Impacts sur les régimes hydrologiques
La variable abiotique la plus immédiatement affectée par la construction d’un barrage est sans nul doute les débits. Les changements qui affectent les autres variables abiotiques et biotiques dépendent des modifications qui affectent l’écoulement. Cependant, au Québec, très peu d’études sont parues sur les impacts hydrologiques induits par les barrages (Assani et al., 2002). Pourtant cette province est l’hôte privilégié de plus d’un million de lacs, de rivières et de fleuves qui couvrent près de .21 % de son territoire. Environ 10 000 barrages et digues ont été érigés sur ses lacs et rivières, ce qui en fait le troisième producteur mondial d’hydro-électricité. Le nombre élevé de ces infrastructures s’explique par l’abondance de l’eau, le socle rocheux solide et la topographie accidentée qui caractérisent le territoire ainsi que la faible densité de la population (Astrade, 1998). Son histoire hydroélectrique a débuté très tôt, soit dans les années 1880. Pour combler cette lacune, Assani et ses collaborateurs ont entrepris de nombreux travaux pour quantifier les impacts des barrages hydroélectriques au Québec sur les débits de rivières. Ces travaux ont permis de mettre en évidence l’existence de trois régimes hydrologiques artificialisés en aval des barrages. Chacun de ces trois régimes correspond à un mode spécifique de gestion de barrages. Il s’agit des régimes hydrologiques artificialisés de types naturel, d’homogénéisation et d’inversion (Assani et al., 2002; 2005; 2006; 2009). Le régime artificialisé dit de type naturel est généralement associé aux centrales hydroélectriques qui sont alimentées par les réservoirs. En aval du barrage, le cycle hydrologique est conservé, mais il advient tout de même une baisse des débits printaniers et une hausse des hivernaux (Figure 1.1 c et d).
La variabilité inter-mensuelle des débits diminue par rapport aux rivières naturelles. Le régime d’homogénéisation est, quant à lui, caractérisé par une faible variation des débits au cours de l’année (Figure l.lb). D’ailleurs, la valeur des coefficients d’immodération (rapport entre les débits maximums et minimums mensuels) est près de 1. Les débits maximums mensuels peuvent être mesurés en hiver, mais les débits minimums mensuels ne sont jamais observés au printemps. Les barrages réservoirs construits sur de grands cours d’eau (> 10000 km2 ) ou des réservoirs couplés avec des centrales hydroélectriques sont associés à ce type de régime. Le troisième régime concerne les barrages réservoirs généralement construits en amont des bassins versants, exclusivement en rive nord du fleuve Saint-Laurent. Ces barrages sont érigés dans le but d’alimenter pendant la période froide (novembre à mars) les centrales situées en aval. L’occurrence des débits maximums mensuels en hiver et des débits minimums mensuels au printemps (fonte nivale) caractérise le régime dit d’inversion dont le cycle hydrologique naturel est totalement inversé (Figure 1.1a). C’est le mode de gestion qui affecte le plus les caractéristiques de débits. Près de 40 % des barrages québécois sont soumis à ce mode de gestion. La rivière Matawin en est un exemple et elle fût l’objet d’études détaillées.
Assani et al. (2002) ont démontré que l’inversion du régime se traduit sur la rivière Matawin, au niveau de la variabilité interannuelle des débits, par une persistance plus marquée des périodes humides et sèches. Beaucoup plus d’eau est lâchée en aval du barrage pendant les périodes humides et moins pendant les périodes sèches où le lit de la rivière peut être totalement asséché. Aux échelles mensuelles et saisonnières, l’inversion du régime hydrologique est caractérisée par une hausse significative des débits hivernaux et une baisse des débits printaniers (Figure 1.2). L’écoulement printanier représente 50 % de l’écoulement annuel en amont du barrage, tandis qu’en aval, il est réduit à 20 %. De plus, le barrage a un effet régulateur en atténuant les fluctuations intermensuelles des débits. À l’échelle journalière, le barrage affecte la période d’occurrence et la magnitude des débits extrêmes minimums et maximums. En amont du barrage, les débits minimums surviennent fréquemment en été (août et septembre), tandis qu’en aval ils sont enregistrés au printemps et à l’hiver. Les débits maximums sont enregistrés lors de la fonte nivale (avril et mai) en amont, toutefois, en aval, ils sont mesurés toute l’année, mais surtout aux mois de janvier et février. En d’autres termes, au moment de la fonte des neiges, l’eau est stockée dans le réservoir qui se remplit. Cette eau est relâchée l ‘hiver suivant pour alimenter les centrales hydroélectriques situées en aval sur la rivière Saint-Maurice. La retenue et les lâchés de l’eau sont tributaires de différents facteurs, tels les apports météorologiques, les besoins en énergie hydroélectrique en hiver, le risque d’inondation en aval, etc. (Assani, 2004).
