Relation bidirectionnelle entre épilepsie et troubles psychiatriques
Les problématiques psychiatriques touchent beaucoup de patients épileptiques, ce qui contribue significativement à l’altération de la qualité de vie ressentie. Les troubles psychiatriques dans l’épilepsie sont sous-diagnostiqués et sous-traités. En outre, des éléments suggèrent que les troubles psychiatriques peuvent agir comme facteur de risque pour certains types d’épilepsie et favorisent la progression de la maladie dans des cas établis, promouvant l’existence d’une relation bidirectionnelle entre épilepsie et psychopathologie. Comme les relations de cause à effet peuvent être difficiles à établir dans les études humaines, des modèles animaux appropriés fournissent des outils valables dans l’étude des interactions entre épilepsie et troubles liés au stress. En effet, beaucoup de modèles d’épilepsie affichent des phénotypes comportementaux qui sont le reflet de troubles psychiatriques. Inversement, un environnement stressant semble favoriser la vulnérabilité au développement de l’épilepsie. La compréhension des relations entre l’épilepsie et troubles psychiatriques associés, faciliterait le traitement efficace des troubles de l’humeur dans l’épilepsie. Les troubles psychiatriques sont fréquemment présents chez les patients épileptiques, avec plus de 35% des patients atteints (Tellez-Zentano JF et al., 2007). Ces comorbidités qui comprennent, dépressions, troubles anxieux, psychoses, troubles cognitifs, ont été associés par la plupart des cliniciens comme affectant de façon prédominante les patients présentant une épilepsie acquise. Des données récentes vont à l’encontre des hypothèses de longue date concernant l’association entre la psychopathologie et le type d’épilepsie. Ainsi l’idée d’un lien particulier entre l’épilepsie du lobe temporal et les troubles affectifs s’est progressivement affaiblie avec l’appréciation croissante de l’anxiété et des troubles de l’humeur dans les épilepsies à foyer extra-temporal (Adams SJ et al, 2008) et les épilepsies généralisées (Akanuma N et al., 2008). D’autres données suggèrent que les épilepsies génétiques sont peut-être aussi susceptibles aux plaintes psychiatriques que les épilepsies acquises (Adams SJ et al, 2008) ; Christensen J et al, 2007) ; (Hermann B et al., 2008) ; (Maria de Araújo Filho G et al.,2011). Ces comorbidités ont un impact significatif sur la qualité de vie des patients et peuvent être même plus préjudiciables que l’épilepsie elle-même. La prévalence sur la vie entière des idéations suicidaires chez les patients épileptiques est de 25% (Tellez-Zentano JF et al., 2007), ce pourcentage est beaucoup plus élevé que dans la population générale. L’augmentation de la prévalence de la psychopathologie dans l’épilepsie a été attribuée de façon variable aux conséquences psychosociales du vivre avec un trouble neurologique (stigma), aux effets à long terme des médicaments, aux effets dommageables répétés des crises sur le cerveau, ou à une anomalie neurobiologique commune sous-jacente (Kanner AM, 2006). Selon une théorie alternative soutenue par des études cliniques et expérimentales il existe une relation bidirectionnelle entre épilepsie et troubles de l’humeur (Kanner AM, 2011). Des individus ayant des troubles de l’humeur ou neurocomportementaux ont un risque très élevé de développer une épilepsie (Forsgren L,1990) ; (Hesdorffer DC et al., 2006) ; (Jones JE, 2007). Ces études suggèrent que l’épilepsie peut prédisposer au développement de troubles psychiatriques et qu’inversement le risque de développer une épilepsie est augmenté par une psychopathologie préexistante. De plus les troubles de l’humeur exacerberaient la progression et la sévérité de la maladie. Une vie marquée par la dépression précédant le début de l’épilepsie ou une psychopathologie de présentation plus sévère est prédictif d’un moins bon contrôle médical (Hitiris,N et al, 2007) ; (Petrovski S et al., 2010) et chirurgical (Kanner AM et al., 2009). Le stress, fortement associé aux pathologies psychiatriques, est fréquemment rapporté par les patients comme un facteur précipitant des crises (Frutch MM et al., 2000) ; (Nakkenko et al., 2005). Il existe une littérature, éparse, abondante et variée qui traite des liens existant entre le stress et la maladie épileptique. On constate très fréquemment des troubles psychiatriques chez les patients épileptiques, cependant la science peine à établir leurs liens. Si des travaux récents remettent en question l’association de liens particuliers entre psychopathologie et types d’épilepsies, ils confirment cependant la coexistence et l’interaction entre psychopathologie et tous types d’épilepsies.
