L’année 2019 restera gravée dans l’histoire comme associé à l’une des plus grandes pandémies du monde moderne. Cette grave crise sanitaire a fait réapparaitre le terme de « confinement ». Si la définition de ce terme n’est plus à faire tellement il a été présent ces dernières années, et si l’on voit facilement ce qu’est le confinement à l’échelle d’individus voire de la population, on oublie souvent que ce phénomène se retrouve à des échelles bien plus petites tels que l’échelle des cellules. Et pourtant, il existe plusieurs exemples dans la nature dans lesquels les cellules sont obligées de se développer dans des espaces limités en taille, entrainant donc l’apparition de situations de prolifération confinée. Un des exemples le plus représentatif est peut-être la croissance des racines sous les routes ou autres zones goudronnées. Tout le monde a déjà croisé des routes endommagées par ces racines. Cela nous indique que les cellules, ici végétales, sont capables de développer des forces gigantesques pour déformer leur environnement et croitre, même dans des endroits extrêmement solides. Ce phénomène de confinement des cellules, et de génération de forces, est aussi présent dans d’autre exemple tels que les cancers, où les cellules sont contraintes par le tissus cellulaire entourant la tumeur[33] ou dans la formation de biofilms par des bactéries[25]. Avant de décrire les contraintes physiques issues de ce confinement et leur impact, nous allons commencer par une description succincte des cellules.
Description succincte d’une cellule type
Une cellule est l’élément de base de tout organisme. Il existe également des organismes composés d’une seule cellule et pourtant mesurant plusieurs centimètres tels que le « Physarum polycephalum » ou « blob » pour les intimes[34]. Les organismes plus complexes comme le corps humain peuvent quant à eux être composée de centaines de milliers de milliards de cellules[104]. Dans ce cas, les cellules ont des fonctions et des propriétés variées. Celles-ci sont liées aux composants de la cellule que nous allons rapidement présenter.
Composition à une échelle “macro” : mur, membrane, organelle
Les chiffres qui seront donnés dans cette partie concernent principalement la levure S. cerevisiae. La cellule est un système fermé, séparé du milieu où elle se trouve par la membrane cellulaire (ou membrane plasmique). Celle-ci est composée principalement de lipides organisés en bicouche ainsi que de protéines transmembranaires. La membrane est flexible et perméable à certaines molécules. Pour certains types de cellules tels que les plantes ou certains microbes, cette membrane est entourée d’une paroi (ou mur) cellulaire, changeant les propriétés mécaniques de celles-ci. Dans le cas de la levure S. cerevisiae l’épaisseur du mur fait qu’il va occuper une partie importante du volume, et représenter ∼ 15% du volume total[122]. L’un des éléments les plus importants de la cellule est le noyau. Présent uniquement chez les eucaryotes, il s’agit d’un sous-système dans la cellule séparé du cytoplasme par une enveloppe. C’est dans le noyau qu’est stocké l’ADN et où la transcription de l’ADN en ARN a lieu. Son volume est estimé à ≤ 10μm3[63], soit environ 15% du volume de la cellule. Ce noyau est structuré, et contient notamment le nucléole, espace dans lequel se situe notamment la synthèse de l’ARN ribosomal, nécessaire à la formation de ces complexes ribo protéiques que sont les ribosomes[125]. Autour du noyau se retrouve le réticulum endoplasmique, relié à l’enveloppe nucléaire. C’est dans cet organite que va avoir lieu la majorité de la production protéique liée au trafficking. Il occupe ∼ 2%[122] du volume total. Viennent ensuite les mitochondries, responsables de la majorité de l’énergie produite par la cellule. Composée de deux membranes séparant deux espaces spécifiques, la mitochondrie utilise des flux de protons créés grâce à des complexes protéiques afin de produire de l’ATP, qui est la molécule organique servant de carburant aux cellules, la libération de l’énergie durant son hydrolyse étant essentielle à de nombreux processus. La mitochondrie possède la capacité de fissionner et de fusionner pour former des réseaux plus ou moins denses afin d’avoir une production optimale et de se protéger d’éventuels stress. Elle ne représente cependant que ∼ 1.6% du volume de la cellule[122]. Enfin, le plus gros organite chez la levure est la vacuole. Les lysosomes chez les cellules mammifères ont un rôle similaire. C’est un espace dans lequel les protéines et autres molécules sont dégradées. Chez la levure, la vacuole représente environ ∼ 20% du volume[18].
