Qu’est-ce que l’ITV sous aortique ?
Le terme ITV signifie « intégrale temps-vitesse ». Il s’agit d’un spectre Doppler, obtenu à partir d’une coupe 5 cavités (elle-même réalisée à partir d’une coupe 4 cavités en inclinant légèrement la sonde vers le haut), en utilisant le mode Doppler pulsé et en plaçant le curseur juste sous la chambre de chasse aortique, à environ 1cm des valves aortiques et en traçant le volume spectral situé sous la ligne de base.
Un spectre Doppler permet de représenter la vitesse du flux sanguin en fonction du temps.
Un seul spectre Doppler nous informe donc sur la vitesse d’un flux et sur la direction de ce flux. Un flux sanguin se dirigeant vers la sonde apparaîtra au-dessus de la ligne de base et celui s’éloignant de la sonde apparaîtra en dessous de la ligne. Plusieurs modes Doppler existent en ETT :
– Doppler couleur
– Doppler continu
– Doppler pulsé
– Doppler tissulaire
Celui nous intéressant pour la mesure d’une ITV sous aortique est le Doppler pulsé. Ce mode Doppler est obtenu par un cristal ultrasonore unique qui émet un faisceau d’ultrasons et reçoit le faisceau réfléchi de façon alternative. Les ultrasons sont donc émis par paquets discontinus, en courte rafale. Ce mode a l’avantage de pouvoir analyser une zone précise dans le cœur ou dans les gros vaisseaux mais ne permet malheureusement pas l’analyse de vitesses élevées. La résolution spatiale est donc très bonne dans ce mode mais il persiste une ambiguïté au niveau des vitesses. [8]
Implication de l’ITV sous aortique dans la pratique des médecins urgentistes
La mesure d’une ITV sous aortique prend tout son sens pour la mesure du débit cardiaque du patient. Ce dernier étant le principal indicateur de perfusion des organes et de l’oxygénation du sang lors d’un état de choc, on comprend donc que sa mesure fiable est un élément primordial pour l’évaluation hémodynamique d’un patient se présentant aux urgences. [9]
Les trois paramètres nécessaires au calcul du débit cardiaque sont le diamètre de la chambre de chasse aortique, l’ITV sous aortique et la fréquence cardiaque. L’ITV sous aortique est finalement une estimation de la distance qu’une colonne de sang parcourt durant une systole.
Le diamètre de la chambre de chasse aortique est obtenu à partir d’une coupe parasternale grand axe. La mesure se faisant en systole entre les deux points d’insertion des sigmoïdes aortiques.
L’ITV sous aortique est obtenue à partir d’une coupe 5 cavités et en sélectionnant le mode Doppler pulsé, en plaçant le curseur Doppler juste sous la chambre de chasse aortique. L’ITV est obtenue en traçant le spectre Doppler résultant.
Méthodes
Type d’étude
Il s’agit d’une étude observationnelle, prospective de cohorte, d’évaluation d’une courbe d’apprentissage. Cette étude a été réalisée au sein d’une promotion de 17 internes demédecine d’urgence formés par le CHU de Nantes. Ces internes exerçaient alors dansdifférents services (urgences adulte, SAMU-SMUR, réanimation, cardiologie) et possiblement dans trois centres hospitaliers différents (Centre hospitalier universitaire de Nantes, Centre hospitalier de Saint Nazaire, Centre hospitalier de La Roche sur Yon). La participation des internes se faisait sur la base du volontariat.
Considérations éthiques
L’avis du comité de protection des personnes (CPP) n’a pas été requis, l’étude étant observationnelle et ne modifiant pas les pratiques (aucun procédé invasif n’était utilisé).
Population d’étude
Les sujets inclus dans cette étude sont 17 internes venant de la même promotion de médecine d’urgence à Nantes, novices dans leur formation (n’ayant aucune formation diplômante en échographie).
Dans cette étude, chaque interne portait un numéro afin d’être anonymisé. Ces numéros allaient de 01 à 17.
Formation nécessaire
Afin d’établir la courbe d’apprentissage de la mesure de l’ITV sous aortique chez les internes en médecine d’urgence, ces derniers devaient bien évidemment recevoir une formation en la matière.
Les internes en médecine d’urgence de Nantes reçoivent tout au long de leur internat une formation en échographie. Cette dernière se divise en plusieurs modules. Le module « échographie hémodynamique » s’est déroulé le 18 janvier 2021.
Parmi les 17 internes, 15 étaient présents lors de la formation du 18 janvier 2021. Les deux internes manquant à cette formation ont pu recevoir un rattrapage lors de la session d’échographie suivante (4 février 2021).
