Emergence du thème
Contexte et point de rupture
Durant mon stage en psychiatrie, j’ai pu observer que l’humour était employé par tous les soignants et que les patients y étaient réceptifs. Toutefois, son utilisation dépendait des situations. En effet, l’humour permettait d’aborder certains sujets intimes de manière plus légère et de permettre au patient d’être plus à l’aise. J’ai également remarqué que son utilisation permettait l’installation d’un lien solide entre le thérapeute et le patient.
De plus, l’humour est un outil de communication que j’utilise personnellement dans ma vie privée. J’ai pu observer que ce langage universel apportait de nombreux bienfaits biologiques (endorphines, dopamine) et psycho-sociaux (sentiment d’inclusion dans un groupe, développement de l’aspect relationnel). Pour moi, une relation thérapeutique de confiance et d’écoute passe par l’humour, et je ne perçois pas d’effets indésirables. Cependant, cette idée est en contradiction avec mon expérience lors du précédent stage. En effet, j’utilisais de manière naturelle l’humour avec certains patients et cela m’a été reproché lors du bilan de fin de stage. Selon les ergothérapeutes, une juste relation soignant-soigné ne comprend pas l’humour. Cela m’a questionné et je n’ai pas compris pourquoi son utilisation était déconseillée. Jusqu’à présent, je considérais l’humour comme un élément important, qui pouvait favoriser la construction d’une relation thérapeutique.
Ces expériences contradictoires sur l’utilisation de l’humour dans la relation thérapeutique m’ont amenée à me questionner. Une première réflexion émerge concernant la relation thérapeutique : quelles sont ses caractéristiques ? Et comment la définir ? De plus, l’humour peut-il faire partie de la relation thérapeutique ? Si oui, comment impacte-t-il la posture professionnelle ? De plus, quel va être son impact sur l’interaction avec le patient ? Nous pouvons donc nous demander s’il existe des bénéfices ou inconvénients à utiliser l’humour dans la communication ? Concernant la pratique en santé mentale, l’utilisation de l’humour dans une situation de souffrance psychique peut-elle mettre en péril l’alliance thérapeutique ? De ce fait, quel degré d’humour utiliser avec une personne en souffrance ? Et de quelle manière pouvons-nous trouver un juste milieu ?
Définition du thème
Nous pouvons définir comme thème : « l’influence de l’humour sur la relation soignant-soigné dans le milieu de la santé mentale » .
Ce thème rentre dans différents champs disciplinaires : la santé, les sciences humaines et sociales, la médecine et la santé publique.
Selon l’organisation mondiale de la santé (OMS), la santé se définit comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, [qui] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » (1). Dans le thème choisi, il est question de la santé mentale des personnes atteintes de maladies psychiatriques. La santé mentale se définit alors comme « un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif et contribuer à la vie de sa communauté. Dans ce sens positif, la santé mentale est le fondement du bien-être d’un individu et du bon fonctionnement d’une communauté» (2). De plus, l’ARS la définit comme un « état d’équilibre individuel et collectif et qui permet aux personnes de se maintenir en bonne santé malgré les épreuves et les difficultés » (3). Des personnes accueillies dans une structure psychiatrique rencontrent donc des difficultés au niveau de la santé mentale, ce qui les empêchent de surmonter les tensions de la vie quotidienne ou bien d’accomplir un travail.
Les sciences humaines et sociales sont définies par « l’ensemble des disciplines scientifiques qui étudient les humains et la société. Ces sciences s’intéressent aux activités, aux comportements, à la pensée et aux intentions, aux modes de vie, à l’évolution de l’être humain, dans le passé ou dans le présent, qu’il soit seul ou en groupe » (4). Ici, nous nous intéressons à la relation entre les êtres humains dans la société ainsi qu’aux pensées et aux comportements de chacun en fonction de la posture de son interlocuteur.
