IMPLICATIONS POUR LA GESTION DE L’ESPÈCE
L’APPORT DE NOURRITURE ANTHROPIQUE À LA FAUNE SAUVAGE
L’apport de nourriture anthropique peut avoir des conséquences écologiques notables pour la faune sauvage à l’échelle de l’individu, de la population ou même de l’écosystème (Orams 2002; Dunkley et Cattet 2003). Selon le type, la durée et la quantité de nourriture anthropique fournie, les impacts sur la faune seront plus ou moins considérables (Dunkley et Cattet 2003; Gray et al. 2004). L’activité la plus répandue est certainement l’utilisation d’appâts par les chasseurs qui souhaitent attirer le gibier à proximité de leur site d’affût. Il existe cependant des activités de nourrissage à plus large échelle, qui à la différence de l’utilisation d’appâts pour les fins de récolte sportive, n’impliquent pas forcément la mort d’un ou de plusieurs individus (Dunkley et Cattet 2003). C’est le cas par exemple, de l’utilisation de suppléments alimentaires qui sont le plus souvent utilisés pour favoriser certaines caractéristiques physiologiques des individus ou d’une population (p. ex. la taille
des bois, le nombre et la survie des jeunes, etc.) ou du nourrissage d’urgence, qui fournit de la nourriture lorsque les ressources alimentaires naturelles sont inaccessibles ou limitées.
Le nourrissage de diversion vise quant à lui à réduire les dommages et les coûts occasionnés par la faune sur les cultures, la forêt ou le bétail. Finalement, il existe également des activités de mise en valeur de la faune sauvage qui visent à offrir des activités d’observation et d’interprétation de la faune dans son habitat naturel. Pour faciliter l’observation et augmenter les taux de succès, les animaux sont attirés aux sites par l’apport régulier de nourriture anthropique (Orams 2002).
Malgré les bonnes intentions des personnes qui pratiquent le nourrissage de la faune sauvage, ces activités demeurent critiquées, tant par les citoyens et les utilisateurs du milieu naturel que par les gestionnaires de la faune. D’ailleurs, la réglementation qui encadre les activités qui impliquent l’apport intentionnel de nourriture anthropique à la faune sauvage varie entre les juridictions .
INTERACTIONS OURS-HUMAINS
L’ours noir {Ursus americanus) occupe une aire de répartition très vaste en Amérique du Nord et se retrouve dans une grande diversité d’habitats (Lamontagne et al. 2006). La littérature rapporte que le nombre d’interactions et de conflits entre les humains et les ours auraient augmenté au cours des dernières décennies (Beckmann et al. 2004; Baruch-Mordo et al. 2008; Herrero et al. 2011). L’empiétement grandissant des zones urbaines sur le milieu forestier (Conover 2002), la présence de zones ponctuelles de nourriture alternative comme les dépotoirs et les champs agricoles (Samson 1995), les coupes forestières (Samson et Huot 1998) et l’accroissement de popularité envers les activités de plein-air (Scace et al. 1992) sont toutes des modifications du milieu qui influencent l’utilisation de l’habitat de l’ours et peuvent mener à des interactions plus fréquentes avec l’humain(Garshelis 1989; Miller 1990; Good 1999).
Les ours sont qualifiés d’importuns lorsqu’ils se retrouvent près des habitations ou des zones récréotouristiques, généralement à la recherche de nourriture d’origine naturelle ou anthropique ou lorsqu’ils causent des dommages (Hopkins et al. 2010). Occasionnellement, ils peuvent menacer la sécurité des gens (Hygnstrom 1994; Witmer et Whittaker 2001; Beckmann et al. 2004). Bien que les attaques d’ours noirs soient rares, la couverture médiatique dont elles font l’objet influence la tolérance de l’humain envers cet animal qui suscite parfois la crainte (Gore et al. 2005). Herrero (1985) a rapporté que 500 rencontres entre un humain et l’ours noir se sont soldées par des blessures de 1960 à 1980 en Amérique du Nord. De ces cas, 90% étaient des blessures mineures (égratignures, ecchymoses, morsures) et étaient associées à l’habituation des ours conditionnés à une source de nourriture. Un ours conditionné ou habitué à la nourriture d’origine anthropique
est un ours qui a appris à associer l’humain, ou les aires que celui-ci occupe, à la source de nourriture qu’il consomme (Mazur 2010).
