Impact global des virus

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Impact mรฉtabolique sur les cellules

Le cycle infectieux dโ€™un virus, lytique (40), ou lysogรฉnique (41), altรจre, de faรงons diverses, le mรฉtabolisme de lโ€™hรดte. Ces modifications du mรฉtabolisme microbien peuvent รชtre extrรชmement ciblรฉes ou au contraire trรจs globales. Bien que de faรงon moins directe que concernant la lyse des cellules, ceci peut รฉgalement perturber les รฉcosystรจmes localement ou globalement, particuliรจrement lorsque cela touche des producteurs primaires. Les mรฉcanismes sous-jacents ร  ces modifications ne sont pas toujours connus.
Voici quelques exemples dโ€™altรฉrations globales qui ont รฉtรฉ dรฉcrites: premiรจrement, lโ€™infection de Sulfitobacter et Pseudomonas aeruginosa par leur bacteriophage gรฉnรจre une augmentation globale des niveaux de mรฉtabolites variรฉs (42, 43). Deuxiรจmement, lโ€™observation que lโ€™infection par des virus remodรจle le mรฉtabolisme des lipides de leur hรดte a รฉtรฉ faite ร  plusieurs reprises, concernant des virus de taxa diverses (44โ€“47). Dans ces deux cas, il est admis que cela favorise la rรฉplication du virus, mais les mรฉcanismes sous-jacents sont peu connus. Un niveau additionnel de comprรฉhension a รฉtรฉ atteint dans lโ€™exemple suivant : des analyses quantitatives du carbone et de lโ€™azote sรฉquestrรฉs dans la biomasse particulaire ont indiquรฉ que lโ€™infection de Sulfitobacter par son phage redirige ~75% des nutriments vers les virions (43).
Nous avons รฉgalement parfois plus dโ€™indices quant aux mรฉcanismes en jeu, notamment lorsque les altรฉrations du mรฉtabolisme sont plus ciblรฉes. Ils peuvent รชtre distinguรฉs en (i) ยซ indirects ยป ou (ii) ยซ directs ยป.
(i) mรฉcanismes indirects : Une infection de plants de tabac par le virus de la mosaรฏque altรจre les fonctions photosynthรฉtiques de la plante. Ceci semble รชtre dรป ร  lโ€™accumulation de protรฉines de capside dans les chloroplastes (48).
(ii) modifications directes : Le virus peut รฉgalement exercer un contrรดle sur le mรฉtabolisme de lโ€™hรดte de faรงon plus directe, ciblรฉe. Effectivement, un paradigme รฉmergeant est que les phages possรจdent des gรจnes mรฉtaboliques, appelรฉs AMG (pour Auxiliary Metabolic Genes), que lโ€™on supposait prรฉcรฉdemment restreints aux cellules. Ces AMGs (revues : (49โ€“51)), provenant probablement de transferts horizontaux depuis les cellules, sont utilisรฉs pour supplรฉer le mรฉtabolisme de lโ€™hรดte en enzymes ou nutriments limitants, voire, parfois pour le ยซ reprogrammer ยป. Cโ€™est alors un mรฉtabolisme qualifiรฉ de ยซ viro-cellulaire ยป qui se met en place (52). Les AMGs dรฉcrits sont impliquรฉs notamment dans la photosynthรจse (composants de photosystรจmes (53, 54), transporteurs dโ€™รฉlectrons (55), ou encore biosynthรจse des pigments (56)), dans la voie des pentoses phosphates (57), dans lโ€™acquisition du phosphate (58, 59), du soufre (60). A cรดtรฉ de ces AMGs impliquรฉs dans la production dโ€™รฉnergie ou lโ€™acquisition de nutriments, dโ€™autres prennent part spรฉcifiquement ร  la synthรจse des nuclรฉotides (61, 62), et/ou peuvent toucher des systรจmes plus globaux comme la rรฉponse au stress (63). Parfois, ces AMGs ne se contentent pas de complรฉter le mรฉtabolisme de lโ€™hรดte mais le ยซ reprogramment ยป de faรงon drastique. Lโ€™exemple le mieux connu est la redirection de lโ€™รฉnergie de la photosynthรจse vers la voie des pentoses phosphates au dรฉtriment du cycle de calvin lors de lโ€™infection des cyanobactรฉries Prochlorococcus et Synechococcus par leur cyanophages (64). Les AMGs les plus รฉtudiรฉs sont les composants des photosystรจmes codรฉs par les cyanophages, pour les raisons suivantes (i) la majoritรฉ de ces phages en possรจdent ; ceci implique donc quโ€™une part de la production primaire est codรฉes par des virus ; (ii) parmi ces AMGs, les proteines hli qui ยซ rรฉcoltent ยป lโ€™รฉnergie lumineuse, sont modifiรฉes dans la lignรฉe virale par accumulation de mutations. Cette diversitรฉ gรฉnรฉtique produite par les virus participe ร  lโ€™รฉvolution des photosystรจmes, particuliรจrement lorsque les gรจnes viraux sont transfรฉrรฉs ยซ en retour ยป chez les hรดtes bactรฉriens (65, 66). Cette expansion de certaines familles de gรจnes produite chez les hรดtes par leur virus pourrait mรชme accรฉlรฉrer la diffรฉrenciation des niches des hรดtes, en leur permettant de sโ€™adapter ร  une gamme dโ€™environnements plus vaste (67). Parfois, ces AMGs peuvent รฉvoluer jusquโ€™ร  accomplir des fonctions modifiรฉes. Par exemple, le produit du gรจne viral PebS, xenologue (homologue issu de transfert horizontal) du gรจne bactรฉrien PebA, est capable dโ€™effectuer non seulement la rรฉaction catalysรฉe par PebA, mais รฉgalement la rรฉaction catalysรฉe chez les bactรฉries par PebB (56), deux rรฉactions successives de la voie de biosynthรจse de pigments du phycobilisome. Ce dernier exemple met en รฉvidence que les virus peuvent รชtre des rรฉservoirs de diversitรฉ gรฉnรฉtique pour les cellules, et donc influencent leur รฉvolution.

Les virus : des acteurs de lโ€™รฉvolution des cellules.

Ci-aprรจs sont exposรฉs les diffรฉrents aspects de cette mise ร  contribution des virus dans lโ€™histoire รฉvolutive des cellules. Ceci va de contraintes sรฉlectives exercรฉes localement, jusquโ€™aux innovations majeures de lโ€™histoire de la vie.

