Impact financier des prescriptions en cancérologie

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Prescription hors-AMM d’un médicament

Définition et motifs de prescription hors-AMM

La prescription d’un médicament en dehors des mentions légales du RCP (annexe du dossier d’AMM) constitue une prescription hors-AMM (7). L’utilisation hors-AMM peut ainsi concerner les indications du médicament, la posologie, les modalités d’administration (rythme, voie), la durée de traitement. Elle permet l’accès à certains patients d’un traitement potentiellement efficace lorsqu’il n’existe aucune alternative thérapeutique validée mais elle prive le patient des garanties de sécurité issues de l’analyse du dossier d’AMM par les autorités compétentes. Plusieurs raisons peuvent conduire un médecin à prescrire un médicament hors de son AMM. Dans certains cas, des données cliniques disponibles robustes n’ont pas encore donné lieu à une modification de l’AMM et celle-ci est alors en décalage avec l’évolution des connaissances. Certaines situations cliniques ne sont couvertes par aucune AMM et le prescripteur a alors recours à des solutions thérapeutiques sur la base de données qu’il juge suffisantes, bien que non validées. Enfin, les essais cliniques réalisés en vue de la constitution du dossier de demande d’AMM sont la plupart du temps menés sur des populations cibles. Ainsi pour certaines populations « particulières » (gériatrique, pédiatrique), les données sont rares et la prescription de médicament à ce type de population est alors effectuée hors-AMM (8).

Aspect réglementaire et responsabilités engagées

• Cadre réglementaire
Avant 2011, le bien-fondé des prescriptions hors-AMM était laissé à l’appréciation des tribunaux qui étudiaient les situations au cas par cas. La loi du 29 décembre 2011 précise dans le Code de la santé publique (CSP) les conditions acceptables de prescription hors-AMM ( cf. Annexe 1) et la création d’un nouveau dispositif d’encadrement du hors-AMM médicalement justifié : les Recommandations Temporaires d’Utilisation (RTU), établies et diffusées au niveau de l’ANSM (9). La loi du 29 décembre 2011 implique également les entreprises pharmaceutiques dans l’encadrement des prescriptions hors-AMM. En effet, dans l’article 21 de cette loi, les laboratoires sont incités à « mettre en œuvre des moyens tendant à limiter l’usage constaté des médicaments en dehors des indications de leur autorisation de mise sur le marché lorsque cet usage ne correspond pas à des recommandations des autorités sanitaires compétentes » (10). Les entreprises pharmaceutiques sont encouragées à informer les prescripteurs en vue de limiter les prescriptions hors-AMM.
• Responsabilités engagées
La prescription hors-AMM peut être source de responsabilités civile, pénale, administrative ou disciplinaire (11). La responsabilité civile concerne les médecins exerçant à titre libéral et exerçant dans des établissements de santé privés. Elle ne peut être engagée qu’en cas de faute (12). Cette faute peut être de deux ordres : la faute par manquement à l’obligation d’information issue de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (13) et la faute « par manquement aux règles de l’art » (11). Dans le cas d’apparition d’effets indésirables chez le patient, la prescription hors-AMM peut constituer une faute en contrevenant au principe selon lequel « toute personne a le droit de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées ». Ces dispositions sont également issues de la loi du 4 mars 2002. Les médecins exerçant en milieu hospitalier peuvent engager la responsabilité administrative de leur établissement en cas de dommage résultant d’une prescription hors-AMM (11) . L’hôpital peut alors être condamné à payer des dommages et intérêts au patient si sa responsabilité fautive est retenue. La responsabilité pénale s’applique quel que soit le mode d’exercice du prescripteur (hospitalier ou libéral). Elle peut être engagée en cas de décès du patient sur le fondement de l’article 221-6 du code pénal (14) par manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement. La responsabilité pénale du médecin dans le cadre d’une prescription hors-AMM peut également être engagée pour homicide involontaire ou pour mise en danger d’autrui (15). Enfin, la responsabilité disciplinaire du médecin est susceptible d’être engagée dans le cas d’une prescription hors-AMM par infraction à l’article 40 du Code de déontologie médicale selon lequel le médecin doit s’interdire de faire courir au patient un risque injustifié (16). »
Le pharmacien engage également sa responsabilité dans la dispensation d’une prescription hors-AMM. Le CSP précise que le pharmacien « doit assurer dans son intégralité l’acte de dispensation du médicament, associant à sa délivrance l’analyse pharmaceutique de l’ordonnance médicale » (17). Cette analyse consiste à vérifier la posologie, le mode d’administration et les incompatibilités éventuelles, rechercher et évaluer les redondances de prescription, les interactions médicamenteuses, etc. et garantir le bon usage pour la pathologie au regard des recommandations de pratiques cliniques. Le CSP prévoit pour le pharmacien la possibilité de refuser la dispensation d’un médicament « lorsque l’intérêt du patient lui parait l’exiger » (18). Dans la mesure où la prescription hors-AMM prive le patient des garanties de sécurité issues de l’analyse du dossier d’AMM, le pharmacien peut invoquer le caractère dangereux de la prescription lorsqu’il refuse de dispenser un médicament en dehors de son AMM.
Les entreprises pharmaceutiques s’exposent également à des sanctions sous forme de pénalité financière en cas de manquement aux dispositions de l’article 21 de la loi du 29 décembre 2011 portant sur la mise en œuvre de moyens (informations auprès des prescripteurs) pour limiter l’usage hors-AMM des médicaments commercialisés.