L’OBSERVATION DE L’OURS NOIR : UNE ACTIVITE CONTROVERSEE
Afin de mettre en valeur l’espèce, plusieurs activités d’observation de l’ours noir dans son habitat naturel ont été développées. Pour faciliter leur observation, les ours sont attirés et, dans une certaine mesure, fidélisés aux sites par l’apport quotidien de nourriture anthropique. Cette pratique de mise en valeur et d’éducation est très populaire auprès de la clientèle touristique et permet d’attirer des ours de façon efficace. De plus, l’observation de l’ours noir peut générer des retombées économiques substantielles (Orams 2002).
Toutefois, les effets potentiels de cette activité sur l’écologie de l’ours et les relations ours – humains demeurent inconnus et soulèvent des controverses biologiques et éthiques.
L’ours noir possède une grande capacité d’apprentissage, de mémorisation et d’adaptation vis-à-vis les sources de nourriture artificielles et alternatives (Herrero 1985; Rogers 1989;
Spencer et al. 2007). De plus, le conditionnement de l’ours à une source de nourriture serait accentué lorsque sa disponibilité est relativement constante (Herrero 1985; Clark et al.2002; Gray et al. 2004). Gray et al. (2004) ont d’ailleurs démontré l’habituation des ours envers une source de nourriture anthropique dont la disponibilité est relativement constante (dans ce cas-ci les ordures ménagères). Ils suggèrent que cette source de nourriture est profitable pour les ours puisque : 1) elle est toujours disponible, indépendamment de la saison ou des conditions environnementales, 2) elle est prévisible dans l’espace et dans le temps, 3) son acquisition nécessite une dépense énergétique moindre puisqu’elle se retrouve souvent à forte densité (p. ex. quartiers résidentiels) et 4) elle se régénère suite à son utilisation (les poubelles sont remplies à intervalles réguliers). Or, c’est exactement la situation qui prévaut durant plusieurs mois aux sites de nourrissage établis à des fins d’observation. Compte tenu de l’importance qu’occupe la quête alimentaire dans le budget
d’activité de l’ours noir, les impacts de ce type de sites pourraient être considérables puisque la distribution et l’abondance des ressources alimentaires influencent grandement l’utilisation de l’espace de cet omnivore opportuniste (Garshelis et Pelton 1981; Koehler et Pierce 2003).
METHODES
AIRE D’ÉTUDE
L’étude a été réalisée dans la région du Saguenay – Lac-Saint-Jean au Québec (48°25’N, 71°03’O). L’aire d’étude couvrait une superficie approximative de 20 000 km2 et on y dénote la présence d’un site d’observation sur la rive sud du Saguenay (Figure 1). Le paysage de l’aire d’étude est dominé par le plateau laurentien qui ceinture les régions habitées, concentrées dans les basses-terres en bordure de la rivière Saguenay et du lac Saint-Jean. Le territoire est de type forestier sur près de 90% de sa superficie et présente deux zones de végétation distinctes; la forêt boréale continue (domaines de la pessière et de la sapinière à bouleau blanc) et la forêt mixte (domaine de la sapinière à bouleau jaune) (MRNF 2003). La forêt est dominée par les peuplements de sapin baumier (Abies balsamed), d’épinette blanche (Picea glaucd), d’épinette noire (Picea mariand), de pin gris (Pinus banksiana) et de mélèze (Larix lancina), accompagnés de bouleau blanc (Betula
papyrifera) ou de peuplier faux-tremble (Populus tremuloides) (MRNF 2003).
Le climat est de type continental, caractérisé par des températures froides et modérément humides. Le total annuel de précipitations mesurables est de 661 mm de pluie et 342 mm de
neige (station météorologique Bagotville). La température annuelle moyenne oscille autour de 2,3 °C, avec une température moyenne de -16,1 °C en janvier et 18,1 °C en juillet (Environnement Canada 2010). Selon la latitude et l’altitude, de fortes variations de températures influencent la saison de croissance végétale. Dépendamment de la température locale et selon les années, les ours peuvent amorcer leur période d’hibernation à partir des mois d’octobre ou de novembre et ils quittent généralement leur tanière avant la mi-mai (Beecham et al. 1983; Samson et Huot 1994). La densité de l’ours noir dans l’aire d’étude a été estimée à 0,73 ours /10 km2 et la récolte par la chasse et le piégeage y est permise (Dussault 2006).
Le site de nourrissage est situé sur le territoire d’une base de plein-air. Les habitations les plus proches du site de nourrissage sont situées à environ 2,5 km de celui-ci. Le site est opérationnel depuis 2005 et accueille environ 2800 visiteurs entre les mois de mai à octobre depuis 2006. Le nourrissage débute généralement à la fin du mois d’avril et il se poursuit jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’ours au site, soit vers la fin octobre ou la mi-novembre.
