Impact du passage au dosage ultrasensible 

Impact du passage au dosage ultrasensible 

METHODES

Schéma de l’étude

Ce travail est une étude épidémiologique, observationnelle, monocentrique rétrospective.

Sélection des patients

Cette étude a porté sur les patients admis aux SAU du CHU d’Angers pour une douleur thoracique et ayant bénéficié d’au moins un dosage des troponines. Le critère de non inclusion était le caractère traumatique de la douleur. Le recrutement s’est fait à partir des observations médicales du service des urgences. Les dossiers étaient recherchés à partir du motif de consultation enregistré par l’IOA, du diagnostic codé par le médecin ou grâce à un ensemble de mots clés se rapportant à la douleur thoracique dans la conclusion médicale. Les dossiers ont été retenus grâce à un modèle de sélection probabiliste (Annexe 1). Le recrutement a porté sur une période de 2 ans centrée par la date de passage au dosage ultrasensible des troponines. Sur les 2 périodes, le même automate (Abbott Architect I 2000) a été utilisé. Seul le kit de dosage a été modifié passant de Architect STAT Troponin-I à Architect STAT High sensitive Troponin-I. (Tableau I)

Critère principal de l’étude

Le critère principal de l’étude était la durée du séjour aux urgences chez les patients remplissant les critères d’inclusion. Cette valeur était obtenue à partir du dossier informatisé de passage aux urgences par soustraction entre heure de sortie et d’entrée administrative enregistrées. Une évolution de ce temps de passage était considérée comme attribuable à la modification de la stratégie de dosage biologique si l’Odds Ratio de ce paramètre, introduit dans un modèle considéré prédictif du temps de passage, était significatif au seuil p <0.05.

Critères secondaires de l’étude

Les critères secondaires de l’étude étaient le nombre d’hospitalisation, le nombre de patients traités de façon ambulatoire, le nombre d’actes réalisés (TDM, ETT, coronarographie et pontage aorto-coronarien) et le nombre de diagnostic d’infarctus du myocarde. Ces informations ont pu être collectées à partir du dossier patient avec le concours du DIM du CHU d’Angers.

Statistiques

Le temps de passage aux urgences a été modélisé au moyen d’un modèle de régression linéaire généralisé (13). Tous les paramètres supposés pouvoir influencer ce temps de passage (en se basant sur des modèles préétablis et les facteurs identifiés dans une méthodologie de type Delphi) (14) ont été introduits. Ce modèle a été simplifié au moyen d’une méthodologie pas à pas descendante. Après d’obtention d’un modèle suffisamment prédictif (prédéfini comme ayant une corrélation entre le temps de passage prédit et effectif >0.60), le mode de troponine employé a été introduit dans celui-ci.
Les facteurs d’influence de la durée de passage aux urgences étaient : le sexe et l’âge du patient, le degré de priorité établi par l’infirmière d’accueil, l’arrivée en transport personnel ou accompagné des secours, la réalisation d’examens complémentaires (radiographie thoracique, ECG, échographie cardiaque, scintigraphie pulmonaire, TDM thoracique), la mise en oeuvre d’un monitorage des constantes vitales, l’intervention d’un externe ou d’un interne, le taux d’occupation des lits, le nombre de dosage de troponine réalisé, la positivité ou non d’au moins un dosage, l’heure d’entrée aux urgences, la consultation un jour ouvré ou en week-end, le transfert administratif en dossier UHCD et l’heure d’admission en hospitalisation par la suite le cas échéant.
Les variables quantitatives ont été seuillées en fonction des données de la littérature exception faite du taux d’occupation ponctuelle qui est une caractéristique intrinsèque au service des urgences où un seuil optimal a été choisi. Le seuil de 45 ans a été choisi pour l’âge (15) en raison du faible nombre de facteurs de risque cardio-vasculaires avant cet âge. La disponibilité en lits d’aval a été seuillée au premier quartile soit 14 lits (16).
Aucune méthode d’imputation ne fut utilisée dans le cas où des données étaient manquantes. Toutes les personnes pour lesquelles les critères d’évaluation étaient disponibles ont été prises en compte dans les analyses.
L’accord du Comité d’Ethique du CHU d’Angers et de la CNIL ont été donnés pour cette étude (Annexes 2 et 3).

