Impact des activités anthropiques sur l’évolution du couvert forestier

L’accès aux ressources

   Généralement, à l’exception du Domaine classé, les espaces aussi bien aquatiques que terrestres de la Basse Casamance sont gérés selon la législation coutumière. Celle-ci détermine l’ensemble des règles traditionnelles gouvernant l’accès, l’exploitation et l’utilisation de la terre et des ressources qu’elle porte. Les terres exploitées, prioritairement les rizières basses, sont appropriées individuellement et transmises de père en fils. Les terres inexploitées, la forêt, la brousse et la mangrove non défrichée, appartiennent au village qui en a collectivement l’usufruit ou la propriété de fait. La forêt sacrée et les lieux sanctuaires sont en revanche la propriété exclusive du fétiche ou bœshin, terres inaliénables. Au village de Boukitingho, à l’instar des terroirs terrestres ou mixtes, Elaeis guineensis et Ceiba pentandra sont les seules espèces spontanées qui bénéficient d’un statut particulier. Tout occupant peut aménager l’espace, l’exploiter et jouir de tous les arbres, sauf les deux espèces citées qui reviennent de droit au propriétaire terrien coutumier. Le cas du palmier est plus complexe car il est interdit, même au détenteur foncier, de couper un individu pour commercialiser certains produits (lattes). Ce choix n’est pas fortuit pour la simple raison que l’homme du « Kassa » considère cette plante comme « sacrée » du fait des nombreux avantages et services qu’il en tire profit. En héritant une terre, l’homme s’approprie en même temps ses palmiers. Les femmes sont autorisées à exploiter la terre et peuvent aussi collecter le bois mort des troncs et branches d’arbres abattus, par contre elles n’ont pas le droit de toucher aux palmiers présents dans leurs parcelles. L’exploitation du palmier à huile est une activité strictement réservée aux hommes et les femmes n’interviennent que pour le transport des produits des zones de collecte aux lieux de transformation ou de vente. Il est obligatoire à tout exploitant ayant obtenu une autorisation (même ceux originaires d’autres villages) de présenter ses prémices, 10 litres de vin, en offrande au bœshin. Par ce rituel dont la présence du propriétaire, des chefs coutumiers et du chef de village est nécessaire, il s’engage à se soumettre aux règles établis par le village devant le « Bouwél». Pour les villageois ce fétiche a la vocation de veiller sur les exactions (vols, mauvais comportements vis-à-vis des autres exploitants) mais aussi de garantir un bon déroulement de la saison. Pendant la période de récolte du vin, il n’est pas permis de toucher aux palmiers d’autrui. Mais une fois la saison terminée et que les travaux champêtres priment, l’accès aux palmiers est libre et l’exploitation des sujets concerne exclusivement la collecte des régimes de noix. Par ailleurs, l’accès au palétuvier et à ses produits n’est pas réglementé. Seuls les espaces aménagés dans la mangrove et les zones désignées comme « sacrées » (du fait qu’elles abritent des fétiches), font l’objet d’une propriété individuelle ou collective. D’autre part, la population veille au respect de certaines normes comme l’interdiction de l’abattage de jeunes palétuviers. Il est permis de couper les racines et les troncs des palétuviers vivants pour des besoins de construction ou d’habitat (clôture et plafonnage) ainsi que pour réaliser des outils de pêche. Cette autorisation restreinte n’a rien de légal et est entreprise par les villageois qui essaient en ce sens de réguler les coupes dans l’enceinte de leur terroir. Pour les zones d’exploitation mixtes, la vigilance sur la coupe implique les villages riverains. Lorsqu’une exaction est faite par une personne identifiée, les deux chefs de village convoque le fautif pour le sensibiliser. Les populations des terroirs entièrement établis dans la mangrove peuvent exploiter même au-delà de leurs limites mais sans trop s’approcher du plateau. Ces terroirs terrestres ou mixtes sont pourvus en bois provenant de la forêt de plateau ce qui justifie leur faible dépendance vis-à-vis du bois de palétuviers.

