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Impact de la maladie chronique à l’adolescence
Parmi les élèves ayant rapporté avoir un handicap ou une maladie chronique dans l’enquête HBSC, 16% considéraient que leur condition restreignait leur présence et leur participation à l’école. Globalement, ils avaient une perception moins positive de leur santé comparée à celle de leurs camarades (26).
Dans l’enquête « Portraits d’Adolescents », 53% des adolescents malades chroniques disaient vivre leur maladie « plutôt bien » et 22% « plutôt mal ». Parmi eux, 76% pensaient que leur maladie ne les empêchait pas du tout d’être un adolescent comme les autres ; 15% qu’elle les en empêchait peu et 10% qu’elle les en empêchait moyennement ou beaucoup (25).
L’adolescence est une période de transition en soi, entre l’enfance et l’âge adulte. Les jeunes changent rapidement et sur une multitude d’aspects : physiques, psychiques, affectifs et sociaux. La place du corps devient centrale avec les changements physiques de la puberté. Ces transformations, la sexualisation, la redéfinition de soi, l’émancipation sont les faits fondamentaux qui défissent cette période (29). La présence d’une maladie chronique va perturber singulièrement le processus d’adolescence. Tous les adolescents malades vivent une bataille entre la maladie et leur corps en plein développement, entre la réalité d’être un adolescent « différent » à cause de la maladie et la volonté d’être un adolescent comme les autres. La maladie et ses traitements entrainent plus ou moins d’effets visibles sur le développement staturo-pondéral et la puberté, mais l’ensemble des adolescents malades, même s’ils apparaissent « normaux » aux yeux de tous, se sentent différent de leurs pairs. Malgré la grande diversité des maladies chroniques en termes d’expression clinique ou de retentissement fonctionnel, l’image et l’estime de soi de l’adolescent sont souvent altérées. Cela complexifie le travail de construction identitaire. De plus, les contraintes de la maladie et des soins renforcent les liens de dépendance entre l’adolescent et ses parents d’un côté, l’adolescent et l’équipe médicale de l’autre. Ces liens acceptés depuis l’enfance et la difficulté de s’en dégager, peuvent construire un frein à la recherche d’émancipation et d’indépendance inhérente à l’adolescence. Enfin, l’espoir de la guérison qui avait pu être secrètement entretenu durant l’enfance est mis à mal. La projection dans un projet de vie global – professionnel, social, familial – doit être revu à travers la maladie (contre-indication à l’exercice d’un métier, menace de transmission à la descendance, risque de morbi-mortalité accru). Cet écart entre la perspective d’un futur idéal et la réalité impacte négativement les capacités de projection dans l’avenir et peuvent nourrir les réactions de révolte vis-à-vis de la maladie ou du corps médical à l’adolescence (30).
Prise en charge des maladies chroniques
Les modèles conceptuels de prise en charge
La prise en charge des personnes atteintes de maladies chroniques représente aujourd’hui un défi majeur pour les systèmes de santé (31). En effet, la problématique s’est progressivement déplacée de la prise en charge des maladies aigües, pour laquelle le système de prestation de soins avait été en grande partie conçu, vers la gestion des maladies chroniques sur le long terme. Les personnes porteuses de maladies chroniques peuvent ainsi ressentir un décalage entre leurs besoins et les caractéristiques du système, pas toujours adapté pour répondre à leurs attentes en matière de prise en charge clinique, de soutien psychologique, d’information et de coordination (32).
