Le secteur du spectacle vivant: concurrence et ressources
La ville côtière est pourvue de plusieurs équipements culturels. L’offre présente en spectacle vivant est structurée par les trois grandes infrastructures : le théâtre municipal, appelé aussi Grand théâtre, le Centre Gérard Philippe et le Channel, scène national de Calais. Les deux premières structures sont gérées directement par la ville. Le grand théâtre à l’italienne de la ville est dédié à une programmation diversifiée en théâtre et danse. Des pièces d’auteurs classiques (Molière, Racine, etc.), des humoristes et quelques créations plus contemporaines composent les grands axes de sa programmation. Le Centre Gérard Philippe propose quant à lui une programmation éclectique en musique actuelle. Un festival, Le Beautiful Swamp blues festival, est également organisé par le CGP. La grille tarifaire des structures couve une gamme de prix variant entre 4 et 20€. Du reste, la ville organise ponctuellement des événements dans Calais, qu’il s’agisse de fêtes traditionnelles et républicaines (Fête de la musique ou fête du hareng), ou d’initiatives nouvelles (fête de quartier, spectacle de rue). Il n’existe pas à ce jour de collaboration entre le Channel et ces deux structures. En dehors de la ville, qui détient la plupart des structures, l’association La Maison pour tous accueille diverses petites productions locales et proposent de nombreux cours en danse, sport, etc.
Enfin, l’association Relief, portée sur les musiques actuelles, proposent des stages et des accompagnements en pratique amateurs. Le Channel a de nombreuses fois collaborer avec cette association, notamment lors des Flâneries sonores, qui seront décrites plus bas. D’autres établissements privés, comme les bars de la Timbale, de la Betterave ou le G rooving bar, programment quelques soirées musicales animées par des groupes locaux.
Au niveau de l’éducation artistique et culturelle, le Conservatoire à rayonnement départemental offre des parcours d’apprentissages en musique et danse aux habitants du Calaisis. Peu de liens sont faits avec cet établissement. Ainsi, malgré deux structures repérées et quelques initiatives, le secteur du spectacle vivant n’est pas foisonnant à Calais. La programmation du Channel, centrée sur la création contemporaine, entre peu en concurrence avec celles du CGP et du Grand théâtre et peu de liens sont faits avec ces deux structures. La dynamique culturelle est à rechercher à l’extérieur de la ville.
A trente minute de trajet, dans le département voisin, l’agglomération Dunkerquoise présente un secteur culturel attractif. Une salle de musique actuelle, les 4E cluses, le théâtre de la Licorne (compagnie dirigée par Claire Dancoisne) et la scène nationale du Bateau Feu sont entre autres les concurrents les plus directs mais aussi des partenaires privilégiés du Channel.
La compagnie du théâtre de la licorne se produit par exemple régulièrement dans l’enceinte de la scène nationale. Des rencontres, des échanges et des partenariats sont régulièrement réalisés avec les deux autres structures citées, ainsi qu’avec le FRAC de Dunkerque, par exemple dans le prêt d’exposition. Dunkerque attire également un grand nombre de riverains et de touristes lors de ses fameux carnavals, qui tendent à provoquer une attractivité centripète autour de Dunkerque. Ailleurs dans le département, le festival de la Côte d’Opale à Boulogne-sur-Mer en juillet ou le mastodonte du Main Square festival à Arras en juin stimulent la vie culturelle estivale du Pas-de Calais. A l’échelle de la région, on trouve également de nombreuses autres scènes labellisées (scènes nationales, CDN, CNAR, etc .), mais c’est avant tout la métropole lilloise qui fait figure de rouleau compresseur en termes d’attractivité et de rayonnement culturels. Dans la programmation de ses spectacles et de ses temps forts, le Channel prend acte de l’offre culturelle présente sur le territoire pour ne pas prendre le risque d’être télescopé par un autre événement ou de proposer une programmation trop semblable aux autres structures, à l’exemple de celle du Bateau Feu.