Le prélèvement sur pied

   A Boukitingho, les activités de prélèvement des produits d’Elaeis guineensis portent sur le vin de palme, les régimes de fruits, les feuilles et les inflorescences mâles. Se déroulant pratiquement pendant toute la saison sèche, les opérations menées dans la collecte des produits peuvent être regroupées en trois phases. D’abord le nettoyage des palmiers de leurs feuilles (mortes et anciennes) constitue la première étape pour avoir accès au régime ou au spadice. Cette opération d’entretien permet de mettre les sujets dans de meilleures conditions de développement tout en favorisant la fructification et la récolte des produits (vin de palme et régime de noix). Elle consiste à pratiquer un élagage avec des outils très aiguisés pour obtenir des coupes franches. Les pétioles sont coupés aussi près que possible du stipe. Les individus nettoyés sont laissés au repos pendant au moins une semaine. Ensuite vient la phase de la récolte du vin par la technique de la saignée. Au préalable, une petite incision est faite deux jours avant la première pose des bouteilles qui marque le début de la récolte proprement dit. Le récolteur, incise la base des tiges des inflorescences, présentes à l’aisselle des feuilles ; la sève s’écoule par l’intermédiaire de petits entonnoirs (confectionnés avec des folioles selon un pliage élaboré), elle est recueillie dans des bouteilles accrochées à la base de la tige. Le récolteur récupère sa récolte deux fois par jour, le matin de 06 h vers 09h et le soir aux environ de 19h. Enfin la coupe des régimes de fruits mûrs et l’arrachage des inflorescences mâles devenues sèches constituent la dernière phase du prélèvement sur pied. Le récolteur utilise le kandaab pour grimper, une ceinture de fabrication artisanale en bois et cordelette réalisée avec des matériaux essentiellement issus de la feuille du palmier. Il le fait passer sous ses bras et sur son dos et pose ses pieds nus à même le tronc. Des bouteilles en plastique de 1 et 2 Litres sont utilisées pour recueillir le vin de palme des individus de palmiers qui sera stocké dans des bidons de 10 à 30 Litres. Le nettoyage et/ou la collecte des feuilles se fait à l’aide de houssimigne, outil composé en fer tranchant, fixé à l’avant d’un manche plus ou moins long ; mais aussi avec un coupe-coupe. Ce même instrument sert parfois à couper les régimes. L’incision des inflorescences est réalisée avec éwawum. Pour les palétuviers, toutes espèces confondues (Rhizophora racemosa, Rhizophora mangle, Avicennia nitida), la technique de prélèvement sur pied porte sur les huîtres et les feuilles vertes. La période d’extraction des huîtres commence en mois de Février pour se terminer en début Juin. Les mois de Juin et Décembre constituent la période de reproduction et de développement des espèces. C’est une activité exclusivement réservée aux femmes. L’exploitation se fait à marée basse et fait intervenir la pirogue qui sert de déplacement et de recueillement des huîtres. Ces pirogues sont taillées d’une seule pièce sur le tronc de fromagers souvent acheté dans les villages voisins de Séléky, Kamobeul, Essyl ou Badiate. Presque toutes les concessions en disposent au moins une. Elles sont aussi utilisées pour la pêche dans les bolon et le transport des matériaux et du riz, ainsi que pour le déplacement des habitants. L’utilisation d’un coupe-coupe sert à décoller les coquilles du tronc ou de la racine des palétuviers. Les feuilles toutes fraîches sont arrachées par les pêcheurs pour couvrir leur poisson.

Réduction du potentiel productif de la forêt

   La technique de la collecte sur pied peut avoir une incidence sur la survie et/ou la régénération des espèces si la fréquence des prélèvements est importante. Pour l’instant le prélèvement n’a pas encore atteint un niveau critique car l’amélioration de la pluviométrie a eu un impact positif sur les rendements agricoles des rizières et par conséquent réduit la pression exercée sur les ressources végétales spontanées. Cependant les familles qui ne disposent pas assez de parcelles rizicoles continuent à dépendre directement des revenus générés par l’exploitation forestière. L’abatage ou la coupe peut être à l’origine d’une réduction du potentiel productif de la forêt à court terme et peut affecter la baisse de la biodiversité si cette méthode devient intensive pour certaines espèces. Dans les opérations de collecte du bois de palétuvier à Eloubaline, les villageoises abattent parfois des arbres vivants qu’elles laissent séjourner dans l’eau. Il suffit de s’aventurer dans ces zones de collecte pour observer les dégâts causés par ces actions. Ces aires dévastées par les coupes s’agrandissent avec le temps pour donner de grands terrains nus dans les marécages (Photo 13). De nos jours l’exploitation des produits du palmier à huile pour satisfaire le marché et faire fortune contribue à l’évolution du rapport que la société entretenait avec cette espèce. Ainsi, avec la monétarisation des échanges, la forêt longtemps considérée comme ressource naturelle dont disposait cette communauté est entrain de devenir une richesse naturelle. Ce passage de « ressource » au statut de « richesse » peut, selon Jacques Berthemont, s’avérer particulièrement bref et instable car la logique économique ne rencontre pas toujours la logique écologique.