Afin d’améliorer l’efficacité et l’efficience des soins dispensés aux patients porteurs de maladies chroniques, des concepts organisationnels de prise en charge ont été développés à partir du milieu du XXe siècle. Les quatre principaux concepts de prise en charge des maladies chroniques ont été établis aux États-Unis. Il s’agit : du case management, qui est apparu au cours des années 1950 comme une réponse aux besoins très complexes de certains patients tels que ceux des personnes âgées dépendantes. Il introduit un nouveau profil professionnel, le case manager (ou gestionnaire de cas), qui intervient dans les situations où le patient lui-même, même avec l’aide de ses proches ou du médecin traitant, ne peut plus assurer la gestion de ses soins. Le plus souvent infirmier spécialisé, le case manager gère et coordonne tous les soins médicaux, paramédicaux ou de bien–être nécessaires aux besoins thérapeutiques intensifs des patients.
du disease management (ou modèle de gestion globale de la maladie), qui est né dans les années 1990. C’est un concept basé sur une approche plus globale de la maladie et de la santé que le case management. Il intègre des actions de prévention et d’information au sein de la chaîne des soins et adopte une démarche qui cherche l’amélioration qualitative de la distribution des soins (33). Il développe une démarche d’éducation thérapeutique des patients visant à améliorer leurs connaissances et compétences et contribue à favoriser la coordination des soins (34).
du chronic care model (ou modèle de soins de longue durée), qui se situe dans la continuité de l’approche du « disease management ». Il vise l’amélioration des soins à la fois au niveau individuel mais aussi au niveau de la population. Le modèle, publié par Wagner en 1998 (35), est basé sur l’hypothèse que l’amélioration des soins exige une approche plus large qui intègre le système de santé, les prestations de soins, l’aide à la décision, les systèmes d’information, l’autoprise en charge du patient et la communauté. Pour obtenir une amélioration des résultats cliniques et fonctionnels, les échanges soignant-soigné doivent évoluer en interactions productives entre un patient informé, actif et motivé et des professionnels de la santé formés et proactifs. du population management qui est une extension du « disease management » et a pour but de délivrer une intervention différentielle et adaptée aux besoins de chaque patient concerné par une maladie donnée. Grâce à un algorithme défini, les patients sont classés en groupes, selon leur situation clinique et l’importance de leur besoin en soins (Figure 1) (36). Le modèle contient 3 à 4 niveaux, selon qu’il intègre ou non la population en bonne santé :
– la population en « bonne santé », dont les besoins de soins par rapport à la maladie définie reposent principalement sur des actions de promotion et de prévention .
– la population de personnes malades chroniques à faible risque, pour laquelle sont préconisées des actions de soutien au « self care » et d’orientation dans le système de santé .
– la population de personnes malades chroniques à haut risque, pour laquelle des programmes de « disease management » visant à coordonner les acteurs (y compris des secteurs médico-social et social) intervenant dans la prise en charge sont indiqués .
– la population de personnes malades chroniques à forte complexité et à très haut risque, pour laquelle la logique de « case management » impliquant une coordination des soins de forte intensité et l’intervention d’un « case manager » est recommandée.
Emergence de la problématique de la transition vers les soins pour adultes
Grâce aux progrès de la médecine, les parcours de vie et de soins des enfants porteurs de maladies chroniques se transforment. Les améliorations diagnostiques et thérapeutiques ont notamment permis un allongement de la vie de ces patients, ce qui a créé de nouvelles situations et de nouveaux défis pour les acteurs du système de soins.
Il y a quarante ans, le sujet alors nouveau, de la « transition vers les soins pour adultes » apparaissait pour la première fois dans la littérature scientifique. Resté rarement traité jusqu’aux années 1990, l’augmentation du nombre de publications relatives au sujet est exponentielle depuis 2000. De la description de cette nouvelle situation, des difficultés qui y sont associées jusqu’à la définition de stratégies à mettre en place et l’évaluation de celles-ci : l’évolution de la littérature sur ce thème permet de rendre compte des avancements de la communauté internationale qui a fait de cette « transition », problématique initialement clinique, un phénomène scientifique.
