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Transferts d’électron photoinduits
Le transfert d’électron photoinduit (Photoinduced Electron Transfer, PET) repose sur une réaction d’oxydo-réduction à l’état excité, nécessitant sur une paire de donneur-accepteur pour laquelle le potentiel énergétique du donneur doit être légèrement supérieur à celui de l’accepteur. Contrairement au FRET, dans cette paire, un seul fluorophore est nécessaire. Que le fluorophore soit le donneur ou l’accepteur de PET, la réduction ou l’oxydation qui a lieu depuis son état excité entre en compétition avec les autres voies de désexcitation, notamment la fluorescence, résultant en un mécanisme d’extinction plus ou moins efficace de ces autres voies dépendant de l’efficacité du PET.
Les cellules sont composées d’un ensemble très large d’ions, qu’ils aient un rôle de maintien du potentiel électrostatique du milieu et de son pH, ou qu’ils aient un rôle signalétique ou encore catalytique au sein d’enzymes. Cependant, il existe de nombreux métaux de transition présents hors de complexes protéiques dont les fonctions dans les milieux biologiques sont peu connues, les chercheurs s’intéressent donc depuis longtemps à l’imagerie sélective des métaux circulants qui reste aujourd’hui encore un défi pour certains.[29–31]
Les réactions d’oxydo-réductions reposent sur des concepts familiers pour les chimistes, notamment lorsqu’il est question de la réactivité des complexes organométalliques. Pour synthétiser des sondes pro-fluorescentes sélectives, il a été question de coordonner ces ions cellulaires, et plus particulièrement les métaux.
Pour construire une sonde sélective de l’ion cuivreux, Zeng et al. ont retenu l’approche coordination en couplant un complexant sélectif de ce dernier à un fluorophore de type BodyPy (Figure 13). La pro-fluorescence de cette sonde 3 repose sur un mécanisme de transfert d’électron à l’état excité : en absence de l’ion cuivreux, la fluorescence du complexe de bore 3a est éteinte par PET depuis l’atome d’azote du ligand ; en présence de l’ion, le doublet non liant de l’atome d’azote est impliqué dans la coordination du métal, diminuant l’efficacité du PET et restaurant la fluorescence de la BodyPy 3b (Figure 13).[32]
Outre les enzymes qui catalysent les réactions, il existe également des petites molécules réactives en milieu biologique, comme les métaux mentionnés précédemment ou encore les espèces réactives de l’oxygène (Reactive Oxygen Species, ROS), de l’azote et du soufre. Ces dernières sont hautement réactives vis-à-vis de leur environnement proche et sont normalement synthétisées de façon extrêmement contrôlée par le milieu. Étudier ces molécules réactives est un enjeu en biologie car, leurs concentrations étant strictement régulées, une variation de ces concentrations peut être un marqueur de déséquilibre ou l’origine d’une pathologique.[25,29,33,34]
Entre le années 2000 et 2010, l’équipe de Nagano a rationalisé et synthétisé une grande variété de sondes réactives pro-fluorescentes à partir de fluorescéines ou de rhodamines dans le but d’imager les ROS responsables des stress oxydants. Pour imager le peroxyde d’hydrogène, leur sonde 4 a été construite autour d’une fluorescéine dont les substituants réagissent sélectivement par clivage oxydant avec celui-ci. La fluorescence de la sonde 4a est éteinte par PET de la fluorescéine vers ses substituants puis restaurée après réaction (Figure 14).[35]
Réarrangements intramoléculaires
Contrairement aux deux modes de pro-fluorescence précédents, l’approche réarrangement moléculaire ne peut reposer que sur l’approche réactivité. Ces sondes fonctionnent sur le principe de rupture d’une à plusieurs liaisons covalentes de la sonde, conduisant à des réarrangements intramoléculaires et à une augmentation de la fluorescence de la sonde par retour de conjugaison ou par réaromatisation du système.
Comme mentionné précédemment, l’équipe de Nagano a synthétisé une grande variété de sondes pro-fluorescentes par l’approche réactivité pour l’imagerie sélective des ROS. Un des modes de pro-fluorescence qu’ils ont notamment exploité est le réarrangement intramoléculaire. Une série de sondes avec un fluorophore rhodamine a été développée, sélectives grâce à leurs potentiels d’oxydo-réduction variés en fonction de leurs substituants. La conjugaison de ces rhodamines est coupée par spirocyclisation et restaurée par réaction sélective de la cible sur ce bicycle, ce retour de conjugaison s’accompagnant d’une augmentation de fluorescence. Une sonde 5 spécifique de l’acide hypochloreux a notamment été synthétisée de la sorte (Figure 15).[36]
Transferts de charge intramoléculaires
Pour la majorité des fluorophores organiques, la fluorescence repose sur un transfert de charge intramoléculaire (TCI) entre l’état fondamental et les états excités de la molécule. Ce transfert de charge est possible car ce sont des molécules conjuguées et dont le système est polarisés par un groupement donneur d’électrons et un groupement accepteur d’électrons et il se caractérise donc par un changement dans moment dipolaire de la molécule. Ces fluorophores sont particulièrement sensibles à la polarité de leur environnement qui peut plus ou moins stabiliser l’un et/ou l’autre de ces états. Ces différences de stabilisation, et donc des écarts énergétiques entre les états fondamentaux et excités, se traduisent par du solvatochromisme, c’est-à-dire par la variation de la longueur d’onde maximum d’émission du fluorophore en fonction du solvant. La pro-fluorescence de ces sondes ne se traduit donc pas par une augmentation de l’intensité de fluorescence mais par une variation dans la longueur d’onde maximum d’émission de la sonde.
Ce mécanisme peut être à la fois employé dans l’approche réactivité de la pro-fluorescence, en augmentant chimique la force du donneur ou de l’accepteur, et dans l’approche coordination. Lors de la coordination du ligand à la cible, la variation de fluorescence est permise par la modification de l’environnement et de la polarité locale de la sonde qui passe d’un milieu aqueux à un milieu plus apolaire lorsqu’elle est coordonnée aux biomolécules cibles (Figure 16). Cette approche coordination de la pro-fluorescence peut être utilisée que la cible biologique soit réactive ou non. En effet, il existe de nombreux composants cellulaires et certaines ne sont notamment pas réactifs comme les protéines qui n’ont pas d’activité enzymatique, les lipides (qui composent les membranes) ou les oses (qui composent les peptidoglycanes, l’ADN ou encore l’ARN).