La médecine se définit comme la « science qui a pour objet l’étude, le traitement, la prévention des maladies ; l’art de mettre, de maintenir ou de rétablir un être vivant dans les meilleures conditions de santé » (5). Dans le thème défini, nous cherchons à rétablir une population à l’aide d’un élément relationnel encore peu évoqué. Enfin, la santé publique se définit, selon l’OMS, comme « la science et l’art de prévenir les maladies, de prolonger la vie et d’améliorer la santé physique et mentale à un niveau individuel et collectif »(6). Au sein de notre thème, cela se traduit par l’humour. En effet, il représente un déterminant psychosocial et joue un rôle dans la santé mentale et physique des individus. Son effet peut être positif ou négatif et est susceptible d’influencer la santé mentale de l’individu. Il parait important de définir certains termes du thème pour mieux orienter les recherches. L’humour se définit par « un mécanisme par lequel le sujet répond aux conflits émotionnels ou aux facteurs de stress internes ou externes en faisant ressortir les aspects amusants ou ironiques du conflit ou des facteurs de stress » selon la médecine (7). De plus, selon les sciences humaines et sociales, c’est une « forme d’esprit railleuse qui attire l’attention avec détachement sur les aspects plaisants ou insolites de la réalité » (8). Ainsi, de manière plus générale, l’humour permet de souligner avec plus de légèreté certains aspects de la réalité (le ridicule, le comique, l’insolite,…) (9).
La relation soignant-soigné correspond à « l’interaction entre deux personnes se trouvant dans une situation de soins à chaque fois renouvelée par ce qu’elle offre d’inconnu, de complexe et d’imprévisible. Elle est le fondement de la prise en charge globale du patient » (10). En clair, dans la relation, ce qui est inconnu, complexe et imprévisible ce sont les modalités de celle-ci (affects, ambiguïté, potentiels conflits…).
Résonance du thème
En 2021, huit personnes sur mille âgées de 18 à 79 ans ont un trouble psychiatrique. De plus, la France compte plus de 550 structures psychiatriques accueillant près de 425 000 patients. Or, selon une majorité de professionnels, les patients accueillis en psychiatrie souffrent d’un manque de relation avec leur(s) soignants(s). Au cours de la vie, une personne sur trois est susceptible de présenter un trouble psychique et une personne sur six a actuellement un trouble psychique (11). D’un point de vue de la santé publique, l’OMS considère que cinq des dix pathologies les plus préoccupantes au 21è siècle concernent la psychiatrie (12). Ces pathologies sont la schizophrénie, les troubles bipolaires, les addictions, la dépression et les troubles obsessionnels compulsifs. La prise en charge adaptée de ces patients devient alors un enjeu majeur pour notre société. Des associations utilisent également certaines pratiques, dans le champ de la santé mentale, comme le yoga rire en France, en Belgique, Suisse, Luxembourg ou encore Canada (13). Cette pratique est donc connue au niveau mondial. De plus, les troubles psychiques peuvent diminuer jusqu’à 25 ans l’espérance de vie (3). La santé mentale est donc le premier problème de santé publique. C’est une préoccupation croissante car la santé mentale est associée à une souffrance émotionnelle substantielle et contribue majoritairement à la charge mondiale de morbidité (14). D’un point de vue économique, « le coût des troubles psychiques est devenu le coût de santé le plus important pour la société française » (3). Il représente le premier poste de dépenses du régime général de l’assurance maladie par pathologie, avant les cancers et maladies cardio-vasculaires, soit 19,3 milliards d’euros (15). Le coût économique et social des troubles mentaux est évalué à 109 milliards d’euros par an (15). Concernant les enjeux sociaux, l’humour améliore la relation en s’imposant comme un moyen de communication (16). Cependant, peu de documentation existe sur l’utilisation de