Le phytoplancton représente les organismes autotrophes vis-à-vis du carbone et qui utilisent la lumière comme source d’énergie. Ces micro-organismes photosynthétiques vivant en suspension dans l‘eau regroupent ainsi les cyanobactéries (procaryotes) et les microalgues (eucaryotes). Le phytoplancton constitue la base de la chaîne alimentaire aquatique et joue un rôle critique dans le fonctionnement des cycles biogéochimiques majeurs en étant responsable de la fixation de près de la moitié du carbone sur la planète. Traditionnellement l’étude de l’écologie du phytoplancton s’est focalisée sur l’implication des facteurs abiotiques sur sa croissance et sa mortalité. Or, le phytoplancton est en interaction permanente avec les organismes qui l’entourent. Ces interactions biotiques peuvent être transitoires, à l’instar des interactions proie-prédateur (broutage), ou alors elles peuvent être durables et impliquer des échanges complexes (comme par exemple de matériel génétique) qui s’établissent dans le temps, on parle alors de symbioses (en grec « vivre ensemble ») (Combes, 2000). Les symbioses engageant des organismes phytoplanctoniques peuvent être de différente nature (Annexe- 1). Parmi celles-ci, le parasitisme est probablement l’une des plus anciennes interactions durables décrites dans la nature. Dans ce type d’association l’un des partenaires, le parasite, va se développer aux dépends de l’autre, l’hôte. L’hôte représente un habitat, une source d’énergie, une couveuse voire même un moyen de transport (Combes, 2001). La finalité du parasitisme n’est pas nécessairement d’induire la mortalité de l’hôte dans tous les cas d’infections. Cependant, un parasite tuant son hôte afin de réaliser son cycle est appelé un parasitoïde (Combes, 2001). Ce terme n’est néanmoins pas communément utilisé dans les publications scientifiques, souvent remplacé par « parasite » ou « pathogène ». Toutes les classes phytoplanctoniques sont susceptibles d’être infectées par de multiples parasites. Ceux-ci peuvent se développer à l’extérieur de leur hôte (ectoparasite), ou peuvent s’installer à l’intérieur de la cellule hôte (endoparasite). Ces parasites incluent des virus, des bactéries et des eucaryotes représentés dans les principales lignées phylogénétiques (Fungi, Cercozoa, Amoebozoa, Syndiniales, Oomycetes, etc.) (Gachon et al., 2010; Jacquet et al., 2011; Salomon and Imai, 2006). Bien que cette interaction soit l’une des plus répandues sur terre, l’étude des parasites de phytoplancton, et plus généralement des parasites aquatiques, a longtemps été négligée du fait des méthodes d’écologie non adaptées, des morphologies microscopiques compliquées à identifier et des quantifications souvent limitées (Chambouvet et al., 2015). Au cours des dernières décennies, les études sur les associations phytoplancton-parasites ont pourtant souligné l’énorme diversité de ces interactions et leur importance écologique dans le fonctionnement et l’évolution des écosystèmes.
Parasites : moteurs dans l’évolution
Les parasites sont reconnus comme des moteurs d’évolution et d’innovation génétique des populations d’hôte. Par exemple, l’implication de virus dans les échanges de matériel génétique par transfert horizontal (i.e., partage d’informations génétiques entre organismes sans relation parent-descendance) est connue depuis longtemps. Il existe deux mécanismes principaux d’échanges génétiques impliquant les virus : la transformation et la transduction. Dans le premier cas, la cellule hôte lysée va libérer du matériel génétique qui devient utilisable pour d’autres organismes. Le virus induit donc indirectement du transfert génétique. Le processus de transduction correspond à l’échange d’ADN entre différents micro-organismes via des entités virales lorsque du matériel de l’hôte est encapsidé durant l’assemblage viral. Le virus alors infectieux possède un fragment d’ADN de son hôte, qui sera transféré lors de la prochaine infection (Fuhrman, 1999). La contribution des virus aux transferts horizontaux de gènes par transduction est clairement établie chez les bactéries hétérotrophes mais elle est moins étudiée chez le phytoplancton. Les analyses génomiques semblent toutefois indiquer que les virus de phytoplancton ont acquis une panoplie de gènes bien spécifique au cours de leur histoire évolutive. Ces gènes, aussi appelés gènes auxiliaires de métabolisme, codent souvent pour des fonctions-clés, souvent limitantes, du métabolisme de l’hôte. Le gène le plus étudié, psbA, est retrouvé chez un grand nombre de virus de cyanobactéries (aussi appelés cyanophages) et code pour la protéine D1 impliquée dans le transport des électrons du photosystème II. Chez les cyanobactéries, le taux de renouvellement de la protéine D1 est très rapide, ce qui en fait une étape limitante de la photosynthèse. Au cours de l’infection virale, l’expression du gène psbA d’origine virale permet de maintenir la photosynthèse durant le cycle d’infection, et donc un niveau énergétique suffisant pour la production de nouveaux virions. L’expression de ces gènes au cours du cycle d’infection permettrait donc de booster ou de reprogrammer le métabolisme de l’hôte infecté, favorisant ainsi la propagation des virus et leur survie dans l’océan (Lindell et al., 2005; Sharon et al., 2007; Sullivan et al., 2006). A l’instar des cyanophages, chez le virus géant EhV qui infecte la microalgue eucaryote Emiliania huxleyi, la voie métabolique quasi-complète de biosynthèse des sphingolipides est retrouvée et permettrait une réplication et un assemblage optimal des particules virales (Monier et al., 2009; Wilson et al., 2005) .