Ainsi, Danylchuk et al. ont été capable d’imager à haute résolution l’ordre lipidique à la surface des membranes plasmiques. Pour ce faire, ils ont couplé le rouge de Nile (Nile red), un fluorophore absorbant et émettant autour de 600 – 650 nm, à un surfactant à chaîne carbonée courte. Cette chaîne courte permet l’échange de la sonde à la surface membranaire, permettant d’acquérir leurs images en haute résolution (6, Figure 16).[37]
Comme mentionné précédemment, ce mode de pro-fluorescence peut être aussi employé dans l’approche réactivité de la pro-fluorescence en augmentant la force du donneur ou de l’accepteur par modification chimique (Figure 17). Cette approche a notamment été exploitée pour sonder le pH intracellulaire. Ces sondes à pH sont principalement inspirées de la structure des tyrosines dont le pKa peut varier entre 9 et 4 en fonction de l’environnement dans lequel elles se trouvent. En greffant un groupement électroattracteur et en jouant sur la substitution du phénol, il est ainsi possible d’obtenir une sonde fluorescente telle que 7a dont le pKa est proche de la neutralité et qui est déprotonée en milieu plus basique, augmentant la densité électronique de la sonde et donc la force de son transfert de charge (Figure 17).[38]
Sondes conformationnelles
Enfin, il existe un dernier mode de pro-fluorescence reposant sur la planéité du système conjugué du fluorophore, cette approche de la pro-fluorescence étant basée uniquement sur la coordination entre la sonde et sa cible. Les sondes pro-fluorescentes construites sur ce principe sont sensibles à la viscosité et à l’encombrement stérique de leur environnement. Ces molécules, aussi appelées « sondes conformationnelles », possèdent au minimum une liaison (et éventuellement une liaison double) exocyclique autour de laquelle les substituants peuvent tourner en absence de contrainte, favorisant des voies de désexcitations non-radiatives qui éteignent leur fluorescence. Ces voies seront plus amplement développées par la suite (cf. 1.4) p. 46). La fluorescence de ces sondes est restaurée lorsque leurs rotations sont restreintes par la viscosité ou l’encombrement de leur environnement local (Figure 18).[39]
Il existe plusieurs sondes pro-fluorescentes commerciales fonctionnants de la sorte parmi lesquels se trouvent la Thioflavine T 8 (ThT), pour l’imagerie sélective des fibrilles et des plaques amyloïdes impliquées dans de nombreuses pathologies (dont la maladie d’Alzheimer),[40] et la sonde PicoGreen® 9 développée par l’équipe de Geddes, pour l’imagerie de fluorescence sélective de l’ADN (Figure 18).[41] Il est intéressant de noter que dans ces deux cas, la nature chargée et aromatique des fluorophores joue un rôle quant à l’implication totale (ThT 8) ou partielle (PicoGreen® 9)du fluorophore dans la coordination de la sonde à la cible.
Le motif responsable de la fluorescence de PicoGreen® 9 est le thiazole orange. En se basant sur ses propriétés de pro-fluorescence en milieu restreint, Lai et al. proposent une approche plus générale de construction de sondes pro-fluorescentes 10 par couplage d’un ligand spécifique et du thiazole orange par une liaison amide. Leur preuve de concept a permis de synthétiser une sonde pro-fluorescente spécifique de l’enzyme anhydrase carbonique II (CA(II), Figure 19).[42]
Pour conclure, il existe de nombreux mécanismes de pro-fluorescences que les chimistes peuvent mettre au service de l’imagerie de fluorescence cellulaire ou tissulaire et il existe une variété encore plus grande de phénomènes biologiques à imager. Afin de déterminer la ou les combinaisons les plus efficaces pour synthétiser une sonde, il est nécessaire d’avoir à la fois un certain nombre d’informations sur la cible biologique et son environnement, des connaissances sur les réactions chimiques sélectives servant à déclencher ces sondes, ainsi que les propriétés optiques des fluorophores en milieu organique. Le rassemblement de ces connaissances nécessaires à la synthèse de sondes pro-fluorescentes ne fait généralement pas sans collaborations interdisciplinaires.
Des sondes par modification de molécules bioactives
Si les outils fluorescents présentés précédemment étaient limités par leurs longueurs d’onde d’absorption et d’émission (trop éloignées de la fenêtre de transparence du milieu biologique) ou la taille conséquente du rapporteur, il en va de même pour les sondes pro-fluorescentes décrites ci-dessus. L’introduction d’un fluorophore sur un ligand spécifique peut conduire à un certain nombre de modifications de son métabolisme, de sa distribution, de sa perméabilité membranaire, de ses constantes d’association ou d’activité in vivo ou encore sur sa toxicité. De plus, le ligand peut également influencer les propriétés du fluorophore. Ces constats sont d’autant plus marqués sur les petites molécules comme, par exemple, PicoGreen® 9 dont le fluorophore est partiellement impliqué dans l’interaction avec l’ADN. Ainsi, bien que l’approche couplage ligand-fluorophore paraisse simple, efficace et généralisable, les exemples de la littérature sont souvent revus au cas par cas du fait de ces nouvelles interactions et ces modifications de métabolisme difficilement rationalisables.
Pour ces raisons entre autres, une approche différente de la construction de sondes pro-fluorescentes a été envisagée pour mon projet de thèse.
La construction de sondes par modification de molécules bioactives repose sur l’amélioration les propriétés photophysiques d’une molécule déjà sélective pour en faire une sonde fluorescente. Ces modifications doivent être minimisées, et donc pertinentes, de sorte à ne pas altérer l’activité biologique d’origine de la sonde. Ainsi, ces sondes sont généralement des isomorphes de la molécule bioactive, c’est-à-dire que leurs tailles et leurs géométries sont aussi similaires que possible.
Ce concept a été largement exploité pour la modification de molécules biologiques initialement peu ou pas fluorescence comme les lipides, les oses, les acides aminés et les bases azotées.[43,44] Les nombreuses avancées qui ont été possibles en biologie grâce à ces sondes ont permis de valider le concept de modification de ligands bioactifs pour en faire des sondes.