Hors-AMM en cancérologie

Impact financier des prescriptions en cancérologie

Financement des médicaments à l’hôpital

Depuis 2006, le budget des établissements de santé est remplacé par l’état des prévisions de recettes et de dépenses (EPRD). Il est le résultat de la réforme de l’allocation budgétaire et financière des établissements publics de santé appelée tarification à l’activité (T2A). L’objectif est de permettre aux établissements de fixer eux-mêmes leurs recettes en tenant compte de leur activité (19). La T2A repose sur un système de classification des séjours reposant sur des groupes homogènes de malades (GHM) et sur un tarif national par séjour.
Les établissements sont incités à augmenter leur activité pour générer des recettes supplémentaires (20). L’activité des établissements de santé est évaluée à l’aide d’un outil de mesure : le programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) qui prend en compte les activités économiques et médicales des établissements de santé. Ce programme repose sur la collecte exhaustive d’informations médico-administratives concernant le séjour de tous les patients pris en charge à l’hôpital (20).
La T2A se décline selon trois catégories de financement :
– Les tarifs à l’activité qui s’appuient sur le PMSI.
– Les forfaits annuels ou rémunération mixte comme par exemple les urgences ou l’activité de prélèvement d’organes.
– Les enveloppes pour les missions d’intérêt général et d’aide à la contractualisation (MIGAC).
Si la principale source de financement de ce système est constituée par le paiement des groupes homogènes de séjour (GHS), certaines prestations ou spécialités pharmaceutiques sont trop onéreuses et sont alors payées en sus de la T2A. On parlera de produits et médicaments « en sus ». Le poids de ces molécules sur les finances de l’Assurance Maladie implique que les établissements de santé respectent les règles de bonne pratique quant à l’usage de
ces produits. Ainsi, le Code de la sécurité sociale (CSS) définit la liste des spécialités pharmaceutiques prises en charge en sus des prestations d’hospitalisation. Le CBU engage pour cinq ans le directeur de l’Agence régionale de santé (ARS), le représentant légal de l’établissement après avis conforme de la Commission médicale d’établissement (CME) et du COMEDIMS et l’Assurance Maladie. Il a pour objectifs d’améliorer et de sécuriser, au sein d’un établissement de santé, le circuit des médicaments. Le CBU prévoit des engagements spécifiques à la liste en sus parmi lesquels une utilisation selon trois modalités :
– Conformité à l’AMM.
– Conformité aux recommandations temporaires d’utilisation (RTU) le cas échéant.
– A défaut d’une utilisation conforme à l’AMM, le prescripteur « porte au dossier médical l’argumentation qui l’a conduit à prescrire, en faisant référence aux travaux des sociétés savantes ou aux publications des revues internationales à comité de lecture (21). »
Les médicaments anticancéreux représentent une part importante de ces molécules jugées onéreuses. Le décret du 24 mars 2016 (22) a modifié les règles d’inscription des médicaments sur la liste des molécules onéreuses : les médicaments sont désormais inscrits indication par indication, ouvrant la voie à une gestion plus fine de la liste. Ce dispositif a pour objectif la maîtrise des dépenses de santé et repose sur le fait qu’un médicament donné peut être efficace pour une indication spécifique et moins pour une autre. Le CBU sera remplacé au 1er janvier 2018 par le Contrat d’Amélioration de la Qualité et de l’Efficience des Soins (CAQES) (23). Ce nouveau contrat permet de fusionner en un support unique l’ensemble des dispositifs contratuels existants entre les établissements de santé, les ARS et l’Assurance Maladie. Les engagements spécifiques relatifs aux spécialités pharmaceutiques prises en charge en sus des prestations d’hospitalisation y sont maintenus (article 10-5 du CAQES).