La formation en échocardiographie était à la fois théorique et pratique et dispensée par plusieurs médecins séniors urgentistes ayant une formation diplômante en échographie.
Patients
Tous les patients de plus de 18 ans se trouvant dans le service où exerçaient les internes inclus dans l’étude étaient éligibles dès lors qu’ils nécessitaient une évaluation hémodynamique par ETT. Certaines mesures ont également été réalisées lors de cours d’échographie, sur des internes volontaires sains.
Recueil des données
Les données ont été collectées entre le 26/01/2021 et le 02/05/2022.
A chaque réalisation d’une ETT, l’interne devait remplir un formulaire, permettant de collecter les informations suivantes :
– Age du patient
– Sexe du patient
– Service d’hospitalisation
– Fréquence cardiaque
– Pression artérielle systolique et diastolique
– Température
– Saturation en oxygène
– Indication de l’ETT
– Position du patient (position proclive 30-45°, décubitus dorsal, décubitus latéral gauche)
– La FEVG de base du patient si cette dernière était connue (> 50% ou < 30%)
– Échogénicité du patient
– Durée nécessaire pour la mesure de l’ITV sous aortique
– La mesure de l’ITV sous aortique a-t-elle entraîné une modification de la prise en charge du patient ?
– Auto-évaluation de l’interne avec
o 1 : ITV médiocre, ininterprétable
o 2 : ITV difficile, difficilement interprétable
o 3 : mesure d’ITV me suffisant pour conclure
o 4 : bonne ITV, plus de la moitié des critères de qualité sont présents
o 5 : tous les critères de qualité sont présents selon vous
– Concordance du résultat de l’ITV sous aortique mesurée par le sénior de l’interne (s’il y avait eu un contrôle de l’ETT)
Ce formulaire était présenté sous la forme d’un Google form afin de faciliter le recueil des données (annexe 1). Ce dernier permettait également de joindre au formulaire une photographie de l’écran de l’échographe utilisé par l’interne. Cette dernière devait permettre de visualiser à la fois la coupe 5 cavités, le spectre Doppler et enfin la mesure de l’ITV sous aortique.
Toutes les réponses collectées grâce au formulaire étaient ensuite enregistrées à l’aide d’un fichier Excel.
Afin d’établir une courbe d’apprentissage pour chaque interne, il fallait attribuer une note pour chaque mesure d’ITV réalisée. Les photographies d’ITV sous aortique prises par les internes ont donc été relues par un comité de relecture composé de deux médecins urgentistes du CHU de Nantes ayant une formation diplômante en échographie (et ainsi considérés comme experts). Toutes les photographies ont été renommées avec un code défini aléatoirement de sorte que les médecins du comité de relecture étaient en aveugle de l’identité de l’interne ayant fait la photographie et en aveugle du stade d’avancement de chaque interne. Ils n’avaient pas accès au formulaire de recueil des données.
Discussion
Synthèse
Bien que le diagnostic d’un état de choc soit anamnestique et clinique, l’échocardiographie est une aide fondamentale pour comprendre le mécanisme à l’origine d’une défaillance circulatoire. [20] Elle permet de limiter le recours à des examens irradiants comme la radiographie et le scanner, sans aggraver le pronostic des patients et évite le recours systématique à l’avis de cardiologues, ces derniers n’étant pas toujours disponibles rapidement.
Un point important pour la réanimation d’un patient en état de choc réside dans le maintien d’une perfusion d’organe et donc dans la décision d’administrer des fluides ou d’initier une thérapeutique vasoactive. La loi de Starling décrit l’évolution de la contractilité myocardique et, par extension, du volume d’éjection systolique (VES), en fonction de la volémie. En effet, l’étirement des fibres myocardiques (lors d’une expansion volémique par exemple) entraîne, dans une certaine mesure, une augmentation de la contractilité myocardique. Une augmentation du débit cardiaque de 15% après un remplissage vasculaire est en faveur d’un patient précharge-dépendant, c’est-à-dire un patient répondant positivement à l’expansion volémique. A l’inverse, une faible augmentation est en faveur d’un patient non préchargedépendant. Un remplissage sera alors potentiellement délétère et expose au risque de surcharge volémique.
Le VES étant le produit de l’ITV sous aortique par la surface de la chambre de chasse ventriculaire gauche, nous pouvons considérer que la mesure de l’ITV sous aortique peut être utilisée en lieu et place du VES et du débit cardiaque. [7] Muller et al ont notamment montré en 2011 qu’une augmentation de 10% de l’ITV sous aortique suite à un remplissage de 100mL sur une minute prédisait une augmentation de 15% du débit cardiaque après l’administration de 500mL de solutés chez des patients en état de choc.