Un exemple de cette approche modification de biomolécules a notamment permis d’imager l’accumulation puis la sécrétion des neurotransmetteurs dans les neurones.[45] Gubernator et al. ont synthétisés une sonde fluorescente 11 qui, même si elle paraît structurellement éloignée des hormones parentes (dopamine et sérotonine), conserve les caractéristiques essentielles à leur reconnaissance par les récepteurs synaptiques : une plateforme centrale de nature aromatique, un site de nature basique et la chaîne éthylamine (11, Figure 20). Ainsi, ils ont mis en évidence un certain nombre de stimuli extérieurs provoquant la libération de ces hormones avec une bonne résolution spatiale et temporelle (de l’ordre de grandeur du temps de la sécrétion).[45]
Il est également envisageable de modifier des principes actifs pour jouer le rôle de sonde fluorescente, voire pro-fluorescente. Synthétiser des sondes par modification de principes actifs doit permettre d’imager directement la distribution et la localisation de l’action de ce dernier. Ces fluorophores utilisés pour suivre l’efficacité d’un traitement ou de mieux le comprendre grâce à l’imagerie sont appelés « molécules compagnons ».
Une façon de s’assurer de la sélectivité d’une sonde est de les synthétiser selon l’approche « drug design » de la chimie médicinale, c’est-à-dire concevoir entièrement l’inhibiteur, tout en anticipant la fluorescence du principe actif par sa structure ou celle des substituants, et ne garder que les molécules avec le meilleur compris fluorescence-activité. Par exemple, Mah et al. ont obtenus des sondes fluorescentes en étudiant l’influences de la substitution de coumarines par divers hétérocycles puis divers groupement électrodonneurs sur l’affinité pour leur cible. Ainsi, ils ont pu sélectionner deux sondes avec les meilleurs compromis fluorescence-activité (12, Figure 21) et imager la distribution des récepteurs cibles à la surface membranaire.[46]
Bien que cette approche « drug design » puisse apparaître comme un bon compromis pour s’assurer de la sélectivité et la fluorescence de la sonde, l’approche est particulièrement coûteuse en énergie étant donné que, par définition, il est nécessaire de construire une large librairie de molécule dont il faut tester les propriétés biologiques puis y ajouter une caractérisation photo-physique complète. De plus, les exemples existants sont le plus souvent des sondes fluorescentes,[46–48] n’étant que rarement pro-fluorescentes.[49,50]
Enfin, il est envisageable de modifier des principes actifs déjà existant pour en faire des sondes compagnons. Cette approche est à ce jour moins développée dans la littérature car elle repose sur la modification de principes actifs déjà longuement optimisés et généralement brevetés. Cette optimisation intensive de la sélectivité des principes actifs est pourtant ce qui devrait permettre de pallier tout ou partie des problèmes cité pour les sondes obtenues par couplage ligand-fluorophore.
En effet, les principes actifs développés dans l’industrie pharmaceutique sont majoritairement des petites molécules, avec une grande sélectivité pour une cible donnée, construites autour de noyaux aromatiques (ou hétéroaromatiques) substitués et éventuellement allongés par d’autres systèmes . Ces groupements aromatiques sont suffisamment hydrophobes pour que la molécule puisse pénétrer et agir efficacement dans les cellules et jouent des rôles cruciaux dans leur affinité pour leur cible. Ces systèmes sont également un bon point de départ pour la construction de fluorophores.
En modifiant le principe actif de façon à polariser et éventuellement étendre son système conjugué avec un minimum de changements structuraux et sans altération sur les fragments responsables de sa sélectivité, il est envisageable d’obtenir une molécule à la fois ligand et fluorophore (comme la Thioflavine T 8 dont l’entièreté du système est impliquée dans sa fluorescence et ses interactions, par exemple). Pour ce faire, les modifications structurelles du principe actif peuvent être guidées par la modélisation moléculaire des interactions ligand-cible qui permettent de visualiser à la fois les espaces disponibles et les interactions essentielles qui ne peuvent être altérées.[51]
C’est dans cette optique que l’équipe de Wilson a développé un certain nombre de dérivés du motif 4-aminoquinazoline (en cyan, Figure 22), largement exploité dans la pharmacopée des inhibiteurs de protéines tyrosines kinases, comme dans le lapatinib, par exemple. Les propriétés optiques des molécules 13 ont été améliorées par ajout d’un groupement électrodonneur dans la structure et une élongation du système de la sonde. La rotation possible autour de la liaison entre les groupements donneur et accepteur font de ces sondes des pro-fluorophores, dont le mécanisme sera expliqué plus loin. L’équipe de Wilson a également pu démontrer que l’altération de la structure des fluorophores à ces positions n’influence pas sur la cible biologique, ainsi, ces fluorophores inhibent bien les mêmes cibles que le lapatinib.[51]
Particularités mécanistiques des sondes conformationnelles
Un des critères d’efficacité d’une sonde fluorescente est son rendement quantique Φ (compris entre 0 et 1), qui correspond au rapport du nombre de photons émis sur le nombre de photons absorbés ; plus son rendement quantique s’approche de 1, plus la sonde est dite efficace. Pour les sondes pro-fluorescentes, un critère plus important encore est la variation de son rendement quantique entre l’absence et la présence de sa cible afin de pouvoir aisément distinguer ces deux états. Dans ce cas, une grande partie de l’efficacité de leur pro-fluorescence repose sur l’efficacité des mécanismes d’extinction de leur fluorescence, c’est-à-dire la cinétique des mécanismes de désexcitation non-radiatives qui entrent en compétition avec cette dernière. En effet, le rendement quantique de fluorescence d’une molécule s’exprime également comme suit Avec k(r) la constante de vitesse associée aux processus de désexcitation radiatifs (fluorescence) du fluorophore et k(nr) celle des processus non-radiatifs. Cette Equation 1 permet facilement de mettre en évidence l’influence de la cinétique des processus non-radiatifs sur le rendement quantique de fluorescence d’une sonde. Les processus non-radiatifs englobent à la fois un retour à l’état fondamental via dégagement de chaleur mais aussi le phénomène de croisement intersystème qui conduit à la formation d’un état excité de multiplicité de spin triplet (T1) qui est généralement non-émissif pour les molécules purement organiques.
Le choix de l’emploi d’un mécanisme de pro-fluorescence plutôt qu’un autre repose principalement sur la structure et les propriétés photophysiques de la molécule de départ. Parmi les mécanismes de pro-fluorescence cités ci-dessus, celui des sondes conformationnelles (cf. 1.3.1.5) p. 42) peut notamment être employé pour la conception des sondes pro-fluorescentes par modification de molécules bioactives. En effet, ce mode de pro-fluorescence reposant uniquement sur la coordination de la sonde à la cible, il permet d’exploiter les caractéristiques structurelles responsables de la sélectivité se retrouvant déjà sur les molécules bioactives. C’est par exemple le cas des sondes 10 présentées Figure 19, ou des sondes 13, Figure 22.[51] C’est ce mode de pro-fluorescence qui a également retenu notre attention tout au long de ma thèse et il sera donc plus amplement détaillé dans cette partie.
