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L’INTENSITE D’USAGE DES SOLS
L’intensité1 d’usage des sols est liée au processus d’industrialisation agricole, qui par effet domino a conduit à l’intensification urbaine et forestière. L’intensification est également souvent employée mais ce terme implique une temporalité, une action durable, une intensité d’usage des sols sur le long terme. En effet, l’intensification indique un processus temporel tandis que l’intensité désigne l’état à un temps donné. Puisque je n’utilise pas de séries temporelles, j’utiliserai le terme « intensité » plutôt que « intensification » dans le reste du manuscrit. Cependant, la définition et la manière d’aborder l’intensité d’usage des sols varie selon l’expérience ou le champ disciplinaire (géographie, anthropologie, politique, écologie) de chacun (Encadré 1), ce qui entrave la conceptualisation et la normalisation de l’intensité d’usage des sols. De plus, les approches traditionnelles n’examinent qu’une fraction simplifiée des différents aspects de cette intensité au lieu de regarder la multi-dimensionalité du processus dans un système complexe. Elles se concentrent sur le milieu agricole à défaut des autres milieux (urbains, forestiers) qui sont souvent ignorés, de même que des pratiques managériales non conventionnelles (comme la fertilisation des forêts) par exemple (Erb et al., 2013). Ces raisons, en partie, expliquent le manque de données globales liées à l’intensité d’usage des sols.
Un cadre est nécessaire pour considérer sa nature multi-dimensionnelle : la détermination de l’intensité d’usage des sols doit intégrer le système de production comme un système socio-écologique ayant des propriétés biophysiques (sol, climat, topographie) mais également socio-économiques (institutions, population, politiques). La production regroupe toutes les combinaisons qui permettent la création de produits à partir d’intrants via les propriétés du système (Figure I-2), résumée selon le concept développé par Erb et al.(2013) et Kuemmerle et al.(2013) en trois dimensions :
– L’intensité des intrants, par exemple la quantité de fertilisants, la fréquence des cultures, le temps de rotation
– L’intensité des extrants, comme les rendements, la productivité du capital ou les ratios résidus/abattage en foresterie
– L’intensité liée au système de production, par exemple les écarts de rendements (réel/potentiel), la configuration spatiale paysagère (éléments semi-naturels), la gestion des feux maitrisés, etc.
Le tableau I-1, ci-après, résume tous les types d’indices d’intensité d’usage des sols existants dans la littérature, regroupés par dimension. Seule une minorité repose sur une perspective intégrative comme celle proposée ci-dessus. Les écoles traditionnelles de pensées estiment que l’intensité se mesure avec la quantité d’intrants que l’on injecte dans le système. Historiquement cela s’ensuit d’une augmentation et une simplification de la rotation culturale, et d’une attention accrue aux capitaux employés (fertilisant, pesticides) et aux types de labours (Boserup, 1965; Brookfield, 1972). A l’inverse, d’autres écoles de pensées s’intéressent exclusivement à la quantité d’extrants par unité de surface et de temps (Hunt, 2000; Turner and Doolittle, 1978). Mais les méthodologies de tels indicateurs peuvent être très diverses, liées à la masse produite, à l’énergie, à la valeur calorifique ou monétaire. De plus, les rendements produits peuvent être très différents selon le système de rotation, le climat, la composition du sol et l’histoire du site. Les comparaisons ou interprétations à large échelle sont alors problématiques. Un troisième type d’école de pensée place quant à lui les altérations du système au centre du concept d’intensité d’usage (Keys and McConnell, 2005; Tscharntke et al., 2005). Bien qu’essentielle à la dynamique du système, l’intensité ne peut se résumer à la capacité de stockage du carbone ou la bonne rétention de l’eau. D’où l’importance de la prise en compte du système à travers une vision plus intégratrice de l’intensité. Seuls quelques exemples empiriques font preuve d’une telle vision intégrative : au niveau de la production agricole, l’évaluation du cycle de vie (life cycle assessment, LCA) a été développée pour évaluer les impacts environnementaux de la chaine de production (Milà Canals et al., 2007). Non limité au système agricole, le concept de l’empreinte carbone quantifie les émissions de carbone liées à la consommation finale des produits (Hertwich and Peters, 2009), ou encore l’évaluation des pressions environnementales associées à la production de biomasse permise par le concept du HANPP (Human Appropriation of Net Primary Production) (Erb et al., 2009).
