Caractéristiques de l’étude
Cette étude a été conduite au Service d’Accueil des Urgences (SAU) de l’Hôpital d’Instruction des Armées (HIA) Sainte-Anne de Toulon en France. L’HIA Sainte-Anne est un hôpital militaire parfaitement intégré dans le réseau de soin des urgences locales. Compte tenu de son plateau technique, il est l’hôpital de référence du département pour la prise en charge des urgences neuro-vasculaires et des traumatisés graves. Pour les urgences cardiologiques, il dispose d’un plateau de coronarographie disponible 24h/24. Sur l’année 2019, nous avons comptabilisé 34 167 passages aux urgences. En 2020, le SAU de l’HIA Sainte Anne s’est réorganisé pour faire face à l’épidémie de COVID-19. Le service a alors été divisé en deux filières : une filière pour la prise en charge des patients suspects d’infection au COVID-19 (« zone COVID ») avec 17 lits et une filière conventionnelle (« zone conventionnelle ») avec 8 lits.
Population : Cette étude observationnelle monocentrique a été conduite de manière rétrospective sur dossiers informatisés (logiciel ResUrgences). Nous avons comparé les patients pris en charge lors de l’épidémie de COVID-19 (du 23 mars au 5 avril 2020) aux patients pris en charge l’année précédente (23 mars au 5 avril 2019) dans notre SAU. Nous avons examiné tous les dossiers du 23 mars au 5 avril 2019 (1197 dossiers) et tous les dossiers du 23 mars au 5 avril 2020 (634 dossiers). Au total, 1831 dossiers ont été inclus. Cette période de 15 jours a été choisie car elle correspondait au pic du nombre de passage dans les services d’urgence pour suspicion de COVID-19 en France (28). Nous avons décrit les caractéristiques épidémiologiques suivantes : l’âge, le sexe, le nombre de passage (en filière conventionnelle et en filière dédiée COVID), le nombre d’hospitalisation, la gravité des patients selon le score CCMU (Classification Clinique des Malades aux Urgences) et la durée de passage au SAU. Une relecture des dossiers informatisés dans le logiciel du SAU (ResUrgences) ainsi que ceux des services de neurologie et de cardiologie (via AMADEUS le logiciel de gestion informatique des patients de l’HIA St-Anne) a été effectuée. Cette relecture nous a permis de recueillir des données complémentaires sur les SCA (ST+ ou non ST+, sexe, âge, durée des symptômes avant consultation et temps entre consultation et coronarographie) et les urgences neurovasculaires (nombre d’AVC, nombre d’AIT, sexe, âge, durée des symptômes avant la consultation, temps entre la consultation et l’imagerie cérébrale). Nous avons d’abord détaillé la prise en charge des pathologies vasculaires cardiologiques (SCA ST+ ou non ST+) et neurologiques (AVC et AIT). Puis nous nous sommes intéressés plus spécifiquement aux SCA ST+ et AVC justifiant d’une revascularisation urgente.
Urgences vasculaires cardiologiques (SCA : ST+ et non ST+) et neurologiques (AVC et AIT)
Sur la période d’étude, cinq SCA de moins ont été observés en 2020, soit une diminution de 41,7% comparativement à 2019. En 2020 les patients victimes d’un SCA ont consulté plus vite (4 h 42 minutes) comparativement à 2019 (10 h 48 minutes) (tableau 3). En 2020 une augmentation des urgences neurovasculaires (AVC et AIT) a été observée, 27 en 2019 contre 30 en 2020. Comme pour les SCA, le temps moyen entre le premier symptôme et la consultation a diminué en 2020. Le temps moyen entre la consultation et la réalisation de l’imagerie cérébrale a augmenté en 2020 (3 h 06 minutes) comparativement à 2019 (2 h 36 minutes) (tableau 4).
SCA ST+ et AVC justifiant d’une revascularisation en urgence
Le même nombre de SCA ST+ a été observé d’une année sur l’autre (n=3). Concernant les SCA ST+, aucune différence n’a été observée pour le délai moyen entre l’arrivée au SAU et le début de la coronarographie (27 minutes en 2019 et 22 minutes en 2020). En 2020 sept AVC de plus ont été pris en charge comparativement à 2019. La proportion d’AVC pris en charge dans un délai supérieur à 5h a diminué de 6% en 2020. L’ensemble de ces résultats apparait après analyse statistique comme non significatif. Cela est probablement dû au faible effectif que nous avons pu recruter sur cette période.