La pro-fluorescence de ces sondes conformationnelles est possible grâce à l’existence d’un état excité où la molécule est « coudée » (Twisted Intramolecular Charge Transfer, TICT). Cette état TICT peut donner lieu à deux phénomènes physiques distincts : émission double de fluorescence ou extinction de cette dernière. L’émission double de fluorescence a d’abord été mise en évidence par l’équipe de Lippert en 1962. Ils observaient deux bandes d’émission distinctes dans le spectre de fluorescence du 4-N,N-diméthylaminobenzonitrile (DMABN), dont une bande à des longueurs d’ondes supérieures à celles attendues pour ce fluorophore (bande A, Figure 23).[52] Ce phénomène provient de la rotation du groupement diméthylamino par rapport au reste de la molécule qui donne naissance à une conformation « coudée » (Figure 23).
Fonctions biologiques et pathologiques des VEGFr et enjeux liés aux traitements actuels et à leur recherche
Les récepteurs des facteurs de croissance de l’endothélium vasculaire
Localisations et fonctions de ces récepteurs
La famille des protéines kinases est une vaste famille qui comporte plus de 500 enzymes chez l’Homme, elle est parfois mentionnée sous le nom de « kinome ». Les récepteurs tyrosines kinases en sont une sous-famille de protéines transmembranaires capables de transduire les signaux de l’extérieur vers l’intérieur d’une cellule. Sous l’action d’un stimulus extérieur, ces récepteurs peuvent catalyser la phosphorylation rapide d’une, voire de plusieurs de leurs tyrosines en présence d’ATP et ce sont ces phosphorylations qui permettent la continuité du signal en déclenchant différentes cascades de signalisation intracellulaires.
La famille des récepteurs des facteurs de croissance de l’endothélium vasculaire (Vascular Endothelial Growth Factor receptors, VEGFr) est composée de trois récepteurs tyrosines kinases de plus de 1300 acides aminés (environ 151 kDa) chacun : VEGFr-1, -2 et -3.[57 –59] Comme leur nom l’indique, les VEGFr sont capables de reconnaître et fixer sélectivement les facteurs de croissance de l’endothélium vasculaire (Vascular Endothelial Growth Factor, VEGF) et sont impliqués dans la transduction des signaux d’angiogenèse et de perméabilité des vaisseaux sanguins (pour les VEGFr-1 et -2, Figure 27), de vasculogenèse et de lymphangiogenèse (pour le VEGFr-3). L’angiogenèse se définit comme la croissance de l’endothélium vasculaire, la vasculogenèse comme la croissance des systèmes vasculaire et lymphatique embryonnaires et la lymphangiogenèse comme la croissance de l’endothélium lymphatique. Les VEGFr se retrouvent donc à la surface des cellules de l’endothélium vasculaire mais aussi à la surface des macrophages et des cellules de la moelle osseuse.[60,61]
Les cellules endothéliales vasculaires tapissent la lumière des vaisseaux sanguins, c’est-à-dire qu’elles en composent la paroi intérieure (Figure 28). Ce sont des cellules jointes entre elles de façon étanche et qui sont polarisées. Elles possèdent un apex tourné vers la lumière des vaisseaux et une base qui les ancre et les structure. C’est la recherche des facteurs responsables de la perméabilité des vaisseaux sanguins qui a permis d’isoler les premiers VEGF en 1983, sous le nom de facteurs de perméabilité vasculaire (Vascular Permeability Factors, VPF), avant d’identifier leur rôle également central dans l’angiogenèse en 1989 puis de mettre en évidence les récepteurs associés (VEGFr-1 et -2) en 1992.
Dans le cadre de cette thèse, les récepteurs des facteurs de croissance des vaisseaux sanguins nous intéressent pour leur rôle central dans l’angiogenèse. Sauf mention contraire, nous ne considérerons donc que les VEGFr-1 et -2 lorsqu’il sera question des VEGFr en général.
Activité enzymatique des VEGFr
Bien qu’ils soient tous les deux responsables de la croissance des cellules endothéliales vasculaires et de la perméabilité des vaisseaux sanguins, les VEGFr-1 et -2 n’ont pas la même activité tyrosine kinase. Le VEGFr-2 (plus souvent mentionné sous le nom de KDR dans la littérature) joue un rôle large dans l’angiogenèse, régulant la prolifération, la migration et la survie des cellules endothéliales vasculaires ainsi que la perméabilité des vaisseaux sanguins. Le VEGFr-1 (ou Flt-1), quant à lui, fixe les VEGF avec plus d’affinité que KDR mais il est intéressant de noter que son activité tyrosine kinase est inférieure.[62] L’explication communément acceptée est que Flt-1 a principalement un rôle de régulateur négatif de l’activité de KDR en modulant la disponibilité des VEGF dans le milieu.
La régulation, positive comme négative, de l’activité des VEGFr est contrôlée par trois principaux paramètres : la présence de VEGF dans le milieu, la phosphorylation des récepteurs et leur présence à la surface des cellules. En effet, les VEGFr étant des récepteurs spécifiques des VEGF, leur activité est d’abord régulée par la disponibilité de ces derniers. L’activité des VEGFr peut également être régulée par des phosphatases, protéines responsables de la déphosphorylation rapide des tyrosines, en équilibre avec l’autophosphorylation des récepteurs. Enfin, la présence même des récepteurs à la surface des cellules constitue un mécanisme de régulation. Leur recrutement est, comme les VEGF, principalement associé à des facteurs d’hypoxie. À l’inverse, leur dégradation est possible par internalisation des récepteurs puis leur digestion par les lysosomes, ce dernier mécanisme dépendant d’une cascade initialisée par une phosphorylation spécifique au niveau du domaine C-terminal des VEGFr.[60,62]
Structures des VEGFr
L’ensemble des récepteurs des facteurs de croissance de l’endothélium vasculaire sont de larges glycoprotéines transmembranaires. Structurellement parlant, les VEGFr sont tous composées de cinq domaines : extracellulaire, transmembranaire, juxtamembranaire, tyrosine kinase (séparé en deux fragments par un insert inactif) et C-terminal, qui permet de moduler l’activité des récepteurs. Comme pour la plupart des protéines d’une même famille, c’est dans le site actif (domaine tyrosine kinase) que se retrouve la plus grande homologie entre leurs séquences avec 70% des acides aminés conservés entre les VEGFr-1 et -2. À l’inverse, leurs domaines extracellulaires et C-terminal ne présentent que 33% et 28% d’homologie respectivement.[62]
Leurs domaines extracellulaires sont composés de sept sous-domaines compacts ; la reconnaissance des VEFG circulants s’effectue au niveau des sous-domaines 2 des VEGFr. La formation de ce complexe protéine-ligand permet de stabiliser des dimères de VEGFr et induit un changement conformationnel pour le récepteur (Figure 29). Ce changement conformationnel se transmet du domaine extracellulaire du récepteur au domaine transmembranaire, qui ancre la protéine à la membrane, jusqu’aux domaines juxtamembranaire puis tyrosine kinase. Ces modifications de la structure tridimensionnelle du récepteur rendent possibles la fixation de l’ATP au site actif puis l’autophosphorylation de la protéine.[62] C’est cette phosphorylation qui permet la continuité des signaux extracellulaires à l’intérieur de la cellule en déclenchant la suite de la cascade de prolifération, de migration ou de survie de l’endothélium vasculaire ou de perméabilité des vaisseaux sanguins.