Les thรฉories รฉvolutives de la course aux armes (lโ€™hypothรจse de la reine rouge) et la stratรฉgie du chat de Cheshire

La plupart des virus (en particulier les virus ร  ARN) sont connus pour รฉvoluer rapidement (68, 69). Les mรฉcanismes de dรฉfenses des cellules pourraient donc rapidement รชtre obsolรจtes. Cependant, une sรฉlection continue sโ€™opรจre chez les hรดtes pour sโ€™adapter, ce qui donne lieu ร  une รฉvolution simultanรฉe et รฉgalement rapide des gรจnes cellulaires spรฉcialisรฉs dans la dรฉfense contre les virus. Cโ€™est lโ€™hypothรจse de la reine rouge, qui tire son nom d’un รฉpisode fameux du livre de Lewis Caroll : De lโ€™autre cรดtรฉ du miroir (70) (deuxiรจme volet dโ€™Alice au pays des merveilles) au cours duquel le personnage principal et la Reine Rouge se lancent dans une course effrรฉnรฉe. Alice demande alors : ยซ Mais, Reine Rouge, c’est รฉtrange, nous courons vite et le paysage autour de nous ne change pas ? ยป Et la reine rรฉpondit : ยซ Nous courons pour rester ร  la mรชme place. ยป. Cette hypothรจse de la reine rouge (71) est une mรฉtaphore qui symbolise la course aux innovations sans fin pour des mรฉcanismes de dรฉfenses et mรฉcanismes de contournement de ces dรฉfenses, qui a lieu entre des espรจces en compรฉtition, ici les virus et leurs hรดtes cellulaires.
-Un des micro-eucaryotes les plus abondants dans les ocรฉans, Emiliania huxleyi, a trouvรฉ le moyen de sโ€™affranchir de cette course aux armements infinie de faรงon รฉlรฉgante : pendant son cycle de vie, E.huxleyi alterne les phases diploรฏdes (phase vรฉgรฉtative) et haploรฏdes (phase de reproduction sexuรฉe). Sous sa forme diploรฏde, il est sensible aux infections du virus E.h virus. Sous sa forme haploรฏde, qui serait induite par les attaques virales, E.huxleyi est par contraste rรฉsistant au virus. Ceci a รฉtรฉ nommรฉ la stratรฉgie du ยซ chat de Cheshire ยป, en rรฉfรฉrence au personnage tirรฉ cette fois du 1er tome dโ€™ Alice au pays des merveilles (72) de Lewis Caroll. Dans ce roman, le chat de Cheshire รฉchappe ร  la dรฉcapitation en rendant son corps transparent (Lโ€™analogie tient en ce que E. huxleyi est ยซ invisible ยป aux virus sous sa forme haploรฏde). Ceci a menรฉ des spรฉcialistes du plancton marin des laboratoires de Plymouth en Angleterre, Bigelow laboratory aux Etats-Unis et Roscoff en France ร  proposer que cette diffรฉrence de susceptibilitรฉ entre les formes haploรฏdes et diploรฏdes pourrait รชtre une raison de lโ€™apparition et de la maintenance de la reproduction sexuรฉe chez les eucaryotes : la mรฉiose, dissociรฉe temporellement de la fusion des gamรจtes, permet que la transmission des gรจnes ร  la gรฉnรฉration suivante se dรฉroule dans un environnement dรฉnuรฉ de virus (73).
-Une autre micro-algue, Ostreococcus tauri de la lignรฉe verte, aurait quant ร  elle รฉvoluรฉ un chromosome entiรจrement dรฉdiรฉ ร  lโ€™immunitรฉ contre ses virus (74). Effectivement, une partie importante des gรจnes diffรฉrenciellement exprimรฉs entre les lignรฉes dโ€™algues rรฉsistantes aux virus et les lignรฉes sensibles sont localisรฉs sur un chromosome en particulier, le 19. Ce chromosome possรจde par ailleurs des propriรฉtรฉs atypiques comparativement aux autres chromosomes : il est plus petit, son taux de GC est plus bas, et il est particuliรจrement plastique (74, 75). Il est รฉgalement enrichi en glycosyltransfรฉrases, et ces enzymes sont majoritairement exprimรฉes chez les souches rรฉsistantes. Par ailleurs, les souches rรฉsistantes ont subi des rรฉarrangements variรฉs au niveau de ce chromosome 19. Ceci a menรฉ lโ€™รฉquipe de lโ€™observatoire ocรฉanographique de Banyuls ร  proposer que cette forte propension aux rรฉarrangements pourrait รชtre un mรฉcanisme adaptatif pour gรฉnรฉrer rapidement des variants gรฉnรฉtiques capables de rรฉsister aux virus. Cette rรฉsistance serait acquise par des altรฉrations de lโ€™รฉtat de glycosilation du protรฉome et particuliรจrement des glycanes de surface (74). Lโ€™apparition dโ€™un chromosome spรฉcialisรฉ dans la dรฉfense contre les virus est unique, mais peut รชtre comparรฉe aux ilots gรฉnomiques hypervariables regroupant des gรจnes impliquรฉs dans la rรฉsistance ร  leur phage chez les cyanobactรฉries Prochlorococcus (74, 76, 77). Nous verrons par la suite que les gรจnes responsables de lโ€™immunitรฉ anti-virale eux-mรชmes peuvent รชtre hรฉritรฉs des virus.

Le cas des virus mutualistes

De plus en plus de cas de mutualisme entre une cellule et un virus sont documentรฉs (78, 79). Dans de telles relations, la prรฉsence de virus est (ou a รฉtรฉ) requise pour lโ€™adaptation dโ€™un organisme cellulaire ร  un environnement particulier. Ceci peut subsรฉquemment gรฉnรฉrer une accรฉlรฉration de lโ€™รฉvolution gรฉnรฉtique de lโ€™organisme en question. Voici deux exemples qui mโ€™ont semblรฉs particuliรจrement parlants :
-Une รฉtude publiรฉe sous le titre ยซ A virus in a fungus in a plant : three-way symbiosis required for thermal tolerance ยป (80) montre que la thermotolรฉrance de la plante Dichanthelium lanuginosum est fournie par lโ€™expression de gรจnes de son symbionte fongique C. protuberata. Important pour nous, cette expression a lieu uniquement lorsque le champignon est infectรฉ par son virus CThTV. Les mรฉcanismes sous-jacents nโ€™ont pas รฉtรฉ รฉlucidรฉs.
-Un cas que lโ€™on peut rapprocher dโ€™une symbiogรจnese (fusion de deux symbiontes, habituellement cellulaires, crรฉant une nouvelle entitรฉ), est celui des guรชpes parasitoรฏdes et de leur polydnavirus. Ces guรชpes sont elles-mรชmes des parasites de chenilles, dans lesquelles elles pondent leurs oeufs. Ceci est permis grรขce ร  leur virus mutualiste (figure 3): des gรจnes de la guรชpe suppresseurs des dรฉfenses immunitaires de la chenille hรดte sont encapsidรฉs dans des particules des virus, qui sont ainsi injectรฉes dans la chenille. Les oeufs des guรชpes peuvent aprรจs quoi se dรฉvelopper jusquโ€™ร  maturitรฉ (81, 82).