Cas de l’érable argenté
L’érable argenté, Acer saccharinum L., est l’une des espèces dominantes des milieux riverains de l’est de l’Amérique du Nord. Elle croit principalement dans les communautés des cours d’eau ou en marge des lacs ou des mares et occasionnellement dans les marécages, les ravins ou de petites dépressions à drainage lent (Gabriel, 1990). Sur les rives de la rivière Matawin, le plus grand peuplement (> 4 ha) se situe sur le territoire du Parc national du Canada de la Mauricie. Il s ‘y retrouve à la limite nordique de son aire de distribution naturelle (Lalumière et Thibault, 1998) qui s’étend du Nouveau-Brunswick à l’est jusqu’au sud-ouest de l’Ontario et du sud du Québec au nord-ouest de la Floride (Gabriel, 1990). Cette espèce croit où la période sans gel s’étend entre 120 et 240 jours et durant sa période de croissance, soit de mai à août, les précipitations doivent atteindre entre 200 et 810 mm. L’érable argenté est absent des climats froids et des zones montagneuses (élévation naturelle entre 30 et 600 m (pitcher, 2004)), mais les facteurs climatiques spécifiques qui influencent sa distribution naturelle sont méconnus (Gabriel, 1990). L’érable argenté se caractérise par sa capacité à résister aux inondations. Ceci lui confère un avantage compétitif au niveau de l’occupation de l’espace pour sa croissance puisque sa tolérance à l’ombrage varie de modérée à très intolérante en fonction de la localisation et de la qualité du site (Gabriel, 1990). Incapable de rivaliser avec d’autres espèces, il colonisera donc les milieux périodiquement inondés là où les autres espèces survivent difficilement. Toutefois, il peut aussi coloniser des milieux plus secs, où la compétition est quasi absente, il est d’ailleurs utilisé en horticulture et il réussit très bien à croître dans les villes (Marie Victorin, 2002).
Cet érable au bois tendre est une espèce à croissance rapide, surtout dans les 50 premières années (Suszka, 1994), qui vit en moyenne 130 ans (Gabriel, 1990). Il peut atteindre de 22 à 36 m de hauteur et jusqu’à 1,5 m de diamètre (Suszka, 1994). Dans une plantation du sud de l’Ontario, par exemple, les individus âgés de 43 ans mesuraient en moyenne 25 m pour un diamètre moyen de 28,7 cm (Gabriel, 1990). Son système racinaire fibreux est peu profond et invasif, ce qui pourrait contribuer à sa survie en plaine inondable. Dans les forêts riveraines nord-américaines, A. saccharinum est l’espèce qui sort de dormance le plus tôt au printemps, de février à mai (Bell et Johnson, 1975). L’arbre peut atteindre sa maturité sexuelle à Il ans (Gabriel, 1990), mais les arbres commencent à fructifier aux environs de 35 à 40 ans (Suszka, 1994). Ses fleurs jaunes-vertes apparaissent avant les feuilles et 24 heures après la pollinisation, les ovaires commencent à enfler (Gabriel, 1990). Les samares divergentes atteignent leur maturité en 3 semaines et deviendront les plus grandes des espèces indigènes d’érables. D’avril à juin, les graines sont dispersées, principalement par le vent et occasionnellement par l’eau (Gabriel, 1990) et sur une courte période de 10 à 20 jours (Suszka, 1994). Dans la région de Montréal, la dispersion s’effectue dès les premiers jours de juin.