Dans un système hôte-parasite, les deux partenaires sont en constante évolution en réponse aux changements de stratégies d’attaque et de défense de chacun. Cette force de sélection réciproque fait référence à l’hypothèse de la Reine Rouge, ou à la dynamique de la course aux armements (Van Valen, 1973). Notamment, une des versions de la théorie de la Reine Rouge est « le sexe contre les parasites », où les hôtes auraient développé la reproduction sexuée pour maintenir une diversité génétique face à des parasites évoluant vite grâce à leur temps de génération courts et le grand nombre de progénitures produit (De Bruin et al., 2004). Au sein du phytoplancton, les études illustrant ce concept sont assez rares. En eau douce, des recherches sur le couple formé par la diatomée Asterionella formosa et son parasite chytride Zygorhizidium planktonicum ont permis de montré que, plus une population hôte sera diversifiée génétiquement, probablement grâce à de la recombinaison génétique, plus elle sera résistante aux attaques parasitaires (De Bruin et al., 2004, 2008). Cette forte variabilité génétique permet aussi à l’hôte de freiner l’évolution et l’adaptation du parasite. En effet, les hôtes d’une population homogène partagent la même susceptibilité face aux infections mais ils sont aussi facilement sujets à l’arrivée de nouveaux parasites, qui peuvent alors s’installer et s’adapter rapidement dans l’environnement de ces hôtes (De Bruin et al., 2008). Les fortes épidémies parasitaires peuvent ainsi promouvoir la diversification génétique des populations hôtes (De Bruin et al., 2008; Gsell et al., 2013).
Une échappatoire à la pression des parasites sur l’évolution de leurs hôtes a été proposée en milieu marin pour le coccolithophore Emiliana huxleyi et son virus EhV. E. huxleyi comporte deux phases bien distinctes morphologiquement dans son cycle cellulaire haplodiploïde, où les cellules diploïdes (immobiles) sont vulnérables aux infections tandis que les cellules haploïdes (flagellées et non calcifiées) sont résistantes aux virus. Frada et al. (2008) ont démontré que l’exposition d’E. huxleyi aux virus EhV induisait une transition de la phase diploïde à la phase haploïde, entraînant alors un mécanisme d’éviction à l’infection virale, permettant ainsi la transmission des gènes d’un individu à la génération suivante. Cette stratégie de résistance, appelée « Cheshire Cat », représente une force fondamentale pour le maintien de la reproduction sexuée et des cycles de vie dimorphiques (Frada et al., 2008). L’étude de l’association du prasinophyte marin Ostreococcus tauri et ses virus OtV illustre probablement l’exemple le plus détaillé de mécanismes de défense d’un hôte phytoplanctonique à l’infection. Le développement de résistance à l’infection virale chez O. tauri est observé de façon récurrente et la résistance est maintenue durablement (au moins 2 années) bien qu’elle ait un coût sur le taux de croissance des hôtes immunisés (Thomas et al., 2011). De récentes études proposent que le chromosome 19 d’ O. tauri (aussi identifié comme Small Outlier Chromosome, SOC) est spécialisé dans la défense contre les infections virales et que la résistance est le plus vraisemblablement induite par la surexpression de différents gènes impliqués dans le métabolisme, la modification et le transport de carbohydrate (glycotransférases) chez l’hôte (Yau et al., 2016).
Ces exemples illustrent la complexité des interactions parasitaires au sein du phytoplancton mais aussi le manque de compréhension des mécanismes moléculaires impliqués. Ces contrôles sur la diversité génétique des hôtes s’établissent sur une large échelle de temps et s’ajoutent aux contrôles à court-terme des parasites sur la biodiversité algale lors des dynamiques saisonnières .
