La régulation de la posture humaine
Le contrôle postural : présentation générale
Introduction à la posture
La posture est une interface, interface sociale et émotionnelle, interface entre le corps et son environnement, interface entre la position et le mouvement. En cela elle constitue un point d’ancrage autour duquel gravitent nos activités, et nous permet donc d’observer les racines sensorimotrices de nos comportements moteurs. Classiquement, le mouvement humain est dissocié en deux états distincts: un état dit statique, la position, et un état dynamique, le mouvement. Le maintien d’une position et l’exécution du mouvement sont donc deux concepts généralement opposés. Pourtant, dans la mesure où la position constitue le point d’ancrage du mouvement, ces deux mécanismes sont intimement liés. Là où la position peut concerner à la fois un ou plusieurs segments du corps, la posture, elle, fait généralement référence à la position adoptée par le corps dans son ensemble. Ainsi, André-Thomas et Ajuriaguerra (1948) définiront la posture comme la position relative des différents segments corporels à un moment donné. Chaque segment corporel pouvant adopter une multitude de positions, le corps est à même d’épouser une quantité considérable de postures différentes. Toutefois, parmi la diversité de ces postures, l’ensemble des espèces possède une posture dite de référence, posture mise en jeu de façon récurrente dans ses comportements. Le maintien de la position debout, aussi appelé posture érigée, constitue donc la posture de référence propre à l’espèce humaine (Paillard 1971). En tant que position de référence, elle occupe une place privilégiée dans la construction du mouvement et constitue une valeur centrale autour de laquelle s’articulent les activités sensorimotrices. En outre, en libérant les membres supérieurs de leur rôle de support, elle offre à l’Homme une gamme plus large d’actions. En cela, elle constitue un socle, une base à l’action et donc un marqueur solide du fonctionnement de l’organisme. Par ailleurs, en diminuant considérablement la base du support (équilibre bipodal) et en éloignant la masse du corps du sol (l’essentielle de notre masse est située dans la partie supérieure de notre corps), la posture humaine représente un défi perpétuel vis-à-vis de la gravité. Le maintien de la posture érigée requiert donc la mise en place d’une mécanique délicate. Massion (1994) a ainsi identifié et défini les deux fonctions de la posture humaine, de la manière suivante : une première fonction antigravitaire, garantie par le tonus des muscles posturaux qui s’oppose à la pesanteur et maintient la configuration des différents segments corporels, et une deuxième fonction d’interface avec le monde extérieur pour la perception et l’action, en se servant à la fois de la position du corps et de l’environnement comme support à l’action.
Biomécanique de la posture humaine
Directement liée à la notion de position, la question de l’équilibre n’est pas sans poser de difficulté lorsque l’on s’intéresse à la posture humaine. Le terme d’« équilibre postural » est communément employé pour évoquer la faculté du corps à maintenir une organisation segmentaire prédéfinie sans chuter. Dans le domaine de la mécanique, le principe d’équilibre respecte deux propriétés élémentaires : la nullité de la résultante des forces appliquées et la nullité du moment calculé au centre de gravité. Or, l’application des propriétés mécaniques de l’équilibre au maintien de la posture humaine impliquerait un alignement constant et fixe du poids du corps vis-à-vis de la réaction du support. D’un point de vue strictement mécanique, l’utilisation de cette terminologie est donc abusive puisque l’être humain est continuellement animé de micromouvements. En effet, l’homme est constitué de tissus vivants continuellement en mouvement : les poumons se gonflent et se dégonflent au fil de la ventilation, le cœur bat, les muscles font varier l’intensité de leurs contractions. Les forces produites par ces différents mécanismes déstabilisent le corps, rendant dès lors le maintien de l’équilibre, au sens mécanique du terme, impossible. Faute de trouver un état d’équilibre stable, statique, le corps va continuellement poursuivre cette quête en cherchant à réguler un certain nombre de paramètres l’informant de la qualité de sa position, de son équilibre. De nombreux travaux ont tenté de penser la posture humaine par le biais de modèles biomécaniques, à même de rendre compte des mécanismes en jeu dans cette quête constante de stabilité. Bien que divergeant sous bien des aspects, l’ensemble de ces modèles fait appel à des concepts communs, fondamentaux dans l’étude du maintien de la posture humaine.