Composition à une échelle “micro” : protéines, ribosomes, ARN
Entre ces gros objets que forment les organelles chez les eucaryotes, de plus petit éléments vont être responsables des réactions ayant lieu dans les cellules. Les protéines sont des structures 3D composées d’acides aminées. Elles sont impliquées dans toutes les réactions que cela soit en tant que réactant, produit ou catalyseur. Il est admis que leurs tailles est comprise en 1 et 6 nm[75]. Il existe ainsi des micro-protéines composées seulement de quelques dizaines de bases et, inversement, des protéines formées de complexes multiprotéiques qui peuvent être beaucoup plus grands (plusieurs dizaines de nm). Dans le cas de la levure S. cerevisiae, elles représentent jusqu’à un tiers de la masse des cellules [105]. Les protéines sont formées à partir d’ARNm (« Acide ribonucléique messager”). L’ARNm est utilisé pour transcrire les informations codées dans l’ADN. Cette information est transportée jusqu’au cytoplasme pour être traduite en protéines. Étant donnée leur nature variable il est difficile de leur donner une taille précise, mais si nous l’estimons par une sphère effective celle-ci aura un rayon de ∼20 nm [46]. L’ARNm représente ∼ 10% de la masse des cellules[105]. Les ribosomes sont les éléments qui vont permettre la traduction des ARNms en protéines Ces complexes riboprotéiques, composés de protéines et d’ARN ribosomaux, vont former un objet complexe de 25 nm environ[121]. Les ribosomes vont représenter la majeure partie des particules dans les cellules (∼ 20000 par ¸tm3)[126]), ce qui peut représenter jusqu’à environ 20 à 25 % du volume du cytoplasme, soit une proportion gigantesque.
Pour conclure sur l’organisation des cellules, nous venons de voir que celle-ci est structurée chez les eucaryotes entre larges objets, remplis de particules de tailles très différentes et de concentrations différentes.
Les différents organismes
Nous venons de décrire l’intérieur d’une levure S. cerevisiae. Nous allons brièvement nous intéresser aux différences entre différents organismes. Nous pouvons séparer premièrement les eucaryotes des procaryotes, c’est-à-dire des cellules avec un noyau (mammifères, plantes, levures) et les cellules sans noyau (Bactéries). Chez les eucaryotes, nous pouvons aussi distinguer les cellules faisant partie d’un organisme multicellulaire (mammifère, plante) ou unicellulaire (levure ou microbe en général, bien que ceux-ci forment des structures multicellulaires comme les biofilms). Une des différences entre les cellules mammifères et les plantes provient de leur composition, les plantes possédant (comme les levures) un mur cellulaire qui entoure la membrane plasmique, mais également des chloroplastes impliqués dans la photosynthèse. Il y a enfin de grandes variabilités en taille et en composition au sein d’un même organisme, mais aussi entre eux. Ainsi, les bactéries ont tendance à être plus petites que les levures, elles-mêmes plus petites que les cellules animales et végétales.