En 1973, des spécialistes de la prise en charge des jeunes souffrant de mucoviscidose publient sous le titre « les problèmes d’une nouvelle génération » (42) un article traitant de la confrontation récente des pédiatres à des problèmes médicaux qui relevaient traditionnellement du domaine de la médecine interne. Les progrès diagnostiques et thérapeutiques ayant permis de prolonger la survie des enfants, plusieurs milliers de patients atteints de mucoviscidose atteignaient alors l’âge adulte. Similairement, la perspective inédite d’un patient qui allait devenir indépendant de ses parents et soignants n’ayant pas fait preuve d’anticipation, la plupart de ces patients n’avaient pas été préparés à la gestion autonome de leurs soins. Les auteurs anticipaient alors les nouveaux problèmes auxquels les soignants de la médecine pour adultes seraient confrontés lors de la prise en charge de ces patients. Le terme de « transition » n’était pas encore apparu mais la problématique était posée.
Dix ans plus tard, en 1982, l’éditorial du journal Annals of Internal Medicine (43) traite de l’actualité que représente la conversion en cours de certaines maladies majoritairement pédiatriques en maladies d’adultes et pour lesquels la plupart des internistes ont alors peu d’expérience. Les auteurs abordent la situation des patients atteints de mucoviscidose, de maladies cardiaques congénitales, de maladies métaboliques constitutionnelles ou de diabète juvénile « qui font face au changement au cours duquel ils passent d’une prise en charge thérapeutique délivrée par un pédiatre qu’ils connaissent depuis longtemps et dont ils connaissent les habitudes, à un interniste qui est pour eux un étranger ». Le terme de transition est cité mais n’est pas directement utilisé pour définir le « mouvement compliqué du patient qui doit passer du stade d’enfant dépendant à celui d’adulte indépendant et du fait des différences d’attitudes et d’expérience du pédiatre et de l’interniste » qu’évoquent pourtant les auteurs. Des difficultés sont mentionnées : le pédiatre qui n’est pas plus disposé qu’un parent à renoncer à sa relation avec le jeune, ses subtils indices non verbaux qui engendrent la méfiance du patient vis-à-vis des compétences de l’interniste, les limites réelles ou perçues du patient qui perpétue la dépendance, et la capacité restreinte de certains patients à faire cette transition motivant l’absence de définition d’un âge arbitraire.
En 1990, ces mêmes constats sont rapportés (44) : d’une part, le système de soins pour adultes n’est toujours pas bien préparé à recevoir des patients survivants de maladies qui étaient auparavant considérées comme pédiatriques (possiblement dû au retard dans la formation des médecins); et d’autre part, les patients et leurs familles ont toujours du mal à quitter l’environnement de protection créé par les soignants en pédiatrie, soignants qui peuvent également avoir des sentiments mitigés au sujet de laisser les patients s’en aller. Les auteurs rapportent le contenu du programme de transition mis en place dans leur structure. Ce programme repose sur les éléments proposés dans le manuel Crossings: A Manual for Transition of Chronically Ill Youth to Adult Health Care publié en 1988. Ce manuel, dédié aux professionnels, propose des étapes à franchir pour les équipes des services pédiatriques et pour adultes. Il inclut une autoévaluation du niveau de préparation des équipes, un processus pour identifier et préparer les patients, un questionnaire à remplir par les professionnels pour évaluer le niveau de préparation du patient. Le contenu et les instructions sont centrés sur les équipes de professionnels et leur coordination.
Description du phénomène de la transition vers les soins pour adultes
Typologie des articles scientifiques publiés sur la thématique
Aujourd’hui, les articles traitant le thème de la transition approchent le millier de références sur Pubmed. La littérature existante peut être regroupée en 5 catégories :
– les articles de discussions ou d’opinion des soignants et sociétés savantes .
– les études descriptives des pratiques des professionnels et programmes mis en place pour optimiser la transition (dont utilisation de questionnaires) .
– les études descriptives, quantitative ou qualitative, portant sur l’expérience du pré-transfert : les barrières et les préoccupations des soignants pédiatriques, des jeunes et de leurs familles en pédiatrie .
– les études rétrospectives, qualitatives ou quantitatives, des impacts ou du vécu de la transition post-transfert .
