Parmi les nombreux déterminants individuels, la motivation et la personnalité s’avèrent essentiels à l’explication du processus de performance. Longtemps étudiés séparément, la littérature s’intéresse aujourd’hui à l’intégration de ces concepts dans des modèles théoriques qui visent une meilleure compréhension de leurs interrelations (Komarraju, Karau et Schmeck, 2009). Ces modèles redonnent une place centrale à la variable de la personnalité. Si un ensemble de travaux met en évidence une influence directe des traits de personnalité sur la performance, d’autres révèlent toutefois la complexité de ces liens, complexité liée à la nature des variables, mais également à l’influence de nombreuses variables intermédiaires et modératrices, dont celles de la motivation (O’Connor et Paunonen, 2007 ; Richardson et Abraham, 2009). A l’appui d’un modèle global et synthétique, notre recherche vise un double objectif : d’une part de permettre une meilleure compréhension des critères de motivation des individus et d’autre part d’apporter un éclairage sur les liens entre la motivation et la personnalité dans l’explication de la performance.
La théorie de l’autoefficacité
Selon Bandura (2007, p. 12), « l’efficacité personnelle perçue concerne la croyance de l’individu en sa capacité d’organiser et d’exécuter la ligne de conduite requise pour produire des résultats souhaités ». En d’autres termes, les croyances de l’individu en ses capacités de réussite jouent un rôle déterminant dans son engagement et ses performances (Galand et Vanlede, 2004). Il a en effet été démontré (Brown, Lent, Ryan et McPartland, 1996 ; Bouffard-Bouchard et Pinard, 1988; Bouffard-Bouchard, Parent et Larivée, 1990 ; Pittman, Boggiano et Ruble, 1983; Bandura, 1988) que les performances d’un individu ne dépendent pas seulement de ses compétences « objectives », mais également de sa confiance en sa maîtrise de celles-ci. Au-delà de la performance réelle, c’est la manière dont l’individu perçoit celle-ci qui le renforce dans ses chances de succès. En milieu scolaire, le sentiment d’autoefficacité explique en partie le fait que des étudiants à compétences équivalentes obtiennent des résultats hétérogènes. Les étudiants disposant d’un sentiment élevé de leur efficacité régulent de manière plus appropriée leur apprentissage, réalisent davantage d’activités et se fixent des objectifs plus élevés. Comparés aux étudiants dont le sentiment d’autoefficacité est plus faible, ils obtiennent de meilleures performances car ils ne sont pas assaillis de doutes quant à leurs capacités intellectuelles (Wood et Locke, 1987 ; Bandura, 1997). Une méta analyse répertoriant des études menées auprès d’individus de tous âges confirme que les croyances d’efficacité contribuent significativement à la performance scolaire (Multon, Brown et Lent, 1991) : elles expliquent approximativement 14 % de la variance de la performance et 12 % de la variance de la persévérance.
De nombreux travaux indiquent que les apprenants s’investissent rarement dans une activité s’ils ne s’estiment pas en mesure de la réaliser et qu’ils tendent à se désintéresser de celles dans lesquelles ils se sentent peu efficaces (Bandura, 1997). Les recherches révèlent ainsi que plus les apprenants rapportent un sentiment d’efficacité élevé, et (Galand et Vanlede, 2004) :
• moins ils ont recours à la tricherie (Murdock, Hale et Weber, 2001),
• et plus ils demandent de l’aide en cas de difficulté (Ryan, Gheen et Midgley, 1998),
• plus leurs choix s’orientent vers des activités qui présentent pour eux un défi et qui leur donnent l’occasion de développer leurs compétences,
• plus ils se fixent des objectifs élevés,
• mieux ils régulent leurs efforts,
• plus ils persévèrent face aux difficultés,
• mieux ils gèrent le stress et l’anxiété,
• et meilleures sont leurs performances (Wood et Locke, 1987 ; Bandura, 1988 ; Bong et Skaalvik, 2003).
Le sentiment d’efficacité prédit en outre partiellement les choix de filière d’études et les choix professionnels (Marsh et Yeung, 1997 ; Pajares et Miller, 1994 ; Lent, Lopez et Bieschke, 1991).
Les sources du sentiment d’efficacité personnelle
Bandura (1997) avance que le sentiment d’efficacité personnelle est déterminé par quatre sources d’information : les expériences actives de maîtrise, les expériences vicariantes, la persuasion verbale et les états physiologiques et émotionnels.