LA PRODUCTIVITE : DEUX VOIES D’ENERGIE POSSIBLES
L’énergie est donc un paramètre clé pour comprendre les patrons de distribution. Cependant, il existe de nombreuses définitions de « l’énergie » dans la littérature (Clarke and Gaston, 2006). Trois formes d’énergie ont été initialement répertoriées en fonction de leur façon d’influencer les patrons de diversité :
– Les radiations, ou rayonnement photosynthétique, qui représente une fraction du spectre visible entre 400 et 700nm
– L’énergie chimique, ou l’énergie libre de Gibbs, qui est libérée lors des réactions chimiques d’oxydo-réduction du métabolisme
– L’énergie thermique, plus communément appelée température, qui détermine le climat avec d’autres facteurs
En parallèle, d’autres auteurs ont proposé de distinguer l’énergie solaire (thermique) de l’énergie productive (chimique) (Evans et al., 2005b; Rodríguez et al., 2005), ou encore l’énergie cinétique (radiation et thermique) et l’énergie potentielle (chimique) (Haynie, 2001).
Selon Clarke & Gaston (2006), la température n’est pas une énergie en soit mais simplement une mesure de la tendance d’un corps à gagner ou perdre de la chaleur selon les lois de la thermodynamique. La température servirait à médier les deux principales voies énergétiques, les radiations et l’énergie chimique, à travers les relations indirectes aux patrons de biodiversité.
L’ENERGIE SOLAIRE
Les radiations ne concerneraient directement que les producteurs primaires. Le rayonnement photosynthétique, plus simplement la lumière, est une ressource fondamentale pour ces organismes autotrophes. Grâce aux photons et la photosynthèse, les producteurs primaires absorbent les radiations lumineuses essentielles à leur métabolisme, permettant ainsi la synthèse de tissus organiques, appelée production primaire brute (Figure I-3).
Les producteurs primaires n’ayant pas besoin uniquement de lumière, la relation entre énergie solaire et diversité est indirecte et fortement influencée par les variations des disponibilités hydrique et thermique. Ainsi, différents estimateurs de cette énergie solaire sont envisagés, notamment grâce à des corrélations très fortes avec la température, les radiations, ou encore l’évapotranspiration potentielle.
L’ENERGIE CHIMIQUE OU PRODUCTIVE
Les tissus organiques des producteurs primaires sont à la base de l’énergie chimique. Plus précisément, c’est l’énergie qui est retenue dans les liaisons covalentes des composés réduits carbonés. Le catabolisme du métabolisme intermédiaire produit des molécules énergétiques de type ATP et NADPH qui seront utilisées pour produire de nouveaux tissus et de la biomasse. C’est cette énergie chimique qui est utilisée par les consommateurs primaires puis par les autres hétérotrophes tout le long du réseau trophique (Figure I-3).
L’énergie productive, l’autre appellation de l’énergie chimique, mesure l’énergie disponible pour la biodiversité qui est transformée en biomasse. C’est l’énergie incorporée dans tous les mécanismes causaux qui peut expliquer la relation espèce-énergie.
L’évapotranspiration réelle, en combinant à la fois la disponibilité en eau et la température peut être un estimateur de cette énergie productive. C’est la quantité d’eau qui s’évapore du sol et des producteurs primaires lorsque le sol est à son taux d’humidité naturel sur un site donné. Un inconvénient majeur est que les communautés de producteurs primaires peuvent elles-mêmes réguler cette évaporation réelle et conduire à un raisonnement circulaire.