L’ITV sous aortique est donc une mesure essentielle pour la prise en charge des patients en état de choc. Pourtant, en 2014 selon Boulain et al, l’échocardiographie n’était utilisée que dans 7,2% des épreuves d’expansion volémique en soins intensifs.
Il nous semble donc important et nécessaire de bien former les futurs médecins à la pratique échocardiographique afin d’optimiser la prise en charge et le pronostic des patients. La SFMU a élaboré dans ce sens des recommandations sur un deuxième niveau de compétence pour l’ECMU. Il existe un accord fort sur le fait qu’un médecin urgentiste doit être capable de quantifier le débit cardiaque par mesure de l’ITV sous aortique et de quantifier la réponse à une expansion volémique par mesures répétées de l’ITV sous aortique. Cependant, il n’est pas notifié combien de mesures doivent être réalisées pour qu’un urgentiste soit considéré comme compétent en la matière. [23]
Il a été montré qu’une formation ciblée en échocardiographie chez des internes en soins intensifs sans formation préalable semblait faisable et efficace pour répondre à des questions simples (évaluation visuelle de la FEVG, dilatation du ventricule gauche, présence d’un cœur pulmonaire aigu, épanchement péricardique ou tamponnade).
Townsend et al ont évalué en 2015 la courbe d’apprentissage des internes en réanimation chirurgicale pour la réalisation et l’interprétation de l’ETT focalisée sur la fonction cardiaque et la volémie des patients de soins intensifs. Cette étude prospective a pu démontrer que ces internes maîtrisaient l’évaluation de la FEVG et de la volémie après 4 séances de formation, ceci permettant à ces jeunes médecins de guider leurs futures réanimations sans surveillance invasive.
Dinh et al ont déjà montré en 2012 que les médecins urgentistes étaient aussi compétents que les cardiologues pour mesurer le débit cardiaque (et in fine de mesurer l’ITV sous aortique), après une formation théorique et pratique de 20 heures. [9] Cependant, la notion de courbe d’apprentissage n’était pas utilisée.
Notre étude est la première s’intéressant à la courbe d’apprentissage des internes en médecine d’urgence pour la mesure de l’ITV sous aortique en échocardiographie.
Le principal constat est un faible taux d’acquisition de la compétence : cette dernière n’est démontrée que chez 3 internes sur 17. L’acquisition de la compétence se faisaient en 11, 14 et 28 procédures chez les internes 11, 07 et 03 respectivement. Il s’agit de trois internes passés en stage de cardiologie avec des patients installés majoritairement en décubitus latéral gauche (position optimale permettant de nettement améliorer la qualité de la coupe 5 cavités). L’objectif principal n’est donc atteint que chez ces 3 internes. Le manque de mesures pour la majorité des autres internes ne nous a pas permis de conclure à une acquisition de la compétence. Cependant, la limite h n’est pas franchie chez les internes 04, 10 et 13 bien qu’ils aient réalisé chacun plus de 20 mesures. Ces internes ont réalisé leur ETT principalement en réanimation ou en service d’urgence avec des patients installés en décubitus dorsal ou en position proclive (altérant dans les deux cas l’échogénicité des patients), pouvant expliquer la non-acquisition de compétence (figure 9).
Il existe peut-être une facilité chez certains internes en échocardiographie, mais il semble que le nombre d’ETT réalisées par les internes, la position des patients et les services dans lesquels les internes ont été formés ont une importance dans l’acquisition ou non de la compétence.
Impact de l’analyse statistique
Le suivi continu des performances en santé est une notion existant depuis de nombreuses années. Un certain nombre de processus médicaux peuvent être surveillés, telles que des procédures chirurgicales ou encore des épidémies. Les états sous contrôle et hors contrôle correspondent aux niveaux de performance adéquat et inadéquat respectivement. Le test CUSUM est le test statistique ayant la formulation la plus simple et la représentation la plus intuitive pour émettre une alarme lorsqu’un processus passe hors contrôle. [19]
Le test LC-CUSUM a quant à lui la capacité de signaler quand un processus passe sous contrôle, et donc quand un stagiaire atteint un niveau de performance adéquat (les hypothèse statistiques H0 et H1 sont l’inverse de celles du CUSUM). Il s’agit d’une méthode statistique récente, pertinente pour le suivi d’une courbe d’apprentissage et fournissant un seuil comme preuve objective d’acquisition de la compétence.