Dépenses liées aux anticancéreux à l’hôpital

La prise en charge des cancers en milieu hospitalier se décline selon deux modalités principales en fonction du type de structure accueillant les patients : le secteur médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) et le secteur de l’hospitalisation à domicile (HAD). L’activité de chimiothérapie anticancéreuse est marginale en soins de suite et réadaptation (SSR) – moins de 1% de l’ensemble des journées de SSR – et les dépenses liées aux anticancéreux de la liste en sus ne seront donc pas détaillées. Les anticancéreux délivrés en rétrocession représentent 13,4% du montant total consacré aux médicaments de la liste (24). En 2015, en MCO, près de 1,7 milliards d’euros de dépenses (+6,2% par rapport à 2014) relatives aux molécules anticancéreuses sont facturées en sus des GHS soit 50,8% (48,3% en 2013) du coût total des molécules onéreuses dans le secteur public et 83,1% (76,3% en 2013) dans le secteur privé. Les dépenses relatives aux anticancéreux facturés en sus des prestations d’hospitalisation dans les établissements HAD s’élèvent à 25,9 millions d’euros en 2015 (24).
Les thérapies ciblées représentent, en 2015, 48% des dépenses liées aux anticancéreux de la liste en sus dans le secteur public et 73,3% de ces dépenses dans le secteur privé. Ces molécules représentent donc une importante source de dépense pour les établissements de santé et donc indirectement pour l’Assurance Maladie et la maîtrise des prescriptions hors-AMM représente un enjeu économique de régulation des dépenses.

Financement des médicaments en ville et dépenses liées aux anticancéreux

En officine, la prise en charge des anticancéreux s’effectue au même titre que les autres médicaments avec un remboursement par l’Assurance Maladie. Le CSS issu de l’ordonnance du 24 avril 1996 dispose que « les médecins qui prescrivent une spécialité pharmaceutique en dehors des indications thérapeutiques ouvrant droit au remboursement ou à la prise en charge par l’Assurance Maladie sont tenus de le spécifier sur l’ordonnance » (25). Face à l’évolution croissante de l’origine hospitalière des prescriptions exécutées en ville (augmentation de la prise en charge ambulatoire des patients, mouvements vers la ville de médicaments précédemment réservés à l’usage hospitalier), l’Assurance Maladie en collaboration avec les ARS, a mis en place un dispositif de régulation des dépenses de la ville résultant de prescriptions médicales effectuées dans les établissements de santé. On parle de Prescriptions Médicales Exécutées en Ville (PHMEV) (26). La cancérologie a été marquée ces dernières années par l’apparition sur le marché de nombreuses molécules anticancéreuses administrées par voie orale. La prise en charge des patients atteints de cancer est donc également ambulatoire. Les anticancéreux sont alors dispensés en rétrocession (délivrance de la molécule par une pharmacie à usage intérieur, (cf. Annexe 2) (cf. Tableau 1) mais la majorité est des anticancéreux oraux est disponible en ville.

