La foresterie et le déclin du caribou
À l’ échelle circumpolaire, les perturbations grandissantes d’ordres climatique et anthropique causeraient le déclin de la majorité des troupeaux de caribou et de rem1e (Rangifer tarandus) (Vors & Boyce 2009; Festa-Bianchet et al. 2011 ). Au Canada, les effets de l’ anthropisation se font sentir jusqu’ en forêt boréale, la limite méridionale des forêts aménagées ne cessant de progresser vers le nord (Schaefer 2003; Brown et al. 2007).À l’intérieur de ce biome, l’homme et les espèces en péril s’opposent dans un enjeu de taille, les deux parties tirant profit de la forêt mature (Cumming et al. ~ 994; Burton et al. 2003). L’exploitation forestière intensifie la fragmentation de la forêt et mène à l’extinction massive d’espèces fauniques et végétales (Schmiegelow & Monkkonen 2002; Fahrig 2003; Boudreault et al. 2008). En plus de causer la perte d’habitat pour la faune, l’ exploitation forestière augmente indirectement le contact avec des infrastructures humaines, telles les routes et les structures pérennes (Polfus, Hebblewhite & Heinemeyer 2011). L’écotype forestier du caribou des bois (R. t. caribou) se montre particulièrement sensible à l’aménagement forestier et voit ses populations décliner tant au Québec (Courtois et al. 2003) qu’au Canada (Environnement Canada 2011). Habituellement associé aux forêts matures intactes, le caribou voit notamment son accès à des aires d’alimentation et d’hivernage (Stevenson 1991 ; Cumming & Beange 1993; Briand et al. 2009) ou de mise bas (Schaefer & Mahoney 2007; Hins et al. 2009) entravé par l’industrie forestière et la configuration spatiale des coupes (Hins et al. 2009; Faille et al. 2010). Impacts des perturbations sur le caribou et sélection d’habitat Les impacts des pratiques forestières et des perturbations associées (e.g. routes, infrastructures) sur le caribou ont été documentés à la fois à l’échelle individuelle (e.g.sélection d’habitat, utilisation des ressources) (Briand et al. 2009; Hins et al. 2009) et populationnelle (e.g. survie, fécondité, recrutement, abondance) (Vors et al. 2007; Wittmer et al. 2007). Des liens entre les paramètres démographiques, la mortalité et les patrons de sélection d’habitat du caribou ont déjà été établis auparavant (McLoughlin, Dunford & Boutin 2005 ; Pinard et al. 2012) tandis que les taux de croissance des populations de caribou ont été corrélés avec l’altération des habitats (Wittmer et al. 2007; Sorensen et al. 2008; Environnement Canada 2011). Des études effectuées au Canada et en Norvège ont aussi permis de constater que le caribou et le renne évitent les perturbations liées directement ou indirectement à l’industrie forestière: les coupes récentes (Smith et al. 2000; Schaefer & Mahoney 2007), les parterres en régénération (Hins et al. 2009), les sites touristiques et de villégiature (Nellemann et al. 2000; Vistnes & Nellemann 2001), les lignes de transport hydroélectrique (Nellemann et al.2001; Vistnes & Nellemann 2001) et les routes (Dyer et al. 200 1, Vistnes & Nelleman 200 1, Leblond et al. 20 Il). En plus de morceler le paysage, ces infrastructures entraînent avec elles un certain niveau d’activité humaine en leur périphérie (Nellemann et al. 2000), sans compter les nombreuses autres sources de dérangement que l’accès au territoire peut engendrer et faciliter (e.g. mines, sites d’exploitation pétrolière). En revanche, les connaissances acquises jusqu’à maintenant ont permIS de comprendre la principale stratégie antiprédatrice du caribou, soit la ségrégation spatiale d’avec ses prédateurs et leurs proies alternatives (Seip 1991 ; Courtois et al. 2007). Pour ce faire, le caribou utilise l’ habitat de façon différente des autres cervidés, en évitant par exemple les parterres en régénération, pour esquiver à la fois ces proies alternatives que sont les autres espèces de cervidés et leurs prédateurs potentiels, dont le loup gris (Canis lupus) (Seip 1992). Pendant les périodes cruciales de son cycle vital (e.g. la mise bas) le caribou se déplace continuellement afin de s’éloigner de ces autres espèces (Seip 1991, Ferguson et Elkie 2004). Ainsi, le caribou des bois est associé à de grandes parcelles contigües de forêts résineuses matures (Hins et al. 2009) et de tourbières (Bradshaw et al. 1995), qui facilitent ses déplacements entre ses domaines vitaux saisonniers (Fergus on & Elkie 2004) et au sein desquels il sélectionne les dénudés secs (Briand et al. 2009). Les forêts résineuses matures, les dénudés secs et les tourbières sont sélectionnés à large échelle (Hins et al. 2009; Charbonneau 20 Il), à la fois pour leur faible densité de prédateurs (Rettie & Messier 2000; McLoughlin, Dunford & Boutin 2005) et pour leur haut potentiel alimentaire en terme de lichens terricoles et arboricoles (Courtois et al. 2007; Wittmer et al 2007; Briand et al. 2009). Pendant la période du rut, les caribous optent pour les habitats forestiers ouverts (e.g. dénudés secs, tourbières) cette fois-ci dans le but de repérer facilement un partenaire (Courtois 2003). À l’hiver, ils se regroupent dans des pessières à fort couveli lichénique et à faible profondeur de neige (Rettie, Sheard & Messier 1997; Briand et al. 2009). Le lichen est une ressource peu utilisée par les autres ongulés, mais peut devenir limitant à fine échelle, tout comme les conditions de neige en hiver (Briand et al. 2009).