Expériences actives de maîtrise
Les expériences actives de maîtrise constituent la source la plus influente du sentiment d’autoefficacité. Les performances scolaires antérieures, le parcours de formation et l’histoire scolaire des individus ont un impact déterminant et durable sur les croyances d’efficacité personnelle (Skaalvik et Hagvet, 1990 ; Chapman et Tunmer, 1997). Si les succès antérieurs servent d’indicateurs d’aptitudes et permettent la construction d’une solide croyance d’efficacité, les échecs contribuent à son amoindrissement. Ceci est d’autant plus significatif que le sentiment d’auto-efficacité est relativement bas (Bandura, 1997).
Expériences vicariantes
Pour la plupart des activités, il n’existe pas de mesure absolue de compétence et les individus doivent évaluer leurs aptitudes en fonction des réalisations des autres (Bandura, 2007). C’est ainsi que les expériences vicariantes constituent une autre source d’influence du sentiment d’efficacité personnelle. En effet, lorsqu’il observe les résultats obtenus par d’autres personnes, la croyance d’efficacité d’un individu s’en trouve modifiée et ceci d’autant plus que ces personnes partagent avec lui des caractéristiques similaires qui facilitent le processus d’identification (âge, genre, niveau scolaire, etc. ; Schunk et Hanson, 1985). Un étudiant constatant que ses camarades ont obtenu un score inférieur au sien verra son sentiment d’autoefficacité renforcé et inversement (Schunk, 1987, 1989). Un étudiant peut également augmenter son sentiment d’efficacité en observant la réussite d’un camarade de classe auquel il s’identifie (Usher et Pajares, 2006). Selon Bandura (1997), les expériences vicariantes sont très fréquentes en milieu scolaire.
Persuasion verbale
Le sentiment d’efficacité personnelle est également influencé par les messages adressés à l’apprenant : soutiens, critiques, encouragements, conseils, attentes, etc. (Galand et Vanlede, 2004). Les individus qu’on persuade verbalement qu’ils possèdent les capacités de maîtriser certaines activités ont plus de chances de produire un effort supplémentaire et de le maintenir que ceux qui doutent d’eux mêmes et qui se basent sur leurs insuffisances personnelles quand surviennent les difficultés (Bandura, 2007). Les élèves sont particulièrement sensibles aux messages que leur adressent leurs proches (parents, pairs et enseignants) et leur propre évaluation intègre en partie ces perceptions (Philipps, 1987 ; Cole, Maxwell et Martin, 1997). L’impact positif des stimulations persuasives est d’autant plus élevé que les individus ont quelque raison de croire qu’ils peuvent agir efficacement. Notons enfin que l’influence des persuasions verbales sur le sentiment d’auto efficacité demeure cependant limitée et qu’il est d’ailleurs plus facile de nuire au sentiment d’auto-efficacité d’un individu au moyen de ces persuasions que de l’améliorer.
États physiologiques et émotionnels
Les états physiologiques et émotionnels tels que le stress, l’anxiété, la fatigue ou encore l’humeur correspondent à la dernière source influente du sentiment d’auto-efficacité. En évaluant ses capacités, un individu s’appuie en partie sur l’information somatique transmise par son état physiologique et émotionnel. Il est plus enclin à se préparer au succès lorsqu’il n’est pas troublé par une activation désagréable que lorsqu’il est tendu et agité organiquement. En évoquant des pensées désagréables sur son inaptitude et ses réactions de stress, un étudiant peut s’autoactiver jusqu’à des niveaux élevés de stress produisant précisément les dysfonctionnements qu’il redoute (Bandura, 2007). Des études ont examiné dans quelle mesure le sentiment d’efficacité prédit l’anxiété scolaire et parfois d’autres émotions (Pajares et Miller, 1994). Les étudiants confiants en leurs capacités ne sont pas ou peu perturbés par une activation physiologique et émotionnelle car ils ne la considèrent pas comme une menace à leur réussite.
Selon Galand et Vanlede (2004, p. 107) les études démontrent qu’il est possible de mettre en place une structuration des activités d’apprentissage qui soutient une acquisition graduelle de compétences et leur validation progressive, et de développer ainsi le sentiment d’efficacité et l’engagement des apprenants, même quand ceux-ci ont un niveau initial de compétence très bas. Il s’agit par exemple d’amener les apprenants à se focaliser sur les progrès accomplis et sur la façon d’accroître leur maîtrise plutôt que sur l’évaluation de leur rang par rapport aux autres. Il s’agit encore de fixer des objectifs clairs et à échéances relativement proches pour guider les apprentissages. Les recherches suggèrent en outre d’utiliser des consignes formulées en termes d’objectifs de compréhension et de développement de compétences plutôt qu’en termes de production à fournir ou de performance à atteindre.