Parasites : régulateurs de biomasse et de biodiversité
L’infection d’une micro-algue par un parasite viral, eucaryote ou bactérien conduit le plus souvent à la mortalité de l’organisme infecté et la prolifération du parasite. Les recherches visant à mieux caractériser l’impact des parasites sur la régulation de leurs hôtes se sont principalement focalisées sur des espèces hôtes qui développent des efflorescences (ou blooms) de forte biomasse, nuisibles ou non pour les écosystèmes (Brussaard, 2004; Nagasaki, 2008; Salomon and Imai, 2006; Tomaru et al., 2015a). Parmi les parasites de phytoplancton, ceux pour lesquels le rôle d’agent de mortalité est le mieux décrit sont les virus. Ces virus vont fortement impacter les dynamiques de leurs hôtes, comme c’est le cas par exemple de Heterosigma akashiwo (Raphidophyceae) responsable de marées rouges. Dans les eaux côtières du Japon (Baie d’Hiroshima), le déclin du bloom de cette espèce correspondait à une augmentation soudaine des particules virales, suggérant une désintégration rapide (3 jours) de la marée rouge (Nagasaki et al., 1994). Le dinoflagellé Heterocapsa circularisquama, connu pour sa nuisance sur les bivalves, a aussi subi d’importants effondrements de ses efflorescences dus à des infections virales, avec jusqu’à 88% de cellules infectées lors des pics d’abondances maximales (Nagasaki et al., 2004b). Chez l’haptophyte Phaeocystis globosa dont les blooms de forte biomasse sont nuisibles pour les activités conchylicoles et touristiques, la mortalité due à la lyse virale représenterait 5 à 66% de la mortalité totale en mer du Nord (Baudoux et al., 2006). Un autre exemple marquant du contrôle qu’exercent les virus sur la dynamique de leurs hôtes, non toxiques mais au développement impressionnant, est celui d’Emiliana huxleyi (Bratbak et al., 1993; Holligan et al., 1983). Pour cette micro algue calcifiante, qui joue un rôle-clé dans le fonctionnement des océans, les virus sont responsables de 25 à 100% de la mortalité (Bratbak et al., 1993; Brussaard et al., 1996; Castberg et al., 2002; Jacquet et al., 2002). La caractérisation de ces agents de mortalité indique que les virus forment des assemblages complexes et dynamiques en termes de diversité moléculaire et fonctionnelle (Baudoux et al., 2015; Baudoux and Brussaard, 2005; Martinez et al., 2007; Pagarete et al., 2014; Schroeder et al., 2003; Sorensen et al., 2009). En particulier, la forte variabilité des patrons de spécificité des virus isolés suggère que le contrôle de leurs hôtes n’est pas seulement quantitatif mais aussi qualitatif, dans le sens où la composition infra spécifique de l’hôte peut être affectée. Le suivi à long terme du système E. huxleyi – EhV suggère toutefois qu’un même nombre limité d’hôtes et virus associés peuvent persister sur des périodes allant de 3 ans (Martinez et al., 2007) à plusieurs siècles (Coolen, 2011). Bien que l’impact des virus en tant qu’agent de mortalité porte majoritairement sur la régulation de blooms phytoplanctoniques, un nombre restreint d’études indique qu’à l’échelle de la communauté phytoplanctonique, les virus exercent un contrôle important sur des groupes spécifiques et qu’ils seraient responsables jusqu’à 25% de la mortalité phytoplanctonique totale (Baudoux et al., 2006, 2007, 2008). Une étude récente rapporte des taux de lyse phytoplanctoniques globalement plus importants aux basses latitudes en comparaison des hautes latitudes (Mojica et al., 2015). Les raisons expliquant ces variations ne sont à l’heure actuelle pas élucidées. Sans aucun doute, les communautés virales et microbiennes inféodées à ces milieux contrastés sont différentes. Il est aussi possible que les stratégies de réplication virale diffèrent dans ces environnements. Par exemple, l’environnement thermique a été identifié comme un facteur important qui influence l’intensité de la lyse virale (Mojica and Brussaard, 2014) mais aussi dans les transitions de stratégie de réplication (Demory et al., 2017; Wilson et al., 2001) voire même dans le développement de résistance à l’infection virale (Demory et al., 2017; Kendrick et al., 2014; Nagasaki and Yamaguchi, 1998).
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Table des matières
INTRODUCTION
Implications du parasitisme dans l’écologie et l’évolution du phytoplancton
Les diatomées, groupe majeur du phytoplancton
Les parasites de diatomées
1. Les virus associés aux diatomées
2. Les parasites eucaryotes
3. Les bactéries marines algicides
OBJECTIFS DE THÈSE
1. Problématique et objectifs principaux
2. Modèles d’étude
3. Contenu de la thèse
CONTEXT OF THE WORK
1. The SOMLIT-Astan sampling station: general context
2. Sampling procedures
3. Hydrological parameters
4. Phytoplankton taxa counts
5. Isolation of diatom and parasite strains
a. Sampling dates
b. Isolations of diatom strains
c. Isolations of parasite strains
6. Plankton genetic diversity
CONTEXT OF THE WORK
CHAPTER I – First viruses infecting the marine diatom Guinardia delicatula
CHAPTER II – Aplanochytrium sp., a novel eukaryotic parasite
CHAPTER III – Species of the genus Kordia exert differential algicidal activity on marine diatoms
CONTEXT OF THE WORK
CHAPTER I – Diversity and dynamics of relevant nanoplanktonic diatoms in the Western English Channel
CHAPTER II – Viruses infecting the genera Minidiscus and Thalassiosira
CONCLUSIONS AND PERSPECTIVES
PARASITES OF DIATIOMS: TIME FOR A CLOSER LOOK
1. From seawater to the laboratory: Establishment of a parasite culture collection –
Methodological insights
2. Diatom-parasite interactions: Laboratory approaches
3. Diatom-parasite interactions: From the laboratory cultures to environmental
approaches
4. Concluding remarks
ANNEXES