Etat des lieux du hors-AMM

Le recours aux prescriptions hors-AMM en cancérologie est une pratique fréquente. Les raisons « classiques » de prescrire en dehors de l’AMM s’appliquent à ce domaine comme le décalage entre les études et l’évolution de l’AMM. Les prescripteurs anticipent alors en appliquant certains protocoles « en avance ». Dans d’autres cas, le protocole est prescrit à une ligne différente de celle du résumé des caractéristiques du produit ou bien le médecin associe une molécule différente de celle validée par l’AMM. Enfin, dans certaines tumeurs rares, il n’existe aucune AMM couvrant l’indication et le médecin a alors recours à une molécule prescrite en hors-AMM (29). Des travaux ont cherché à mesurer la proportion de prescriptions hors-AMM dans le domaine de la cancérologie. En 2005, Levêque et al. (7) évaluent cette proportion chez des patients adultes sous chimiothérapie dans une étude monocentrique prospective. Il en ressort un taux de hors-AMM de 6,7% et une disparité selon le type de cancer (les prescriptions hors-AMM sont plus fréquemment observées chez les patients atteints de cancer de la prostate hormono-résistants et atteints de tumeurs de la vessie). En 2012, un groupe de travail formé par la Société française de pharmacologie et de thérapeutique (SFPT) (30) mène une réflexion sur les moyens d’identification et d’encadrement du hors-AMM à partir de l’analyse d’un recueil de 759 primo-prescriptions de molécules onéreuses utilisées en oncologie. Le taux de prescription hors-AMM retrouvé est de 11%. Une remontée de prescriptions hors référentiels de médicaments a été menée à titre expérimental à l’initiative de l’ARS via le réseau des OMEDIT entre 2013 et 2014. L’objectif était d’améliorer la connaissance au plan national de ces situations. Un taux de hors-AMM de 22,2% a été obtenu à l’issue de l’étude avec des disparités dans les proportions de hors-AMM selon les molécules (31).