RESULTATS

Description de la population

Du 26 mars 2014 au 25 mars 2016, 108 945 dossiers des urgences ont été extraits. 48 dossiers ne correspondaient pas à une « entrée patient » (doublons, dossiers de formation, dossiers vides). 7869 patients (7.2 %) présentaient une forte probabilité de consultation ayant pour motif une douleur thoracique selon la méthode précédemment décrite (Annexe 1). Parmi eux, 5153 avaient eu au moins un dosage de troponine et ont été inclus dans l’étude. 2545 patients correspondaient à la période « troponine sensible » et 2608 se qualifiaient dans la période « troponine ultrasensible ». (Figure I)
L’âge médian était de 56 ans, intervalle interquartile [40-77], les hommes représentaient 56% des patients. 30% ont été hospitalisé à la suite de leur consultation. La stratégie diagnostique comprenait une radiographie thoracique pour 68% des patients, une TDM thoracique pour 14% des patients. 21% ont eu un dosage répété de la troponine. 16 % des patients avaient au moins un dosage au-delà du seuil de positivité. Cette proportion était supérieure en période « troponine ultrasensible » (18 % contre 14%) p=0.001. En moyenne, on observe un dosage supplémentaire de troponine par patient tous les 33 patients en période « troponine ultrasensible » p=0.036. On observe aussi une majoration du nombre de TDM thoracique réalisées aux urgences de 4% (16% contre 12%) p< 0.001. Il y avait en moyenne plus de lits d’aval disponibles sur la période « troponine ultrasensible » que sur la période antérieure (30 contre 22) p<0.010.
Il n’y avait pas de données manquantes. L’ensemble des caractéristiques est disponible dans le Tableau II.

Données de modélisation

Après application du modèle de régression et simplification, nous avons retenu 14 facteurs explicatifs indépendants de la durée de passage aux urgences (Tableau III). La corrélation entre le temps prédit et le temps effectif était de 0.68 [0.67-0.70]. Les facteurs allongeant le plus la durée de passage étaient : le nombre de dosages réalisés, l’hospitalisation aux urgences et la réalisation d’une scintigraphie pulmonaire. Les facteurs diminuant le plus la durée de passage étaient la prise en charge par un externe et/ou un interne. Le seuil optimal du taux d’occupation ponctuelle était de 46 patients présents, ce qui coïncidait à la médiane (46 patients présents). La figure I représente les données individuelles des temps de passage observé (ordonné) en fonction du temps prédit (abscisse). Les couleurs représentent le nombre de dosages biologiques réalisés. (Figure I).

Evolution du temps de passage

En analyse descriptive non ajustée, la médiane du temps de passage dans le groupe « troponine sensible » était significativement plus courte avec une durée de 6h30 contre 6h48 dans le groupe « troponine ultrasensible » p=0.014 (Tableau IV). Ces observations n’étaient pas confirmées en analyse de survie (Time Ratio non ajusté 0.96 [0.91-1.02] p = 0.956) (Figure II). Sur la période de l’étude, le temps de passage moyen des patients toutes causes confondues (n=108 901) était de 7h25 sur la période « sensible » contre 7h04 dans le groupe « ultrasensible » p < 0.001 (Tableau IV).

Analyse du critère de jugement principal

L’introduction de la technique de dosage ultrasensible montre un impact significatif dans le sens d’un allongement du temps dans la période d’utilisation de la troponine ultrasensible avec OR 1.4 [1.1-1.9] p= 0.010 (Tableau III).

Analyse des critères de jugement secondaire

Les patients ambulatoires (départ des urgences sans hospitalisation) étaient 1777 (70%) dans le groupe « sensible » et 1838 (70%) dans le groupe « ultrasensible ». Le nombre de patients traités en ambulatoire n’était donc pas différent dans les deux groupes (p=0.630). De manière descriptive, il n’est pas observé de différence significative de durée de séjour dans ce sous-groupe de patients ambulatoires (Time Ratio non ajusté : 0.97 [0.91-1.04] p = 0.922) (Tableau IV).
Le taux de TDM thoracique a augmenté de 7% dans le groupe « ultrasensible » par rapport au groupe « sensible » (24% contre 17% avant méthode ultrasensible p < 0.001).
Le nombre d’ETT n’a pas subi de modification suite au changement de méthode de dosage des troponines puisqu’on dénombre un taux d’examen de 5.2 % dans le groupe « sensible » et 5.7 % dans le groupe « ultrasensible » (p=0.441).
Le nombre de diagnostic d’infarctus du myocarde a été diminué après le passage à un dosage ultrasensible des troponines passant de 13.5% à 11% (p = 0.010). Cela est associé à une augmentation du nombre de diagnostic d’angor instable. Au total le nombre de diagnostic de coronaropathie aiguë était légèrement diminué (18.2 % contre 17.4% p= 0.020).
Le nombre de coronarographie ne montre pas de différence significative entre les 2 groupes (7% contre 6.5%, p = 0.569).
Le nombre de pontage aorto-coronarien n’est pas significativement différent entre les 2 groupes (0.3% contre 0.2%, p = 0.965).