l’humour dans la pratique ergothérapique. Il serait donc intéressant de faire évoluer ces connaissances auprès d’un public en santé mentale. En effet, les médecins recommandent de rire au moins quinze minutes par jour pour se sentir bien (17). De plus, pour des personnes atteintes de troubles psychiatriques, l’humour permet de développer des relations sociales plus rapidement et de pouvoir revenir dans la vie active plus simplement. Cela améliorerait également l’engagement des patients dans la thérapie (18). Enfin, l’ergothérapeute contribue aux soins en santé mentale grâce à une relation favorisant son implication (12). Une des compétences de l’ergothérapeute porte sur la relation thérapeutique : « Conduire une relation dans un contexte d’intervention en ergothérapie ». C’est donc un enjeu de notre posture professionnelle (19). En effet, il est attendu des soignants qu’ils sachent établir une relation thérapeutique, c’est-à-dire une relation de collaboration dans le soin qui n’implique ni ambiguïté, ni affect (20). L’ergothérapeute doit être en capacité d’identifier les différents éléments qui y sont impliqués et ce qu’ils engendrent. De ce fait, il est intéressant de comprendre les différentes modalités de la relation et comment celles-ci peuvent être bénéfiques pour les usagers du secteur de la santé mentale » Tous ces éléments montrent que le relationnel en santé mentale est un sujet pour lequel des associations et des professionnels s’investissent. Cet enjeu sociétal signale la nécessité pour les patients et les professionnels de prendre en compte et d’analyser la relation lors des prises en charge afin d’avoir une démarche centrée sur le patient, permettant au patient et au professionnel de s’investir dans celle-ci.
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Table des matières
1 Introduction
1.1 Emergence du thème
1.1.1 Contexte et point de rupture
1.1.2 Définition du thème
1.2 Résonance du thème
1.3 Revue de littérature
1.3.1 Champs disciplinaires et bases de données
1.3.2 Equation de recherche
1.3.3 Résultats des bases de données
1.4 Analyse critique
1.4.1 Le lien entre santé mentale et humour
1.4.2 L’impact de l’humour sur la relation soignant-soigné
1.4.3 Les thérapeutiques à base d’humour
1.5 Problématisation
1.6 Enquête exploratoire
1.6.1 Les objectifs généraux
1.6.2 Les objectifs spécifiques
1.6.3 Population ciblée
1.6.4 Site d’exploration
1.6.5 Choix de l’outil de recueil des données
1.6.6 Biais et stratégies d’atténuation
1.6.7 Construction de l’outil de recueil de données
1.6.8 Etapes de déroulement de l’enquête
1.6.9 Test de l’outil de recueil des données
1.6.10 Traitement des données
1.6.11 Analyse des résultats
1.7 Cadre conceptuel
1.7.1 La posture professionnelle
1.7.2 L’humour
1.7.3 La relation soignant-soigné
1.7.4 Problématisation théorique
2 Matériel et Méthode
2.1 Choix de la méthode
2.2 Population ciblée pour la recherche
2.3 Site d’exploration pour la recherche
2.4 Choix et construction de l’outil théorisé de recueil des données
2.4.1 Choix de l’outil théorisé de recueil des données
2.4.2 Biais de l’outil théorisé de recueil des données
2.4.3 Construction de l’outil théorisé de recueil des données
2.5 Déroulement de la recherche
2.5.1 Tests du dispositif de recherche
2.5.2 Passation des entretiens
2.6 Choix des outils de traitement des données
3 Résultats
3.1 Présentation des personnes interrogées
3.2 Analyse verticale
3.3 Analyse horizontale
4 Discussion
4.1 Eléments de réponses à la question/l’objet de recherche
4.2 Interprétation des résultats
4.2.1 Interprétation en lien avec la revue de littérature
4.2.2 Interprétation en lien avec le cadre conceptuel
4.3 Discussion autour des résultats et critique du dispositif de recherche
4.4 Apports, intérêts et limites des résultats
4.5 Proposition de transférabilité pour la pratique professionnelle
4.6 Perspectives de recherche à partir des résultats et ouverture vers une nouvelle question de recherche
Références bibliographiques
Annexes