La dégradation des forêts et la déforestation figurent parmi les grands enjeux environnementaux mondiaux (FAO 2006). La perte de superficies forestières dans le monde est estimée à 2 milliards d’hectares, les forêts des régions tropicales étant plus affectées par ce phénomène (Laestadius et al. 2011). Les causes de la déforestation sont nombreuses et variées. En général, elle est causée par des facteurs de natures diverses, dont l’ampleur, la fréquence et la sévérité sont variables selon les régions. A Madagascar par exemple, les pratiques agricoles sur brûlis sont perçues comme les principaux moteurs de la déforestation et de la dégradation subséquente des terres (Styger et al. 2006). Cette forme traditionnelle d’agriculture itinérante ou tavy, pratiquée en particulier sur la côte Est de l’île, consiste à défricher la forêt et à brûler la végétation pour créer des surfaces agricoles. Des cultures vivrières, en premier lieu celle du riz, sont ensuite installées, profitant de l’amélioration temporaire des propriétés édaphiques liée au brûlis (e.g. apport d’éléments majeurs, de cations, augmentation du taux de saturation de la CEC et du pH) (Styger et al. 2009). Les cultures se poursuivent, pendant un nombre limité d’années, jusqu’à ce que la diminution de la fertilité organo-minérale des sols et leur envahissement par les adventices ne justifient plus la mise en culture des terres. Elles sont alors laissées en jachère avec l’installation d’une végétation arbustive secondaire « savoka » .
Avec l’augmentation de la population, les périodes de jachères sont raccourcies, passant ainsi de 8-10 ans à seulement 3-5 ans (Styger et al. 2009), et la gestion traditionnelle des jachères n’est souvent pas suffisante pour rétablir la fertilité des sols. Ceci est particulièrement préoccupant si on prend en considération le temps nécessaire pour cette restauration. Le niveau d’azote, par exemple, peut pour certaines jachères être restauré en moins de 2 ans, alors que dans le même sol, le calcium a besoin de 15 à 20 ans (Szottet al.1999).
ETAT DES CONNAISSANCES
Décomposition des litières
La décomposition est le processus par lequel la matière organique morte est progressivement fragmentée en constituants élémentaires (H2O, CO2 et composés minéraux) (Swift et al. 1979). Elle met à la disponibilité des plantes les éléments minéraux nécessaires à la production primaire (Dommergues et Mangenot 1970, McTiernan 1998). Selon Chapin et al.(2002), la décomposition résulte de trois types de processus que sont la lixiviation, la fragmentation, et l’altération chimique. La lixiviation est un processus physique par lequel les éléments chimiques (ions minéraux et molécules organiques hydrosolubles) se dissolvent dans l’eau et s’infiltrent dans le sol, sous l’effet des flux d’eaux qui traversent les matières organiques. Les composés lixiviés comprennent des sucres, des acides aminés et d’autres composés facilement décomposables. La fragmentation, permet le morcellement de la matière organique en fragments plus petits, due en partie aux déplacements et à l’alimentation de la faune du sol et aux alternances de température ou d’humidité (Dommergues et Mangenot 1970). Enfin, l’altération chimique constitue l’étape la plus importante dans la décomposition. C’est le processus biochimique par lequel les bactéries et les champignons, grâce à leur activité enzymatique, transforment les substances chimiques de la matière organique en composés chimiques plus simples. Fondamentalement, le processus de dégradation des litières peut être subdivisé en trois phases : (a) la consommation plus ou moins rapides de sucres facilement dégradables et d’autres substrats solubles; (b) la dégradation des polysaccharides structuraux tels que les hémicelluloses et les celluloses, et enfin (c) la dégradation lente des composés récalcitrants tels que la lignine (Moorhead et Sinsabaugh 2006).
Caractéristiques des litières végétales
En fonction de leur qualité chimique, les litières végétales peuvent être divisées en deux fractions principales (Tate 1987) : une labile et une dite récalcitrante. La fraction labile est constituée par des composés facilement et rapidement métabolisés par les organismes des sols, comme les acides aminés, les sucres simples, les sucres polymérisés notamment les hémicelluloses et l’holocellulose, ou des phénols à faible poids moléculaire (Hättenschwiler et Vitousek 2000). Ces composés sont une source nette de carbone et d’énergie pour les communautés microbiennes impliquées dans la décomposition des litières. La fraction récalcitrante est formée par des composés à haut poids moléculaire et/ou à structure chimique complexe comme des lignines, des composés ligno cellulosiques, des polyphénols et certains tanins. Cette fraction récalcitrante requiert une activité enzymatique intense pour être minéralisée, ainsi qu’un important apport d’énergie pour assurer l’activité microbienne (Tate 1987).