En somme, le Channel se positionne dans un paysage culturel variablement dynamique selon le diamètre apposé au territoire. Au niveau de la région et du département, la structure se situe dans un département peu attractif, car sans grandes agglomérations, et pourvu de moins d’équipements culturels que le département voisin du Nord. La présence du Channel apparaît cohérent dans la logique de répartition de ces même équipements culturels sur le territoire. Au niveau de la ville, il complète une offre représentée principalement par les structures municipales. Peu de partenariats sont réalisés avec ces structures culturelles au niveau local, alors que des liens sont tissées avec des partenaires des autres départements. Cet état des choses est peut-être révélateur des politiques culturels menées aux différents échelons.
Les politiques culturelles du territoire
Dans ce deuxième temps, les politiques culturelles du spectacle vivant aux différents échelons administratifs seront présentées. Nous verrons également comment ces administrations intègrent la notion de territoire au cœur de leur politique.
Politique culturelle nationale
La politique du ministère de la culture est relayée au niveau des régions par les Directions régionales des Affaires Culturelles. Les DRAC deviennent des services déconcentrés avec la loi du 6 février 1992 organisant l’administration territoriale de la République française. Depuis 2010, elles ont également fusionné avec les services départementaux de l’architecture et du patrimoine ( STAP). Depuis janvier 2016 et la création des 13 nouvelles régions de France, la DRAC Hauts de France a son siège à Lille et un autre site à Amiens (où se trouvent principalement les agents du pôle patrimoine et architectures). Sous la direction de Marc Drouet, la DRAC Hauts-de-France est organisée en trois grands pôles (Patrimoines, Création, Publics et territoires et industries culturelles) et d’un secrétariat général. Les DRAC mettent en œuvre la politique culturelle du Ministère de la Culture et de la Commun ication dont les trois priorités sont « de faciliter l’accès du plus grand nombre à la culture, de conserver et mettre en valeur le patrimoine, de stimuler la création, d’aider à la diffusion des œuvres ».Dans l’énonciation de ses missions, la notion de démocratisation est mise en corrélation directe avec celle de territoire. On peut le voir dans la description de la politique d’action culturelle et territoriale en Hauts-de-France, au sein du Pôle publics, territoires et industries culturelles:
«Le chantier de l’éducation artistique et culturelle, et plus généralement celui de la démocratisation culturelle fait partie de ceux qui fédèrent les énergies et les volontarismes. Les initiatives en relevant, qu’elles soient portées par les services de l’État, pa r les collectivités territoriales ou par les structures culturelles, sont nombreuses et diversifiées dans les Hauts-de-France. Chacune d’entre elles contribue à favoriser le double objectif de démocratisation et de généralisation de l’accès à l’art et à la culture et privilégie la rencontre active et inventive avec la création vivante et avec le patrimoine. Le service de l’action culturelle et territoriale est compétent pour les questions relevant des publics et des territoires dans un cadre général de démocratisation culturelle.»
Pour le Ministère de la Culture et de la Communication, l’action culturelle territoriale rime donc avec l’accessibilité pour tous aux « grandes œuvres de l’humanité », dans une philosophie digne héritière d’André Malraux. La démocratisation culturelle se réalise donc par le soutien des structures culturelles irriguant le territoire et les actions de l’ordre de l’éducation artistique et culturelle.
Il est intéressant de noter que, malgré l’évolution des politiques culturelles et le constat d’échec des premières aspirations d’universalisation, le Ministère met en avant la notion de démocratisation culturelle. Pourtant, la loi LCAP mentionne les droits culturels, consacrés par la déclaration de Fribourg en 2005. A l’article 3, il est stipulé que « les collectivités territoriales et leurs groupements ainsi que leurs établissements publics définissent et mettent en œuvre, dans le respect des droits culturels énoncés par la convention de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 2005, une politique de service public construite en concertation avec les acteurs de la création artistique. »
Les droits culturels, qui mettent notamment en jeu le droit à la participation des citoyens à la vie culturelle, s’écartent de la seule notion de démocratisation. Pourtant, les textes portant sur les labels nationaux n’ont pas été réactualisés à l’aune de cette mention.
Ainsi, au sein du Pôle Création, la DRAC Hauts-de-France dispose d’un service dédié au spectacle vivant. Ce service s’articule autour de plusieurs orientations: celles de la diffusion et de la création, des enseignements et de la formation, des investissements et des équipements.