Dispositifs d’encadrement des prescriptions hors-AMM en cancérologie

La maîtrise de ces prescriptions hors-AMM à l’hôpital est un enjeu à la fois sanitaire et économique. L’enjeu est économique en particulier pour les anticancéreux de la liste en sus qui représentent une part importante des dépenses de cette liste. Le CBU (21), par un remboursement des molécules de la liste en sus en contrepartie d’exigences de leur bon usage, contribue à l’encadrement des prescriptions hors-AMM dans les indications concernées. Pour satisfaire aux exigences du CBU, les prescripteurs doivent argumenter par une justification bibliographique de niveau de preuve suffisant toutes leurs prescriptions hors-AMM de molécules onéreuses. Ce système donne aux pharmaciens hospitaliers dispensant ces molécules un droit de regard sur les indications et modalités d’utilisation et contribue à une maîtrise du hors-AMM. Pour vérifier le bon usage du médicament et confirmer le choix thérapeutique, le pharmacien a accès au dossier patient dans lequel il peut consulter le compte-rendu de réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP). Les RCP regroupent des professionnels de santé de différentes disciplines dont les compétences sont indispensables pour prendre une décision accordant aux patients la meilleure prise en charge en fonction de l’état de la science (32). Dans le cas d’une prescription hors-AMM, les prescripteurs mentionnent la référence bibliographique argumentant la prescription dans le compte-rendu de RCP.
Les RTU, proposés par la loi du 29 décembre 2011, ont pour objet de sécuriser la prescription d’un médicament non-conforme à son AMM (9) et constituent un dispositif d’encadrement du hors-AMM notamment dans le domaine de la cancérologie. Ces recommandations mentionnent pour chaque spécialité concernée les informations suivantes : indication, posologie, mode d’administration et les effets indésirables. Elles prévoient les modalités de suivi des patients et de recueil des informations relatives à l’efficacité, à la sécurité et aux conditions réelles d’utilisation de la spécialité (protocole de suivi des patients) ainsi que les modalités de remontée d’informations à l’ANSM. La maîtrise du hors-AMM est particulièrement importante en cancérologie pour préserver la balance bénéfice/risque et éviter d’exposer de façon injustifiée le patient à des effets indésirables lourds et parfois fatals. Toutefois, ces mesures se concentrent surtout sur les molécules dites onéreuses pour lesquelles le remboursement se fait en sus de la T2A et qui engendrent un fort volume de dépenses pour l’Assurance Maladie. La T2A est un système exclusivement hospitalier qui ne s’applique pas aux anticancéreux délivrés en ville.
En ville, le pharmacien d’officine est amené à honorer des ordonnances de chimiothérapie orale émanant de prescripteurs hospitaliers spécialisés en oncologie ou en hématologie. Dans l’analyse pharmaceutique de l’ordonnance, le pharmacien doit garantir le bon usage du médicament pour la pathologie au regard des recommandations de pratiques cliniques. Il doit ainsi être sensible aux potentielles prescriptions hors-AMM. Cette analyse présente deux intérêts : garantir la sécurité du patient et contribuer à la maîtrise des dépenses de santé. La détection des prescriptions hors-AMM et l’évaluation de leur pertinence passe par une connaissance approfondie des indications des molécules. L’évolution rapide du nombre de molécules disponibles impose aux pharmaciens d’officine, qui n’ont pas vocation à être spécialisés en cancérologie, une mise à jour constante de leurs connaissances dans ce domaine (33).

La chimiothérapie orale

L’essor des chimiothérapies orales

L’analyse des dépenses induites par les anticancéreux à l’hôpital et en ville permet de mettre en évidence une révolution ayant marqué ces dernières années le domaine de la cancérologie : le développement de la thérapie ciblée. Les chimiothérapies ciblées sont des molécules qui agissent préférentiellement sur les cellules cancéreuses en ciblant les mécanismes mêmes de l’oncogenèse. Le terme de thérapie ciblée renvoie à deux classes pharmacothérapeutiques différentes : les anticorps monoclonaux et les inhibiteurs de tyrosine kinase (ITK) et apparentés. Alors que les anticorps monoclonaux s’administrent par voie injectable, les ITK et apparentés sont des molécules administrées par voie orale et sont majoritairement dispensées en ville (24). Depuis une dizaine d’années, la place des molécules anticancéreuses administrées par voie orale n’a cessé de croitre (cf. Figure 2).
Les thérapies ciblées représentent 39% des anticancéreux oraux disposant d’une AMM (cf. Figure 3)
Le développement des thérapies ciblées et en particulier des molécules disponibles par voie orale a donc entraîné une modification de la prise en charge des patients au profit du secteur ambulatoire.

L’essor de la chimiothérapie orale : quels enjeux ?