En 2012, des chercheurs travaillant pour Pfizer ont résolu les structures cristallographiques de co-cristaux entre les domaines intra-cellulaires de recombinants de KDR et plusieurs de leurs inhibiteurs.[63] Ces travaux ont permis de mettre en évidence deux changements conformationnels essentiels au niveau du site catalytique. En absence de VEGF, la triade DFG (D – acide aspartique, F – phénylalanine, G – glycine), située dans le domaine tyrosine kinase et hautement conservée dans la famille VEGFr, pointe vers l’extérieur de la protéine (DFGout) tandis que le domaine juxtamembranaire pointe vers l’intérieur (JMin). Cette conformation « fermée » empêche la reconnaissance de l’ATP à cause de l’occlusion partielle de son site de fixation par la phénylalanine F1047 (Figure 29 A). En présence de VEGF, la protéine « s’ouvre » : la triade DFG se replie vers l’intérieur de la protéine (DFGin) et le domaine JM vers l’extérieur (JMout), formant ainsi l’entrée du sillon qui fixe l’ATP (Figure 29 B).
Implications des VEGFr et des facteurs de croissance associés dans les maladies liées à une néovascularisation néfaste
Les facteurs de croissance de l’endothélium vasculaire (VEGF) sont des protéines sécrétées d’environ 200 à 400 acides aminés. Ce sont des homodimères positionnés de manière antiparallèles, dont les structures tertiaires et quaternaires sont stabilisées par des ponts disulfures conservés.[60] Les VEGF humains sont composés de quatre familles qui se lient avec différentes affinités aux récepteurs présentés précédemment : les VEGF A qui correspondent aux premiers facteurs identifiés (bonne affinité pour Flt-1, affinité pour le KDR), les VEGF B (affinité pour Flt-1) et les VEGF C et D (affinités pour le VEGFr-3, faibles affinités pour le KDR). Ces facteurs de croissance peuvent subir des épissages à l’intérieur d’une même famille, donnant naissance à plusieurs isoformes d’un même facteur, ce qui module naturellement leurs activités respectives. Chez l’Homme adulte, la production et la libération des VEGF sont principalement régulées par la stabilisation de marqueurs d’inflammation ou d’hypoxie, comme le NADH. Cette réponse permet la régénération des tissus ou de combler un manque de vascularisation en stimulant la cascade signalétique de l’angiogenèse au niveau des VEGFr. Cependant, les VEGF et les VEGFr sont également impliqués dans des maladies liées à une vascularisation néfaste comme le développement des tumeurs cancéreuses ou à des maladies de néovascularisation rétinienne. Dans ces cas-là, la libération constante de VEGF conduit à une prolifération non-contrôlée des vaisseaux sanguins et à leur perméabilité accrue qui crée des œdèmes.[60,61]
Dans le cas des cellules cancéreuses, la production de VEGF est stimulée par des facteurs génétiques liés à la suppression de leurs gènes de contrôle et épigénétiques comme, par exemple, l’hypoxie caractéristique des tumeurs solides. Bloquer de manière efficace la cascade signalétique de la croissance des vaisseaux sanguins est rapidement devenu un enjeu majeur dans le traitement des cancers afin de limiter l’expansion des tumeurs.[64] L’avantage de cette approche est qu’il est possible de cibler sélectivement les cellules endothéliales vasculaires, les cellules cancéreuses n’exprimant pas (ou peu) les VEGFr à leur surface, et donc en de limiter les risques d’apparition de résistances aux traitements car les cellules endothéliales vasculaires sont génétiquement plus stables. Cette approche n’est malheureusement pas généralisable à l’ensemble des cancers mais, seules ou en cocktail avec de la chimiothérapie conventionnelle, ces molécules ont fait leurs preuves pour le traitement d’un certain nombre de cancers et sont aujourd’hui encore un pan actif de la recherche oncologique.
En ophtalmologie, les maladies de néovascularisation rétinienne les plus connues sont la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) et la rétinopathie diabétique. Dans les pays développés, ces maladies sont la cause principale de la baisse de l’acuité visuelle chez les personnes âgées et les travailleurs actifs respectivement.[68,69] La DMLA affecte plus de 10% des personnes de plus de 85 ans en France et environ 10% des plus de 75 ans dans le monde. Pour ces raisons, la Haute Autorité de Santé recommande un diagnostic systématique après 50 ans. Il existe deux formes de DMLA : la DMLA atrophique (ou sèche), qui représente 90% des cas, et la DMLA exsudative (ou humide), qui peut s’aggraver jusqu’à la cécité.[69,70] La DMLA exsudative est caractérisée par la croissance de nouveaux vaisseaux sanguins sous la macula. Ces néovaisseaux exsudent (« suintent »), ce qui forme un œdème sous la macula, responsable de la distorsion de la vision et de la perte de la vision centrale des personnes atteintes. Ses symptômes sont aggravés par le tabagisme et l’hypertension artérielle qui peuvent accentuer l’éclatement des vaisseaux sanguins.[71]
Traitements actuels contre la croissance pathologique de l’endothélium vasculaire et développement de nouveaux inhibiteurs
La coagulation directe des vaisseaux sanguins : des thérapies laser pour soigner la DMLA exsudative
Initialement, la DMLA exsudative était traitée par thérapie laser, dite photocoagulation, ou plus récemment par photothérapie dynamique. Ces méthodes chirurgicales reposent sur l’envoi d’une impulsion laser directement sur la zone à traiter afin de détruire les vaisseaux en croissance. En photocoagulation, l’énergie lumineuse est absorbée directement par la mélanine de la rétine qui initie une cascade réactionnelle conduisant à la destruction des photorécepteurs et des cellules endothéliales vasculaires dans son environnement direct.[71] La photothérapie dynamique repose sur le même principe mais, dans ce cas-là, une molécule est préalablement injectée au patient pour jouer le rôle de photosensibilisateur (14, Figure 30). Le recours à un photosensibilisateur présente au moins deux avantages : 1) atteindre des vaisseaux sanguins plus profonds, auparavant non accessibles ; 2) travailler avec un composé connu comme photosensibilisateur permet d’étudier au préalable ses différents mécanismes de désexcitations et de mieux prédire son action.