– les revues systématiques.
Les articles traitant de la transition antérieurement à 2012 étaient indexés sous le terme « Continuity of Patient Care ». En 2012, le terme MeSH 1 « Transition to Adult Care » est créé pour mieux décrire les articles traitant de la transition des soins pédiatriques aux soins pour adultes. Depuis 2012 et jusqu’aujourd’hui, 694 articles ont été indexés avec ce terme.
Recommandations internationales généralistes et spécifiques d’une pathologie
Depuis une dizaine d’années, des recommandations pour la pratique de la transition ont été publiées, principalement par des institutions du monde anglo-saxon.
Des recommandations génériques pour l’ensemble des jeunes porteurs de maladies chroniques ont été publiées en 2002 et 2011 par l’American Academy of Pediatrics (11,46), en 2003 par la Society for Adolescent Medicine (8), en 2007 et 2014 par le Comité de la santé des adolescents de la société pédiatrique canadienne (12) et les dernières, en 2016, par le National Institute for Health and Care Excellence en Angleterre (13). Globalement les recommandations mentionnent la nécessité d’une unité ou d’une personne dédiée à la transition dans les services pour la coordonner, assurer les contacts avec les différentes parties impliquées, conseiller et soutenir les jeunes et leurs parents au cours du processus. Ces recommandations évoquent également un dossier de transition incluant au moins un résumé du dossier médical du jeune et, selon les recommandations, les réponses aux questionnaires d’aptitude à la transition, le plan de transition et diverses données sur le jeune et ses parents. Vis-à-vis de la temporalité du processus, il est recommandé de débuter les premières étapes de préparation à la transition entre 12 et 14 ans, le transfert ayant lieu entre 18 et 21 ans et devant s’adapter à la situation du jeune. Les modalités de suivi post-transfert, la nature des différentes étapes du processus et l’implication des parents diffèrent selon les recommandations.
1 Le MeSH (Medical Subject Headings) est le thésaurus de vocabulaire de la Bibliothèque Américaine de Médecine utilisé pour l’indexation des articles pour Pubmed.
Des recommandations spécifiques pour la transition des soins des jeunes porteurs de maladies chroniques données ont également été publiées. En France, il en existe 3 : une publiée en 2005 pour les jeunes drépanocytaires (16), une publiée en 2012 pour les jeunes atteints d’une cardiopathie congénitale (17) et une publiée en 2016 concernant les maladies rares du foie (15). A l’international, il existe notamment des recommandations pour les jeunes porteurs de maladies inflammatoires de l’intestin (47), pour les jeunes receveurs d’organes (48), pour ceux atteints de diabète (49), de troubles du déficit de l’attention / hyperactivité
(50), du VIH (51) et de maladies cardiaques congénitales (52) ou encore pour les jeunes atteints de maladies rhumatismales (53). La majorité du contenu de ces recommandations ne sont que peu spécifiques des maladies.
Mesures des politiques de santé gouvernementales internationales
En 2015 a été publiée une étude internationale ayant pour but de répertorier les politiques existantes et de documenter les initiatives des administrations liées à la transition (10). L’analyse portait sur 9 pays de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) : l’Australie, le Canada, le Danemark, la Finlande, l’Irlande, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, la Suède et le Royaume-Uni.
Cinq pays manifestaient un intérêt à résoudre les problèmes de transition et avaient publié des documents sur la question, parmi lesquels seuls l’Australie et le Royaume-Uni détaillaient une stratégie de transition soutenues par le gouvernement (Tableau 1). Les quatre autres pays commentaient la nécessité d’élaborer une stratégie de transition comme une future étape à accomplir.
Hypothèse et objectifs du projet TRANSAD
L’hypothèse de ce travail de thèse est qu’il est possible de construire un programme de transition générique pour la prise en charge de jeunes porteurs de maladies chroniques variées. Ce programme construit sur des critères de pertinence et de faisabilité pourrait être appliqué largement, dans un grand nombre de services hospitaliers.