Les composants des cellules l’encombrent
Depuis quelques années, de nombreuses équipes de recherche ont réalisé, à l’aide de différentes méthodes, des images de l’intérieur des cellules. Une fameuse représentation de l’intérieur de la cellule est la vue d’artiste proposée par David Goodsell, et basée sur des simulations . Plus récemment, nous pouvons apprécier la superbe image de l’intérieur d’une cellule eucaryote obtenue grâce à plusieurs méthodes (Rayon-X, résonance magnétique nucléaire(RMN), et de la cryo-microscopie électronique) réalisée par Evan Ingersoll et Gael McGill. Ces images, et celles de la partie précédente, montrent à quel point les cellules sont encombrées. Il a par exemple été estimé dans le cas de bactéries E. coli que les macromolécules telles que les protéines représentaient 40% du volume des cellules [132]. En général, quel que soit l’organisme, ces macromolécules occupent entre 20 et 40% du volume des cellules [41]. Ces macromolécules vont entrainer un encombrement dans les cellules.
L’encombrement peut-être défini de plusieurs façons, mais nous allons dans ce manuscrit la définition la plus commune donnée dans l’article de Zhou, Rivas et Minton (trois auteurs particulièrement importants dans le domaine de l’étude de l’encombrement macromoléculaire)[130], qui définissent l’encombrement comme l’influence du volume occupé par des macromolécules inertes (appelé volume d’exclusion) dans une solution contenant d’autre macromolécules pouvant réagir entre elles ou non. Ces auteurs donnent comme exemple les trois cas suivant (1.6, et modélisent l’impact de l’encombrement sur ces réactions (interaction entre deux protéines solubles (1.6.a), entre une protéine soluble et une surface (1.6.b), et sur la conformation de chaines polymériques et l’autoassemblage .
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Description succincte d’une cellule type
1.2 Les composants des cellules l’encombrent
1.2.1 Mesure de l’encombrement dans les cellules
1.2.2 Effet de l’encombrement dans les cellules
1.3 Les cellules proliférant sous confinement déforment leur environnement
1.4 Impact des contraintes compressives sur les cellules
1.5 Comment les cellules détectent les contraintes compressives
1.6 Résumé
2 Déplacement dans la cellule : un mouvement limité par les encombrants
2.1 Origine et description du mouvement brownien
2.1.1 Historique et équations fondamentales
2.1.2 Description du déplacement de particule
2.1.3 Les mesurables
2.2 Mouvement des particules dans les cellules
2.2.1 Un outil pour mesurer la diffusion dans les cellules : les GEMs
2.2.2 Le retour des observables
2.3 Simulation d’un colloïde de sphère dure
2.3.1 Création d’un modèle numérique
2.3.2 Validation des simulations
2.3.3 Calibration
2.3.4 Comparaison de la simulation de sphères dures et des expérimentations
2.4 Conclusions et perspectives
3 Effet du confinement sur l’encombrement dans la cellule
3.1 Méthode de mesure et origine de la pression induite par la croissance
3.1.1 Pression induite par la croissance dans des puces microfluidiques
3.1.2 Définition de la pression osmotique
3.1.3 La pression de turgescence : une pression d’origine osmotique
3.1.4 Impact de chocs osmotiques sur les cellules
3.2 La pression induite par la croissance modifie la diffusion dans les cellules
3.2.1 Pas de variation du volume cellulaire sous pression, mais une diminution de la diffusion
3.2.2 La pression de croissance est liée à une augmentation de la pression interne dans les cellules
3.2.3 L’augmentation de l’encombrement est relié à une diminution du volume nucléaire
3.3 Conclusions et perspectives
4 Effet du confinement sur la physiologie cellulaire
4.1 Étude de la croissance sous contraintes mécaniques
4.1.1 Différence entre croissance et division
4.1.2 Méthode de mesure
4.2 Étude de l’origine de la diminution de la croissance des cellules confinées
4.2.1 Une voie de signalisation qui détecte/contrôle la croissance sous confinement
4.2.2 Une diminution de la production protéique
4.2.3 Impact des contraintes compressives sur la production protéique
4.3 Modèle de l’impact de la modulation de l’encombrement cellulaire
4.3.1 Principe du modèle développé
4.3.2 Résultats de ce modèle
4.4 Conclusions et perspectives
4.4.1 Perspective
4.4.2 Conclusion
5 Effet du confinement sur d’autre mécanismes biologiques
6 Conclusion