Les demandes de licence d’entrepreneur de spectacles vivants et les demandes de subventions sont instruites par les conseillers de la DRAC. Ils veillent également « au bon fonctionnement des structures subventionnées », notamment les réseaux et les lieux labellisés. Ces derniers sont engagés à suivre une ligne conduite, des orientations et objectifs, définis par des chartes ou des cahier des charges. Comme vu en introduction, les structures labellisées des scènes nationales doivent donc mettre en application le Cahier des missions et des charges des scènes nationales. Ce texte définit un socle de missions et d’enjeux partagés par le réseau, un socle des moyens (architecturaux, humains et financiers) et un cadre juridique spécifique.
On peut remarquer, qu’en guise de brève introduction historique, (seul) le nom de Malraux est mentionné. L’empreinte de ce premier ministre est décidément vive dans le ministère actuel. La notion de démocratisation culturelle est sans surprise mise en avant au s ein du document datant de 2010 et notamment au sein des trois axes du socle des missions et des enjeux partagés par le réseau. Ces trois axes, la responsabilité artistique, la responsabilité publique et la responsabilité professionnelle, cadrent le projet des scènes nationales et symbolisent son « socle politique ».
La responsabilité artistique correspond à la proposition faite à la population en termes de programmation. Elle se doit d’être pluridisciplinaire, de faire ressortir les courants principaux de la création moderne et de présenter des « approches artistiques plus singulières », voire transgressives. Cette responsabilité s’opère également auprès des artistes, dans le soutien à la création et à la diffusion, par des résidences, compagnonnages, productions, etc. La responsabilité professionnelle correspond au rôle tenu par les scènes nationales dans la formation, l’accès à l’information ou encore dans l’orientation autour des professions du spectacle vivant.
Politique culturelle du Pas-de-Calais
Les départements ont une compétence culturelle (bibliothèques, musées, archives, etc.). Il s’agit d’une compétence partagée entre les différentes collectivités locales d’après la loi NOTRe, à l’instar des compétences en matière de sport, de tourisme, de promotion des langues régionales et d’éducation populaire . La baisse des dotations de l’Etat aux collectivités locales a néanmoins poussé la plupart des départements à revoir leur budget et à faire des économies. Le Conseil départemental du Pas-de-Calais, présidé par Michel Dagbert depuis avril 2015, a choisi de ne pas se désengager et soutient toujours plusieurs disciplines artistiques, dont le spectacle vivant. Il soutient la création et la diffusion par l’accompagnement des structures culturelles. Trois structures labellisées de ce secteur sont subventionnées: la scène nationale Culture Commune du bassin minier du Pas -de-Calais à
Loos-en Gohelle; Le Channel, scène nationale de Calais; et le Centre Dramatique National de Béthune. Le département Pas-de-Calais, de par sa communication et son budget revu à la baisse, n’apparaît pas comme un échelon très volontaire et innovant en termes de politique culturelle. Malgré une timide volonté de repenser l’intervention du département en 2013, « l’Institution n’est pas encore perçue comme un élément coordinateur des efforts de l’ensemble des acteurs culturels du département, mais plutôt comme un simple financeur ».
Sur le site, ce n’est que dans la demande de subvention, que trois axes de politique culturelle sont énoncés.
Politique culturelle municipale
Comme l’indique Philippe Urfalino dans son ouvrage L’invention de la politique culturelle, Calais a connu une tardive mais progressive municipalisation de la culture . A l’image du département, la ville de Calais n’a, pendant de nombreuses années, pas fait preuve d’une volonté politique forte dans le domaine culturel. De 1971 à 2008, la mairie communiste n’a pas proposé de plan particulier ou de ligne directrice. La politique culturelle de Calais a « souvent reposé sur la personnalité des directions des structures culturelles de la ville ».
Calais est d’ailleurs pourvu de plusieurs équipements socio-culturels: le musée des BeauxArts, la Cité internationale de la mode et de la dentelle, un cinéma d’arts et d’essai et un complexe Gaumont, le Centre culturel Gérard Philippe, le théâtre municipale ou encore la Maison pour tous irriguent la ville de diverses propositions culturelles. Des lieux d’éducation culturelle et artistique tels que le Conservatoire à rayonnement départemental (musique et danse) et l’École d’art complètent les équipements culturels de la ville. Le paysage institutionnel et culturel est maintenu par les financements locaux mais aucune coordination de ces équipements n’est mis en place par la ville. Cette dernière a toutefois impulsé la création du Centre Gérard Philippe et commandité des événements culturels. Les élus locaux ont surtout écouté les demandes des professionnels culturels et ont contribué à soutenir ou non les propositions faites. Cette confiance n’a cependant pas été accordé à tous, puisque le Channel a essuyé de nombreux refus avant d’obtenir un lieu fixe et à la hauteur de ses projets.