L’objectif global de notre projet était d’identifier un programme de transition adapté au contexte français, commun et pertinent pour diverses maladies chroniques, et basé sur les points de vue respectifs des patients, de leurs familles et des soignants.
Nous avons donc entrepris, à partir d’une méthodologie mixte, de répondre à des objectifs spécifiques élaborés autour de 2 axes :
Le premier axe, méthodologique, visait à décrire les méthodes actuellement utilisées pour évaluer les programmes de transition et fournir des indications pour améliorer le niveau de preuves vis-à-vis de l’efficacité de ces programmes.
Le second axe, pensé autour des pratiques, visait à définir un programme de transition consensuel et générique. Cela se décomposait en objectifs intermédiaires qu’étaient (i) l’identification sur le terrain des pratiques de transition et les expériences qui y étaient associées et (ii) la consultation d’experts pour la sélection des pratiques à inclure dans un programme de transition générique, pertinent et faisable dans le contexte français.
Utilisation des méthodes mixtes dans la recherche en santé publique
De notre point de vue, utiliser des méthodes « simples » (quantitatives ou qualitatives) pour l’élaboration d’un programme de transition des soins paraissait peu adapté. Au vue des interactions complexes et des problématiques multiples qui sont soulevées par la transition des soins, nous avons opté pour l’utilisation de méthodes mixtes pour la réalisation de ce travail de thèse.
Dès la fin des années 1930, les chercheurs de sciences humaines et sociales associent intuitivement les méthodes qualitatives et quantitatives dans leurs protocoles de recherche, en particulier dans le domaine de la sociologie. Mais ce n’est que dans les années 1980 qu’une véritable réflexion épistémologique s’engage et qu’un nouveau paradigme de recherche se constitue autour des « méthodes mixtes ». Ce courant, désigné comme la « troisième voie » permettant de dépasser l’écueil de la guerre des paradigmes, se développe d’abord dans les sciences sociales, puis dans le champ de la santé publique (61). La recherche par les méthodes mixtes peut être définie comme « un type de recherche dans lequel un chercheur ou une équipe de chercheurs associe des éléments issus des méthodes qualitatives et quantitatives – par exemple, l’utilisation de points de vue, de collectes de données, d’analyses de données, de techniques d’inférences qualitatifs et quantitatifs – dans le but d’une meilleure compréhension » (62). Ainsi les techniques d’enquêtes de la recherche quantitative, qui utilisent des méthodes d’analyse statistique, sont associées aux méthodes d’observation et d’entretien et aux analyses des données verbales et non verbales de la recherche qualitative (63). Parce que les méthodes mixtes combinent la force de la quantification et la finesse de l’analyse qualitative, elles sont un atout pour étudier les interventions et processus complexes, notamment dans le domaine de la santé (64). En 1989, Greene et al. propose cinq grandes fonctions de base attribuables aux méthodes mixtes (65) :
– la triangulation, qui vise à faire converger des résultats issus de différentes méthodes dans une optique de validation des interprétations .
– la complémentarité, qui vise à conforter, à illustrer ou à clarifier les résultats d’une méthode par ceux d’une autre .
– le développement, qui cherche à utiliser les résultats d’une méthode pour aider à développer une autre méthode (par exemple, la construction d’échantillon ou le développement d’instrument de mesure) .
– l’initiation, qui cherche à faire émerger les paradoxes ou les contradictions des résultats d’une méthode grâce aux résultats d’une autre méthode .
– l’expansion, qui vise à étendre le champ d’application des résultats d’une méthode en utilisant d’autres méthodes.