Sécuriser l’utilisation des chimiothérapies orales

Le recours à la voie orale apporte un confort au patient en le préservant des hospitalisations, en lui permettant une autonomie et l’absence d’abord veineux (35). Cependant cette voie présente également des inconvénients. L’étude de Renet et al. (36) publiée dans le Bulletin du Cancer a modélisé trois parcours de soin mettant en œuvre des chimiothérapies orales afin de définir et quantifier les risques induits par les anticancéreux par voie orale. Il en ressort que l’étape d’administration est une des étapes les plus à risques. Les limites de la voie orale pour l’étape de l’administration sont liées à l’observance, à l’influence de l’alimentation dans la biodisponibilité des médicaments mais également au profil de tolérance de ces molécules puisqu’à la différence de la voie intraveineuse, la surveillance des effets indésirables échappe aux équipes soignantes.
• Observance
L’observance peut être définie comme le pourcentage de conformité à la prescription observable chez un patient. Ce paramètre est important dans la prise en charge des patients sous chimiothérapie orale puisqu’il conditionne l’efficacité du traitement. En hématologie, l’équipe d’Ibrahim et al. A mis en évidence une corrélation entre le manque d’observance des patients à l’imatinib et le risque d’une perte de réponse au traitement (37). Les travaux de Marin et al. établissent également le lien entre l’observance des patients et la variabilité de la réponse au traitement (38). Le défaut d’observance peut trouver sa cause dans le manque de compréhension des schémas de prise des médicaments parfois complexes. Les patients sont parfois amenés à modifier leurs schémas de prise sur la base de croyances : ainsi certains assimilent l’efficacité à la dose et ont tendance à augmenter la dose ou la fréquence des prises dans le but d’avoir une meilleure efficacité du traitement (35). Le phénomène inverse survient chez d’autres patients qui banalisent le traitement du fait de sa forme galénique, négligeant leur traitement et diminuant leurs prises avec pour conséquence une perte de chance dans l’efficacité du traitement (39). Le type de population est également un facteur influant sur l’observance : la population gériatrique polymédicamentée et avec atteinte des fonctions cognitives de même que la population adolescente sont identifiées comme à risque de moindre observance (40). Les professionnels de santé (prescripteurs, pharmaciens) ont un rôle important à jouer pour améliorer l’observance des patients sous chimiothérapie orale.
• Biodisponibilité et interactions médicamenteuses
Du fait du premier passage hépatique, la biodisponibilité des traitements oraux est plus faible que celle des molécules IV. Elle est également soumise à une variabilité plus importante. L’exemple de l’étoposide, molécule disponible par voie IV et orale illustre bien ces phénomènes avec une variabilité intra-individuelle supérieure pour la voie orale et une biodisponibilité variant entre 45% et 75%. Le pH gastrique, la lipophilie des molécules, la présence d’un bol alimentaire dans le tube digestif sont autant de facteurs pouvant influencer cette biodisponibilité. Des déterminants moléculaires pharmacocinétiques comme la variabilité individuelle de l’expression du cytochrome 3A4 sont également sources de variation de la biodisponibilité (41). Les chimiothérapies exposent au risque d’interaction pharmacocinétique. Deux principaux mécanismes de ces interactions ont été décrits : les médicaments et les repas induisant des modifications du pH digestif (impact sur la solubilité, la perméabilité et l’absorption) et les médicaments à effet sur les déterminants cinétiques (effet inducteur ou inhibiteur) (41). Ces phénomènes impliquent des schémas de prise parfois complexes afin d’éviter l’apparition d’effets indésirables digestifs et systémiques : la prise d’un repas peut être recommandée pour des raisons de tolérance (cas de l’imatinib que l’on recommande de prendre durant le repas afin de prévenir la survenue de nausées et vomissements)(42). A l’inverse, l’élévation du pH digestif induite par certains médicaments, diminue les concentrations plasmatiques des molécules sensibles aux variations de pH. (exemple des inhibiteurs de la pompe à protons et erlotinib) (41). Comme pour d’autres médicaments, les chimiothérapies orales sont exposées aux interactions faisant intervenir des inducteurs ou inhibiteurs enzymatiques. La majorité des inhibiteurs de kinase est métabolisée par le cytochrome CY3A. On peut citer le cas de l’ibrutinib sujet à de fortes augmentations de concentration avec les inhibiteurs de ce cytochrome (41). Les patients doivent donc recevoir une information claire pour optimiser l’efficacité de leur traitement.
• Erreurs médicamenteuses
La voie orale peut donner lieu au même type d’erreur médicamenteuse que la voie IV. Par exemple, pour la capécitabine, le calcul de dose est basé sur la surface corporelle ce qui est inhabituel pour cette voie d’administration et donc source d’erreur à la prescription et à la dispensation. Le méthotrexate par voie orale est indiqué en traitement d’entretien des leucémies aigües lymphoblastiques. Le schéma posologique est d’une prise hebdomadaire. Depuis 2007, des erreurs de prise de méthotrexate liées au schéma posologique ont été rapportées : prises quotidiennes au lieu des prises hebdomadaire avec apparition d’évènements indésirables d’évolution parfois fatale (43). L’hétérogénéité du conditionnement des doses (blister, flacon) est, lui aussi, source d’erreur pour le patient à qui est déléguée la responsabilité de la prise. Goodin et al. (44) ont mis en évidence des écarts entre les recommandations disponibles relatives à l’usage des chimiothérapies orales et leur mise en œuvre par les fabricants. Entre autres, des améliorations du conditionnement de ces molécules pourraient sécuriser leur manipulation, et une meilleure signalétique sur les boîtes devrait être élaborée pour alerter les patients sur la toxicité de ces traitements.
• Gestion des effets indésirables
Parmi les chimiothérapies orales, les ITK et apparentés sont à l’origine de divers effets indésirables : des affections cutanéomuqueuses telles que le syndrome main-pied surviennent avec la plupart des ITK. Les stomatites et les mucites sont plus souvent induites par le sunitinib, le lapatinib et le géfitinib. Des affections gastro-intestinales peuvent également être induites par les chimiothérapies orales. Ainsi, l’apparition de diarrhées survient chez 30 à 50% des patients sous sorafénib, sunitinib ou imatinib. Certains ITK sont également à l’origine d’une toxicité cardiaque comme par exemple le dasatinib ou encore le nilotinib entrainant parfois un allongement de l’espace QT dont les conséquences peuvent mettre en jeu le pronostic vital. La prévention des effets indésirables et la vigilance quant à leur survenue nécessitent une information et un accompagnement des patients (45,46).