Comme nous le verrons ultérieurement, c’est seulement à partir des années 2000 que la mairie, sous le mandat de Jacky Hénin (PC) octroie un soutien fort au Channel, lors de la réhabilitation des abattoirs. La nomination de Francis Peduzzi comme chef de pro-jet de la re-conversion du lieu et la délégation de service public signée en 2007 avec Le Channel illustrent encore cette confiance accordée aux acteurs culturels locaux, seuls pilotes d’un projet culturel urbain.
En 2008, un changement de majorité bouscule la couleur politique locale. Après 37 ans de mairie communiste, une équipe UMP, emmenée par Natacha Bouchard, prend la tête de la ville. La politique culturelle de la ville prend alors un tournant. La programmation du Grand théâtre est étoffée et diversifiée, son organisation interne est remaniée. Des collaborations avec le Centre Gérard Philippe et avec des acteurs locaux sont impulsées pour revitaliser l’équipement et l’accessibilité culturelle des habitants. La mairie soutien également des événements reliés à la culture Hip-Hop et street-art. Des dispositifs d’action culturelle en lien avec la communauté d’agglomération du Calaisis (actuellement présidée par Natacha Bouchard) met en place des dispositifs pour encourager les structures culturelles à travailler avec les établissements scolaires et les centres sociaux. La communauté d’agglomération Grand Calais Terre et mers n’a pas pris en charge outre mesure la compétence culturelle.
Seuls ces contrats locaux d’éducation artistique sont mentionnés dans la liste de ses autres compétences. Plus récemment encore, un virage économique et touristique de la politique culturelle est perpétré par l’équipe municipale. Pour booster le tourisme venant d’Outre-Manche, la Mairie a investi dans des événements et aménagements urbains. Pour redorer l’image de Calais auprès des Britanniques, un décorum londonien a é té installé temporairement à Calais : des bus à impériale rouge vif, des cabines téléphoniques et une exposition extérieure d’icônes anglaises sont disséminés dans plusieurs points de la ville. Une statue de Charles de Gaulle et Winston Churchill a également été inaugurée en mai dernier. Au demeurant, le virage économique de la ville s’est accentué avec un projet majeur de « marketing territorial ». La mairie de Calais, soutenu par la région, a en effet investi dans un projet urbain de grande ampleur qui n’est pas sans rappeler Les Machines de l’île à Nantes. François Delarozière, de la compagnie La Machine a été invité à créer un projet urbain du même acabit dans la ville de Calais. Un dragon, des varans et des iguanes mécaniques géants vont être installés dans différents quartiers de la station balnéaire et faire l’objet d’inauguration festive. Pour la municipalité, « l’enjeu majeur est bien celui du développement économique et touristique de la ville » et d’ « inscrire la ville sur la carte touristique du nord de l’Europe et développer l’accueil des touristes en préemptant, en partie, le flux des 33 millions de voyageurs britanniques ». La mairie, appuyée de la région, souhaite renverser l’image de Calais, augmenter les flux touristiques et faire naître un sentiment de fierté dans la population. A Calais territoire rime donc avec tourisme.
Ainsi, la région et la commune de Calais apparaissent comme les deux échelon volontaristes en termes de culture. Le département peine quant à lui à se pos itionner comme acteur de politique culturelle. Cet exemple va en faveur de l’argument d’un « renforcement de la régionalisation » mais pas d’une montée en puissance de l’EPCC du Calaisis. Chaque échelon assortissent leur discours concernant le développement culturel de « finalités extrinsèques » que sont le rayonnement régional ou la croissance du tourisme dans la ville.
Impact des partenaires publics sur le développement du Channel
Une scène labellisée est un gage de qualité et de rayonnement sur le territoire. Sa territorialisation de l’outil ne se fait néanmoins pas sans heurts. L’histoire du Channel est un cas édifiant des rapports et de l’impact des échelons territoriaux sur le p rojet des scènes labellisées par l’Etat. Le Channel: histoire d’un combat et d’une résilience.