Les facteurs de la décomposition des litières
En raison de l’immense diversité de facteurs et d’interactions possibles durant le processus de décomposition, la dégradation des litières à l’échelle de l’écosystème ne peut être décrite qu’en termes généraux (Berg et McClaugherty 2014). Elle fait intervenir un ensemble complexe de procédés mettant en jeu des facteurs climatiques, physiques, chimiques et des agents biologiques (Coûteaux et al.1995 ; Aerst 1997 ; Chapin et al. 2002). Théoriquement, la décomposition des litières est pilotée par trois facteurs distincts (Tenney et Waksman 1929 ; Swift et al. 1979 ; Anderson et Flanagan 1989): les facteurs climatiques en particulier la température et l’humidité, la composition chimique du substrat et, la composition et l’activité des microorganismes impliqués (Lavelle et al.1993 ; Chapin et al. 2002). D’après Swift et al. (1979), les facteurs qui contrôlent la vitesse de décomposition des litières suivent un modèle hiérarchique dont l’ordre d’importance est : climat > qualité des litières > organismes décomposeurs. Aesrt (1997) considère que le lien entre ces facteurs et la cinétique de dégradation des litières s’inscrit dans une relation triangulaire, dont le climat est le facteur de premier ordre. Cependant, il est important de souligner l’importance de l’échelle spatiale. A une échelle régionale, le climat a un effet dominant sur la vitesse de décomposition des litières (Coûteaux et al. 1995 ; Meentemeyer 1978), alors qu’à plus petite échelle, comme celle d’un site soumis à des conditions environnementales relativement constantes, c’est l’effet de la qualité des litières qui domine (Meentemeyer 1984 ; Hobbie 2000). Mais il est également essentiel de prendre en compte les caractéristiques fonctionnelles des organismes décomposeurs (Williams et Gray 1974 ; Hättenschwiler 2005 ; Gessner et al. 2010). Parmi les indices retenus pour l’étude de la cinétique de décomposition des litières, notamment à une petite échelle, nous pouvons citer les ratios carbone : azote (C:N) (Aber et al. 1990), lignine : azote (L:N) (Hobbie 2000), l’indice LCI ou « Lignocellulosic Index » (Lignine : Lignine + Cellulose+ Hémicellulose) (Berg et al. 1984) ou azote : phosphore (N:P) (Güsewell et Gessner 2009). En général, la vitesse de décomposition augmentent avec une diminution du rapport C:N, en parallèle à l’augmentation de la disponibilité de l’azote pour la communauté microbienne (Heal 1997). Cependant, ce résultat n’est pas une généralité avec parfois une corrélation positive entre le C:N et la vitesse de décomposition (Michel et Matzner 2002 ; Bachega et al. 2016) voire une absence de corrélation significative (Jensen et al. 2005 ; Sun et al. 2013).
Théories et hypothèses
Le déterminisme de la décomposition des litières à large ou petite échelle reste encore mal compris et fait encore l’objet de vives discussions dans litérature scientifique. Plusieurs théories, exploitant différents facteurs distaux et/ou proximaux, co-existent sans pourtant conduire à un consensus. Dans cette études les principales théories et hypthèses retenues sont les suivantes :
La théorie du Home-Field-Advantage (HFA)
Les variations dans la composition chimique des litières végétales leur confèrent une certaine complexité pouvant influencer la capacité des organismes du sol à les décomposer (Wardle 2002 ; Cornwell et al. 2008). Une série d’adaptation des décomposeurs pourrait donc se produire en réponse à ces variations au cours du temps. Celle-ci peut s’expliquer par une modification de leur préférence alimentaire (Couteaux et al. 1995), par des changements dans la composition de la communauté micorbienne, par une altération de leur activité physiologique, et par l’évolution ou la combinaison de ces processus (Hättenschwiler et al. 2005 ; Manzoni et al. 2010). Ces adaptations peuvent impacter la fonction de production d’enzymes extracellulaires susceptibles de dégrader ces litières produites localement (Milcu Manning 2011). Par ailleurs, les organismes du sol peuvent également entrer en concurrence pour l’accès à ces litières, ce qui pourrait créer une pression sélective pour les organismes qui sont particulièrement adaptés pour les décomposer (Ayres 2009a).