LA PRODUCTIVITE PRIMAIRE NETTE
A l’échelle d’un écosystème, toute chaine trophique est largement dépendante de la productivité primaire, et plus précisément la productivité primaire nette. La production primaire nette (net primary productivity ou NPP) serait donc un estimateur approprié pour étudier la relation espèce-énergie. Il peut être difficile d’obtenir cette donnée pour la zone géographique et la résolution voulues. Le tableau I-2 ci-après présente les différents types d’estimateurs existants pour mesurer cette NPP avec leurs avantages et inconvénients.
UNE BIODIVERSITE EN ETROITE RELATION AVEC L’ENERGIE
Historiquement, le concept de biodiversité est lié à une vision de protection de la nature. Reconnue comme étant un enjeu majeur (Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992 et Convention sur la Diversité biologique). La prise de conscience de son érosion et des enjeux associés à sa conservation a conduit à l’établissement d’une définition commune de la biodiversité incluant ses trois niveaux d’organisation (le gène, l’espèce, l’écosystème) et les interactions entre ces niveaux. Chacune de ces composantes est étroitement liée à l’énergie.
LA BIODIVERSITE DANS LE CONTEXTE DE LA RELATION ESPECE-ENERGIE
Plusieurs hypothèses existent pour expliquer cette SER (species energy relationship), également connue sous le nom de « diversité-énergie » et « productivité-diversité ». Elle est aussi liée à l’hypothèse du «more individuals hypothesis » (MIH, Currie et al., 2004; Srivastava and Lawton, 1998). La majeure partie des études se sont focalisées sur deux descripteurs de la composante « espèce » : la richesse et l’abondance spécifique. Les descripteurs de la composante « énergie » sont beaucoup plus nombreux. Il y a eu une complexité et une diversité des approches utilisées ne garantissant pas forcément une convergence des résultats.
L’HYPOTHESE MIH (« MORE INDIVIDUALS HYPOTHESIS »)
La relation « diversité-espèce » repose sur l’hypothèse que l’énergie disponible est similaire à un flux de ressources qui détermine le nombre d’individus (Figure I-6). Une augmentation des ressources va permettre à un plus grand nombre d’individus de persister. L’augmentation des tailles de population, via les dynamiques de population et une diminution de la probabilité d’extinction, va permettre de soutenir un plus grand nombre d’espèces au sein de la communauté (Gaston, 2000). L’hypothèse du « plus d’individus » (more individuals hypothesis, MIH, Srivastava & Lawton, 1998), ou « énergie-abondance » sous-tend donc la relation espèce-énergie. Cependant, l’énergie peut impacter la richesse spécifique de plusieurs façons et pas exclusivement à travers le nombre d’individus (Evans et al., 2005b).
IMPACT DE L’INTENSIFICATION AGRICOLE SUR LA BIODIVERSITE
Cette prise de conscience scientifique et publique n’est pas récente et les effets négatifs pour la biodiversité liés à l’agriculture, aux pesticides et à la pollution ont été dénoncés dès les années 70 notamment à travers l’ouvrage Le printemps silencieux de Rachel Carson (1962). Plus récemment, un ensemble de scientifiques ont joué les lanceurs d’alertes à travers une tribune intitulée « Le printemps 2018 s’annonce silencieux dans les campagnes françaises », en écho au best-seller de Rachel Carson. Cette tribune, relayée par le Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) et le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), visait à dénoncer l’effet de l’intensification des pratiques agricoles sur la biodiversité suite aux résultats de deux réseaux d’observation d’envergure nationale (STOC et Zone atelier « Plaine & Val de Sèvre »).