Il faut toutefois être vigilant aux paramètres du test (taux de performance acceptable P0, delta) et à la limite h, influant fortement sur l’interprétation des résultats. Le choix d’une limite h basse permet d’améliorer le seuil de détection mais augmente également le risque d’interprétation à tort de la compétence. Une limite h trop haute permettra de diminuer le taux de faux positifs mais diminuera dans le même temps le taux de vrais positifs. Notre choix de limite h à 1,4 donne à cette étude un taux de vrais positifs à 85,37 % et un taux de faux positifs à 10,36%, optimisant donc l’objectif de l’acquisition de la compétence avec un risque modéré d’interpréter à tort cette acquisition. Ces taux sont tirés d’une simulation informatique (10 000 simulations de séries de 50 procédures) sur la base des paramètres choisis (limite h, P0, delta). Le moyen d’optimiser au mieux ces taux est d’augmenter le nombre de procédures.
Limites
Une des difficultés rencontrées dans cette étude est le recueil de données. En effet, le nombre de mesure par interne est très hétérogène (figure 3) et globalement insuffisant, bien que le formulaire se voulait le plus concis possible et malgré le recueil des mesures par photographie. Ceci explique peut-être le faible taux d’acquisition de la compétence (figure 8).
Il peut également être expliqué par l’hétérogénéité des patients examinés. Les internes ne sont pas passés par les mêmes services, les conditions pour réaliser leurs échocardiographies pouvaient être très différentes : en effet, la qualité de mesure d’une ITV sous aortique chez un patient se trouvant en réanimation, intubé, ventilé et en position proclive à 30° ne peut être la même que chez un patient venant en consultation de cardiologie et positionné en décubitus latéral gauche. Nous pensons que cette différence de conditions de travail pourrait être à l’origine de la non acquisition de compétence chez les internes 04, 10 et 13.
La compétence n’ayant été acquise que chez trois internes, les performances de ces derniers ne peuvent pas être transposables pour tous les internes de médecine d’urgence. Une nouvelle étude serait nécessaire avec plus d’internes, sur des promotions différentes, et sur plus de centres hospitaliers, afin de pouvoir conclure sur un nombre moyen de mesures à réaliser pour atteindre la compétence.
Perspectives
L’échocardiographie est un outil diagnostique précieux en médecine d’urgence. La mesure de l’ITV sous aortique est une mesure fondamentale pour l’évaluation hémodynamique d’un patient.
Notre étude n’a malheureusement pas pu déterminer le nombre d’échocardiographies qui doivent être réalisées par un interne pour atteindre un niveau de précision suffisant à une bonne interprétation de l’ITV sous aortique. Une nouvelle étude devra être réalisée avec un temps d’observation plus long et en incluant plus d’internes pour pouvoir répondre à cette problématique.
Les études portant sur les courbes d’apprentissage sont de plus en plus nombreuses, suscitent de l’intérêt et ce d’autant plus dans le domaine de la médecine d’urgence où de nombreux actes techniques sont nécessaires. Il serait donc intéressant de réaliser d’autres études concernant la courbe d’apprentissage des internes en médecine d’urgence en France sur d’autres compétences échographiques (profil mitral et appréciation des pressions de remplissage, diagnostic d’une occlusion intestinale, diagnostic d’une infection pulmonaire, FAST échographie, Doppler transcrânien, etc) et sur certains gestes techniques comme l’intubation orotrachéale [18] ou la pose de drains thoraciques.
Conclusion
Il s’agit de la première étude s’intéressant à la courbe d’apprentissage des internes en médecine d’urgence pour la mesure de l’ITV sous aortique. L’apprentissage des internes était représenté graphiquement par la méthode LC-CUSUM. Seuls trois internes ont démontré une acquisition de la compétence. Du fait du peu de données, nous ne pouvons pas formuler de nombre moyen de mesures à réaliser pour être compétent pour la mesure de l’ITV sous aortique. D’autres études prospectives seront nécessaires sur un temps d’observation plus long et avec un nombre de sujets inclus plus important pour répondre à cette problématique
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Contexte
1.2 L’ETT
1.3 Qu’est-ce que l’ITV sous aortique ?
1.4 Implication de l’ITV sous aortique dans la pratique des médecins urgentistes
1.5 Objectifs
2 Méthodes
2.1 Type d’étude
2.2 Considérations éthiques
2.3 Population d’étude
2.4 Formation nécessaire
2.5 Patients
2.6 Recueil des données
2.7 Analyse statistique
3 Résultats
3.1 Urgentistes formés
3.2 Patients
3.3 Comité de relecture
3.4 Objectif principal
3.5 Objectifs secondaires
4 Discussion
4.1 Synthèse
4.2 Impact de l’analyse statistique
4.3 Limites
4.4 Perspectives
5 Conclusion
6 Bibliographie
7 Images
8 Tableaux
9 Annexe 1 : Formulaire de recueil des données
10 Annexe 2 : Courbes d’apprentissage LC-CUSUM
11 Liste des abréviations