ci doit être perçue comme utile. Silva vient à le confirmer et précise alors que, pour l’introduire dans un cours, « le jeu doit figurer dans le contrat pédagogique passé avec le groupe » (Silva, 2008 : 28-29). L’enseignant se doit donc d’expliquer à la classe en quoi il fait ce choix plutôt qu’un autre et dans quelle mesure il répond à des objectifs pédagogiques. Cet élément est d’autant plus vrai en Corée du Sud où les habitudes d’enseignement/apprentissage peuvent encore être assez classiques et où l’intérêt du jeu de rôle peut lui-même être remis en question.
La deuxième limite est plutôt d’ordre matériel. Aussi attrayante que puisse paraître le recours au jeu sérieux en classe de langue, encore faut-il que l’établissement soit équipé ou, à défaut, que les participants puissent y accéder. A ce titre, l’enseignant faisant le choix d’utiliser le jeu vidéo, détourné dans notre cas, se devra d’en proposer un le plus accessible possible en termes de support (ordinateur, console de jeu, tablette ou smartphone) mais aussi financièrement. Idéalement et de façon à pouvoir personnaliser l’expérience, il choisira un jeu accessible sur smartphone et gratuit. Or, la réelle gratuité est très rare puisqu’elle est souvent compensée par un système de publicité pouvant venir gêner l’expérience. Cet obstacle, de taille, n’est toutefois pas insurmontable comme nous le démontrerons avec l’exemple de jeu que nous choisirons pour notre étude : Among Us (Innersloth, 2018).
La prise en compte de ces contraintes amènera l’enseignant à considérer la faisabilité de ce projet et penser en amont sa séquence didactique intégrant le jeu vidéo détourné.
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE 1 – CADRE THEORIQUE
Chapitre 1 – Les notions de motivation, de jeu et d’interaction orale au fil des méthodologies d’enseignement des langues étrangères
Chapitre 2 – L’interaction orale dans l’enseignement-apprentissage des langues
Chapitre 3 – Le jeu dans l’enseignement-apprentissage des langues
PARTIE 2 – PRESENTATION DU TERRAIN ET METHODOLOGIE D’ENQUETE
Chapitre 1 – Un établissement militaire de langues étrangères aux objectifs multiples
Chapitre 2 – Des choix méthodologiques visant 2 objectifs : tester une séquence didactique
avec un jeu sérieux et en vérifier son impact sur la motivation des apprenants
PARTIE 3 – ANALYSE DES DONNEES
Chapitre 1 – Un enregistrement vidéo témoin de l’engagement de la classe
Chapitre 2 – Présentation des résultats du questionnaire
Chapitre 3 – La gamification : comment intégrer le jeu dans un cours de langue étrangère
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
TABLEAU DES FIGURES
TABLE DES ANNEXES
TABLE DES MATIERES