L’intensité d’usage des sols agricoles peut se traduire de différentes manières : par une déstructuration et un épuisement du sol en terme de nutriments et donc en vie microbienne, et invertébrée (Tsiafouli et al., 2014), par une simplification du paysage augmentant la surface et la gestion mécanique agricole, par une pollution aux pesticides, empoisonnant la biodiversité environnante (terrestre, souterraine et aquatique), par un appauvrissement de la diversité génétique, animale comme végétale, due à la sélection d’espèces ciblées pour une certaine caractéristique fonctionnelle (production de lait, de masse musculaire, monoculture avec espèces à croissance rapide), etc. L’intensité d’usage des sols a conduit la biodiversité apprivoisée et sauvage à un fort déclin en termes de diversité génétique, spécifique et fonctionnelle, et ce, pour de nombreux taxons, souvent auxiliaires de cultures. Ce déclin est retrouvé chez les plantes (Abadie et al., 2011) ; les arthropodes (Birkhofer et al., 2015; Gámez-Virués et al., 2015) ; les lépidoptères (Ekroos et al., 2010) ; les insectes volants plus généralement (Hallmann et al., 2017) ; les amphibiens (Jeliazkov et al., 2014) ; les chiroptères (Wickramasinghe et al., 2003) ; ou encore les oiseaux (Donald et al., 2001). D’une manière générale, l’intensité d’usage des sols provoque une perte de diversité fonctionnelle via une homogénéisation biotique, c’est-à-dire des communautés similaires d’espèces ubiquistes et non spécialistes à un type de milieux (Allan et al., 2015; Flohre et al., 2011; Flynn et al., 2009; Gossner et al., 2016).
L’UTILISATION DE GROUPES TAXONOMIQUES INDICATEURS DE BIODIVERSITE ISSUS DES SCIENCES PARTICIPATIVES
Le terme « indicateur de biodiversité » revêt de nombreuses définitions (Butchart et al., 2010; Levrel et al., 2010). Il est employé ici dans le cadre de réponses de groupes taxonomiques qui se veulent une estimation intégrative de l’état de la biodiversité, face à des pressions environnementales, notamment d’origine anthropiques. De tels indicateurs doivent donc être à la fois sensibles (c’est-à-dire refléter les changements étudiés), robustes scientifiquement (représentatifs, répétables) et facilement compréhensibles et appréhendables. Les messages de ces indicateurs sont d’autant plus généralisables et informatifs que i) ces indicateurs sont implémentés de manière standardisée à large échelle spatiale et temporelle, autorisant ainsi de multiples comparaisons le long des gradients environnementaux, et donc la hiérarchisation des pressions en termes d’impacts sur la biodiversité et ii) qu’ils concernent les réponses de différentes espèces, en interaction. Parmi les observatoires de biodiversité offrant de telles comparaisons possibles, les observatoires basés sur des programmes de sciences participatives de suivis nationaux standardisés des espèces communes occupent une place particulière du fait de la qualité et de la quantité des données standardisées accumulées. Les réponses de ces types d’indicateurs à ces pressions aident, par exemple à évaluer l’impact de l’intensité d’usage des sols. Ils peuvent constituer des outils d’aide à la décision à destination des décideurs politiques pour, par exemple, hiérarchiser les priorités d’actions de protection de la biodiversité. Ils sont aussi utiles pour sensibiliser le grand public, d’autant plus si ce dernier s’est impliqué.