Plusieurs classifications ont été développées pour le design des méthodes mixtes. Celle proposée par Creswell et Plano Clark dans l’ouvrage Designing and conducting mixed methods research (66) – récente et communément utilisée – repose sur quatre principaux facteurs : les motivations du recours à la méthode mixte (triangulation, complémentarité, développement, initiation, expansion) ; la temporalité d’utilisation des méthodes quantitatives et qualitatives (concomitante ou séquentielle) ; la pondération des méthodes (égale ou prépondérance de l’une des approches) ; la stratégie de combinaison des données obtenues par les diverses méthodes (fusion, intégration ou connexion). Du fait de leur relative « nouveauté », les méthodes mixtes ne disposent pas encore de définition normalisée des critères de qualité de la recherche. Une trame reprenant l’ensemble des critères de qualité proposés dans la littérature a été publiée en 2011 (67). Cette trame rassemble 30 critères de qualité répartis en huit domaines : la qualité de la planification, la qualité du protocole, la qualité des données, la rigueur de l’interprétation, la transférabilité des inférences, la qualité de la restitution du travail, la possibilité d’extraire une synthèse des résultats et l’utilité. Cependant, au vu du grand nombre de critères que comprend cette trame, son application en l’état ne s’est pas avérée pertinente.
Méthodologie du projet TRANSAD
Choix des méthodes mixtes pour le projet TRANSAD
Pour notre recherche, les méthodes quantitatives et qualitatives ont été associées pour répondre à un objectif de développement, pour permettre de 1) décrire et comprendre comment les professionnels mettent en œuvre le processus de transition dans leurs différents services – par l’approche qualitative; 2) développer un questionnaire à partir de ces descriptions pour identifier les pratiques consensuelles – par l’approche quantitative (65).
Nous nous sommes basés sur les critères de qualité reconnus de chacune des deux approches (66). Dans le courant quantitatif : la validité interne, la validité externe, la fiabilité, l’objectivité. Dans le courant qualitatif, selon les critères de Lincoln et Guba (67) : la crédibilité, la transférabilité, la fiabilité, la confirmabilité.
Chronologie du projet TRANSAD
Nous avons réalisé en premier lieu une revue systématique de la littérature des interventions de transition existant au niveau international. Puis, les études qualitative et quantitative ont été menées de manière séquentielle : nous avons d’abord utilisé l’approche qualitative puis l’approche quantitative. La première étude, basée sur une approche inductive, a exploré les pratiques mises en place au sein des services hospitaliers lors de la transition et les expériences qui y sont associées. Des entretiens semi-directifs ont été menés auprès de professionnels du domaine médical, paramédical et social et de jeunes malades chroniques ayant une expérience de la transition. Pour répondre au critère de diversification de l’échantillon et pour des raisons de faisabilité (68) la transition des soins a été plus spécifiquement investiguée à travers 4 maladies (VIH, drépanocytose, épilepsie et obésité), auprès de professionnels –exerçant– et des jeunes fréquentant– des services hospitaliers de la région Ile-de-France.
La seconde étude, basée sur une approche déductive, a permis la sélection consensuelle des pratiques à intégrer à un programme de transition générique. Une enquête quantitative de consensus, basée sur la méthode Delphi, a été menée pour mesurer le niveau d’agrément associé aux différentes pratiques de transition identifiées à l’étape précédente. Cette étude a été réalisée sur un échantillon de jeunes, de parents et de soignants concernés par la transition des soins de toutes maladies chroniques ayant lieu dans des services hospitaliers de la France entière, sur des critères de pertinence et de faisabilité.
Discussion des résultats de la thèse et de la littérature
Discussion des objectifs des programmes de transition destinés aux patients
A la fin de ce travail de thèse, il nous a semblé que la transition, et les programmes mis en place pour en assurer le succès, tournait autour de deux concepts clés centrés sur le patient, que sont l’autonomie et la compliance. Nous avons souhaité mettre en regard, dans cette discussion, ces concepts avec nos résultats mais aussi avec d’autres travaux afin de les appréhender d’un point de vue pluridisciplinaire.