Cette interaction entre qualité des litières et activité des décomposeurs conduit à une décomposition plus rapide des feuilles lorsqu’elles sont placées au voisinage des espèces dont elles proviennent (Hansen 1999 ; Gholz et al. 2000 ). Théoriquement, les plantes peuvent créer des conditions favorables au développement d’une communauté microbienne spécifique adaptée à la décomposition de leurs propres litières (Wardle 2005 ; Strickland et al. 2009a), ceci étant qualifiée de Home-Field-Advandage (HFA) (Vivanco et Austin 2008 ; Ayres et al. 2009b ; Perez et al. 2013). La théorie du Home-Field-Advantage prédit ainsi que les feuilles i d’une espèce I se décomposent plus rapidement lorsqu’elles sont incubées sous l’espèce I (home) que sous une autre espèce J (away) (Ayres 2009b), et inversement grâce à des communautés microbiennes adaptées localement.
L’hypothèse du SMI (Substrate quality – Matrix quality Interaction)
L’hypothèse du SMI (Substrate quality-Matrix quality Interaction) avance que la vitesse de la décomposition est proportionnelle à la similarité chimique et fonctionnelle entre les caractéristiques de la matrice du sol et des litières. Plus la qualité des litières et celle de la matrice sol sont similaires, plus les litières se décomposent rapidement . Ainsi des litières de faible qualité se décomposent plus rapidement lorsqu’elles sont incubées dans des matrices de mauvaise qualité (interaction positive) et en revanche, plus lentement dans des matrices de haute qualité (interaction negative) (Freschet et al. 2012 ; Perez et al. 2013).
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Table des matières
INTRODUCTION
PARTIE I : MATERIEL ET METHODES
I.1. ETAT DES CONNAISSANCES
I.1.1. Décomposition des litières
I.1.2. Caractéristiques des litières végétales
I.1.3. Les facteurs de la décomposition des litières
I.2. Théories et hypothèses
I.2.1. La théorie du Home-Field-Advantage (HFA)
I.2.2. L’hypothèse du SMI (Substrate quality – Matrix quality Interaction)
I.2.3. L’hypothèse de la litter Perspective (LP)
I.3. Présentation de la zone d’étude
I.3.1. Les parcelles de forêt naturelle secondarisée
I.3.2. Les parcelles de jachère arbustive ou savoka
I.3.3. Les parcelles de jachère herbeuse ou tany maty
I.3.4. Les parcelles d’eucalyptus robusta
I.4. Matériels
I.4.1. Les feuilles utilisées pour l’expérimentation
I.4.2. La matrice du sol (litière au sol)
I.4.3. Les échantillons de sols
I.4.4. Les sacs à litières et les tests d’appât-limbe
I.5. Méthodes
I.5.1. Suivi in situ de la décomposition des litières en litter bag
I.5.2. Suivi de l’activité biologique du sol en bait laminas
I.5.3. Analyses des sols, des feuilles et de la matrice
I.5.4. Analyses et traitements des données
PARTIE II : RESULTATS
II.1. Qualité initiale des feuilles
II.2. Qualité de la matrice du sol
II.3. Distances fonctionnelles entre les feuilles et la matrices des sols
II.4. Caractéristiques physico chimiques des sols
II.5. Évaluation de la biodiversité fonctionnelle des sols avec les bait-lamina
II.5.1. Caractéristiques des substrats
II.5.2. Dégradation des substrats des bait-lamina : un indicateur de la biodiversité fonctionnelle in situ
II.6. Cinétique de la décomposition des feuilles
II.7. Facteurs de décomposition des feuilles
II.7.1. Relation entre la qualité initiale des feuilles, la matrice du sol et les paramètres physicochimiques du sol sur la décomposition des feuilles
II.7.2. Modèles de la décomposition des feuilles en fonction de qualité initiale des feuilles, de la capacité fonctionnelle des faciès et du HFA
PARTIE III : DISCUSSION
III.1. Effet de la qualité initiale des feuilles sur la décomposition
III.2. Effet du Home Field Advantage sur la décomposition
III.3. Effet de la faune totale du sol et de la micro-méso faune sur la décomposition
III.4. Effet de la capacité fonctionnelle des communautés de décomposeurs
CONCLUSION
Références bibliographiques