En photothérapie dynamique de manière générale, la destruction de la cible passe par la génération d’espèces réactives cytotoxiques sous irradiation lumineuse. Le passage des photosensibilisateurs à un état excité singulet puis à un état excité triplet, plus stable que les états excités singulets, par croisement inter système (CIS), permet de déclencher des cascades radicalaires par transfert d’un électron ou de générer des espèces réactives de l’oxygène (Reactive Oxygen Species, ROS) ou de l’oxygène singulet (1O2) par transfert d’énergie. Ces espèces peuvent alors réagir avec les protéines voisines soit par oxydation directe, soit par cycloaddition sur les acides aminés aromatiques (histidine, tyrosine ou tryptophane), déstabilisant la structure tertiaire de ces protéines et altérant ainsi leur fonction (Figure 31).
Ces thérapies laser sont cependant destructives, elles entraînent plusieurs complications du fait de l’utilisation du laser lui-même et de leur absence de sélectivité. En effet, l’utilisation d’un laser induit une marge d’erreur sur la profondeur de la focale et peut endommager des couches plus profondes du tissu que celles à traiter. De plus, lors de cette irradiation non-sélective, les cellules des vaisseaux sanguins comme celles responsables de la vision sont détruites ce qui peut entraîner une diminution voire une perte de la vision centrale chez le patient. Pour la photothérapie dynamique, il existe également des risques liés à l’utilisation de l’oxygène naturellement présent dans les tissus comme intermédiaire pour détruire les cellules de l’endothélium vasculaire. Cette destruction passant principalement par la génération de ROS (ou de 1O2), l’opération comporte des risques d’inflammation. En outre, la consommation de l’oxygène dans les tissus pendant l’irradiation conduit à une hypoxie, accentuée par la diminution de la vascularisation de la zone, qui favorise la production indirecte de VEGF et de VEGFr et donc de nouveaux vaisseaux sanguins. Ce dernier problème a pu être contourné combinant la photothérapie dynamique avec l’administration d’inhibiteurs de l’angiogenèse.[72]
Cette approche de photocoagulation directe des vaisseaux sanguins pour contrôler la néovascularisation des tissus reste malgré tout séduisante car elle offre des solutions qui permettraient de lutter sur le long terme contre la néovascularisation néfaste. De ce fait, elle a également été envisagée dans le cadre des traitements contre certains cancers. Cependant, si l’emploi d’une irradiation laser est possible dans le cas de la DMLA car le tissu à traiter se trouve dans l’œil et est donc transparent aux longueurs d’ondes employées, dans le cas des cancers, les tissus à traiter sont souvent profondément enfouis et la thérapie laser rencontre donc les mêmes limites de pénétration des tissus que celles décrites précédemment pour l’imagerie de fluorescence.
L’approche « anti-VEGF » pour inhiber l’angiogenèse
Le développement d’inhibiteurs de la croissance de l’endothélium vasculaire est un domaine actif de la recherche académique comme industrielle, en oncologie et en ophtalmologie.[65,66] L’idée d’empêcher la croissance d’une tumeur cancéreuse par inhibition de son angiogenèse date des années 70 mais a dû attendre la fin des années 80 avec d’abord, la mise en évidence des facteurs responsables de croissance de l’endothélium vasculaire (VEGF) et de ses récepteurs (VEGFr), puis la preuve de leur importance dans la vascularisation des tumeurs.[64] Ces découvertes ont été rapidement suivies par l’identification du rôle clé de ces mêmes facteurs et récepteurs dans les maladies ophtalmologiques liées à la néovascularisation rétinienne.
L’inhibition des signaux de croissance des vaisseaux sanguins peut se faire selon deux modes : soit par inhibition du VEGF circulant,[65] soit par inhibition des VEGFr.[66,67] Afin de reconnaître sélectivement les VEGF et de les piéger de manière efficace, les principes actifs développés sont des macromolécules comme les anticorps ou des protéines de fusion. Les VEGFr, en revanche, peuvent être inhibés par des anticorps comme des petites molécules. À noter que, les VEGF et les VEGFr étant identiques pour toutes les cellules endothéliales vasculaires peu importe où elles se situent dans le corps, un certain nombre de principes actifs se retrouve en oncologie comme en ophtalmologie.
Les premières cibles de l’inhibition de l’angiogenèse ont été les facteurs de croissance, caractérisés avant leurs récepteurs et dont les séquences ont été rapidement identifiées. Dès le milieu des années 90, il a été démontré que l’utilisation d’anticorps ciblant les VEGF provoque une inhibition de la croissance de tumeurs cancéreuse chez la souris et une suppression de la néovascularisation rétinienne par injection intravitréenne chez le singe.[65] Ces preuves de concept ont permis de valider cette approche « anti-VEGF » par des macromolécules dont font partis les premiers inhibiteurs d’angiogenèse approuvés par l’agence européenne des médicaments (European Medicines Agency, EMA) : le bevacizumab en 2005 (anticorps, Avastin®) suivi du pegaptanib en 2006 (oligonucléotide, Macugen®), qui sont des traitements contre certains cancers et la DMLA humide respectivement. Bien que le pegaptanib ait été retiré du marché en 2011 car son efficacité a été jugée de trop courte durée, l’approche « anti-VEGF » pour combattre la DMLA exsudative reste en cours de développement avec l’apparition régulière de nouveaux principes actifs sur le marché : ranibizumab approuvé en 2007 (anticorps, Lucentis®, leader du marché), aflibercept en 2012 (protéine de fusion, Eylea®) et brolucizumab en 2020 (anticorps, Boevu®). Aujourd’hui, les thérapies laser initialement employées pour soigner la DMLA exsudative jugées trop destructives ne sont plus qu’employées en absence de réponse aux autres traitements. La DMLA humide est maintenant traitée par l’administration intravitréenne de molécules « anti-VEGF » qui piègent les VEGF, inhibant ainsi la croissance des néovaisseaux. Ces traitements moins destructifs que les lasers permettent un ralentissement de la maladie, voire une amélioration dans les premiers mois, sous condition d’être effectués régulièrement (plusieurs injections par an). Malheureusement, des études montrent que l’effet de ces traitements est souvent en-deçà des effets démontrés lors des tests cliniques, probablement dû à un sous traitement lié à la rigueur nécessaire pour suivre régulièrement un traitement désagréable et particulièrement onéreux.[65] D’après un rapport publié par la Cour des Comptes, en France, ces molécules « anti-VEGF » ont coûté 583 M€ à la sécurité sociale en 2016.[70]
Dans le contexte actuel où la population mondiale est vieillissante, donc de plus en plus à même de contacter des maladies telles que la DMLA,[69] la nécessité de développer des traitements efficaces sur long terme et moins coûteux apparaît comme évidente.