Les virus, agents de transferts horizontaux de gรจnes vers les cellules.

Le sรฉquenรงage ร  haut dรฉbit et lโ€™analyse des gรฉnomes microbiens ont permis de rรฉvรฉler le rรดle prรฉpondรฉrant des transferts horizontaux de gรจnes (HGT) dans le faรงonnage des gรฉnomes procaryotes. Les mรฉcanismes sous-jacents sont bien connus (83โ€“86), et lโ€™un dโ€™entre eux qui implique des bactรฉriophages sera dรฉcrit dans le paragraphe suivant. Des HGTs ont รฉgalement รฉtรฉ mis en รฉvidence chez les eucaryotes (87, 88), bien que ces รฉvรจnements semblent cependant plus anecdotiques (89). Au contraire des HGTs bactรฉriens, les mรฉcanismes sont moins compris. Certains cas impliqueraient des virus, qui sont en effet en contact rapprochรฉ avec le gรฉnome de leur hรดte lors de la rรฉplication. Que lโ€™organisme receveur soit procaryote ou eucaryote, ces transferts de gรจne intermรฉdiรฉs par les virus peuvent รชtre divisรฉs en deux classes : (i) les virus peuvent vรฉhiculer des gรจnes cellulaires dโ€™une cellule ร  une autre. Ils peuvent alors รชtre comparรฉs ร  des navettes de gรจnes entre organismes cellulaires. (ii) Alternativement, des gรจnes viraux (apparus ou modifiรฉs dans une lignรฉe virale) peuvent sโ€™intรฉgrer dans les gรฉnomes dโ€™organismes cellulaires.

Les virus mรฉdiateurs de transition รฉvolutive

Un article conceptuel a รฉtรฉ publiรฉ par Koonin (110) dans lequel il fait lโ€™hypothรจse que les virus et les รฉlรฉments mobiles ont pu รชtre des mรฉdiateurs de plusieurs des ยซ transitions รฉvolutives majeuresยป sensu Maynard-Smith et Szathmary (111, 112). Rapidement, la propriรฉtรฉ clรฉ de ces transitions est le regroupement de rรฉplicateurs indรฉpendants pour former une entitรฉ subissant un niveau supรฉrieur de sรฉlection. Des gรจnes se rรฉunissent en ยซ proto-cellule ยป, des procaryotes se joignent pour constituer la cellule eucaryote, des protistes se regroupent pour former des organismes multicellulaires, etc. Pour que le succรจs de la transition soit assurรฉ, lโ€™รฉvolution au niveau infรฉrieur doit รชtre contrainte par le niveau supรฉrieur (111). La transition procaryotes-eucaryotes par exemple, pourrait รชtre le fait dโ€™un virus ; il a effectivement รฉtรฉ proposรฉ quโ€™un virus ร  ADN double brin soit ร  lโ€™origine du noyau (112). Cette hypothรจse a รฉtรฉ appelรฉe lโ€™eucaryogรฉnรจse virale. A cรดtรฉ de ยซ lโ€™acquisition ยป du noyau, le second รฉvรจnement crucial dans lโ€™รฉmergence des eucaryotes fut lโ€™acquisition dโ€™une mitochondrie. Plus dรฉmonstrativement que dans le cas du noyau, des indices suggรจrent que des virus ont รฉtรฉ impliquรฉs dans cette รฉtape รฉgalement. Effectivement, le remplacement, par des enzymes de phages, des enzymes clรฉs des machineries de rรฉplication et de transcription de la mitochondrie primitive, aurait permis la domestication de lโ€™alphaprotรฉobactรฉrie juste ยซ engloutie ยป.
Il a รฉtรฉ proposรฉ que Lโ€™ADN lui-mรชme ait pu รชtre inventรฉ par les virus, pour se prรฉmunir de la dรฉgradation des ARNs par les Rnases cellulaires (dans le contexte dโ€™un monde ร  ARN) (113). Une hypothรจse รฉtayรฉe par le fait que lโ€™ADN de certains phages ne contient pas de thymidine mais de la deoxyuridine (5, 114). Lโ€™hypothรจse dโ€™une origine virale des protรฉines de rรฉplication eucaryotes a รฉgalement รฉtรฉ รฉvoquรฉe, et pourrait expliquer leurs phylogรฉnies atypiques (112).
En rรฉsumรฉ, les virus semblent jouer et avoir jouรฉ un rรดle prรฉpondรฉrant dans lโ€™รฉvolution des cellules, des gรจnes, des รฉcosytรจmes. Ils sont moteurs et acteurs dโ€™รฉvolution.

Les grand virus nuclรฉo-cytoplasmique ร  ADN (NCLDVs)

Nous allons maintenant faire un focus sur un groupe de virus en particulier, qui sont รฉtudiรฉs au laboratoire. Ils sont appelรฉs en anglais nucleo-cytoplasmic large DNA viruses (NCLDVs). Pour vous prรฉsenter les NCLDVs, je commencerai par un historique de la recherche sur ce groupe viral, ce qui me permettra de dรฉcrire succinctement les diffรฉrentes familles taxonomiques qui le compose. Nous discuterons ensuite des caractรฉristiques des NCLDVs qui ont rรฉcusรฉes certains dogmes historiques de la virologie.

