Impact de l’irradiation neutronique sur le milieu primaire : radiolyse

Impact de l’irradiation neutronique sur le milieu primaire : radiolyse 

Le premier milieu traversé par les neutrons est l’eau du milieu primaire. L’interaction des neutrons avec l’eau du milieu primaire entraine la radiolyse de celle-ci et participe à la formation de différentes espèces : des radicaux (eaq, H•, OH•, HO2•) et des molécules (H2O2, H2, O2) pouvant être oxydants ou réducteurs. Ce phénomène peut induire une variation du potentiel électrochimique du milieu. En effet, l’apport d’espèces oxydantes dans le milieu peut mener à une élévation du potentiel de corrosion et ainsi accroître la sensibilité à la Corrosion Sous Contrainte (CSC) des composants internes de cuve [10]. Dans les REP, la présence d’hydrogène dissous dans le milieu primaire favorise la formation par radiolyse d’espèces réductrices, contrairement aux Réacteurs à Eau Bouillante (REB), dans lesquels ce problème est de plus grande importance [11].

Impact sur le matériau

Interactions particule/particule 

Au cours du fonctionnement d’un REP, dans les pièces en acier inoxydable proches du cœur du réacteur, les neutrons produits par la réaction de fission de l’uranium entrent en collision avec les atomes de l’alliage via différents types d’interactions :
– des réactions nucléaires,
– des interactions élastiques,
– des interactions inélastiques.

Lors d’une réaction nucléaire, un neutron incident entre en collision avec le noyau d’un atome de l’alliage. Suivant l’atome cible, cette collision peut engendrer une réaction de transmutation, modifiant la nature de l’atome cible et peut mener à la formation d’hélium. C’est le cas pour les aciers inoxydables, avec des collisions entre les neutrons et les atomes de bore et de nickel .

L’hélium produit, peu soluble dans l’acier, peut s’accumuler au niveau de cavités formées par l’irradiation et donner naissance à des bulles d’hélium sous pression, pouvant contribuer au phénomène de gonflement du matériau. Ces réactions de transmutation sont la conséquence de collisions avec des neutrons de faible énergie, dits neutrons thermiques (≤ eV). Les neutrons de plus forte énergie (> 1 MeV) peuvent produire, quant à eux, des atomes d’hydrogène par réaction de transmutation.

Les interactions inélastiques correspondent à l’absorption d’un neutron par un atome de l’alliage, qui se trouve ainsi dans un état excité. Celui-ci émet alors un autre neutron et, afin de retourner à un état d’équilibre, un ou plusieurs photons γ, menant à un échauffement localisé du matériau.

Enfin, dans le cadre d’interactions élastiques, lorsqu’un neutron entre en collision avec un atome du réseau, il lui transmet une partie de son énergie cinétique. Si celle-ci est inférieure à l’énergie limite de déplacement (Ed ≈ 0,4 eV pour le fer), l’atome vibre autour de sa position d’équilibre. Si elle est supérieure, l’atome est éjecté de sa position initiale dans le réseau cristallin. Il laisse derrière lui une lacune et entraine la formation d’une paire lacune-interstitiel, dite paire de Frenkel [10]. Le premier atome éjecté est appelé Primary Knock-on Atom (PKA). Il entre ensuite en collision avec d’autres atomes du réseau et a encore souvent assez d’énergie pour créer de nouvelles paires de Frenkel, ce qui conduit à une cascade de collisions. Ces réactions sont extrêmement rapides (Tableau 2) ce qui ne permet pas de les observer expérimentalement.

La plupart de ces défauts ponctuels s’élimine en se recombinant. Pour le reste, une partie peut migrer jusqu’à des puits de défauts, comme les interfaces par exemple, et ainsi induire des phénomènes de ségrégation intergranulaire due à l’irradiation [10]. L’autre partie peut coalescer pour former des agrégats de quelques lacunes ou interstitiels à l’origine des différents défauts microstructuraux, tels que les black dots, les boucles de dislocation et les cavités. Ceux-ci peuvent conduire à la modification des propriétés mécaniques du matériau.