Quotidiennement, entre 14 kg et 27 kg de nourriture d’origine anthropique (principalement des gâteaux et de la viande) sont déposés sur le site au crépuscule. Le nombre d’ours observés lors d’une même soirée varie de six à dix, mais il atteint fréquemment plus d’une douzaine à l’automne.
CAPTURE ET TELEMETRIE
Nous avons réalisé le suivi télémétrique sur les ours mâles adultes uniquement. Les ours mâles occupent de plus grands domaines vitaux, se déplacent davantage (Jonkel et Cowan 1971; Amstrup et Beechman 1976; Samson et Huot 1994) et seraient plus enclins à interagir avec les humains (Garshelis 1989; Herrero et al. 2011). Ainsi, si les ours qui fréquentent un site de nourrissage démontrent une plus grande attirance envers les habitats anthropiques, nous devrions pouvoir le mesurer plus facilement avec ce segment de la population. Afin d’obtenir un échantillon adéquat d’ours fréquentant le site de nourrissage, nous avons établi des pièges dans un rayon inférieur à 5 km autour du site de nourrissage. Nous avons capturé principalement les ours témoins dans la partie nord du site d’étude là où il n’y a pas de site de nourrissage.
Les captures se sont déroulées entre les mois de mai et septembre 2008 à 2010, à l’aide de cages de capture et de pièges à pattes (Jolicoeur et Lemieux 1992; Lupien 2012). Les ours ont été anesthésiés à l’aide d’un mélange universel de kétamine (6 mg/kg) et de xylazine (1,2 mg/kg). Le dosage a été établi en fonction d’une estimation de la masse corporelle de l’animal. Les manipulations ont été approuvées par un comité de protection des animaux (protocoles #08-00-11, 2009-16, 2010-13, 2011-01). Lors de la capture, les individus ont été pesés et la première prémolaire sur la mâchoire du haut (PMi) de la majorité (78%) des individus munis d’un collier émetteur a été extraite afin d’obtenir une estimation de l’âge (Matson’s Laboratory LLC, Milltown, Montana) (Matson 1981). Puisque nous visions le segment adulte et que l’âge n’était pas immédiatement disponible, nous avons décidé de munir seulement les mâles de plus de 50 kg d’un collier GPS(Telonics, Mesa, Arizona, USA, modèle TGW 4600). Les ours reconnus comme étant
juvéniles (< 3,5 ans) suite à la lecture des dents ont été éliminés des analyses (n = 2). Le collier GPS était programmé pour enregistrer une localisation à toutes les heures du 1er mai au 30 octobre. Le téléchargement des données et l’ajustement des colliers ont été effectués à chaque hiver lors des visites aux tanières. Lors de ces visites, les ours ont été anesthésiés avec une solution pré-mélangée de Telazol® (Telazol : 2,0 mg/kg; kétamine : 3,2 mg/kg; xylazine : 0,4 mg/kg).
SELECTION D’HABITATS
Les types d’habitat ont été déterminés à partir des cartes écoforestières du Système d’information écoforestière (SIEF) du ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec (MRNF). Ces cartes sont basées sur l’interprétation de photographies aériennes à l’échelle 1 :15 000. Les différents types de peuplements forestiers (>4ha) et les milieux improductifs (> 2 ha) sont représentés sous forme de polygones. Nous avons regroupés les milieux disponibles en huit types d’habitat (Tableau I) en tenant compte de leur similarité (type de couvert, classe d’âge et structure), de leur importance pour l’ours noir et des limites des cartes forestières (Dussault et al. 2001). Les couches numériques représentant les chemins forestiers et les routes (ci-après appelée routes), ainsi que les habitations et les baux de villégiature (ci-après appelés habitations) ont également été acquises auprès du MRNF.
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Table des matières
CHAPITRE I-INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE II
RÉSUMÉ
INTRODUCTION
MÉTHODOLOGIE
AIRE D’ÉTUDE
CAPTURES ET TÉLÉMÉTRIE
ANALYSE DES DONNÉES
UTILISATION DE L’ESPACE
SÉLECTION D’HABITATS
RÉSULTATS
UTILISATION DE L’ESPACE
SÉLECTION D’HABITATS
DISCUSSION
UTILISATION DE L’ESPACE
SÉLECTION D’HABITATS
IMPLICATIONS POUR LA GESTION DE L’ESPÈCE
RÉFÉRENCES
CHAPITRE III-CONCLUSION GÉNÉRALE
RÉFÉRENCES DE L’INTRODUCTION ET DE LA CONCLUSION GÉNÉRALES
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