Analyses complรฉmentaires et discussion

ร‰volution de la taille des gรฉnomes des Mimiviridae

En plus de ces travaux publiรฉs, nous avons dรฉterminรฉ, par une mรฉthode fondรฉe sur le critรจre du maximun de parcimonie, le nombre minimal de gรจnes prรฉsents ร  chaque noeud (i.e., ancรชtre) de lโ€™arbre des Mimiviridae. Pour cela, jโ€™ai reconstruit les familles de protรฉines de 8 Mimiviridae appartenant aux diffรฉrents clades connus (voir figure 7) en utilisant le logiciel OrthoMCL (178). A partir de cette classification des protรฉines homologues, le schรฉma suivant รฉtait appliquรฉ : si une protรฉine รฉtait prรฉsente chez au moins un ยซ Mesomimivirinae ยป (i.e., nom de sous-famille proposรฉ dans lโ€™article pour le clade rรฉunissant CeV, PgV et AaV), et au moins un ยซ Megavirinae ยป (i.e., groupe comprenant CroV, et les Mimiviridae qui infectent les amibes), alors ce gรจne รฉtait considรฉrรฉ comme prรฉsent dans le gรฉnome de lโ€™ancรชtre commun des Mimiviridae. Ce principe รฉtait appliquรฉ ร  chaque noeud de lโ€™arbre phylogรฉnรฉtique des Mimiviridae (i.e., chaque noeud reprรฉsente lโ€™ancรชtre commun des virus descendants). Les diffรฉrences dans les rรฉpertoires de gรจnes entre chaque noeud permettaient dโ€™infรฉrer le nombre de gains et de pertes de gรจnes pour chaque branche de lโ€™arbre (i.e., chaque branche reprรฉsente lโ€™รฉvolution de la lignรฉe entre deux noeuds). Ceci a รฉtรฉ rรฉalisรฉ dans lโ€™optique de dรฉtecter de potentielles tendances dans lโ€™รฉvolution des gรฉnomes de Mimiviridae : gagnent-ils, ou perdent-ils majoritairement des gรจnes ? Les rรฉsultats de cette analyse sont rรฉsumรฉs dans la figure 7.
Selon notre analyse, lโ€™ancรชtre des Mimiviridae possรฉdait donc au moins 183 gรจnes, que lโ€™on retrouve dans tout, ou une partie, des descendants. Ce nombre de gรจnes ancestraux est plus faible que le nombre de gรจnes trouvรฉs chez les virus sรฉquencรฉs (i.e., de 384 gรจnes pour AaV ร  1120 gรจnes pour Megavirus). Ce rรฉsultat est compatible avec lโ€™hypothรจse que le gรฉnome de lโ€™ancรชtre des Mimiviridae รฉtait moins complexe que ceux des virus actuels. Cependant, lโ€™infรฉrence par lโ€™approche du maximum de parcimonie souffre de certaines limitations (voir ci-dessous) qui peuvent conduire ร  une estimation erronรฉe du nombre de gรจnes ancestraux. Un second message de cette analyse est quโ€™il nโ€™y a pas dโ€™unidirectionnalitรฉ dans lโ€™รฉvolution des gรฉnomes de Mimiviridae : que ce soit pour les plus petits ou les plus gros gรฉnomes, il semblerait que tous ont ร  la fois perdu certains gรจnes ancestraux, et gagnรฉ de nouveaux gรจnes ; certes ร  des rythmes diffรฉrents ce qui explique les diffรฉrences de taille des gรฉnomes actuels.
La mรฉthode du maximum de parcimonie comporte certains biais qui mรฉritent dโ€™รชtre รฉtudiรฉs en plus amples dรฉtails car ils pourraient affecter les estimations des nombres de gรจnes ancestraux : -Une surestimation du nombre de gains, qui par effet de vases communiquants conduit ร  une sous-estimation du nombre de gรจnes chez lโ€™ancรชtre, peut avoir lieu lorsque des gรจnes ont รฉtรฉ perdus tรดt dans lโ€™histoire des Mimiviridae, ou bien encore dans plusieurs lignรฉes distinctes de la famille, de telle faรงon que les virus possรฉdant ces gรจnes nโ€™appartiennent plus quโ€™ร  un sous ensemble de lโ€™arbre. La mรฉthode du maximum de parcimonie conclura alors de maniรจre erronรฉe ร  un gain dans la branche de lโ€™ancรชtre des virus qui ont conservรฉ le gรจne. Ce biais pourra รชtre en partie corrigรฉ lorsque de nouveaux gรฉnomes de Mimiviridae seront sรฉquencรฉs et rรฉvรจleront la nature ancestrale de certains des gรจnes rangรฉs dans la catรฉgorie ยซ gain ยป.
-Le phรฉnomรจne dโ€™acquisition parallรจle de gรจnes homologues peut mener ร  une sous-estimation des gains de gรจnes, si ces acquisitions se produisent indรฉpendamment dans plusieurs lignรฉes รฉmergeant de lโ€™ancรชtre. Jโ€™ai par exemple dรฉcrit, dans lโ€™article ci-dessus, 3 cas รฉvidents dโ€™acquisitions parallรจles de gรจnes homologues impliquant CeV et dโ€™autres NCLDVs infectant des algues. Dโ€™autres cas ont derniรจrement fait lโ€™objet dโ€™une publication (139) : de nouveaux Mimiviridae tout rรฉcemment isolรฉs et formant un 4รจme clade au sein des ยซ Megavirinae ยป possรจdent un vaste rรฉpertoire de gรจnes codant pour des composants de la traduction. Lโ€™analyse de lโ€™origine des enzymes de ce nouveau clade de Mimiviridae rรฉvรจle que la plupart des gรจnes correspondant ont รฉtรฉ acquis indรฉpendamment pour chaque virus, de diverses sources cellulaires. Concernant ce dernier point, il faut cependant faire la remarque quโ€™il pourrait รฉgalement sโ€™agir dโ€™un remplacement fonctionnel dโ€™un gรจne ร  lโ€™origine prรฉsent dans le gรฉnome viral par un gรจne dโ€™origine cellulaire, et non dโ€™une ยซ acquisition de novo ยป de cette fonctionnalitรฉ. Ceci a par exemple รฉtรฉ proposรฉ pour la chaperonne HSP70 de CeV, ou encore lโ€™ADN ligase des NCLDVs (179).