Modifications de la microstructure 

Blacks dots et boucles de dislocation
Les « black dots » sont des défauts caractéristiques de l’irradiation à faible température (< 300- 350 °C) et à faible dose. Ce sont des amas de défauts ponctuels qui apparaissent par Microscopie Electronique en Transmission (MET) sous forme de points noirs, d’où leur nom. Il s’agirait de très petites boucles de dislocation [24–27] ou de petits amas de lacunes [28] mais leur taille, inférieure à 2-3 nm, ne permet pas de déterminer avec certitude leur nature.

Les boucles de dislocation formées par irradiation aux neutrons sont des boucles fautées sessiles , dites boucles de Frank. Celles-ci se forment directement, à partir de la cascade de collisions, dans les plans {111} dans un cristal cubique à faces centrées (cfc) et ont pour vecteur de Burgers b = a/3 <111>. D’après plusieurs études [24,25,29], il s’agit uniquement de boucles de dislocations de type interstitiel. Bruemmer et al. [14] expliquent ceci par la mobilité plus importante des interstitiels par rapport aux lacunes. Ceux-ci seraient donc capables de former de plus gros agrégats à l’origine de boucles de dislocation de taille plus importante (> 4-5 nm). Edwards et al. [26] suggèrent plutôt un mélange de boucles de type interstitiel et lacunaire, au moins pour des boucles de Frank allant jusqu’à 10 nm.

Au-delà de ces températures, la chute du nombre de boucles s’accompagne d’une augmentation de leur taille jusqu’à ce qu’elles se défautent pour former des boucles de dislocation parfaites et glissiles de moindre énergie [14,31].

Un autre facteur ayant une influence sur les populations de boucles de Frank est la dose d’irradiation. En effet, à une température donnée, la taille des boucles augmente avec celle-ci jusqu’à atteindre une saturation autour de 5 dpa. Pour des températures d’irradiation comparables à celles existant dans les REP, la taille moyenne à saturation est d’environ 9-10 nm [14,26]. La densité des boucles est également impactée par la dose d’irradiation puisqu’on observe ici aussi une augmentation du nombre de boucles avec la dose puis une saturation à partir d’environ 1 dpa. On obtient alors une densité de boucles de Frank comprise entre 10²² et 10²³ m-3 [14,26,27]. L’évolution de ces deux paramètres est illustrée sur la Figure 7 [26].

De plus, certains éléments d’alliage peuvent également affecter la population de boucles de Frank. Par exemple, le phosphore, le titane et le niobium ont tendance à augmenter leur densité tout en réduisant leur taille [14].

Cavités
En plus de la formation de boucles de dislocation, les amas de lacunes induits par l’irradiation entrainent la formation de cavités. Celles-ci peuvent grossir par absorption d’autres lacunes ou rétrécir par émission de lacunes ou absorption d’interstitiels. Si ces cavités contiennent un gaz dont la pression est suffisante (supérieure à la tension de surface de la cavité), on les appelle des bulles. Le gaz, comme l’hélium provenant des réactions de transmutation par exemple, stabilise les petites cavités. Cavités et bulles peuvent coexister mais sur une plage de température qui dépend fortement du rapport He/dpa, du débit de dose (dpa.s-1) et de la composition de l’alliage [31].

La dose d’irradiation ainsi que le débit de dose ont également un impact sur la population de cavités. Plus la dose est importante, plus la densité de cavités est importante. De plus, Allen et al. et Okita et al. [32,33] ont montré, pour des aciers austénitiques Fe-Cr-Ni irradiés en réacteur à neutrons rapides autour de 400 °C, que la densité des cavités et leur taille augmentent en diminuant le débit de dose. En effet, un faible débit de dose promouvrait la germination et la croissance des cavités.

Modifications chimiques

Ségrégation induite par l’irradiation (RIS)
La production de défauts ponctuels par irradiation et leur migration vers des puits de défauts conduisent à des phénomènes de ségrégation induite par l’irradiation (en anglais, RIS pour RadiationInduced Segregation). Deux mécanismes de RIS, décrits plus bas, ont été particulièrement mis en avant dans la littérature [10,14,34] :
– l’effet Kirkendall inverse,
– l’association d’interstitiels.