La mesure du sentiment d’autoefficacité
Le sentiment d’efficacité personnelle étant variable d’un domaine d’activité à l’autre, il importe de le mesurer dans le cadre de tâches précises. Bandura (2006) souligne que son évaluation en lien étroit avec une tâche donnée apporte les informations les plus pertinentes et accroît son pouvoir prédictif. Les items mesurant l’auto-efficacité sont directement liés à la confiance d’un individu en sa capacité à réaliser une tâche donnée (Pajares, 1997 ; Pajares et Schunk, 2002). Il s’agit de présenter au répondant un exemple d’activité, de lui indiquer différents niveaux de performance possible et de lui demander avec quel degré de certitude il pense pouvoir atteindre chacun de ces niveaux (Lee et Bobko, 1994). L’opération peut être renouvelée pour différents champs d’activités au sein d’une même discipline : par exemple l’arithmétique, la géométrie et l’algèbre pour les mathématiques (Randhawa, Beamer et Lundberg, 1993). Une autre façon courante de procéder consiste à demander au participant dans quelle mesure il se sent capable d’apprendre (How well can you learn… ?) ou confiant dans la réalisation de différentes tâches (How confident are you that you can…? ; Bandura, Barbaranelli, Caprara et Pastorelli, 1996 ; Zimmerman, Bandura et Martinez-Pons, 1992).
Pertinence et limites au regard de notre recherche
L’intérêt majeur de la théorie de l’autoefficacité réside dans la clarté des liens établis entre le sentiment d’efficacité personnelle et ses conséquences, tant d’un point de vue cognitif qu’affectif. De nombreuses recherches démontrent ainsi que plus le sentiment d’efficacité personnelle d’un individu est élevé (vis-à-vis d’une tâche donnée), meilleures sont ses performances (dans cette tâche) et mieux il parvient à gérer ses émotions (dans le contexte précis de l’exécution de cette tâche). Pour autant, nous n’avons pas choisi d’utiliser cette théorie dans le cadre de notre étude. Souhaitant explorer le lien entre la motivation à poursuivre des études d’ingénieur et la performance académique, l’activité « poursuivre des études d’ingénieur » peut difficilement être traduite en une somme de tâches à réaliser. Nous pourrions certes interroger les étudiants sur la confiance en leur capacité à apprendre les matières déterminantes du cursus mais non seulement cette démarche serait fastidieuse mais surtout elle limiterait la motivation à poursuivre des études à une vision purement académique d’acquisition de connaissances.
La théorie attente-valeur
Selon la théorie de l’Expectancy-Value (Wigfield et Eccles, 1992 ; Eccles et Wigfield, 2002 ; Eccles, 2005), la valeur perçue de la tâche (value) et l’espérance de réussite (expectancy) déterminent les comportements liés à l’apprentissage : le choix, l’autorégulation et la performance (Figure 2). Ces deux ensembles de croyances sont eux-mêmes conditionnés par quatre variables de nature cognitive : la mémoire affective de l’apprenant, ses buts, son concept de soi et, enfin, ses perceptions liées à son habileté dans un domaine et à la difficulté de la tâche. A leur tour, ces variables sont influencées par les perceptions que l’individu a de son environnement social, ainsi que de ses interprétations des événements et performances antérieures. Le modèle est construit sur le postulat que ce n’est pas la réalité en elle-même qui détermine les buts, croyances motivationnelles et comportements du sujet, mais au contraire l’interprétation que le sujet fait de cette « réalité » (Neuville, 2006). Wigfield et Eccles (2002) ont défini la variable « valeur perçue de la tâche » comme la perception et l’appréciation subjective par l’individu de ce qu’une tâche d’apprentissage peut lui apporter (« Pourquoi devrais-je réaliser cette tâche ? »). Selon ces auteurs, elle repose sur quatre dimensions distinctes : l’intérêt (valeur intrinsèque), l’utilité, l’importance et le coût de la tâche.
L’intérêt (valeur intrinsèque)
La valeur intrinsèque de la tâche représente l’intérêt subjectif que l’individu accorde au contenu de la tâche ou le plaisir éprouvé en l’effectuant : « Je prends vraiment du plaisir à travailler ce cours » ou « C’est le sujet de ce cours que je trouve vraiment intéressant en soi » (Neuville, 2006, p. 88). Cette dimension est très proche de celle définie par Deci et Ryan (2000, 2002) dans le cadre de la théorie de l’autodétermination. Wigfield et Eccles (1992) partagent le point de vue de Deci et Ryan selon lequel les individus pour lesquels la valeur intrinsèque de la tâche est élevée s’engagent davantage dans la tâche, persévèrent et présentent une plus grande probabilité de succès.
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Table des matières
I)INTRODUCTION
II) GENERALITES
III) METHODOLOGIE
IV) RESULTATS
V) COMMENTAIRES ET DISCUSSION
VI) CONCLUSION
VII) REFERENCES
ANNEXES
RESUME
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