Peu aprรจs que nous ayons conduit cette analyse en interne, le laboratoire de Shoko Ueki au Japon a publiรฉ une รฉtude similaire (en y incluant les virus de la famille des Phycodnaviridae (180)) qui a รฉtรฉ rรฉalisรฉe ร  lโ€™occasion de lโ€™analyse du gรฉnome du virus Heterosigma akashiwo virus (HaV) infectant lโ€™algue raphydophyte Heterosigma akashiwo. Ceci nous a permis de comparer nos rรฉsultats et nos interprรฉtations avec les leurs. Leur รฉtude a รฉtรฉ menรฉe grรขce au logiciel COUNT, qui utilise non pas le principe de parcimonie, mais une mรฉthode basรฉe sur le maximum de vraissemblance. A partir dโ€™un arbre groupant un ancรชtre et tous ses descendants et dโ€™une matrice de prรฉsence/absence de gรจnes orthologues chez les diffรฉrents virus actuels, sont infรฉrรฉs la taille des gรฉnomes ancestraux ainsi que les รฉvรจnements de gains et de pertes de gรจnes le long des branches de lโ€™arbre. Cette mรฉthode est supposรฉe moins sensible aux biais รฉnoncรฉs plus haut. Cependant, lโ€™utilisateur de COUNT doit arbitrairement choisir la valeur des pรฉnalitรฉs de gains et de pertes de gรจnes qui seront appliquรฉes lors de lโ€™analyse. Lโ€™รฉquipe japonaise a voulu tester lโ€™impact de la valeur des paramรจtres choisis sur le rรฉsultat, et a donc rรฉalisรฉ deux sรฉries dโ€™analyse : la premiรจre avec une pรฉnalitรฉ de gain รฉlevรฉe et la seconde avec une pรฉnalitรฉ de gain faible, tout en gardant constante la pรฉnalitรฉ de perte. De faรงon saisissante, changer la valeur de ce paramรจtre change รฉgalement lโ€™interprรฉtation gรฉnรฉrale de lโ€™รฉvolution des Mimiviridae : lorsque la pรฉnalitรฉ de gain est forte, alors lโ€™hypothรจse dโ€™une rรฉduction gรฉnomique est privilรฉgiรฉe, tandis que lorsquโ€™elle est faible, cโ€™est lโ€™hypothรจse inverse, dโ€™accrรฉtion de gรจnes ร  partir de petits gรฉnomes, qui est favorisรฉe. Nos rรฉsultats sont intermรฉdiaires, mais sensiblement plus proche des rรฉsultats obtenus avec une pรฉnalitรฉ de gain forte.
Lโ€™รฉtude de Shoko Ueki montre que les conclusions tirรฉes dรฉpendent en partie dโ€™a priori apposรฉs sur les donnรฉes. Il est effectivement trรจs difficile dโ€™estimer la valeur juste pour ces pรฉnalitรฉs. Ci-aprรจs sont prรฉsentรฉes quelques pistes de rรฉflexion concernant la pertinence des scรฉnarii de gains et des scenarii de pertes.
Si nous faisons une analogie avec les parasites cellulaires et les parasites viraux que sont les Mimiviridae, ceci va ร  lโ€™encontre dโ€™un scรฉnario de gains. Effectivement, les gรฉnomes des premiers ne grossissent pas aprรจs quโ€™ils deviennent obligatoirement intracellulaires. Au contraire, cโ€™est un phรฉnomรจne de rรฉduction gรฉnomique qui est observรฉ (181, 182) : la baisse des pressions de sรฉlection sur certains gรจnes, due au fait que lโ€™endosymbionte profite des machineries de son hรดte, entraine une ยซ pseudogรฉnisation ยป et une perte progressive de ces gรจnes. Il pourrait en รชtre de mรชme pour les Mimiviridae.
Cependant, il existe des exceptions ร  la trajectoire rรฉductioniste des gรฉnomes dโ€™organismes intracellulaires : une รฉtude suggรจre que certains parasites intracellulaires dโ€™amibes ont des gรฉnomes plus complexes que leurs proches parents libres (183). Or, les plus gros Mimiviridae sont des parasites dโ€™amibes. Ceci va plutรดt dans le sens dโ€™un scรฉnario de gain de gรจnes.
De faรงon importante, les gรจnes rangรฉs dans la catรฉgorie ยซ gains ยป sont pour la majoritรฉ des ORFans, cโ€™est-ร -dire quโ€™ils nโ€™ont pas dโ€™homologues chez les organismes cellulaires sรฉquencรฉs. Donc ร  moins dโ€™admettre que nous ne connaissons quโ€™une faible proportion des protรฉines existantes dans le monde cellulaire, ce qui apparait de plus en plus improbable avec les progrรจs de la mรฉtagรฉnomique notamment, la probabilitรฉ que tous ces ยซ gains ยป soient le rรฉsultat de transfert latรฉraux de gรจnes ยซ volรฉs ยป aux organismes cellulaires est faibles. Ainsi, lโ€™origine de ces ORFans reste ร  dรฉterminer.