Soulignons d’abord que ces notions d’autonomie et de compliance sont fondamentales à l’adolescence, en dehors de tout contexte de maladie. L’adolescent doit s’autonomiser de ses parents, psychologiquement, affectivement et socialement, tâche souvent difficile et marquée par de nombreux allers et retours. Quant à la compliance, ou l’observance des règles en général, l’adolescent va s’y confronter, les transgresser ou les tester au travers de ses actes et de négociations qui lui permettront, au final, de faire ses choix et de s’approprier une partie de ces règles. Les problématiques de la maladie chronique viennent s’ajouter à celles de l’adolescence, et c’est dans ce contexte que s’inscrit la transition des soins.
Ainsi, en 1989, la conférence ‘Growing Up and Getting Medical Care: Youth With Special Health Care Needs’ met en avant les principaux enjeux de la transition : l’accès des patients à des soins adaptés, l’élaboration d’un partenariat patient-soignant, la coordination des soins et (particulièrement aux Etats-Unis) le financement des soins (6). Depuis, les séances d’éducation thérapeutique du patient (ETP) sont devenues l’une des composantes phares des programmes de transition (14). Ceci repose sur l’hypothèse que les patients qui comprennent leur maladie et leur traitement entreront dans les soins pour adultes avec les compétences nécessaires pour gérer correctement leur état de santé, aller vers des soins adaptés à leur âge et leur condition, veiller à la coordination de leurs soins et gérer leur situation vis-à-vis de l’assurance maladie. Les programmes d’ETP sont historiquement fondés sur la conviction que, si les patients suivent les recommandations des professionnels de santé, leurs résultats de santé seront satisfaisants et les ressources de santé du système ne seront pas utilisés vainement (72).
Le développement de l’éducation thérapeutique montre le passage entre une perspective de transmission d’informations essentiellement verticale à des stratégies d’empowerment qui nécessite la prise en compte et l’implication du patient. D’après notre premier travail de revue systématique des interventions de transition, on peut noter que les modèles éducatifs et les approches utilisés pour ces programmes sont rarement décrits, mais les thèmes le sont plus largement et reposent majoritairement sur l’aspect thérapeutique. Des programmes d’ETP qui enseignent aux patients la culture médicale et la façon de s’adapter à l’autorité médicale existent également. Ceux-ci appliqués au contexte de la transition pourraient permettre de donner des outils supplémentaires aux patients pour gérer de façon autonome leurs soins après le transfert.
L’autonomie, but ultime de l’étape de préparation de la transition, signifie étymologiquement « le droit d’appliquer à soi-même sa propre loi ». Il ne s’agit donc pas simplement pour un patient d’être capable d’appliquer la décision médicale. D’après le Collège des enseignants de sciences humaines et sociale en médecine et santé, on peut entendre par « autonomie du patient », soit de façon négative « l’interdiction faite au médecin de contrôler les actions du patient et de le soumettre à ses décisions par la contrainte », soit de façon positive « le respect par le médecin de la liberté de choix du patient, sa vie privée, et son choix individuel d’accepter ou de refuser les soins » en allant au-delà de la décision fondée seulement sur un raisonnement scientifique. Ceci suppose une relation soignant-patient basée sur le respect et l’acceptation de la valeur du savoir expérientiel du patient face au savoir scientifique du soignant. Le choix des solutions proposées par le médecin et leur acceptation par le patient dépendra de leur étroite collaboration qui permettra de trouver la meilleure option basée sur « l’urgence ou la gravité de la situation, la quantité et la complexité des informations médicales, la composante émotionnelle de la décision, la prise en compte de facteurs sociaux familiaux et culturels » du patient (73).