Le stress comme source potentielle d’épileptogenèse
Nous nous intéressons ici plus spécifiquement au rôle du stress dans le développement de l’épilepsie. Dans la première partie de ce mémoire, nous résumons le cadre conceptuel dans lequel ce questionnement se situe. Les relations de cause à effet sont difficiles à mettre en évidence dans des études humaines (études longues, difficiles, chères et souvent biaisées par les effets des traitements et beaucoup d’autres variables). Les modèles animaux fournissent des outils valables avec lesquels étudier les interactions entre épilepsie et troubles liés au stress, notamment comment les troubles psychiatriques peuvent prédisposer à l’épilepsie. Une littérature clinique émergeante suggère une relation bidirectionnelle entre l’épilepsie et les troubles de l’humeur, (Kanner AM et al., 2011). Le stress étant en grande partie générateur des troubles psychiatriques. Nous présenterons l’état actuel de la littérature quant à l’influence du stress qu’il soit précoce ou plus tardif sur la probabilité du développement des crises et de l’épilepsie. Le stress a été bien documenté en tant que facteur déclencheur dans l’épilepsie (Kotwas et al., 2017); (McKee et al.,2017) mais un peu moins en tant que facteur causal. C’est ce lien de causalité qui nous intéresse plus particulièrement. Une hypothèse actuelle, s’appuie sur le modèle diathèse-épilepsie (Bernard C, 2016). Selon cette hypothèse l’épilepsie et ses comorbidités, comme la dépression et les troubles cognitifs, se produisent lorsque certains seuils spécifiques sont dépassés. Ces seuils dépendent de la vulnérabilité d’un individu donné. Dans le modèle diathèse-stress cette vulnérabilité peut prendre la forme de facteurs génétiques, psychologiques, biologiques, ou de situations et est donc contrôlée par de multiples facteurs génétiques et environnementaux. La potentialité d’une activité épileptique est endogène à la plupart des réseaux neuronaux, à partir du moment où on altère assez fortement le réseau, par exemple un choc par électro convulsivothérapie déclenchera une crise dans n’importe quel cerveau humain « normal » (Luttges and McGaugh 1967). Les crises à début focal et leur dynamique, qu’elles soient provoquées dans un tissu cérébral « normal », où bien spontanées dans un réseau épileptique chronique, semblent suivre des règles universelles à travers les espèces et les régions cérébrales (Jirsa et al., 2014).
Qu’est ce qui détermine le seuil chez un individu donné ? Beaucoup d’épilepsies sont liées à une lésion cérébrale d’origine, telle que les mutations, le stress dans la vie précoce, les traumatismes cérébraux, les méningites, etc. (Goldberg and Coulter, 2013). Cette lésion cérébrale induirait un changement dans les circuits cérébraux, ce qui diminuerait le seuil et rendrait possible l’apparition de crises spontanées. Dépister les mécanismes qui sous-tendent la modification du seuil épileptogène apparait très complexe car l’épilepsie est une maladie multifactorielle, dans le sens ou une altération donnée n’aboutira pas au même résultat chez deux individus. Par exemple les mutations dans les formes familiales d’épilepsies sont caractérisées par une pénétrance incomplète et par différentes forme d’épilepsie chez les membres de la famille portant la même mutation (Depienne et al., 2010)(23); (Scheffer, 2011). De la même façon, certaines altérations cérébrales comme les traumatismes cérébraux ou les convulsions fébriles, augmentent seulement la probabilité de développer une épilepsie plus tard dans la vie (Bolkvadze and Pitkanen, 2012) ; (Choy et al., 2014). Il est évident que l’interaction gène/environnement joue un rôle crucial. Si on s’intéresse à la partie environnementale et notamment aux événements de vie passés des individus, des étudesrétrospectives suggèrent que plusieurs facteurs de risque augmentent la probabilité de développer une épilepsie. Ainsi, un épisode de dépression plus tôt dans la vie peut favoriser le développement d’une épilepsie (Hoppe and Helger, 2011)(27); (Hesdorffer et al., 2012), (29). Le rôle du stress en tant que facteur causal de l’épilepsie est complexe à mettre en évidence de par la nature multifactorielle de cette maladie (modèle diathèse-épilepsie). Ce questionnement est très difficile à investiguer par des études cliniques et expérimentales car les événements passés peuvent modifier le système sans donner lieu à un phénotype évident.
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Table des matières
I.INTRODUCTION
• I.A Définition épilepsie et forme d’épilepsie
• I.B Relation bidirectionnelle entre épilepsie et troubles psychiatriques
II. MODÈLE DIATHÈSE-STRESS
• II.A Le stress comme source potentielle d’épileptogenèse
• II.B Études cliniques illustratives du lien étiologique stress/épilepsie
• II.C TSPT et épilepsie
– II.C.1 Définition de l’état de stress post-traumatique
– II.C.2 Études cliniques : un pas vers la psycho-épilepogenèse
III.MODELES ANIMAUX
• III.A Modèle d’épilepsie acquise
• III.B Modèle d’épilepsie génétique
• III.C. Modèle animal : Modèle diathèse-stress
IV. APPROCHE PSYCHIATRIQUE
• IV.A. Lien entre événement de vie stressant et pathologie psychiatrique
– IV.A.1 Liens historiques
– IV.A.2 Psychopathologie
• IV.B Aspects méthodologiques du recueil des événements de vie en psychiatrie
• IV.C Échelles
V. ANALYSE D’UNE COHORTE S-EEG
VI. CAS CLINIQUES
• VI.A REFLEXIONS À PARTIR DE CAS CLINIQUES
• VI.B Cas clinique numéro un
– VI.B.1 Histoire de l’épilepsie
– VI.B.2 Histoire de vie
– VI.B.3 Évaluation psychiatrique standardisée
– VI.B.4 Conclusion
• VI.C Cas clinique numéro deux
– VI.C.1 Histoire de l’épilepsie
– VI.C.2 Histoire de vie
– VI.C.3 Exemple de prise en charge centrée sur le trauma chez une patiente présentant une épilepsie temporale d’apparition tardive
– VI.C.4 Évaluation psychiatrique standardisée
– VI.C.5 Conclusion
VII. DISCUSSION CONCLUSION ET PERSPECTIVES
VIII. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
IX. ANNEXE
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