Acquisitions convergentes de gรจnes : les AMGs ne sont pas lโ€™apanage des phages

Trois cas dโ€™acquisitions indรฉpendantes du mรชme gรจne chez leur hรดte respectif, de CeV dโ€™une part, et dโ€™autres NCLDVs non apparentรฉs mais infectant รฉgalement des algues ont รฉtรฉ dรฉcrit dans lโ€™article. Lโ€™un dโ€™entre eux, codant pour le composant du photosystรจme II LHC (Light Harvesting Protein), a รฉgalement รฉtรฉ acquis par des cyanophages ร  partir de leurs hรดtes bactรฉriens photosynthรฉtiques. Des virus รฉloignรฉs infectant des organismes photosynthรฉtiques semblent donc adopter une stratรฉgie commune pour sโ€™adapter ร  leur hรดte, qui vise probablement ร  modifier les caractรฉristiques des photosystรจmes. Ce cas spรฉcifique pourrait illustrer un phรฉnomรจne frรฉquent dโ€™adaptation convergente des virus ร  un environnement donnรฉ. Aprรจs lโ€™รฉcriture de lโ€™article, jโ€™ai identifiรฉ des cas additionnels dโ€™acquisitions convergentes impliquant diffรฉrentes branches de NCLDVs et/ou des phages, et rรฉpertoriรฉ dโ€™autres cas dรฉcrits dans la littรฉrature :
b.1 – Protรฉine Fe-S de type A (ATC pour ยซ A type carrier ยป). Ces protรฉines prennent part ร  lโ€™assemblage des centres Fe/S puisquโ€™elles lient des centres [2Fe_2S]2+ ou [4Fe_4S]2+ aprรจs quโ€™ils aient รฉtรฉ synthรฉtisรฉs puis les transfรจrent aux apoprotรฉines. Des gรจnes codant pour des ATC ont รฉtรฉ acquis par CeV dโ€™une part, le prasinovirus Ostreococcus lucimarus Virus 7 (OlV7) dโ€™autre part et des cyanophages enfin, de sources cellulaires diffรฉrentes (figure 8).
La majoritรฉ des bactรฉries possรจdent un seul type dโ€™ATC, tandis que les alpha, beta et gamma protรฉobactรฉries en possรจdent plusieurs types, qui sont classรฉs en ATCI et ATCII. Ainsi, lors de lโ€™endosymbiose primaire de lโ€™alphaprotรฉobacterie, รฉvรจnement qui a engendrรฉ les mitochondries, les eucaryotes ont hรฉritรฉ de deux ATCs (nommรฉes Isa1 (ATCII) et Isa2 (ATCI) chez les eucaryotes). Ensuite, lors de lโ€™endosymbiose secondaire de la cyanobactรฉrie qui rรฉsulta en lโ€™รฉtablissement du chloroplaste, certains eucaryotes ont acquis une ATC supplรฉmentaire.
Jโ€™ai rรฉalisรฉ une reconstruction phylogรฉnรฉtique des ATCs, en utilisant dโ€™une part des protรฉines qui prรฉsentaient un bon score dโ€™alignement blast contre les protรฉines virales, et dโ€™autre part les protรฉines utilisรฉes dans une รฉtude sur la rรฉpartition et la phylogรฉnie des ATCs (192) rรฉalisรฉe par le laboratoire LCB ร  Marseille. Lโ€™arbre phylogรฉnรฉtique que jโ€™ai obtenu (figure 8) concorde remarquablement (ร  lโ€™exception des branches virales) avec les rรฉsultats de lโ€™รฉtude susnommรฉe.
La protรฉine du prasinovirus Olv7 fait partie des ATCII. Elle รฉmerge au sein des protรฉines Isa2 des prasinophytes (i.e., la classe dโ€™algue de son hรดte) (figure 8), ce qui suggรจre quโ€™elle est issue dโ€™un transfert de gรจne depuis une algue prasinophyte. De plus, la protรฉine virale prรฉsente un fort taux dโ€™identitรฉ (80%) avec la protรฉine de son hรดte Ostreococcus lucimarus, ce qui est compatible avec la possibilitรฉ que la protรฉine virale soit bien adaptรฉe pour supplรฉmenter le mรฉtabolisme de son hรดte. Ni la protรฉine de lโ€™algue, ni la protรฉine du virus, ne possรจdent de peptide signal (TP pour target peptid en anglais), portion peptidique permettant lโ€™adressage ร  la mitochondrie de protรฉine codรฉe par le noyau, dans le cas oรน lโ€™organelle est le compartiment dโ€™action de la protรฉine. Ceci suggรจre que ces deux protรฉines sont responsables du transport des centres Fe/S cytoplasmiques. Par contraste, la protรฉine ATC de CeV nโ€™รฉmerge pas au sein dโ€™une branche eucaryote (figure 8). En fait, elle semble nโ€™appartenir ร  aucun des clades dโ€™ATCs caractรฉrisรฉs par lโ€™รฉtude de lโ€™รฉquipe Marseillaise, qui pourtant sโ€™est basรฉe sur les ATCs dรฉtectรฉes dans la totalitรฉ des gรฉnomes procaryotes disponible en 2008 (date de leur รฉtude), ainsi que dans la totalitรฉ des protรฉines eucaryotes disponible ร  la mรชme date. Autre point intriguant : des protรฉines ATCs de phages appartiennent elles aussi ร  ce clade restreint (figure 8). La prรฉsence au sein de ce clade, รฉgalement.
b.2 – PhytanoylCoA-dioxygenase. Ce gรจne est prรฉsent dโ€™une part, dans plusieurs gรฉnomes de cyanophages (193). Dโ€™autre part, une protรฉine de CeV et une protรฉine de PgV possรจdent un domaine PFAM (la base de donnรฉes de domaines protรฉiques de lโ€™EMBL-EBI) PhytanoylCoA-dioxygenase. Ces virus semblent donc รฉgalement encoder cette protรฉine, mais ceci mรฉriterait cependant une dรฉmonstration expรฉrimentale ; effectivement, les homologues cellulaires les plus proches (des fungi) prรฉsentent 30 % dโ€™identitรฉ avec les protรฉines de CeV et PgV. Les protรฉines de phages dโ€™un cรดtรฉ et de NCLDVs de lโ€™autre sont trop divergentes entre elles pour les intรฉgrer dans un alignement multiple commun. Je nโ€™ai pas donc pas effectuรฉ la reconstruction phylogรฉnรฉtique qui aurait permis de vรฉrifier quโ€™il sโ€™agit bien dโ€™acquisitions indรฉpendantes. Cependant, parce que (1) les sรฉquences de phages et de NCLDVs sont trรจs divergentes, et (2) leurs homologues cellulaires les plus proches appartiennent ร  deux 2 domaines diffรฉrents (i.e., bactรฉries pour les phages et eucaryotes pour PgV et CeV), ceci semble รชtre lโ€™hypothรจse la plus vraisemblable. Chez les cyanophages, il a รฉtรฉ proposรฉ que cette enzyme convertisse le 2-oxuglutarate (accumulรฉ chez lโ€™hรดte bactรฉrien, en rรฉponse ร  lโ€™infection par le phage) en succinate, un donneur dโ€™รฉlectron majeur de la chaine respiratoire chez les bactรฉries. Ce dernier prendrait part ร  la production de lโ€™รฉnergie requise pour le processus infectieux.
b.3 – Il a รฉtรฉ montrรฉ autre part que le transporteur de phosphate PHO4 a รฉtรฉ indรฉpendamment acquis par EhV, certains prasinovirus et certains cyanophages (194); tandis quโ€™une ATPase spรฉcifiquement induite lors de carence en phosphate (phoH) est prรฉsente chez plusieurs prasinovirus (194) ainsi que chez plusieurs cyanophages (193). Conjointement, ceci suggรจre que manipuler le mรฉtabolisme du phosphate de lโ€™hรดte est une adaptation importante des virus marins. Dโ€™autres observations sont compatibles avec cette hypothรจse : (i) la distribution des prasinovirus est affectรฉe par la disponibilitรฉ du phosphate (195), (ii) le fait que des Chlorella virus, des prasinovirus et Ectocarpus Siliculosus virus encodent รฉgalement des canaux ร  ions potassium. Leur phylogรฉnie et lโ€™analyse de leur sรฉquence suggรฉrant quโ€™il sโ€™agit cette fois dโ€™un caractรจre ancestral de ces virus (voire mรชme que ces canaux pourraient avoir รฉtรฉ inventรฉs chez ces virus avant dโ€™รชtre transfรฉrรฉs au monde cellulaire) (196, 197).
b.4 – Enfin, le cycle du soufre est lui aussi la cible de diffรฉrents virus. Ceci a dรฉjร  รฉtรฉ mis en lumiรจre par la prรฉsence dโ€™enzymes responsables de lโ€™oxydation du soufre chez plusieurs phages (198). La prรฉsence de lโ€™exporteur de composรฉs soufrรฉs TauE, indรฉpendamment acquis de sources bactรฉriennes par CeV dโ€™une part, et PgV dโ€™autre part, semble en รชtre un autre exemple (Figure 9). Chez les bactรฉries, TauE est impliquรฉ dans lโ€™exportation de sulfite ou sulfoacetate rรฉsultant spรฉcifiquement de la consommation de taurine (199, 200). Le rรดle de TauE pendant une infection par CeV ou PgV reste cependant ร  dรฉterminer puisque, ร  lโ€™exception de certaines algues vertes (201, 202), seules les bactรฉries sont connues pour cataboliser la taurine. De faรงon intรฉressante (pour les producteurs et/ou amateurs de vin au moins), un autre virus encode TauE. Il sโ€™agit dโ€™Oenococcus oeni phage, qui infecte Oenococcus oeni la bactรฉrie responsable de la fermentation malolactique. Ce processus, qui suit la fermentation alcoolique, participe ร  une dรฉsacidification, ainsi que, indirectement, ร  une modification des propriรฉtรฉs organoleptiques (arรดmes, goรปt, couleur) des vins (203, 204). Lโ€™enzyme du phage est ร  99% identique ร  celle de plasmides de son hรดte bactรฉrien, ce qui suggรจre quโ€™elle est hรฉritรฉe de lโ€™hรดte. La prรฉsence de sulfites, soit rรฉsultant de la fermentation alcoolique rรฉalisรฉe par les levures, soit ajoutรฉe dans les cuves par les viticulteurs, influence la fermentation malolactique (205). La possession de plasmides codant pour TauE a donc รฉtรฉ prรฉsentรฉe comme une adaptation au vin de ces bactรฉries (205). Lโ€™acquisition secondaire de cette enzyme par le phage (qui, via lโ€™infection de son hรดte bactรฉrien, pourrait indirectement influencer la fermentation malolactique (203, 206)) en serait une seconde, du phage cette fois.