Les inhibiteurs des VEGFr : le développement des petites molécules
Les autres cibles thérapeutiques évidentes afin d’inhiber l’angiogenèse sont les récepteurs des facteurs de croissance. Il existe plusieurs approches afin d’inhiber efficacement une protéine, que ce soit de manière réversible ou non : par fixation au(x) site(s) actif(s), par compétition avec ses ligands ou ses cofacteurs, par blocage de la protéine dans une conformation inactive ou par inhibition allostérique. Dans le cas présent, toutes ces approches rationnelles ont d’abord été limitées par l’absence de données sur la structure tridimensionnelle exacte des sites d’interaction des VEGFr. En absence de rationalisation, il est malgré tout possible d’envisager de cribler des librairies entières de petites molécules jusqu’à trouver des « hits ». Cette méthode facilement automatisable a d’ailleurs permis de reporter les premiers inhibiteurs de VEGFr dès 1996.[73] Aujourd’hui, la modélisation moléculaire in silico à partir de données cristallographiques du site actif des VEGFr permet de rationnaliser la synthèse d’inhibiteurs tout en conservant l’automatisation possible de la méthode. Dans une approche similaire à celle in vitro, il est possible de définir un certain nombre de paramètres qui font des inhibiteurs connus des VEGFr de bons inhibiteurs[74] puis de réaliser des criblages virtuels de larges bases de données de molécules à la recherche de nouveaux « hits ». Il est également possible de mener des études par fragment, en isolant in silico des fragments d’inhibiteurs connus qui conservent une bonne affinité pour le récepteur puis en utilisant leur placement spatial comme point de départ pour rationaliser la synthèse de nouveaux fragments inédits.[75]
Il existe aujourd’hui douze inhibiteurs des VEGFr sur le marché européen, dont un anticorps : le ramucirumab (Cyramza®, approuvé en 2014 par l’EMA) ; et neuf petites molécules actives : sorafenib (Nexavar®, 2006), sunitinib (Sutent®, 2006), pazobanib (Votrient®, 2010), vandetanib (Caprelsa®, 2012), axitinib 15 (Inlyta®, 2012), ponatinib (Iclusig®, 2013), regorafenib (Stivarga®, 2013), nintedanib (Vargatef®, 2014), cabozantinib (Cometriq®, 2014), lenvatinib (Lenvima®, 2015), tivozanib (Fotivda®, 2017) (Figure 32). Le ramucirumab agit par compétition directe avec le VEGF à son site de reconnaissance extracellulaire tandis que les petites molécules, capables de diffuser au travers de la membrane cellulaire, agissent au site de fixation de l’ATP. De nombreux autres inhibiteurs sont en cours de développement, tels que l’anlotinib et le rivoceranib par exemple.[76] Ces principes actifs sont utilisés dans les traitements de divers cancers mais présentent presque tous la même limite. En effet, il est difficile de prédire leur profil pharmacocinétique chez les patients ce qui peut induire des risques de perte d’efficacité à cause d’un sous-dosage ou de toxicité par surdosage. De plus, les sites catalytiques, qui fixent l’ATP, sont hautement conservés dans la famille des récepteurs tyrosine kinases, la plupart de ces inhibiteurs sont donc multi-cibles. L’intérêt de cette approche « multi-kinase » est un effet synergique lié à l’inhibition d’un ensemble de récepteurs,[77] tels que les récepteurs du facteur de croissance dérivé des plaquettes (Platelet Derived Growth Factor receptors, PDGFr), tous impliqués dans le développement cellulaire mais c’est aussi sa faiblesse. La toxicité des petits inhibiteurs des VEGFr naît d’évènements off-target qui peuvent conduire à de l’hypertension chez le patient, notamment en cas de surdosage.[66,67,77] La communauté s’accorde malgré tout à dire que ces petites molécules présentent moins de risques que la chimiothérapie conventionnelle et que des traitements dose-dépendants pourraient améliorer significativement leur efficacité.[66]
De manière générale, il est possible de classer l’ensemble des inhibiteurs des récepteurs tyrosine kinases en deux grandes catégories selon leur mode d’action : soit par compétition au site de fixation de l’ATP (type I), soit en bloquant la protéine dans une conformation inactive (type II). L’ensemble des inhibiteurs présentés ci-dessous fonctionnent en bloquant les VEGFr dans une conformation inactive, cependant, ils présentent des profils pharmacologiques divers avec des quantités, des durées et des fréquences d’exposition différentes. Ces différences de cinétiques ne sont pas expliquées par les protéines modèles ne comportant que le domaine tyrosine kinase de KDR, l’inhibition de l’activité des VEGFr étant plus faible dans ce cas-là que celle observée in vivo. Seuls les modèles recombinants possédant également le domaine juxtamembranaire des récepteurs ont permis de reproduire les ordres de grandeur d’inhibition observés in vivo.[78] Ces résultats sont appuyés par des données cristallographiques pour cinq des composés présentés ci-dessus (composés noir, Figure 32).[63]
La résolution de ces structures a pu mettre en évidence deux modes d’inhibition liés aux changements conformationnels des VEGFr présentés précédemment (cf. 2.1) Figure 29 p. 52). Le sorafenib et le tivozanib par exemple, se comportent comme des inhibiteurs de type II : ils bloquent la triade DFG dans sa conformation inactive (DFGout). La taille de leurs substituants entraîne cependant une gêne stérique avec le domaine juxtamembranaire qui se replie hors de sa position d’auto-inhibition (JMout). En revanche, le sunitinib, le pazopanib et l’axitinib 15 bloquent KDR dans sa conformation entièrement « fermée » (DFGout JMin) en créant notamment des interactions avec différents acides aminés du domaine juxtamembranaire.
