En France et en Union Européenne, la très stricte politique de sécurité alimentaire souligne la responsabilité des professionnels et fournit une large législation en ce qui concerne la qualité des aliments. Les industriels possèdent des outils réglementaires ainsi que des avis d’experts scientifiques afin de répondre au mieux à cette législation. Cela englobe notamment les bonnes pratiques de fabrication, l’analyse constante du danger sanitaire et l’adoption d’une assurance qualité. Le but étant une maîtrise optimale de l’aliment au sein de tous les maillons de la chaîne alimentaire, de la collecte jusqu’à l’assiette du consommateur. La Commission Européenne (CE) a mis en application le « paquet hygiène » depuis 2006, qui comprend un ensemble de textes législatifs destinés aux professionnels des industries agro-alimentaires ainsi qu’aux organismes de contrôle. Il a pour objectif principal l’harmonisation et l’adoption d’une politique unique et transparente en matière d’hygiène. Selon le règlement 852/2004 du « paquet hygiène », les denrées alimentaires mises sur le marché ne doivent présenter aucun risque sanitaire et avoir une qualité commerciale acceptable. Ces exigences nécessitent un suivi rigoureux de la présence de microorganismes pathogènes ou d’altération directement dans les aliments et au niveau des surfaces susceptibles d’y entrer en contact (équipements, installations, matériaux, machines et accessoires …).
Il existe différents types de contaminants potentiels au sein d’un environnement industriel (bactéries, virus, parasites, substances chimiques …), les risques varient en fonction de la source de contamination et du secteur concerné. Dans ce rapport, il sera question du risque bactérien et en particulier au sein des industries laitières. Le lait et les produits laitiers peuvent être à l’origine de toxi-infections alimentaires, du fait qu’ils soient sujets à la contamination par des bactéries pathogènes (L. monocytogenes, Salmonella, E. coli, S. aureus…) (Brisabois et al., 1997) ; leur consommation peut alors être corrélée à des infections telles que la listériose, des gastro-entérites ou encore des douleurs abdominales. Cela est d’autant plus risqué pour les produits prêts à la consommation ne subissant pas de stérilisation, tels que le lait cru ou certains fromages au lait cru. Les bactéries pathogènes, souvent ubiquitaires, proviennent de façon non exhaustive des équipements de traite, de l’environnement des élevages, de la muqueuse des animaux et/ou des équipements de stockage de la matière première. Elles sont alors susceptibles d’être acheminées jusque dans l’environnement des usines alimentaires. La réduction du risque bactérien passe essentiellement par la stérilisation de certains aliments mais surtout par une maîtrise indispensable des procédures de nettoyage-désinfection. Bien que cela garantisse l’élimination, l’inactivation et/ou la destruction de la plupart des germes pathogènes, une partie d’entre eux peut y échapper. C’est pourquoi, il peut survenir des cas sporadiques ou endémiques d’infections alimentaires. Par exemple, une recrudescence des cas de listériose a été observée en France et dans certains pays de l’Union européenne en 2006 sans qu’aucun aliment n’ait été discriminé et sans aucune explication (Goulet et al., 2008).
Le terme « persistance » se rapporte à une sous-population bactérienne qui survit à certains stress bien mieux que le reste de la population (Hofsteenge et al., 2013). Cela a été effectivement observé par Carpentier (2011) qui évoque une minorité de variants phénotypiques, qui sont capables de survivre après nettoyage-désinfection de surfaces inertes. Le terme de persistance n’est cependant pas corrélé uniquement à l’hétérogénéité d’une population d’un point de vue phénotypique. En effet, au cours d’une récente étude réalisée sur L. monocytogenes, il a été montré que les souches persistantes ne sont ni plus tolérantes, ni plus résistantes, ni même plus adhérentes aux surfaces inertes que les souches non persistantes (Carpentier et al., 2011). Dans le cadre de cette étude, il est conclu qu’il n’existe pas des propriétés ou de changements phénotypiques uniques attribuant à certaines souches l’avantage de persister mais ce serait la présence de niches qui confèrent aux bactéries une protection contre les conditions environnementales défavorables. Sur les surfaces inertes, les niches peuvent être des microfissures emprisonnant d’autres éléments microscopiques tels que la matière organique, l’eau et/ou résidus de produits chimiques. A partir de ce microenvironnement, les bactéries peuvent être délogées et disséminées par l’intermédiaire d’aliments ou bien à cause de projections d’aérosols après une action mécanique. Sans avoir une définition unique de la persistance, de manière consensuelle ce terme est utilisé lorsque plusieurs souches de même typage moléculaire sont isolées, de façon répétée et dans un intervalle de temps donné, au sein d’un même atelier (Carpentier, 2011).
Hormis le phénomène de persistance, la présence de bactéries peut être la conséquence de leur adhésion sur des surfaces. Le mécanisme d’adhésion d’une bactérie sur une surface inerte résulte d’une interaction physique attractive. Bien qu’étant un organisme vivant, la bactérie est considérée comme un « matériau physique » chargé et possédant une certaine hydrophobicité. Sachant que les surfaces inertes sont également dotées de propriétés physico-chimiques, des forces d’attractions ou de répulsions peuvent s’exercer entre les deux éléments. En industrie alimentaire, les matériaux constituant les surfaces sont choisis minutieusement afin de minimiser les phénomènes d’attraction. Néanmoins, cela n’est pas suffisant pour éviter l’adhésion bactérienne. En effet, un procédé de nettoyage incomplet entraînant la rémanence de dépôts organiques, aussi appelés « matière organique » ou « matière interférente », peut entrainer des changements dans les propriétés physico- chimiques des surfaces. Cela aboutit à des modifications de la capacité d’adhésion des bactéries. Par exemple, le conditionnement des surfaces en acier inoxydable (inox) par différents types de lait (entier, demi-écrémé et écrémé) augmente l’hydrophobicité et modifie les propriétés oxydo-réductrices des surfaces, ce qui diminue la capacité d’adhésion d’une souche de S. aureus (Hamadi et al., 2014). En complément, il a été montré que l’adhésion dépendait également de la quantité de matière grasse dans le lait (Hamadi et al., 2014). L’adhésion bactérienne à une surface est une première étape vers la résistance à certains agents antibactériens. Les modalités de l’adhésion doivent donc être bien comprises afin d’éviter l’émergence de population résistantes aux procédés de nettoyage-désinfection.