Les Asparaginyl-tRNA synthรฉtase (AsnRS) de NCLDVs

Les aminoacyl-tRNA synthรฉtase (AARSs) codรฉes par Mimivirus ont รฉtรฉ les premiรจres AARS virales reportรฉes (207). Or, ces enzymes ont un rรดle central dans le processus de traduction des protรฉines, et ce processus รฉtait supposรฉ exclusivement cellulaire. Ces AARS alimentent le dรฉbat sur une potentielle origine cellulaire de ces virus (208, 209), une attention particuliรจre leur est donc portรฉe. Ceci mโ€™a menรฉ ร  mโ€™intรฉresser ร  2 asparaginyl tRNA synthรฉtase (AsnRS) de NCLDVs. La premiรจre est codรฉe par CeV et a รฉtรฉ dรฉtectรฉe lors de lโ€™annotation du gรฉnome. La seconde est codรฉe par Heterosigma akashiwo Virus, un NCLDV qui infecte une micro-algue raphydophyte (stramenopile) et dont le gรฉnome a รฉtรฉ publiรฉ pendant ma thรจse (180). Megavirus et Moumouvirus encodent รฉgalement une AsnRS. Une question que lโ€™on peut se poser est la suivante : Est-ce que la possession dโ€™une AsnRS est un caractรจre ancestral (i.e., provenant dโ€™un virus ancestral possรฉdant un appareillage autonome pour la traduction), ou bien est-ce un caractรจre acquis ? Un article rรฉcent (139) suggรจre quโ€™il sโ€™agit dโ€™un caractรจre acquis mais nโ€™avais pas encore รฉtรฉ publiรฉ quand nous รฉtudiions CeV au laboratoire. Effectivement ni lโ€™AsnRS de CeV, ni celle dโ€™HaV ne forment un groupe monophylรฉtique avec celles de Megavirus et Moumouvirus (ces deux derniรจres par contre sont bien regroupรฉes dans la phylogรฉnie) (Figure 10). Cette configuration polyphylรฉtique des AsnRSs virales soutient lโ€™hypothรจse quโ€™il sโ€™agit plutรดt dโ€™un caractรจre acquis rรฉcemment par des NCLDVs. Notons cependant que des cas de replacements fonctionnels sont connus (179, 186) et pourraient รฉgalement constituer une explication alternative. Les AsnRS de CeV et dโ€™HaV sont polyphylรฉtiques. Fait intriguant, elles ont tout de mรชme un caractรจre en commun : elles ne possรจdent quโ€™un seul des deux domaines nรฉcessaires ร  lโ€™activitรฉ AARS. Effectivement, il leur manque le domaine de reconnaissance de lโ€™anticodon sur lโ€™ARNt, et ne possรจdent que le domaine ยซ catalytique ยป. Celui-ci lie lโ€™acide aminรฉ et effectue habituellement la liaison entre lโ€™acide aminรฉ et lโ€™ARNt lors de la traduction. Ces AsnRS-like virales pourraient donc avoir une fonction diffรฉrente des AsnRSs classiques. Plusieurs รฉtudes dรฉcrivent de tel cas (210โ€“214) pour des AsnRS ou dโ€™autre AARS. Il semblerait effectivement que dโ€™une maniรจre gรฉnรฉrale, les paralogues des AARS soient de faรงon rรฉccurente lโ€™objet de cooption pour une autre fonction que celle de lier un ARNt et son acide aminรฉ associรฉ lors de la traduction.

Aucun lien entre le domaine ยซ choline acetyltransfรฉrase ยป et AsnRS nโ€™a pu รชtre mis en รฉvidence

En conclusion, en utilisant la mรฉthode de la pierre de rosette, nous pouvons รฉmettre lโ€™hypothรจse que lโ€™AsnRS-like de CeV pourrait รชtre impliquรฉe dans le mรฉtabolisme des acides aminรฉs aspartate ou asparagine, et/ou dans dans le mรฉtabolisme de Ap4A. Tout ceci reste hautement spรฉculatif et demande ร  รชtre รฉtudiรฉ par des expรฉriences dโ€™activitรฉs.
Par ailleurs, jโ€™ai mentionnรฉ que lโ€™enzyme de CeV et celle de cyanophages (phages infectant des cyanobactรฉries) forment un groupe monophylรฉtique. Il pourrait donc sโ€™agir dโ€™un transfert entre virus infectant des royaumes cellulaires diffรฉrents. Certaines algues, dont des haptophytes, possรจdent un microbiote bactรฉrien variรฉ dont peuvent faire partie certaines cyanobactรฉries (223, 224). Dรจs lors, ces communautรฉs rapprochรฉes pourraient รชtre le lieu de transferts de gรจnes entre organismes cellulaires (entre eux), organismes cellulaires et virus, ou virus entre eux.