L’effet Kirkendall inverse
Ce mécanisme de RIS est de type lacunaire. Les lacunes induites par l’irradiation migrant, pour des raisons énergétiques, vers un puits de défauts (comme un joint de grains par exemple) entraînent un flux contraire et égal d’atomes depuis ce puits vers la matrice (Figure 9-a)). Certains éléments migrent plus rapidement que d’autres via les lacunes ce qui provoque un appauvrissement de ceux-ci au niveau du puits, et inversement. Pour un acier inoxydable austénitiques, on retrouve ainsi un enrichissement en Ni et des appauvrissements en Fe et Cr aux joints de grains.

Le mécanisme d’association d’interstitiels
Ce deuxième mécanisme est basé sur des interactions élastiques entre un atome de l’alliage et un interstitiel qui créent ainsi des complexes « soluté-interstitiel ». Ce mécanisme s’applique particulièrement aux éléments de petite taille comme Si et P, plus prompts à se lier avec les interstitiels. Ces derniers migrent vers un puits de défauts en entrainant les solutés (Figure 9-b)). Au niveau du puits, les défauts s’éliminent, conduisant ainsi à un enrichissement local en soluté.

Pour Allen et al. [35], le mécanisme prédominant dans les phénomènes de RIS est de type lacunaire par effet Kirkendall inverse ce qu’ils ont démontré en analysant 7 nuances différentes d’aciers Fe-CrNi irradiés aux protons.

La ségrégation induite par l’irradiation n’a pas une évolution linéaire avec la température. En effet, d’après Was [10], pour une faible température d’irradiation, la faible mobilité des lacunes créées par l’irradiation induit une concentration importante de celles-ci dans le matériau ce qui va rendre prédominant le phénomène de recombinaison des défauts. Ceci va diminuer le flux de défauts vers les puits, et ainsi, ne pas donner lieu à une ségrégation particulière. En revanche, lorsqu’on augmente la température d’irradiation, la mobilité des défauts augmente ce qui va permettre à ceuxci de migrer rapidement depuis leur point d’origine vers des puits de défauts entrainant une diminution de leur concentration dans l’alliage à un temps t et donc de leur vitesse de recombinaison. Le flux de défauts vers les puits est ainsi plus important et conduit à une ségrégation marquée. Enfin à haute température, la forte concentration en lacunes thermiques induit une vitesse de diffusion des éléments d’alliages élevée et donc la possibilité d’une réhomogénéisation de la composition chimique par « rétro-diffusion » des éléments d’alliages ségrégés du fait du gradient de concentration. La présence des lacunes thermiques entraine également une vitesse de recombinaison élevée et donc une diminution des flux de défauts vers les puits. Ces deux phénomènes combinés mènent à la diminution de la ségrégation au niveau des puits de défauts à haute température.