En premier lieu, et résultant directement du paradoxe généré par l’utilisation du terme d’équilibre, le champ d’étude de la posture humaine fait fréquemment référence à la notion de stabilité. Un système possède un équilibre stable lorsqu’il opère un retour systématique à sa position d’équilibre, et ce, même si une perturbation vient à l’en écarter. L’énergie déployée par un système en équilibre stable diminue à mesure que ce dernier se rapproche de sa position d’équilibre. Une posture dite stable fait donc référence à une posture déployant une faible quantité d’énergie pour être maintenue et opérant un retour systématique à sa position d’équilibre. La notion de centre de masse (CdM) est centrale en biomécanique, notamment dans l’étude du contrôle postural. Le CdM est le point du corps où s’applique la force poids générée par la gravité. Si l’on considère le corps comme un ensemble de modules superposés, alors le CdM correspond au barycentre des masses composant chaque segment . En d’autres termes, le CdM correspond à un point virtuel représentant la masse totale du corps dans le système de référence global, c’est-à-dire à la moyenne pondérée des centres de masse de chaFue segment dans les 3 dimensions de l’espace (Winter 1995). Le centre de pression (CdP), quant à lui, est le point d’application de la résultante des forces verticales au sol, il se détermine via le calcul du barycentre des forces verticales. Deux forces peuvent donc être identifiées lors du maintien de la posture, le poids du corps P appliqué au CdM de l’individu, et la force de réaction au sol R, appliqué au niveau du CdP .
Pour que la posture soit dans une position dite d’équilibre le CdM doit être parfaitement aligné avec le CdP (i.e. alignement du poids du corps vis-à-vis de la réaction du support ). Or, comme cela a été spécifié précédemment, l’Homme oscille continuellement. Durant le maintien de la position debout, l’Homme essaie donc continuellement d’aligner le vecteur R des forces de réaction au sol avec le vecteur P du poids du corps . Ainsi, les mouvements effectués par le CdM suivent la même direction que ceux du CdP, avec toutefois des amplitudes différentes. Rougier et Garin (2006) illustrent le mécanisme à l’œuvre dans cet exercice en utilisant l’image d’une baguette que l’on tenterait de maintenir verticalement sur un doigt. Le doigt équivaudrait alors aux forces de réaction au sol (CdP) et le centre de la baguette à son poids (CdM). Afin de maintenir la baguette en équilibre, les mouvements produits par le doigt doivent être plus grands que ceux effectués par le centre de la baguette pour annuler l’inertie engendrée par cette dernière. Cette démonstration met en lumière deux principes applicables au maintien de la posture érigée. Premièrement, le CdP présente des déplacements d’amplitudes supérieures à ceux produits par le CdM. Deuxièmement, le contrôle actif de l’équilibre s’exerce au niveau des forces de réaction au sol, c’est-à-dire au niveau du CdP et non du CdM. De fait, ce sont les déplacements du doigt qui permettent à la baguette de se tenir en équilibre. Ainsi, le CdP constituerait une variable active qui rendrait compte des actions mises en œuvre par le système de régulation de la posture pour maintenir le CdM dans la base de sustentation (Winter 1995). Le CdP représente donc le contrôleur des déplacements passifs du CdM. Sur le plan expérimental, le CdP est une mesure courante, acquise au moyen de l’utilisation d’une plateforme de force. Toutefois, comme nous le présenterons plus loin, le système sensorimoteur peut mettre en place différentes stratégies segmentaires pour parvenir à cette fin ; stratégies qui ne peuvent, à l’heure actuelle, être différenciées au moyen d’une plateforme de force, mais peuvent l’être si l’on utilise un système de capture du mouvement optoélectronique. Aussi, les mesures stabilométriques classiques (e.g. ellipse de confiance, moyenne quadratique des déplacements du CdP) effectuées par le biais d’une plateforme de force, fournissent une mesure globale des actions mises en place au niveau du CdP pour contrecarrer les éloignements successifs du CdM vis-à-vis de son point d’équilibre.
Bases intégratives du contrôle postural : de l’intégration sensorielle à la sortie motrice
La notion de contrôle postural englobe l’ensemble des mécanismes sensoriels, cognitifs, et moteurs impliqués dans la production et le maintien de la station érigée. Pendant longtemps le maintien de la posture a été considéré comme un processus automatique, géré exclusivement par le réseau spinal (Belenki, Gurfinkel, et Paltsev 1967). Ce n’est que récemment que des travaux de recherche ont mis en évidence les mécanismes corticaux complexes qui sous-tendent les ajustements posturaux (Massion et Woollacott 1996). Dans ce champs, Nashner, Woollacott, et Tuma (1979) ont réalisé une étude pionnière révélant la nature complexe des processus neuronaux impliqués dans le contrôle postural. En analysant la latence de la réponse musculaire lors du contrôle postural, ces auteurs ont montré que celle-ci ne pouvait correspondre ni à un processus volontaire, ni à un processus automatique, tels que classifiés jusqu’alors. La régulation de l’équilibre postural requiert donc la mise en place de mécanismes de contrôle actifs à même de permettre son maintien lorsque les conditions sont optimales, mais également son adaptation lors de l’émergence de bouleversements externes (i.e. générés par l’environnement) ou internes (i.e. générés par corps lui-même). Ainsi, le contrôle postural nécessite la contribution de multiples processus spinaux, corticaux et sous-corticaux, allant de l’intégration des afférences sensorielles, à la mise en œuvre de mécanismes de contrôle en charge de moduler les stratégies adoptées afin de fournir une réponse posturale toujours adaptée au contexte.