Dans notre travail sur la transition dans le contexte des jeunes porteurs de VIH, ceci a été particulièrement mis en lumière. Par exemple, un médecin du secteur adulte expliquait qu’elle devait être « un petit peu parfois en dehors des clous » pour proposer une décision médicale adaptée à ces patients. Dans ce cas, le respect de l’« autonomie » de la patiente consistait en l’arrêt de ses médicaments quand « elle n’en pouvait plus ». Pour permettre cela, la soignante adaptait en amont le type de médications qu’elle délivrait à sa patiente. Elle expliquait « j’avais pas le choix mais il faut du coup adapter le traitement pour avoir des traitements qu’on peut interrompre complètement, moi je demande un truc : « t’arrêtes quand tu veux mais t’arrêtes tout, pas 1 jour sur 2, 1 comprimé sur 2 » et donc on a fait des années comme ça entre 18 ans et 23/24ans, mais du coup elle n’a pas fait de mutation parce qu’elle arrêtait tout d’un coup. C’est pas du tout ce qui est recommandé. ».
Cet exemple illustre parfaitement le nécessaire double engagement du médecin et du patient : le médecin joue une part active dans la décision du patient, en participant à la recherche de solution qui prévaut pour ce patient et la collaboration du patient autonome permet au médecin de proposer une décision médicale qui agit dans son meilleur intérêt (73). Ce type de collaboration est particulièrement nécessaire au moment de la transition, période où les besoins d’émancipation du jeune ne correspondent plus toujours aux cadres stricts imposés par la gestion de la maladie chronique qui était proposée pendant l’enfance. Une évolution de la relation thérapeutique est donc indispensable et devrait reposer sur un modèle de prise de décision partagée (74) c’est-à-dire la participation du médecin et du patient au processus de décision et la prise de décision commune avec consensus sur l’option choisie. Il suppose un partage mutuel de l’information et permet d’aboutir à des décisions qui sont appropriées aux deux acteurs. En revanche, l’absence d’échange, notamment lors de la transition, peut entraîner une confrontation entre le patient et le soignant, voire un abandon de soins.
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Table des matières
Liste des travaux liés à la thèse
Partie 1 : Introduction Générale
Partie 2 : Généralités et Etat de l’art
2.1. Les maladies chroniques
2.1.1. Définition de la maladie chronique
2.1.2. Epidémiologie en population européenne et française
2.1.3. Impact de la maladie chronique à l’adolescence
2.1.4. Prise en charge des maladies chroniques
2.2. Emergence de la problématique de la transition vers les soins pour adultes
2.2.1. Historique
2.2.2. Définition de la Society for Adolescents Medicine
2.2.3. La notion de « transfert »
2.3. Description du phénomène de la transition vers les soins pour adultes
2.3.1. Typologie des articles scientifiques publiés sur la thématique
2.3.2. Recommandations internationales généralistes et spécifiques d’une pathologie
2.3.3. Mesures des politiques de santé gouvernementales internationales
2.4. La transition : un phénomène complexe
2.4.1. Les univers de soins dans la transition
2.4.2. Les acteurs de la transition et leurs rôles
2.5. Le projet TRANSAD
2.5.1. Contexte du projet TRANSAD
2.5.2 Hypothèse et objectifs du projet TRANSAD
Partie 3 : Méthodologie
3.1. Utilisation des méthodes mixtes dans la recherche en santé publique
3.2. Méthodologie du projet TRANSAD
3.2.1. Choix des méthodes mixtes pour le projet TRANSAD
3.2.2. Chronologie du projet TRANSAD
Partie 4 : Présentation des travaux de recherche
4.1. Article 1 : Revue systématique des recherches interventionnelles de transition vers les soins pour adultes pour les adolescents porteurs de maladie chronique
4.2. Article 2 : La transition vers les soins pour adultes des jeunes ayant contracté le VIH pendant la période périnatale : une étude qualitative auprès des professionnels de santé
4.3. Article 3 : Identification d’un programme générique de transition : enquête de consensus avec les différents acteurs clés.
Partie 5 : Discussion
5.1. Synthèse des résultats principaux
5.2. Discussion des résultats de la thèse et de la littérature
5.2.1. Discussion des objectifs des programmes de transition destinés aux patients
5.2.2. Discussion des questions de recherche dans le champ de la transition
5.3. Forces et limites du travail
5.4. Perspectives
Partie 6 : Conclusion
Bibliographie
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