Enjeux et perspectives socioéconomiques de la biodiversité végétale

   Les enquêtes de terrain ont révélé que le rapport entre la population locale et le milieu naturel a aussi évolué dans le temps. Avant la sécheresse cette relation de l’homme et la nature se traduisait par un schéma initial simple. Pour satisfaire leurs besoins alimentaires, économiques et énergétiques les villageois pratiquaient, la cueillette (bois et fruits sauvages), la récolte du vin de palme, l’agriculture et la chasse. Ce rapport a changé et le schéma présent est devenu plus complexe avec la monétarisation des échanges, l’installation de la sécheresse pendant plusieurs décennies et la croissance démographique. C’est ainsi qu’on a assisté à une extension des surfaces de champs du plateau, à un raccourcissement de la mise en jachère des terres, à la pratique du maraîchage (avec la politique de l’Etat d’aménager un bloc maraicher dans chaque village) et à l’introduction de vergers de manguiers et d’anacardiers. En s’interrogeant sur le devenir des végétaux spontanés de la Cr d’Oukout, la nécessité de présenter les différentes dimensions des enjeux socioéconomiques de la biodiversité végétale et des services écosystémiques s’impose. Le premier enjeu est celui d’un changement de perception de la population qui conditionnera les priorités des actions à mettre en œuvre pour préserver la forêt. Alors que la perception de la biodiversité de cette population est souvent limitée à quelques espèces emblématiques de la flore (Elaeis guineensis et Rizophora), il est crucial de restituer cette biodiversité sous l’angle de son omniprésence comme fondement de la vie et de ses multiples interactions avec la société Diola. L’accent doit être mis sur les multiples biens et services dont les ruraux tirent bénéfice, en insistant sur le fait que ces services seront sans doute encore plus importants à l’avenir qu’aujourd’hui. Le deuxième enjeu est relatif à la description et à la compréhension de la dynamique de la biodiversité végétale. À l’aube d’une possible amélioration de la pluviométrie, l’analyse des enjeux socioéconomiques de la biodiversité est indissociable d’une évaluation de son état et de son évolution sous l’effet de pressions croissantes. Notre connaissance de la biodiversité, de sa relation avec les fonctions et les services que les villageois s’y procurent, des processus qui régissent son évolution reste pourtant largement lacunaire, ce qui rend difficiles et complexes les évaluations. Ces incertitudes prennent une acuité particulière dans la perspective de la variabilité climatique, qui laisse penser à la capacité des écosystèmes forestiers à s’adapter et, surtout, à continuer à produire les services dont les ménages dépendent largement. L’évolution de la végétation dans cette zone sensible exige un suivi régulier. Seule l’imagerie spatiale peut permettre de mener une telle étude. Troisième enjeu, celui de la mobilisation des acteurs. Cet aspect rappelle donc la nature des engagements de l’Etat qui ont été pris en faveur de la biodiversité et les différents outils opérationnels déjà en place, tout en soulignant la variété des acteurs impliqués et la diversité des enjeux socioéconomiques à prendre en compte pour une intégration de la dimension économique dans l’approche de la biodiversité.

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Table des matières

INTRODUCTION GENERALE
I. Contexte et problématique
I.1. Objectifs
I.2. Hypothèses
II. Présentation de la zone d’étude
II.1. Cadre physique
II.2. Les activités socio-économiques
III. Méthodologie d’étude
PREMIÈRE PARTIE: ÉVOLUTION DU COUVERT FORESTIER DE LA COMMUNAUTÉ RURALE D’OUKOUT
CHAPITRE I : ANALYSE RETROPROSPECTIVE DE L’EVOLUTION DE LA VEGETATION DE LA BASSE CASAMANCE
I. Situation et évolution de la forêt avant la sécheresse
II. Situation et évolution de la forêt pendant la sécheresse
III. Situation et évolution de la forêt actuelle
CHAPITRE II : ÉTUDE DE L’EVOLUTION DIACHRONIQUE DE LA COUVERTURE FORESTIERE DE LA CR DE OUKOUT DE 1992 A 2011
I. Méthodologique de traitement des images spatiales
I.1. Préparation des images
I.2. Le choix de la détection des changements
I.3. La classification supervisée
I.3.1. Définition des classes végétales
I.3.1.2. Les forêts secondaires
I.3.1.3. La palmeraie
I.3.1.4. La mangrove
II. Méthode de traitement des données pluviométriques
II.1. Les données pluviométriques
II.2. Critique et homogénéisation des données
III. Évolution du couvert forestier de la Cr d’Oukout de 1992 à 2011
III.1. Présentation de l’évolution des superficies
III.2. Analyse de la dynamique
III.2.1. Amélioration de la pluviométrie
III.2.2. Les facteurs anthropiques
Conclusion partielle
DEUXIÈME PARTIE : EXPLOITATION DES VÉGÉTAUX SPONTANÉS ET IMPACTS SUR L’ÉVOLUTION DU COUVERT VÉGÉTAL
CHAPITRE III : EXPLOITATION DES VEGETAUX SPONTANES : CAS DU PALMIER A HUILE ET DU PALETUVIER
I. Description des sites de prélèvement
I.1. La palmeraie de Boukitingho
I.2. La mangrove à palétuviers d’Eloubaline
II. Modes d’exploitation des végétaux spontanés
II.1. L’accès aux ressources
II.2. Techniques et moyens d’exploitation
III. Usages des ressources
CHAPITRE IV : IMPACT DES METHODES DE PRÉLÉVEMENTS SUR LE COUVERT VEGETAL
I. Impacts
a. Réduction du potentiel productif de la forêt
b. Menace de la biodiversité végétale
II. Enjeux et perspectives socioéconomiques de la biodiversité végétale
Conclusion partielle
CONCLUSION GÉNÉRALE
BIBLIOGRAPHIE
ANNEXE

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