Les larges graines contiennent beaucoup d’amidon, mais peu de graisses et de protéines, la germination doit donc être immédiate sinon elles meurent (Marie-Victorin, 2002). De plus, leur péricarpe est mou et leur tégument mince, ces graines qui contiennent près de 60 % d’eau sont donc très sensibles aux dommages mécaniques (Suszka, 1994). La germination est possible en plein soleil ou à l’ombre (peterson et Bazzaz, 1984) et la croissance initiale est rapide la première année. Les semis peuvent atteindre 30 à 90 cm de hauteur, mais ils ne peuvent pas rivaliser avec un couvert végétal dense (Gabriel, 1990). La mortalité sera importante la première année s’ils ne sont pas libérés. Le succès de régénération naturel des jeunes plants est plus efficace sur un sol humide, minéral avec considérablement de matière organique (Gabriel, 1990), mais ils sont souvent rabougris lorsque le sol est saturé en eau, ils reprennent leur vigueur quand l’humidité diminue. Il a été démontré que la submersion des plantules affecte les fonctions physiologiques davantage que les conditions lumineuses de leur site de croissance (peterson et Bazzaz, 1984).
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Table des matières
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
LISTE DES ABRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES
LISTE DES SYMBOLES
CHAPITRE I MISE EN CONTEXTE
1.1 La régularisation des cours d’eau
1.1.1 Impacts des barrages
1.1.1.1 Impacts sur les régimes hydrologiques
1.1.1 .2 Impacts biotiques induits par les barrages
1.1.1.3 Cas de l’érable argenté
1.2 Objectifs et hypothèses de l’étude
CHAPITRE II COMPARAISON DE LA CROISSANCE DES ÉRABLES ARGENTÉS (ACER SACCHARINUM L.) EN AMONT ET EN AVAL D’UN BARRAGE DE TYPE INVERSION – CAS DU BARRAGE DE MATA WIN (QUÉBEC, CANADA)
2.1 Résumé
2.2 Introduction
2.3 Matériels et méthodes
2.3.1 Site l’étude
2.3.2 Stratégie d’ échantillonnage
2.3.3 Analyses physico-chimiques du sol
2.3.4 Échantillonnage de l’érable argenté
2.3.4.1 Prélèvement des carottes in situ et description de l’état physique apparent des individus
2.3.4.2 Constitution des chronologies maîtresses
2.3.5 Analyses statistiques
2.4 Résultats
2.4.1 Comparaison des caractéristiques physico-chimiques des sols en amont et en aval du barrage
2.4.2 Comparaison de l’ intégrité physique des érables argentés en amont et en aval du barrage
2.4.3 Comparaison de la croissance radiale en amont et en aval du barrage
2.4.3.1 Comparaison du taux moyen de croissance
2.4.3.2 Comparaison de la variabilité interannuelle de la croissance radiale en amont et en aval du barrage
2.4.3.3 Relation entre la croissance et les débits
2.5 Discussion
2.5.1 Est-ce que la croissance radiale est influencée par l’ inversion du régime hydrologique?
2.5.2 Atteinte de l’ intégrité physique des individus
2.6 Conclusion.
2.7 Remerciements
2.8 Références bibliographiques
ANNEXE A
ANALYSE PRÉLIMINAIRE DE LA COMPARAISON ENTRE LES LIENS QUI UNISSENT LA CROISSANCE ET LES VARIABLES ABIOTIQUES (HYDROLOGIQUES ET CLIMATIQUES) EN AMONT ET EN AVAL DU BARRAGE DE LA RIVIÈRE MATA WIN (QUÉBEC, CANADA)
A.l Introduction
A.2 Matériel et méthodes
A.2.1 Les six chronologies de croissance
A.2.2 Variables abiotiques
A.2.2.1 Échelle annuelle
A.2.2.2 Échelle saisonnière
A.2.3 Méthode statistique
A.2.3.1 Régression linéaire multiple
A.3 Résultats
A.3 .1 Échelle annuelle
A.3.2 Échelle saisonnière
A.3 .3 Influence de l’ inversion du régime hydrologique (berge et plaine alluviale)
A.3.4 Influence de la distribution spatiale par rapport au chenal principaL
A.4 Conclusion
ANNEXE B
DISTRIBUTION DES PLACETTES D’ÉCHANTILONNAGE DANS LES SECTEURS AMONT ET A VAL DU BARRAGE MAT A WIN (QUÉBEC, CANADA)
BIBLIOGRAPHIE
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