Enjeux financiers des chimiothérapies orales

L’essor des chimiothérapies orales est également associé à des enjeux économiques, la part des dépenses liée à ces molécules dans les dépenses de ville est en constante augmentation depuis 2012 (Figure 4). Le développement des chimiothérapies orales a également un impact sur le coût du traitement des cancers à l’hôpital par une diminution des séjours hospitaliers en parallèle d’une augmentation du nombre de consultations (34). Dans ce contexte, la Direction générale de l’offre de soins (DGOS) a proposé en 2016 une mission d’intérêt général (MIG) aux établissements pour les accompagner dans le développement des primo-prescriptions de chimiothérapies orales (PPCO). La somme sera allouée en fonction du nombre de consultations (47).

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Table des matières

Remerciements
Liste des tableaux
Liste des figures
Liste des abréviations
Introduction
Contexte
A. Prescription médicale et hors-AMM
1. AMM d’un médicament, Autorisation Temporaire d’Utilisation
2. Prescription hors-AMM d’un médicament
B. Hors-AMM en cancérologie
1. Impact financier des prescriptions en cancérologie
2. Etat des lieux du hors-AMM
3. Dispositifs d’encadrement des prescriptions hors-AMM en cancérologie
C. La chimiothérapie orale
1. L’essor des chimiothérapies orales
2. L’essor de la chimiothérapie orale : quels enjeux ?
3. Modification du parcours de soins
4. Hors-AMM et chimiothérapies orales : état des lieux
Matériels et méthode
A. Critères d’inclusion
B. Critères d’exclusion
C. Recueil de données
1. Données liées au patient
2. Type de prescription, type de consultation et molécule prescrite
3. La place de la molécule dans la stratégie thérapeutique (ligne de traitement et association éventuelle à une autre molécule ou protocole)
4. Indication ou situation clinique
5. Références bibliographiques
6. Présence d’une RCP dans le dossier du patient
D. Analyse des résultats
Résultats
A. Analyse des résultats en hématologie
B. Analyse des résultats en hormonothérapie
C. Analyse des résultats en oncologie
D. Bilan du hors-AMM
Discussion
Conclusion
Références bibliographiques
Annexes

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