L’INTERET DES RESEAUX D’OBSERVATION
L’intérêt, dans le cadre de ce manuscrit, est de pouvoir disposer des données autorisant des comparaisons à large échelle, c’est-à-dire le long de gradient de HANPP par exemple, permettant, à travers les comparaisons possibles, d’appréhender les réponses de la biodiversité à cette pression, et de les hiérarchiser, relativement à d’autres. Cela est rendu possible grâce la disposition de larges jeux de données standardisés, à large échelle, collectés grâce aux programmes de sciences participatives. Les sciences participatives sont d’une aide précieuse dans de nombreux domaines (médecine, astronomie, etc.) et notamment en écologie. Les sciences participatives regroupent « des formes de production de connaissances scientifiques auxquelles des acteurs non-scientifiques-professionnels – qu’il s’agisse d’individus ou de groupes – participent de façon active et délibérée » (François Houllier, directeur de l’INRA, 2016). C’est une collaboration bénévole du public dans le cadre d’une démarche scientifique protocolée (Bonney et al., 2009). Devant l’engouement citoyen, les sciences participatives sont en plein essor, ayant le double avantage de sensibiliser le public aux problématiques des changements globaux et d’intensité d’usage des sols, mais également de récolter une grande quantité de données tant spatialement que temporellement pour ainsi mettre en lumière l’état et les tendances de la biodiversité à travers des indicateurs (Silvertown, 2009), de faire des analyses corrélatives pour comprendre les impacts du changements globaux (Balmford et al., 2005). La plateforme de sciences participatives Vigie-Nature, portée par le Muséum National d’Histoire Naturelle, focalise sur des programmes étudiant des groupes d’espèces communes, plus à même d’être des indicateurs de l’état de la biodiversité que des espèces rares, ou charismatiques, qui sont plus sensibles aux phénomènes stochastiques.
LES MODELES BIOLOGIQUES
Le choix de modèles biologiques adéquats repose sur l’hypothèse que la réponse de ces espèces sera (au moins partiellement) valable pour d’autres espèces. L’effet de l’intensité d’usage des sols est documenté pour un certain nombre de taxons. Sensibles aux modifications du paysage, à certaines facettes de l’intensification (Mathews et al., 2015), et étant des groupes extrêmement diversifiés parmi les vertébrés et placés à un haut niveau du réseau trophique, les chiroptères et les oiseaux sont ainsi des modèles judicieux pour étudier l’effet de l’appropriation de l’énergie sur la biodiversité (chiroptères : Treitler et al., (2016); Voigt and Kingston (2016); oiseaux : Jetz et al. (2007); Jiguet et al. (2007)). Fournisseurs de services écosystémiques importants et complémentaires (Kunz et al., 2011; Whelan et al., 2008), ces deux groupes de vertébrés connaissent actuellement un fort déclin du fait des activités humaines (rapport de l’Observatoire National de la Biodiversité, 2018).
LES CHIROPTERES
DE BONS MODELES BIOLOGIQUES
Par leur position haute dans le réseau trophique, leur nombre d’espèces, et le suivi standardisé de leurs abondances (grâce au développement de technologies basées sur l’acoustique), les chiroptères représentent de bons indicateurs de l’état écologique des milieux naturels. C’est le groupe le plus diversifié en termes d’espèces parmi les mammifères, et le seul volant. En France métropolitaine, 34 espèces sont présentes parmi les 36 représentées en Europe. Toutes insectivores, ces espèces sont néanmoins différentes en termes de masse, dans leur choix de type de proies, de méthodes de chasse, ce qui rend possible la détection de réponses différentes selon ces traits et de proposer des mécanismes à la base des tendances de populations et communautés. Les avancées technologiques ont permis des suivis nocturnes à large échelle, comme par exemple le programme participatif Vigie-Chiro (Kerbiriou et al., 2014), utile à la fois pour la production d’indicateurs de tendance de population (Figure I-8) à l’échelle nationale, mais également la comparaison de situations environnementales différentes. Les espèces communes de chiroptères connaissent également un fort déclin ces dernières années avec une diminution estimée à environ 40% des effectifs de chiroptères en 10 ans sur le territoire métropolitain (Figure I-8) qui peut s’expliquer par de multiples facteurs (disparition de gîtes, dérangement durant l’hibernation et/ou la reproduction, produits chimiques, modifications du paysage). Ces espèces sont très sensibles à l’altération des écosystèmes dans lesquels elles vivent : les chiroptères sont donc de bonnes espèces indicatrices de l’état de la biodiversité.