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Table des matières

Introduction
I. Revue bibliographique
I.1. Effets de l’irradiation
I.1.a. Impact de l’irradiation neutronique sur le milieu primaire : radiolyse
I.1.b. Impact sur le matériau
I.1.b.i. Interactions particule/particule
I.1.b.ii. Modifications de la microstructure
I.1.b.iii. Modifications chimiques
I.1.c. Utilisation de l’implantation ionique pour simuler l’irradiation neutronique
I.1.d. Bilan
I.2. Oxydation des aciers inoxydables austénitiques en milieu primaire nominal
I.2.a. Oxydation des aciers inoxydables austénitiques non irradiés
I.2.a.i. Nature de l’oxyde
I.2.a.ii. Mécanismes de croissance de l’oxyde duplex
I.2.a.iii. Influence des paramètres environnementaux et matériaux
I.2.b. Influence de l’implantation ionique
I.2.c. Bilan
I.3. Interactions hydrogène-matériau
I.3.a. Rôle de l’hydrogène dans l’endommagement des matériaux
I.3.a.i. Mécanismes de fragilisation par l’hydrogène (basse température)
I.3.a.ii. Influence de l’hydrogène dans la CSC / l’IASCC (haute température)
I.3.b. Utilisation des traceurs isotopiques pour étudier les interactions hydrogène – matériau
I.3.c. Prise d’hydrogène au cours de l’oxydation en milieu primaire
I.3.c.i. Absorption de l’hydrogène et son origine
I.3.c.ii. Diffusion de l’hydrogène dans l’oxyde
I.3.c.iii. Accumulation d’hydrogène dans l’alliage sous l’oxyde
I.3.d. Diffusion de l’hydrogène
I.3.e. Piégeage de l’hydrogène
I.3.e.i. Principe
I.3.e.ii. Nature des sites de piégeage
I.3.e.iii. Application aux matériaux irradiés
I.3.f. Simulation des interactions hydrogène – matériaux
I.3.f.i. Principe du modèle de McNabb et Foster
I.3.f.ii. Modèle numérique
I.3.g. Bilan
I.4. Conclusion
II. Elaboration et Caractérisation des Matériaux de l’étude
II.1. Matériau initial : état de réception
II.2. Matériau de référence
II.3. Matériaux implantés aux ions
II.3.a. Méthodes de caractérisation des défauts induits par l’implantation ionique
II.3.a.i. Caractérisation des boucles de dislocation
II.3.a.ii. Caractérisation des cavités
II.3.b. Matériaux implantés à JANNuS-Saclay
II.3.b.i. Présentation de l’installation et des conditions expérimentales
II.3.b.ii. Microstructure du matériau implanté JANNuS 1
II.3.b.iii. Microstructure du matériau implanté JANNuS 2
II.3.c. Matériaux implantés à l’Institut de Physique Nucléaire de Lyon (IPNL)
II.3.d. Effet de l’implantation ionique sur la couche d’oxyde native de l’acier 316L
II.4. Grenaillage de précontrainte
II.5. Bilan
III. Etude des interactions Hydrogène – Défauts d’implantation
III.1. Techniques expérimentales mises en œuvre
III.1.a. Conditions de chargement cathodique
III.1.b. Analyse du deutérium par Spectrométrie de Désorption Thermique (TDS)
III.1.c. Profils de concentration par Spectrométrie de Masse des Ions Secondaires (SIMS)
III.2. Choix des conditions expérimentales par la simulation
III.2.a. Principe du modèle de résolution numérique des équations de McNabb et Foster
III.2.b. Identification des données d’entrée du modèle
III.2.b.i. Identification du coefficient de diffusion du deutérium dans l’acier étudié
III.2.b.ii. Détermination d’une densité et d’une répartition de pièges représentatives de l’implantation ionique
III.2.c. Choix des conditions de chargement et de vieillissement des échantillons pour passage au SIMS
III.2.d. Bilan
III.3. Mise en évidence expérimentale du piégeage de deutérium par les défauts induits par l’implantation ionique grâce au SIMS
III.3.a. Matériau de référence et deutérium interstitiel
III.3.b. Matériaux implantés
III.3.b.i. Matériau JANNuS 1
III.3.b.ii. Matériau JANNuS 2
III.3.b.iii. Matériaux IPNL
III.3.c. Bilan
III.4. Simulation de la diffusion et du piégeage du deutérium dans l’acier 316L étudié
III.4.a. Optimisation du coefficient de diffusion du deutérium dans l’acier étudié
III.4.b. Défauts d’irradiation : quels sont les sites de piégeage majoritaires pour l’hydrogène ?
III.4.b.i. Estimation de la distribution en densité de pièges associée aux boucles de dislocation et aux cavités
III.4.b.ii. Simulation des profils de concentration du deutérium obtenus sur les matériaux implantés JANNuS par SIMS
III.4.c. Bilan
III.5. Discussion
III.5.a. Effet de la température d’implantation de 500 °C sur les profils SIMS du deutérium
III.5.b. Intensité des signaux de deutérium obtenus par SIMS sur les matériaux de référence et implantés
III.5.c. Piégeage du deutérium dans les cavités
III.5.c.i. Estimation de l’énergie de dépiégeage Ep
III.5.c.ii. Sous quelle forme est piégé le deutérium dans les cavités ?
III.5.c.iii. Estimation de la quantité de deutérium piégé dans les cavités
III.5.c.iv. Etude énergétique des étapes de dépiégeage de l’hydrogène au niveau d’une cavité
III.6. Bilan
Conclusion

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