DISCUSSION

Notre étude montre une augmentation significative du temps de passage chez les patients consultant aux urgences pour une douleur thoracique non traumatique depuis l’utilisation du dosage ultrasensible des troponines. Plusieurs éléments peuvent être avancés pour expliquer ces constatations. Selon une logique Bayesienne, l’amélioration de la sensibilité d’un test s’accompagne d’une altération de la spécificité et, alors que la valeur prédictive négative d’un test progresse, sa valeur prédictive positive en pâtit. Cette logique est d’autant plus vraie dans notre cas, parce qu’il existe une multitude de causes extra-coronariennes à l’élévation du dosage des troponines dans le sang (9). Ici, on constate effectivement plus de résultats positifs dans le groupe « ultrasensible » par rapport au groupe « sensible » (1 tous les 33 patients). Cela pourrait expliquer un plus grand nombre de dosages répétés pour chaque patient (19% dans le groupe « sensible » contre 22% dans le groupe « ultrasensible » p= 0.020). Cela va à l’encontre de ce qu’on aurait pu attendre de cette nouvelle technique, s’élevant plus précocement et permettant une exclusion fiable du diagnostic sur un seul dosage en cas de négativité à 6h de la douleur.(7)
Nous avons d’autant plus confiance en ce résultats que l’on constate une augmentation significative du temps de passage médian des patients douloureux thoraciques (de 6h30 à 6h48, p= 0.014) alors que dans la même période, le temps du passage médians toute cause confonde n’a pas évolué de manière significative (de 7h25 à 7h04, p < 0.001) (Tableau IV).
Dans une précédente étude, Twerenbold et al.(12) montraient une réduction significative du temps de passage chez les patients du groupe ayant bénéficié d’un dosage de nouvelle génération. On peut expliquer la différence de résultats par une différence de méthodologie. En effet dans leur étude, Twerenbold et al. ont utilisé un modèle multivarié prenant en compte uniquement les antécédents personnels de maladie coronaire, un antécédent d’hypertension artérielle et l’âge. Cette méthodologie ne permet pas de s’affranchir du biais lié à l’effet du temps (causes liées au fonctionnement du service, de l’établissement et saisonnalité notamment). Afin de s’affranchir de cette problématique, notre étude utilise des critères préalablement définis comme prédictif du temps de passage (modèles extraits de la littérature et facteurs identifiés par méthodologie de type Delphi) (14). Cette étude est en cela originale.
Ces éventuels allongements dans le temps de passage constituent une cause possible de l’augmentation du taux d’occupation ponctuel dans le service et de la charge de travail de ses acteurs. Cette conséquence nous amène à rationnaliser de la prescription de ce biomarqueur afin d’en maximiser l’efficience.
Dans une étude récente, Sanchis et al. rapportent un réduction de la durée d’hospitalisation depuis le passage d’un dosage standard à un dosage ultrasensible de la troponine (17). Cependant, la population étudiée ne semble pas refléter celle des patients consultant aux urgences, mais semble plus ciblée vers une population de patients hospitalisés en cardiologie. En effet, les patients étaient hautement sélectionnés comme traduit par le nombre de dosage de troponine positifs dans cette étude : 73% dans le groupe « US » vs. 37% dans le groupe « standard », contre 18% dans le groupe « US » vs. 14% dans le groupe « sensible » dans notre étude. Des discordances sont aussi perçues quant au nombre de coronarographies qui était de 75% vs. 55% dans les groupes « US » et « standard » respectivement dans l’étude de Sanchis et al. contre 7% vs. 6.5% dans les groupe « US » et « sensible » respectivement dans notre étude.
On observe dans cette étude une augmentation significative du nombre de TDM thoraciques réalisées dans l’exploration des patients douloureux thoraciques (24% contre 17% avant méthode ultrasensible p < 0.001). Cet examen est réalisé dans le cadre de la suspicion d’embolie pulmonaire ou de dissection aortique dans la majorité des cas. Les dossiers médicaux ne faisant pas état des différentes hypothèses mais uniquement des diagnostics finaux, nous ne pouvons pas analyser l’évolution de la suspicion diagnostique.
On observe dans cette étude une discrète diminution du nombre de diagnostics de coronaropathies aiguës (18.2 % vs 17.4 % p = 0.020) dont la répartition entre angor instable et infarctus du myocarde se modifie. La part d’infarctus a diminué de 13.3 à 11% (p = 0.010), laissant plus de place aux diagnostics d’angor instable dans le même temps. Bien que significative, cette différence reste relativement modeste en termes de proportion et n’a pas bénéficié d’ajustements.

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Table des matières
RESUME
METHODES
1. Schéma de l’étude
2. Sélection des patients
3. Critère principal de l’étude
4. Critères secondaires de l’étude
5. Statistiques
RESULTATS
1. Description de la population
2. Données de modélisation
3. Evolution du temps de passage
4. Analyse du critère de jugement principal
5. Analyse des critères de jugement secondaire
DISCUSSION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
LISTE DES FIGURES
1. Figure I : Population de l’étude
2. Figure II : Comparaison des temps de passage observés avec les temps de passage prédits
3. Figure III : Comparaison des TR avant et après introduction de la méthode ultrasensible chez les patients douloureux thoraciques
LISTE DES TABLEAUX
1. Tableau I : Caractéristique des kits de détection de la troponine en vigueur dans chacune des phases de l’étude
2. Tableau II : Caractéristiques de la population étudiée
3. Tableau III : Facteurs influençant la durée de passage
4. Tableau IV : Comparaison des temps de passage dans les différentes populations et sous-populations
TABLE DES MATIERES
ANNEXES
1. Annexe I : Outil de sélection de sélection probabiliste « automatisé »
2. Annexe II : CHU Angers – Registre CNIL
3. Annexe III : Avis du Comité d’éthique du CHU

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