EFFETS DOCUMENTES DE L’INTENSITE
Une majeure partie des facteurs impactant les populations de chiroptères peuvent être imputables à l’intensité d’usage des sols, urbains comme agricoles (Azam et al., 2016). Etant insectivores, les chiroptères sont sensibles à l’accumulation des pesticides et autres toxines employées, et la diminution de leurs abondances peut refléter des diminutions dans les populations d’arthropodes dont ils se nourrissent (Jones et al., 2009), en milieux agricoles (Wickramasinghe et al., 2004; Williams-Guillén et al., 2016) ou urbains (Jung and Threlfall, 2016; Russo and Ancillotto, 2014). Néanmoins, certaines études ont montré que, plus que l’intensité d’usages des sols, c’est la matrice paysagère environnante, et notamment la présence d’éléments forestiers qui influerait le plus sur la diversité et la composition en espèces des communautés de chiroptères (Fuentes-Montemayor et al., 2013; Treitler et al., 2016).
Les rares études qui se sont intéressées aux réponses des chiroptères face à l’intensité d’usage des sols ont montré une perte de diversité taxonomique, fonctionnelle et phylogénétique (Pereira et al., 2018). Une perte de diversité fonctionnelle a également été observée, traduite par une relation négative entre différents types de cultures et les facettes de diversité fonctionnelle (richesse, régularité, divergence) (Wordley et al., 2017). Ces deux études sont focalisées sur des chiroptères néotropicaux (entre 16 et 64 espèces), présentant une plus grande diversité de traits, notamment de régimes alimentaires, que les chiroptères européens et métropolitains, tous insectivores. Enfin, il a été montré que la masse des chauves-souris était également impactée négativement par l’intensification (pratiques culturales : Wordley et al. (2017); fragmentation : Farneda et al. (2015)).
HYPOTHESES ET MECANISMES SUPPOSES
On peut donc supposer que les pratiques culturales exercent un filtrage des communautés (Wordley et al., 2017) en diminuant à la fois richesse, abondance et diversité fonctionnelle. Lors des suivis, la détectabilité des chiroptères est directement liée à leur activité de chasse. Ainsi, dans le cadre de la relation « espèce-énergie » et de l’usage des sols, on peut s’attendre à un filtrage des communautés imposé par la disponibilité des populations de proies, quel que soit le milieu, et, particulièrement exacerbé pour le milieu agricole.
La figure I-10 présente les différentes relations attendues entre biodiversité et d’intensité d’usage des sols (flèche verte : relations concernées par les chiroptères). On suppose ainsi que, pour les chiroptères, l’effet de l’intensité, exprimé par une diminution de l’énergie disponible (NPP), se traduirait par :
– Une diminution de l’abondance globale et spécifique,
– Un plus faible nombre d’espèces.
Ce dernier point suppose qu’avec des populations plus petites, la probabilité d’extinction serait plus importante et le milieu ne serait alors plus capable d’accueillir des communautés diversifiées, d’après les théories du MIH (Srivastava and Lawton, 1998) et de la différenciation de niche (niche partitioning, (Griffin and Silliman, 2011; Hutchinson, 1959)). On peut aussi supposer que la diminution du nombre d’espèces reflète la disparition d’espèces trop sensibles à une intensification des pratiques du milieu. Dans un milieu intensif, la diminution de la ressource disponible, réduirait l’abondance et le nombre d’espèce, et un filtrage environnemental pourrait se traduire par :
– Une diminution de la masse moyenne des communautés.
En effet, dans les milieux avec moins de ressources disponibles pour la biodiversité et le plus souvent prélevées et donc instables, les espèces à cycle de vie court, donc plus petites sont favorisées. Ce mécanisme est valable autant pour les proies que leur prédateurs : on observe effectivement souvent des relations entre taille des proies et tailles des espèces prédatrices (Brose et al., 2006), la taille étant elle-même directement liée à la masse. Les besoins énergétiques des chiroptères sont connus pour être important, du fait de leur vol battu, et consommant jusqu’à 1/3 de leur poids en insectes. L’intensification diminuant la disponibilité énergétique primaire (NPP), des populations plus faibles de consommateurs primaires, leurs proies, pourraient être la cause d’un déficit alimentaire, et ainsi des espèces (échelle populationnelle) avec des besoins énergétiques moins importants, et donc avec une masse inférieure, se maintiendrait mieux que des espèces plus grandes. L’intensité d’usage des sols diminuerait donc la masse moyenne des communautés.