Spectre dโ€™hรดte et date de divergence des Mimiviridae

Lโ€™isolement de ces nouveaux Mimiviridae qui infectent des protistes dont la divergence avec les amibes est un รฉvรจnement trรจs basal dans lโ€™histoire du domaine eucaryote, suggรจre pour certains que lโ€™origine des Mimiviridae pourrait avoir prรฉcรฉdรฉ cette radiation et donc รชtre contemporaine de lโ€™รฉmergence du domaine eucaryote (102). Cette hypothรจse ne fait pas lโ€™unanimitรฉ puisquโ€™un autre scรฉnario possible, bien que moins parcimonieux, propose que plusieurs sauts dโ€™hรดte soient responsables de la distribution dโ€™hรดtes actuelle (140). Un mixe de ces deux scenarii est รฉgalement envisageable. Dโ€™autres รฉlรฉments sont compatibles avec lโ€™hypothรจse de co-radiation. Nous avons dรฉjร  รฉvoquรฉ le cas des enzymes impliquรฉes dans la rรฉplication et la rรฉparation de lโ€™ADN ainsi que de celles impliquรฉes dans la transcription qui forment une branche monophylรฉtique รฉmergeant ร  la racine du domaine eucaryote (141).
Un autre argument nous vient de lโ€™analyse de la distribution du gรจne MutS7, de la famille des MSH (mutation suppressor homolog), exclusif aux proteobactรฉries epsilon, aux Mimiviridae (tous) et aux octocoralliaires. En effet, la phylogรฉnie suggรจre que lโ€™explication la plus parcimonieuse expliquant cette distribution serait quโ€™un Mimiviridae ait transfรฉrรฉ ce gรจne depuis les bactรฉries vers les mitochondries des coraux (102). Toujours dโ€™aprรจs lโ€™arbre, ceci ce serait passรฉ aprรจs la divergence des ยซ Megavirinae ยป et ยซ Mesomimivirinae ยป, et avant la radiation des octocoralliaires (mais aprรจs la divergence de ces dernier avec les Hexacorallia, car leurs mitochondries nโ€™encodent pas MutS7). Ce scenario sโ€™il est correct, implique que la divergence des Mimiviridae a eu lieu il y a au moins 750 millions dโ€™annรฉe (date dโ€™estimation rรฉcente de la radiation des coraux (225)). Ceci est certes longtemps aprรจs la date dโ€™รฉmergence supposรฉe du domaine eucaryote, mais pose dรฉjร  une limite au caractรจre rรฉcent de lโ€™รฉvรจnement.
Que lโ€™hypothรจse exacte soit celle dโ€™une divergence des Mimiviridae aussi ancienne que le domaine eucaryote ou celle de plusieurs sauts dโ€™hรดtes รฉloignรฉs, nous pouvons faire la prรฉdiction que des virus de la famille des Mimiviridae pourraient (ou aurait pu) infecter des hรดtes cellulaires appartenant ร  dโ€™autres super-groupes eucaryotes en plus des 4 hรฉbergeant des hรดtes connus (figure 13). Lโ€™analyse de traces laissรฉes dans les gรฉnomes eucaryotes (ceci me permet de mรฉnager une transition vers la seconde partie de mon travail de thรจse), pourraient nous permettre de valider cette prรฉdiction.

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Table des matiรจres

Introduction
A – Introduction gรฉnรฉrale sur les virus
1 – Historique et dรฉfinition
2 – Cycle lytique/lysogรฉnique
3 – Une virosphรจre extrรชmement variable
4 – Origine des virus
a – Une origine unique ou multiple des virus ?
b – Les virus sont-ils trรจs anciens ?
c – Hypothรจses quant ร  lโ€™รฉmergence de parasitisme de type viral
5 – Impact global des virus
6 – Impact mรฉtabolique sur les cellules
7 – Les virus : des acteurs de lโ€™รฉvolution des cellules
a – Les thรฉories รฉvolutives de la course aux armes (lโ€™hypothรจse de la reine rouge) et la stratรฉgie du chat de Cheshire
b – Le cas des virus mutualistes
c – Les virus, agents de transferts horizontaux de gรจnes vers les cellules
d – Les virus mรฉdiateurs de transitions รฉvolutives
B – Les grand virus nuclรฉo-cytoplasmique ร  ADN (NCLDVs)
1 – Historique
2 – Pourquoi les NCLDVs, et particuliรจrement les gรฉants, dรฉfraient-ils la chronique ? Un aperรงu des dogmes rompus et des points intrigants
C – Introduction ร  mon travail de thรจse
Rรฉsultats et Discussion
Chapitre A – CeV et les Mimiviridae
1 – Introduction
2 – Article 1: Comparative genomics of Chrysochromulina Ericina Virus (CeV) and other microalgae-infecting large DNA viruses highlight their intricate evolutionary relationship with the established Mimiviridae family
3 – Analyses complรฉmentaires et discussion
a – Evolution de la taille des gรฉnomes des Mimiviridae
b – Acquisitions convergentes de gรจnes : les AMGs ne sont pas lโ€™apanage des phages
b.1 – Protรฉine Fe-S de type A
b.2 – PhytanoylCoA-dioxygenase
b.3 – Le transporteur de phosphate PHO4
b.4 – AMGs dans le cycle du souffre
c – Les Asparaginyl-tRNA synthรฉtase (AsnRS) de NCLDVs
c.1 – HaV
c.2 – AsnRS de CeV
d – Spectre dโ€™hรดte et date de divergence des Mimiviridae
4 – Conclusion
Chapitre B – Sรฉquences de NCLDVs et virophages dans les gรฉnomes eucaryotes
1 – Introduction gรฉnรฉrale
a – Les NCLDVs, des oubliรฉs de la palรฉovirologie
b – Etat des lieux avant ma thรจse, historique
c – Les virophages
d – Problรฉmatique
2 – Bigelowiella natans โ€“ un gรฉnome analysรฉ en dรฉtail
a – Introduction
b – Article 2: Provirophages in the Bigelowiella genome bear testimony to past encounters with giant viruses
c – Discussion
c.1 – Sรฉquences de virophages
c.2 – Sรฉquences de NCLDVs
3 – Un crible global des eucaryotes
a – Introduction
b – Article 3: A Glimpse of Nucleo-Cytoplasmic Large DNA Virus Biodiversity through the Eukaryotic Genomics Window
c – Rรฉsultats supplรฉmentaires et discussion
c.1 – Retour sur les Mimiviridae
c.2 – Les Asfarviridae
c.3 – Les Phaeovirus
c.4 – VLTF3
c.5 – Limitations de la mรฉthode
c.6 – Une ouverture : quels hรดtes utilisรฉs pour isoler de nouveaux virus ? 16
Discussion gรฉnรฉrale
A – Les NCLDVs, des acteurs de lโ€™รฉvolution
B – NCLDVs acteurs dโ€™รฉtablissement de symbioses/endosymbioses
1 – Symbioses transitoires
2 – Le cas des organelles
C – Les cnidaires, un autre lieu de ยซ melting pot ยป : Mimiviridae, Asfarviridae, bactรฉries, symbiontes eucaryotes
Conclusion gรฉnรฉrale
Matรฉriel et Mรฉthodes
Bibliographie

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