De tous les composés présentés ci-dessus, l’axitinib 15 est le plus affin et le plus sélectif des VEGFr (Figure 33 A) avec une activité inférieure au nanomolaire. Cette affinité est explicable par le nombre d’interactions qu’il est capable de créer avec les VEGFr dans leur conformation « fermée », inactive.[74]
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE 1 INTRODUCTION BIBLIOGRAPHIQUE
1) IMAGERIE DE FLUORESCENCE DANS LE DOMAINE BIOMEDICAL
1.1) Enjeux, avantages, inconvénients et contraintes de l’imagerie de fluorescence en biologie et en médecine
1.1.1) Imagerie biologique
1.1.2) Imagerie médicale
1.1.3) Imagerie de fluorescence : avantages, inconvénients et contraintes
1.2) Outils de détection en imagerie de fluorescence
1.2.1) Fluorophores intrinsèques et protéines fluorescentes
1.2.2) Fluorophores extrinsèques covalents : les rapporteurs bioconjugués
1.2.3) Fluorophores extrinsèques non-covalents : une approche de la cible à la molécule par criblage haut-débit de fluorescence
1.3) Sondes pro-fluorescentes
1.3.1) Des sondes par couplage ligand-fluorophore
1.3.2) Des sondes par modification de molécules bioactives
1.4) Particularités mécanistiques des sondes conformationnelles
2) FONCTIONS BIOLOGIQUES ET PATHOLOGIQUES DES VEGFR ET ENJEUX LIES AUX TRAITEMENTS ACTUELS ET A LEUR RECHERCHE
2.1) Les récepteurs des facteurs de croissance de l’endothélium vasculaire
2.1.1) Localisations et fonctions de ces récepteurs
2.1.2) Activité enzymatique des VEGFr
2.1.3) Structures des VEGFr
2.1.4) Implications des VEGFr et des facteurs de croissance associés dans les maladies liées à une néovascularisation néfaste
2.2) Traitements actuels contre la croissance pathologique de l’endothélium vasculaire et développement de nouveaux inhibiteurs
2.2.1) La coagulation directe des vaisseaux sanguins : des thérapies laser pour soigner la DMLA exsudative
2.2.2) L’approche « anti-VEGF » pour inhiber l’angiogenèse
2.2.3) Les inhibiteurs des VEGFr : le développement des petites molécules
CHAPITRE 2 FLUOROPHORES AVEC UN DONNEUR INDAZOLE : SYNTHESES, PROPRIETES PHOTOPHYSIQUES ET IMAGERIE DE FLUORESCENCE
1) BIBLIOGRAPHIE AUTOUR DES INDAZOLES
1.1) Propriétés physicochimiques intrinsèques des indazoles
1.2) Synthèses des indazoles substitués en position C3
1.2.1) Par substitution directe
1.2.2) Par cyclisation du noyau indazole
2) SYNTHESE DES FLUOROPHORES AVEC UN DONNEUR INDAZOLE « SIMPLE » Ligands photo-actifs pour l’imagerie de fluorescence du VEGFr Novembre 2020
2.1) Synthèse des donneurs
2.1.1) 1H-indazole-3-carboxaldéhyde
2.1.2) 1- & 2-méthylindazole-3-carboxaldéhyde
2.2) Condensations Knoevenagel
2.2.1) Synthèse des accepteurs
2.2.2) Synthèse des sondes par condensation de Knoevenagel
2.3) Réactions de Wittig
2.3.1) Synthèse des accepteurs
2.3.2) Synthèse des sondes par réaction de Wittig
2.4) Couplages de Heck
2.4.1) Synthèse des accepteurs : styryles
2.4.2) Synthèse des sondes par couplage de Heck
3) ÉTUDES PHOTOPHYSIQUES
3.1) Solvatochromisme
3.1.1) Comparaison des différents groupements électroaccepteurs
3.1.2) Effet de la méthylation sur les azotes N1 ou N2 de l’indazole
3.1.3) Évaluation de l’indazole comme groupement électrodonneur
3.1.4) Études de la variation des moments dipolaires : modèle de Lippert-Mataga
3.1.5) Mécanismes d’extinction de photoblanchiment : discussion et pistes de réflexion
3.2) Études en viscosité
3.2.1) Étude en gamme de solvants et limitations
3.2.2) Étude en gamme de température
4) IMAGERIE SUR CELLULES VIVANTES & COLOCALISATION
4.1) Fluorophores avec accepteurs chargés
4.2) Fluorophores avec accepteurs neutres
5) CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
CHAPITRE 3 SYNTHESES DE LIGANDS PHOTO-ACTIFS SELECTIFS DU VEGFR ET ETUDES PHOTOPHYSIQUES
1) DEFIS SYNTHETIQUES DES SONDES SELECTIVES PAR COUPLAGE DE BUCHWALD HARTWIG
1.1) Réaction de Buchwald-Hartwig sur les indoles et les indazoles : bibliographie & expérience acquise
1.1.1) Contrôler la régiosélectivité de la réaction sur les indoles
1.1.2) Contrôler la régiosélectivité de la réaction sur les indazoles
1.2) Résultats de synthèse
1.2.1) Optimisation de deux voies de synthèse
1.2.2) Tentatives de couplages avec des substrats plus complexes
1.2.3) Exploration de synthèses alternatives
2) SYNTHESE DE SONDES SELECTIVES PAR COUPLAGE DE MIGITA
2.1) Le couplage de Migita dans la synthèse de l’axitinib
2.2) Résultats de synthèse
2.2.1) Sur le 6-bromo-1H-indazole
2.2.2) Sur le 6-bromoindazole-3-carboxaldéhyde
3) ETUDES PHOTOPHYSIQUES
3.1) Influence de la substitution du donneur indazole
3.1.1) Solvatochromisme
3.1.2) Études du photoblanchiment
3.1.3) Études en viscosité
Ligands photo-actifs pour l’imagerie de fluorescence du VEGFr Novembre 2020
3.2) Influence de la nature du lien D--A
3.2.1) Solvatochromisme
3.2.2) Études en viscosité
4) CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES
CONCLUSION GENERALE & PERSPECTIVES
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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