Discussion
Notre étude a mis en évidence une diminution de moitié (47%) des consultations au SAU de l’HIA Sainte-Anne en 2020. Comme à Taiwan lors de l’épidémie de SARS en 2003 (19,20) et de MERS en 2015 en Corée du Sud (21), cette épidémie de COVID-19 a entrainé une baisse de la fréquentation de notre SAU. Deux hypothèses prédominent pour expliquer cette baisse de fréquentation dans notre SAU. La première est liée aux propriétés du virus. Les hôpitaux accueillants des patients souffrant de maladie respiratoire à coronavirus (dont l’HIA Sainte Anne fait partie) sont des lieux de contamination probable et donc anxiogène pour la plupart de la population. L’autre hypothèse est que cette baisse de fréquentation soit liée aux mesures de confinement de la population. L’âge moyen n’a pas varié d’une année sur l’autre. On ne retrouve pas non plus de différence lorsque l’on compare les tranches d’âges. En effet les patients de plus de 60 ans correspondaient à 44% de la population en 2019 et 46% en 2020. L’âge étant un facteur de gravité en cas d’infection à COVID-19, on aurait pu penser que la proportion de personnes âgées aux urgences aurait diminué, or ce n’est pas le cas (29). En ce qui concerne la gravité des patients, une diminution de 8% a été mise en évidence pour les patients côtés CCMU 2, qui sont des patients « non graves ». Cette diminution peut être en partie corrélée à la diminution des pathologies traumatiques. A contrario on note une augmentation de la proportion des patients côtés CCMU 3 et 4. Il est clair que l’épidémie de COVID-19 engendre une diminution de consultation pour les patients « non graves ». Cependant, comme lors de l’épidémie de SARS à Taiwan en 2003, les patients « graves » ont eux consulté au SAU malgré l’épidémie de COVID-19 (17). La proportion des pathologies présentes au SAU a été modifiée en cette période d’épidémie. En 2020, l’infectiologie correspondait à 13% des passages au SAU, contre 3% en 2019, la majorité de ces passages étant liés à des patients suspects d’infection à COVID-19. On note sur la figure 1 l’influence des passages en filière COVID sur le nombre de passage total en 2020. La création en amont d’une zone dédiée (filière « COVID ») était donc nécessaire pour une meilleure prise en charge de ces patients et pour limiter la contamination des patients en « filière conventionnelle ». L’autre changement important concernait les pathologies traumatiques qui représentaient 7% des passages en 2020 contre 22% en 2019. Cette diminution peut être expliquée en partie par les mesures de confinement (baisse des activités à risque traumatique, baisse de la circulation…). Lorsque l’on s’intéresse aux proportions des pathologies cardiologiques et neurologiques, nous mettons en évidence une baisse respective de 4% et 3%. Cette baisse non significative est surprenante. En effet, le COVID-19 n’est pas seulement une infection respiratoire, mais entraine des complications neurologiques (anosmie, encéphalites, AVC…) (17), et cardiologiques (Myocardites, embolie pulmonaire…) (31). Il est probable que certains patients ne se soient pas présentés au SAU, cela pouvant engendrer, à court ou moyen terme des conséquences graves. En effet, les décès à domicile ont augmenté de 29,6% du 1er au 20 avril 2020 en France (32). L’augmentation de ces décès à domicile pose la question de l’impact sur la médecine générale qu’a pu avoir cette pandémie et le confinement consécutif. Des études ultérieures semblent nécessaires pour évaluer les possibles changements des consultations dans les cabinets de médecine générale. La baisse globale des consultations aux urgences a vu, par la même occasion, une diminution de 41,7% des syndromes coronariens aigues (SCA ST+ ou non ST+) Cependant cette diminution concernait uniquement les SCA non ST+. Les SCA non ST+, de part leur clinique plus frustre ou intermittente comparativement aux SCA ST+ sont sûrement passés inaperçus. Ces symptômes étaient probablement moins inquiétants pour les patients qu’une probable infection