LES OISEAUX COMMUNS
DE BONS MODELES BIOLOGIQUES
Les oiseaux communs se trouvent à différents niveaux le long du réseau trophique et sont sensibles aux évolutions qui existent tout au long de ce réseau. Il existe une grande diversité d’espèces permettant une bonne gamme de variabilité dans la réponse de ces taxons aux changements environnementaux et une grande diversité de fonctions écologiques. Ce sont des espèces pour lesquelles des suivis à large échelle sont disponibles, comme le Suivi Temporel des Oiseaux Communs (STOC), permettant la production d’indicateurs de tendance temporelle, à l’instar de Vigie-Chiro, mais également la comparaison de situations spatiales et environnementales différentes. Les individus sont faciles à observer et ou écouter pour des ornithologues ; c’est un groupe taxonomique dont on a une relativement bonne connaissance.
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Table des matières
I. INTRODUCTION GENERALE
A. CONTEXTE GENERAL
A.1. HUMANITE, CHANGEMENTS GLOBAUX ET DECLIN DE BIODIVERSITE
A.2. LES ACTIVITES AGRICOLES, UN ENJEU MAJEUR
A.3. L’INTENSITE D’USAGE DES SOLS
B. PRODUCTION ET ENERGIE
B.1. LA PRODUCTIVITE : DEUX VOIES D’ENERGIE POSSIBLES
B.2. LA PRODUCTIVITE PRIMAIRE NETTE
B.3. LE CADRE CONCEPTUEL ET METHODOLOGIQUE D’HANPP : LIEN ENTRE ENERGIE PRODUCTIVE ET INTENSITE D’USAGE DES SOLS
C. UNE BIODIVERSITE EN ETROITE RELATION AVEC L’ENERGIE
C.1. LA BIODIVERSITE DANS LE CONTEXTE DE LA RELATION ESPECE-ENERGIE
C.2. UNE APPROCHE MULTI-DIMENSIONNELLE DE LA BIODIVERSITE
C.3. QUATRE MESURES DE LA DIVERSITE FONCTIONNELLE
D. SOUTENIR LA BIODIVERSITE MALGRE L’INTENSITE D’USAGE DES SOLS : L’EXEMPLE DE L’AGRICULTURE ?
D.1. IMPACT DE L’INTENSIFICATION AGRICOLE SUR LA BIODIVERSITE
D.2. L’UTILISATION DE GROUPES TAXONOMIQUES INDICATEURS DE BIODIVERSITE ISSUS DES SCIENCES PARTICIPATIVES
D.3. ENJEUX DE CONSERVATION DE LA BIODIVERSITE
E. STRUCTURE ET OBJECTIFS DE LA THESE
II. PRESENTATION DES JEUX DE DONNEES ET DES INDICATEURS SOLLICITES
A. ZONE D’ETUDE
B. INDICATEURS D’INTENSITE D’USAGE DES SOLS
B.1. LE CADRE CONCEPTUEL ET METHODOLOGIQUE DE HANPP
B.2. L’INDICE DU COUT D’INTRANTS PAR HECTARE
B.3. L’INDICE DE HAUTE VALEUR NATURELLE AGRICOLE
C. MODELES BIOLOGIQUES
C.1. LES SCIENCES PARTICIPATIVES ET VIGIE-NATURE
C.2. LE PROGRAMME VIGIE-CHIRO