Le Channel, histoire d’un combat
Une difficile acceptation
Malgré un cahier des charges qui stipule la nécessité d’un lieu pour la bonne mise en œuvre des missions de la scène nationale, l’échelon local a longuement freiné l’acquisition de ce lieu.
Avant l’installation de la scène nationale dans une friche réhabilitée, le Channel a été pendant de nombreuses années dans la « quête d’un lieu ». Le site, t el qu’on le connaît aujourd’hui, est le résultat d’un long processus de négociation et de refus avec la ville. De sa création en 1981 sous le nom du Centre de développement culturel de Calais, jusqu’après sa labellisation, l’association n’a pas de lieu de gestion propre. Pendant plus d’une décennie, l’équipe du Channel espère obtenir la gestion du théâtre municipal mais se heurte au refus constant des élus locaux . Cette confrontation s’enracine dans la difficulté, pour l’outil culturel d’Etat à être accepté par la commune.
Le Channel connaît un rejet de la part du pouvoir local mais aussi du reste de la population. Cette association étrangère, issue de la politique de décentralisation de l’Etat, est vue d’un mauvais œil. Les premières équipes subisse nt la verve incendiaire de la presse locale, qui critique leurs moindres faits et gestes. A la nomination de Francis Peduzzi, qui marque également la labellisation du lieu dix ans après sa création, le ressenti est le même. « La première chose qui me fut dite lorsque je franchis les portes de l’hôtel de ville pour commencer à parler avec mes interlocuteurs techniciens de la ville : vous, vous êtes une association étrangère » témoigne Francis Peduzzi. La nomination de ce dernier ne fait pas non plus l’unanimité. Sa candidature est portée par la DRAC du Nord-Pas-de-Calais, dans laquelle il a fait un stage. Il l’informe du départ de Henri Taquet, directeur du Centre de développement culturel de Calais à cette époque et lui propose de prendr e sa suite. Son prédécesseur informe également la DRAC qu’il soutient sa candidature. Seul bémol : le directeur du Conseil régional de l’époque soutient un autre candidat. Le jour de l’élection au conseil d’administration, lui et plusieurs élus locaux refusent de voter. Le maire de Calais, le représentant du ministère de la culture, d’autres élus et les membres associés sont favorables à la candidature de Francis Peduzzi. L’accueil réservé au nouveau directeur peu de temps après n’est pourtant pas très chaleureux et certains élus locaux déçus par cette élection ne cachent pas leur animosité envers cet allochtone. Le projet s’installe néanmoins peu à peu et conquit un nombre croissant de public. Le théâtre municipal, qui ne possède pourtant pas de véritable projet et direction artistique est pourtant encore et toujours refusé à l’organisme.
Le tournant des grandes manifestations
Plusieurs dates marquent un tournant dans l’histoire et l’orientation artistique de la nouvelle scène nationale, rebaptisée Le Channel. En 1994, le Channel s’installe dans les anciens abattoirs de la ville de Calais pour préparer la première édition de Jours de fête à Ca lais, manifestation liée à l’ouverture du Tunnel sous la Manche, soutenu par la région. Le projet est ambitieux, et propose d’investir de manière festive la ville de Calais, avec notamment la venue des géants du Royal de Luxe. C’est un franc succès auprès de la population et le Channel profite d’un rayonnement national de l’événement. Il est alors décidé de pérenniser cette festivité et de l’organiser tous les deux ans. L’occupation des abattoirs demeure temporaire et l’association se cherche encore un lieu propre.
La mairie communiste subventionne le Channel pour l’organisation d’un événement urbain majeur avant le passage au deuxième millénaire : Feux d’hiver, manifestation artistique, festive et populaire propose cinq jours de festivités entre Noël et le jour de l’an. Cette manifestation sera également reconduite toutes les années impaires.
Entre temps, de 1997 à 1999, le théâtre de l’Odéon prête la cabane, théâtre mobile, qui marque un premier tournant dans la « sédentarisation » de l’équipe. Après le départ de la cabane sur Paris, le Channel décide d’aménager une salle des anciens abattoirs (où elle dispose de locaux administratifs) et d’y implanter une structure mobile. Elle demande à François Delarozière, directeur artistique de La Machine, d’aménager cette salle sur la base d’un cahier des charges qu’elle a rédigé. La moitié du subventionnement de la salle est alimentée par des fonds FEDER, l’autre moitié par les fonds propres du Channel. L’an 2000 marque l’inauguration de la salle du Passager.