au COVID-19 au SAU. Ces résultats sont concordant avec ceux de la littérature, une étude anglaise de grande envergure retrouvait une baisse similaire de 40% des consultations pour un SCA, baisse prédominante aussi sur les SCA non ST+(33). L’épidémie de COVID-19 à Hong Kong a semblé augmenter le délai entre le début des symptômes et la consultation aux urgences (34), or dans notre étude, nous observons l’inverse. Malgré une différence statistiquement non significative liée au manque de puissance de notre étude, nous avons mis en évidence une diminution du délai entre le début des symptômes et la consultation au SAU. Lors de l’épidémie, il était conseillé aux patients d’appeler le centre 15 en cas de difficultés respiratoires et/ou de douleur thoracique, deux symptômes qui peuvent être révélateurs d’un SCA, cette régulation par le centre 15 a peut-être permis aux patients d’aller consulter plus rapidement aux urgences. Comme pour les SCA, les patients victimes d’un Stroke ou d’un AIT ont consulté plus rapidement au SAU en 2020. Nous avons observé sur notre période d’étude, une tendance à l’augmentation du temps entre la consultation et la réalisation de l’imagerie cérébrale. Le service de radiologie s’est lui aussi réorganisé lors de l’épidémie de COVID-19. Cette réorganisation a possiblement impacté le délai de réalisation des imageries. Concernant les pathologies nécessitant une revascularisation en urgence (SCA ST+ et AVC) nous avons observé autant de SCA ST+ d’une année sur l’autre. Ces données sont en contradiction avec certaines études plus puissantes qui retrouvent une baisse de près de 40% de la réalisation de coronarographie pour un SCA ST+(35). De plus, nous avons observé une légère diminution du délai entre l’arrivée aux urgences et le début de la coronarographie pour les SCA ST+ en 2020. Cela peut s’expliquer par la diminution de la charge de travail au SAU, en lien avec la baisse de fréquentation. Aux États-Unis, dans une grande cohorte descriptive, la réalisation de l’imagerie cérébrale pour une suspicion d’AVC a diminué de 39% au cours de la période épidémique (36). D’autres équipes semblaient mettre en évidence une augmentation des AVC chez les patients victimes d’une infection à COVID-19 (37), comme retrouvé dans notre étude. Il se peut qu’il y ait une interaction entre facteurs de risques d’AVC, infection, inflammation systémique et déstabilisation de plaque d’athérome (38). L’augmentation des AVC dans notre population est peut-être liée à des co-infections au COVID-19, une proportion de stroke avec des conséquences cliniques importantes (Hémiplégie, Aphasie…) ou à un manque de puissance de notre étude. En somme, le COVID-19 n’a pas semblé faire disparaitre de notre SAU les pathologies nécessitant une revascularisation en urgence (SCA ST+ ou AVC), à contrario, nous avons observé une augmentation des AVC. De plus aucun impact majeur sur leur prise en charge n’a été mis en évidence.
|
Table des matières
Impact de la pandémie de COVID-19 sur les services d’urgence : Focus sur les patients nécessitant une revascularisation en urgence
Introduction
Méthodes
Caractéristiques de l’étude
Population
Analyses statistiques
Ethique
Résultats
Description et comparaison des populations
Description et comparaison des différentes pathologies
Urgences vasculaires cardiologiques (SCA : ST+ et non ST+) et neurologiques (AVC et AIT)
SCA ST+ et AVC justifiant d’une revascularisation en urgence
Discussion
Limites
Conclusion
Bibliographie
Impact of the COVID-19 pandemic on emergency department use: focus on patients requiring urgent revascularization
Abstract
Introduction
Methods
Study Setting
Population
Statistical Analyses
Ethics Statement
Results
Description and Comparison of Populations
Description and Comparison of Different Diseases
Cardiovascular Emergencies (ACS: STEMI and NSTEMI) and Neurological Emergencies (Stroke and TIA)
STEMI and Strokes Requiring Emergency Revascularization
Discussion
Limitations
Conclusion
References
Télécharger le rapport complet