Le terme « biofilm » est généralement utilisé pour décrire une communauté de micro-organismes, protégée par une matrice extracellulaire polysaccharidique, adhérés entre eux et à une surface biotique ou inerte. La formation d’un biofilm est souvent l’étape consécutive à l’adhésion bactérienne puisque c’est sur des colonisateurs primaires que s’implantent d’autres colonisateurs dît secondaires ; l’ensemble formant une structure tridimensionnelle multicouches. La formation de biofilm est régie par le « quorum sensing », forme de communication inter-cellulaire de cette communauté, qui entraîne une profonde modification dans l’expression de gènes bactériens. Les biofilms font l’objet d’une lutte active puisque les bactéries vivants en communauté possèdent de multiples avantages dont une protection contre les agents agressifs, une disponibilité en nutriments ou encore le transfert horizontal de gènes de résistance aux agents anti-microbiens. En outre, les problèmes résultants sont divers : la matrice protectrice et l’épaisseur du biofilm rendent difficiles la diffusion des agents antimicrobiens ; des gènes codant pour des facteurs de virulence (tels que les adhésines) peuvent être sur-exprimés; et il existe un risque de re-contamination des surfaces par des bactéries qui se détachent du biofilm. En conséquence, le biofilm peut résister aux procédés de nettoyage-désinfection entrainant alors un risque sanitaire potentiel puisqu’il représente un réservoir conséquent de bactéries pouvant contaminer les aliments.
En industrie agro-alimentaire, la mise au point de procédés de nettoyage-désinfection des surfaces permet une élimination physique et chimique des micro-organismes. Tout d’abord, le nettoyage permet l’élimination d’une grande quantité de souillures organiques et de micro-organismes non adhérés. Cette première étape est essentielle puisqu’elle permet d’augmenter l’efficacité de la désinfection, laquelle consiste en la destruction des micro-organismes restants. La désinfection est réalisée à l’aide de produits antimicrobiens dont l’utilisation est très encadrée par la législation. Ces produits, appelés biocides, peuvent être dangereux pour la santé humaine et animale ainsi que néfastes pour l’environnement. La mise en place du règlement 528/2012 par la Commission Européenne, qui remplace la directive 98/8/CE[1] depuis 2013, permet à la fois de réglementer la mise sur le marché des produits biocides mais aussi l’harmonisation des produits autorisés dans les états membres. Pour cela, ce nouveau règlement exige d’abord l’évaluation des risques encourus par leur emploi dans les domaines industriels concernés, afin d’établir une nouvelle liste de substances approuvées qui remplacerait celle annexée à l’ancienne directive.
Pour des usages alimentaires, les produits biocides sont utilisés à des concentrations bactéricides, définies à l’aide d’une méthode en suspension selon la norme NF EN 1276[2] du Comité Européen de Normalisation (CEN) sur des souches de référence appartenant aux espèces E. coli, P. aeruginosa, S. aureus et E. hirae. Elle consiste en la détermination de la Concentration Minimale Bactéricide (CMB) à une température de croissance, un temps de contact et en présence d’une matière interférente donnés, autant de facteurs pouvant influencer leur efficacité. Pour se rapprocher des conditions terrain, l’évaluation de la bactéricidie peut être également réalisée par une méthode porte-germes selon la norme NF EN 13697[3] avec des souches définies. A ce jour, aucune méthode normalisée n’est décrite pour évaluer l’efficacité bactéricide de biocides à partir de bactéries présentes au sein d’un biofilm.
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Table des matières
INTRODUCTION
I – Étude bibliographique
1.Le risque bactérien en industries agro-alimentaires
1.1La sécurité alimentaire en France
1.2Facteurs liés à la contamination des aliments
1.2.1Persistance bactérienne
1.2.2Adhésion bactérienne
1.2.3Formation d’un biofilm
2.Nettoyage-désinfection des surfaces et risques associés
2.1Contexte réglementaire
2.2Les produits biocides : notion de substances actives, résidus et « résistance »
2.3Risques liés à la rémanence de résidus de produits biocides
2.3.1Impact sur la colonisation bactérienne
2.3.2Etat Viable Non Cultivable (VNC)
II – Matériels et méthodes
1.Les produits désinfectants
1.1Préparation des solutions mères et filles
1.2Choix des gammes de concentrations
2.Les supports en acier inoxydable
2.1Stérilisation des supports
2.2Conditionnement des supports
3.Les souches bactériennes
3.1Choix des souches bactériennes
3.3Contamination et incubation des supports
4.Traitement des supports sans et après incubation
4.1Témoins de « non-colonisation »
4.2Après incubation
5.Mise en place de la méthode PCRq-PMA
5.1Extraction d’ADN et conditions PCRq
5.2Courbe standard de quantification
5.3Validation de la méthode PCRq-PMA
CONCLUSION
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