|
Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE 1. PROCESSUS SENSORIELS ET COGNITIFS IMPLIQUES DANS LE CONTROLE POSTURAL
LA REGULATION DE LA POSTURE HUMAINE
Le contrôle postural : présentation générale
Introduction à la posture
Biomécanique de la posture humaine
Bases intégratives du contrôle postural : de l’intégration sensorielle à la sortie motrice
Intégration multisensorielle support du contrôle postural
Modes de contrôle
Les différents niveaux de traitement de l’action
Paramètres contrôlés pour la régulation posturale
La réponse posturale : ajustements et stratégies
Représentations internes du corps et de l’espace : schéma corporel et référentiels spatiaux
Les référentiels spatiaux
Représentation de la verticale
Schéma corporel postural
Les deux composantes fonctionnelles de la posture : Orientation et Stabilisation
SPECIFICITES DES CONTRIBUTIONS SENSORIELLES AU CONTROLE POSTURAL
Contribution du système vestibulaire
Base neurophysiologique du système vestibulaire
Contribution du système vestibulaire : explorations expérimentales
Contribution du système vestibulaire : la pathologie
Contribution du système visuel
Nature de la contribution visuelle au contrôle postural
Contribution du système visuel : explorations expérimentales
Contribution du système visuel : du déficit à la dépendance visuelle
Contribution du système somesthésiques
Base neurophysiologique du système somesthésique
Contribution du système somesthésique : explorations expérimentales
Contribution du système somesthésique : la pathologie
INTEGRATION MULTISENSORIELLE : AU-DELA DES DISPARITES, CONSTRUCTION D’UNE COHERENCE
Mécanismes de l’intégration multisensorielle : Pondération et repondération sensorielles
Intégration multisensorielle au sein du contrôle postural
La repondération sensorielle, un processus clé de l’adaptation motrice
Profil sensorimoteur : Référentiels spatiaux et vicariances
Coût cognitif de l’intégration sensorielle au sein du contrôle postural
Bases neurophysiologiques du contrôle postural
PARTIE 2. DE LA VARIABILITE DANS LA MESURE DU MOUVEMENT : APPROCHES NON-LINEAIRES DU CONTROLE POSTURAL
THEORIE DES SYSTEMES DYNAMIQUES : LES GRANDS PRINCIPES
INTRODUCTION A LA VARIABILITE
Origine de la variabilité dans le mouvement
Mesure de la variabilité dans un système biologique
Bénéfices de la variabilité sur le fonctionnement d’un système biologique
ÉTUDE DU MOUVEMENT : EXPLORATION DES CARACTERISTIQUES DES SERIES TEMPORELLES EN VUE D’ANALYSES NON-LINEAIRES
MESURES D’AUTOMOSIMILARITE
Entropie
Définition générale
Application de l’entropie sur une série temporelle
Entropie approximative
Entropie sur échantillon
Entropie Multi-Échelle
Analyses fractales
Définition générale
Concepts mathématiques relatifs aux analyses fractales
Méthodes d’analyse des dimensions fractales basées sur le Bruit Gaussien et le Mouvement Brownien Fractionnaire
MESURE DE LA COMPLEXITE POUR L’ANALYSE DU CONTROLE POSTURAL
Intérêt des mesures d’autosimilarité dans l’étude du mouvement
Intérêt des mesures d’autosimilarité dans l’étude du contrôle postural
La régulation du contrôle postural : quels paramètres pour quelles conclusions ?
Évolution des mesures en réponse à la modification des ressources sensorielles et cognitives pour le contrôle postural
Évolution de la dynamique du contrôle postural en réponse au vieillissement et à la pathologie
PARTIE 3. IMPACT DU SYNDROME D’EHLERS-DANLOS DE TYPE HYPERMOBILE SUR LES MECANISMES SENSORIMOTEURS
PRESENTATION GENERALE DU SYNDROME D’EHLERS-DANLOS DE TYPE HYPERMOBILE
Présentation du syndrome d’Ehlers-Danlos
Caractéristiques propres au syndrome d’Ehlers-Danlos de type hypermobile
De l’hypermobilité articulaire localisée au syndrome d’Ehlers-Danlos de type hypermobile : une question de degré ?
LE SYNDROME D’EHLERS-DANLOS DE TYPE HYPERMOBILE DU DEFICIT SOMESTHESIQUE AUX TROUBLES DE LA MOTRICITE
Le syndrome d’Ehlers-Danlos de type hypermobile aux origines du déficit somesthésique
Origine directe : génétique
Origine indirecte : physique
Le syndrome d’Ehlers-Danlos de type hypermobile : du déficit somesthésique aux troubles de la motricité
Le syndrome d’Ehlers-Danlos de type hypermobile : troubles du contrôle postural
PARTIE 4. PROBLEMATIQUE, OBJECTIFS ET HYPOTHESES
CONCLUSION