La compétition apparente
La compétition apparente (Holt 1977) serait un des mécanismes impliqués dans le déclin du caribou en Amérique du Nord, conséquent à la récolte forestière (James et al. 2004; Wittmer, Sinclair & McLellan 2005; Wittmer et al. 2007). Les coupes forestières contribuent à la création de nouveaux habitats tels que les forêts feuillues et mixtes en régénération, riches en brout favorable aux herbivores (Dus sault et al. 2005b) et sélectionnées par le loup gris (Courbin et al. 2009). Les loups sélectionnent aussi les routes, qui leur permettent de se déplacer et de chasser plus efficacement (James & Stuart-Smith 2000; Courbin et al. 2009), expliquant le comportement d’évitement à long terme de ces structures par le caribou (James et Stuart-Smith 2000). De plus, les peuplements en régénération fournissent une plus grande densité et biomasse de baies comparativement aux autres types de couverts forestiers (Brodeur et al. 2008). Ces peuplements sont conséquemment fortement sélectionnés par l’ours noir (Ursus americanus) (Brodeur et al. 2008), un prédateur potentiel des faons de caribou (Pinard et al. 2012). En modifiant la structure et la composition du paysage, la conversion des forêts matures en parterres de coupes favorise l’ établissement en plus grande densité de l’orignal (Alees alces) et de son principal prédateur, le loup gris, ce qui engendre indirectement une pression de prédation accrue à la fois sur les caribous et les orignaux (Bergerud 1974; Seip 1991). Parmi les conséquences indirectes de la perte de couvert forestier mature sur la survie du caribou, l’ augmentation de la pression de prédation par le loup gris sur les caribous adultes et par l’ours noir sur les faons serait la princi pale résultante extrinsèque de l’aménagement forestier et la cause principale du déclin des populations de caribous (Courtois et al. 2007; Wittmer et al. 2007; Pinard et al. 2012).Les conséquences physiologiques de la sélection d’habitat en paysages aménagés La sélection d’habitat du caribou est un comportement complexe et hiérarchique (Rettie & Messier 2000 ; Le blond et al. 2011). Ce comportement devrait d ‘abord viser à réduire l’impact du facteur limitant le plus important Ci. e. la prédation) à l’échelle spatiale et/ou temporelle la plus grande (i.e. à l’ échelle du paysage) (Rettie & Messier 2000). À fine échelle, la sélection d’habitat devrait toutefois permettre au caribou de surmonter des facteurs limitants d’ampleur plus locale, et d’ ajuster ses stratégies élaborées à grande échelle. Nécessitant d’être étudiée à plusieurs échelles spatiales (Rettie & Messier 2000 ; Leblond et al. 20 Il), la sélection d’habitat du caribou a pourtant rarement été reliée directement à sa survie et à son potentiel reproducteur (mais voir McLoughlin, Dunfort & Boutin 2005) et encore moins à sa réponse au stress (mais voir Wasser et al. 2011), qui devrait refléter l’impact de perturbations ressenties à fine échelle spatio-temporelle (Johnson & St-Laurent 2011). Néanmoins, deux perspectives intéressantes ont été récemment proposées par Faille et al. (2010) et Wasser et al. (20 Il), pour tenter d’éclaircir le lien causal entre les perturbations anthropiques et le déclin du caribou. Les premiers auteurs ont démontré que les femelles caribou expriment une fidélité à leurs domaines vitaux, et ce, même en paysages fortement aménagés (Faille et al. 2010). Ce comportement pourrait représenter un piège écologique (Schlaepfer, Runge & Sherman 2002) puisque les bénéfices associés à la fidélité au domaine vital, tels que la familiarité avec les ressources et le risque de prédation (Greenwood 1980), pourraient être surpassés par les coûts associés au risque de prédation croissant dans ces paysages aménagés. La fidélité au domaine vital pourrait ainsi comporter des coûts qui se traduisent en des niveaux de stress élevés chez les individus fortement touchés par la perturbation de leurs habitats, amenant un processus additionnel liant le déclin du caribou à sa sélection d’habitat.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
AVANT-PROPOS
RÉSUMÉ
ABSTRACT
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 1 IMPACTS DE L’AMÉNAGEMENT FORESTIER ET DES INFRASTRUCTURES HUMAINES SUR LES NIVEAUX DE STRESS DU CARIBOU FORESTIER
1.1 RÉSUMÉ
1.2 STRESS-INDUCING LANDSCAPE DISTURBANCES: LINKING HABITAT SELECTION AND PHYSIOLOGY IN WOODLAND CARIBOU
CHAPITRE 2 CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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