Vers une dépossession du champ d’intervention locale ?
Comme vu plus haut, des tensions existent entre la structure et la nouvelle municipalité. Le projet urbain avec Delarozière, l’organisation de spectacles d’arts de rue sans la concertation du Channel et le doute planant autour du renouvellement de la DSP, suscite nt l’interrogation sur la posture de la ville envers la scène nationale. On peut se demander si la mairie, par son volontarisme dans le domaine de la culture, ne prend pas le risque de déposséder certains acteurs culturels de leur champ d’intervention. La politique municipale actuelle, décrite plus haut, participe également d’une délégitimation de l’action culturelle du Channel, à la différence qu’elle se joue non plus dans l’empêchement de l’action mais dans le débordement, voire la dépossession du champ d’intervention sur lequel le Channel s’était positionné. Plusieurs faits illustrent ce propos. Le dernier projet d’investissement urbain avec La Machine a été mal vécu par l’équipe du Channel. Ce projet a été rédigé sans la concertation de la scène nationale, pourtant partenaire de longue date avec la Compagnie la Machine. Outre la contribution régulière de la compagnie aux différentes manifestations culturelles du Channel , la «patte» artistique de F. Delarozière a été choisie pour contribuer à la réhabilitation du site des abattoirs. Si ce choix de la mairie fait preuve de cohérence quant à l’histoire et l’esthétique partagées avec la compagnie, la mise à l’écart de la scène nationale dans l’écriture du projet pose question. Cet événement, qui n’est pas isolé, s’ajoute à la lis te des tensions existant entre le Channel et l’échelon local.
Analyse des rapports
L’histoire du Channel et l’évolution de ses rapports avec les échelons territoriaux sont symptomatiques des enjeux de gouvernance multi-niveaux dans la culture. Chacun des échelons articule la notion de culture et de territoire avec ses propres représentations et enjeux. Ils justifient et légitiment par ce biais leur compétence et leur intérêt à agir dans le secteur culturel. Dès lors, le co-pilotage des scènes nationales par la commune et l’Etat est court-circuité ou épaulé par les autres échelons qui co-financent le projet. La diversité de ces partenariats publics est également une porte de sortie en cas de conflit avec d’autres échelons.
Le Channel a en effet su jongler avec ces partenariats, notamment avec les fonds FEDER européen destiné au développement économique des régions, qui lui a permis de réhabiliter la salle du Passager et de convaincre plus généralement d’autres partenaires. La région a été à d’autres moments un appui primordial pour mettre en œuvre les projets du Channel, tels Jours de Fête. On confirme ainsi que la grille de lecture diffère selon l’échelon : au plan local le Channel est par moment vu comme une gêne, alors que pour la région, il s’agit d’un outil de rayonnement. Ainsi, sa contribution est perçue comme plus ou moins pertinente et légitime selon le territoire. Mais le pouvoir de pression des collectivités résident « principalement dans l’octroi ou non des subventions » qui défendent ou construisent leur « autorité politique largement fondée sur l’identification à un territoire » . Anne-Cécile Douillet explique en ce sens que les élus agissent sur la répartition territoriale des ressources, mais peu sur la « définition des principes et des contenus de l’action publique » . En effet, les projets du Channel ont été bloqués ou freinés, mais le contenu direct de ces projets n’a pas été modifié par cette pression locale. Le projet du Channel demeure donc un projet de scène nationale.
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Table des matières
REMERCIEMENTS
SOMMAIRE
Introduction
Partie 1 / Contexte d’implantation et clefs de compréhension
I – Le territoire calaisien
II- Les politiques culturelles du territoire
III- Impact des partenaires publics sur le développement du Channel
Partie 2 / Le Channel, une scène nationale ordinaire ?
I – Le Channel : projet, missions et moyens
II- Description et analyse de l’expérience du stage
Partie 3 / « Faire territoire »
I- Les projets de territoires, ou « L’art de présenter l’art »
II- Déconstruire les cathédrales de la culture
Conclusion
BIBLIOGRAPHIE
TABLE DES MATIÈRES
ANNEXES
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