C.3. LE PROGRAMME VIGIE-PLUME
D. APPROCHES TAXONOMIQUE ET FONCTIONNELLE DE LA BIODIVERSITE
D.1. INDICE AU NIVEAU DES ESPECES
D.2. INDICES AU NIVEAU DE LA COMMUNAUTE
III. VERS UNE MEILLEURE APPREHENSION DU CADRE CONCEPTUEL D’HANPP ET DES DIMENSIONS DE L’INTENSITE
A. CONTEXTE
B. OBJECTIFS
B.1. DONNEES
B.2. METHODES D’ANALYSE
C. PRINCIPAUX RESULTATS
D. PERSPECTIVES
E. ARTICLE: « DISENTANGLING THE DEPENDENCY OF HUMAN APPROPRIATION OF NET PRIMARY PRODUCTIVITY TO LANDSCAPE COMPOSITION, AGRICULTURAL INPUTS AND CLIMATE ACROSS FRENCH AGRICULTURAL LANDSCAPES »
IV. DIVERSITE EN CHIROPTERES ET QUANTITE D’ENERGIE DISPONIBLE SELON LE TYPE DE MILIEU
A. CONTEXTE
B. OBJECTIFS
B.1. DONNEES
B.2. METHODES D’ANALYSES
C. PRINCIPAUX RESULTATS
D. CONCLUSION
E. ARTICLE « BATS DIVERSITY DECLINES WITH HUMAN APPROPRIATION OF ENERGY ACROSS LAND USE TYPES »
V. IMPACT DE L’INTENSITE D’USAGE DES SOLS SUR LA STRUCTURE FONCTIONNELLE ET TAXONOMIQUE DES COMMUNAUTES AVIAIRES
A. CONTEXTE
B. OBJECTIFS
C. PRINCIPAUX RESULTATS
D. CONCLUSION
E. ARTICLE: « LAND USE INTENSITY SHAPES THE DEGREE OF SPECIALIZATION AND THE FUNCTIONAL STRUCTURE OF FRENCH AVIAN COMMUNITIES »
VI. SYNTHESE GENERALE
A. PLACE DU CADRE METHODOLOGIQUE D’HANPP PARMI LES INDICATEURS D’INTENSITE
A.1. RAPPELS DE LA PROBLEMATIQUE ET DES RESULTATS
A.2. CONSEQUENCES ET PERSPECTIVES
B. RELATIONS ENTRE COMMUNAUTES ET AUTRES INDICATEURS DE LUI : APPORTS DU CADRE CONCEPTUEL D’HANPP
B.1. RAPPELS DE LA PROBLEMATIQUE ET DES RESULTATS
B.2. CONSEQUENCES ET PERSPECTIVES
C. QUELLES SONT LES FACETTES DE BIODIVERSITE IMPACTEES PAR L’INTENSIFICATION ?
C.1. RICHESSE ET ABONDANCE
C.2. MASSE MOYENNE ET PRODUCTIVITE
C.3. DIVERSITE FONCTIONNELLE
D. L’HYPOTHESE DE PERTURBATION INTERMEDIAIRE
E. VERS UNE AUTRE FORME D’HOMOGENEISATION BIOTIQUE
F. PRECONISATIONS : QUELS INDICES D’INTENSITE POUR ETUDIER QUELLES FACETTES
BIOLOGIQUES ?
F.1. CHOIX DES INDICES D’INTENSIFICATION
F.2. CHOIX DES INDICES DE BIODIVERSITE
F.3. OPTIMISATION DES BESOINS HUMAINS ET PRESERVATION DE LA BIODIVERSITE
G. LIMITES METHODOLOGIQUES
G.1. APPROCHE CORRELATIVE
G.2. ECHELLES D’ETUDES SPATIO-TEMPORELLES
H. PERSPECTIVES
H.1. SCENARIOS DE CHANGEMENTS ENVIRONNEMENTAUX
H.2. SCENARIOS MULTI-TROPHIQUES
VII. BIBLIOGRAPHIE
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