Impact de la localisation cellulaire de FLT3-ITD sur sa signalisation oncogénique 

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Thérapie historique : le 3+7

Le traitement classique pour les LAM repose sur la chimiothérapie intensive et se divise en deux phases. La première phase, dite d’induction, a pour objectif l’obtention d’une rémission complète (moins de 5% de blastes médullaires, et reconstitution de l’hématopoïèse périphérique), et consiste en une combinaison d’une anthracycline (daunorubicine, idarubicine, ou mitoxantrone : des inhibiteurs de la topoisomérase II) pendant 3 à 5 jours avec de la cytarabine (un analogue de nucléoside agissant de façon cytotoxique pendant la phase S du cycle cellulaire) en perfusion continue pendant 7 jours, ce qui lui a donné son appellation : le « 3+7 ». Après l’induction vient une phase de consolidation destinée à prévenir les rechutes. Les patients appartenant au groupe favorable de la classification de l’ELN 2017 et en rémission complète vont pouvoir poursuivre la chimiothérapie exclusive avec des cures répétées de cytarabine à hautes doses. Les patients appartenant aux autres sous-groupes seront orientés vers une greffe allogénique de CSH à chaque fois qu’elle sera possible.
Le 3+7 est utilisé depuis les années 1970, et a essentiellement fait l’objet d’optimisation de doses jusqu’en 2017 où ont été enregistrées de nouvelles molécules : d’une part la midostaurine (inhibiteur de FLT3), qui est désormais systématiquement ajoutée à la chimiothérapie intensive chez les patients porteurs de la mutation FLT3-ITD et FLT3-TKD ; et d’autre part la mise sur le marché aux Etats-Unis puis en Europe d’un médicament (Vyxeos®) encapsulant la cytarabine et la daunorubicine dans un liposome, qui permet de délivrer en même temps les deux médicaments, et ce de façon plus ciblée sur la moelle osseuse.
La chimiothérapie et l’allogreffe étant des traitements lourds, certains patients, dont les personnes âgées ou comorbides, ne sont pas éligibles pour les recevoir. L’alternative disponible pour ces patients depuis plusieurs années (Autorisation de mise sur le marché en 2004 aux Etats-Unis et en 2007 en France), est l’azacitidine (Vidaza®), un agent hypométhylant moins cytotoxique et mieux toléré que le traitement conventionnel, qui ne permet pas d’obtenir autant de rémissions complètes que la chimiothérapie, mais qui a néanmoins amélioré la survie globale (et la qualité de vie) par rapport aux soins de supports.

Nouvelles stratégies thérapeutiques

Avec l’identification des mutations récurrentes dans les LAM et les efforts déployés pour mieux comprendre la biologie de chaque sous-type, des cibles thérapeutiques potentielles ont émergé, et ces deux dernières années ont été particulièrement riches tant au niveau des essais cliniques que de l’enregistrement de nouvelles molécules pour le traitement des LAM. Les molécules enregistrées ou en développement prometteur sont répertoriées dans le tableau 6. Les inhibiteurs de FLT3 ont la part belle dans les molécules actuellement testées dans les LAM, avec l’enregistrement en 2017 du premier inhibiteur de FLT3, la midostaurine (un inhibiteur multikinase à large spectre), en association avec la chimiothérapie, et seront présentés plus en détail dans le chapitre de cette introduction portant sur FLT3-ITD. Les essais cliniques sur les inhibiteurs d’IDH 1 ou 2 ont eu des résultats très prometteurs sur les LAM en rechutes ou réfractaires (Eytan et al, 2017) qui ont mené à un enregistrement accéléré de l’enasidenib (anti-IDH2 muté) aux Etats-Unis avant même un essai de phase 3, ainsi qu’à l’enregistrement de l’ivosidenib (anti-IDH1-muté). On notera également l’approbation accélérée par la FDA (Food and Drug Administration) du venetoclax, un inhibiteur de la protéine anti-apoptotique Bcl2 déjà approuvé dans le traitement des LLC, qui a obtenu des résultats spectaculaires en traitement de première ligne en combinaison avec l’azacitidine ou la cytarabine à faible dose chez les patients âgés (>75 ans) ou non éligibles à une chimiothérapie classique (Lin et al, 2016 , DiNardo et al, 2018).
On assiste donc à une petite révolution dans le monde du traitement de la LAM, avec plus d’enregistrements de molécules ces deux dernières années que sur les quatre décennies précédentes. Par ailleurs de nombreuses molécules aux cibles variées (cycle cellulaire, immunothérapie, signalisation,…) actuellement en essais cliniques pourraient dans les prochaines années encore diversifier le panel de traitements disponibles pour les patients selon les caractéristiques de leur maladie. L’idée de la « thérapie à la carte » se concrétise donc de plus en plus pour les LAM grâce aux avancées qui ont culminé ces deux dernières années, et il est plus important que jamais de continuer d’étudier avec précision la biologie de cette maladie pour pouvoir améliorer le traitement des sous-groupes ne bénéficiant pas à l’heure actuelle de thérapie ciblée ou en cas d’échec ou de rechute après ces traitements.

Le récepteur FLT3 et sa mutation ITD

Ce travail de thèse se concentre sur la biologie des LAM portant la mutation FLT3-ITD, nous allons donc ici dans un premier temps présenter le récepteur FLT3 et ses fonctions dans l’hématopoïèse, puis détailler les conséquences de la mutation ITD au niveau de la signalisation induite par le récepteur, ainsi que son importance clinique dans les LAM.

Récepteur sauvage

FLT3 (Fms-Like Tyrosine kinase 3), également appelé CD135 ou flk2 (Foetal Liver Kinase 2) est un récepteur à activité tyrosine kinase (RTK) de classe III. La famille des RTK de classe III comprend six membres :
• Le récepteur FLT3
• C-Kit, le récepteur du SCF
• CSFR1 (ou Fms), le récepteur du Colony Stimulating Factor 1
• Le PGDFR (récepteur du Platelet Derived Growth Factor) alpha et beta
• Les récepteurs du VEGF (Vascular Endothelial Growth Factor 1 and 2)
Ce sont tous des récepteurs transmembranaires qui, comme tous les RTK, ont pour fonction d’activer des cascades de signalisation cellulaire après interaction avec leur ligand. Ils sont caractérisés par la présence de cinq à sept domaines de type immunoglobuline dans leur domaine extracellulaire (Terman et al, 1992).

Structure du récepteur

FLT3 est un RTK de classe III constitué d’un domaine extra cellulaire pour reconnaitre le ligand, et de trois domaines cytoplasmique : un domaine régulateur et deux domaines à activité tyrosine kinase.
Le récepteur FLT3 est une protéine codée par le gène FLT3 (chromosome 13q12), de 933 acides aminés. La protéine transmembranaire glycosylée a un poids moléculaire apparent de 160 kDa, nous verrons dans la suite de cette introduction qu’il existe une forme non glycosylée du récepteur, localisée à l’intérieur de la cellule, ayant un poids moléculaire de 130 kDa. FLT3 est constitué, comme tous les autres RTK de classe III, de N-ter en C-ter de :
• Un domaine extracellulaire d’interaction avec son ligand
• Un domaine transmembranaire « single-pass »
• Un domaine juxtamembranaire (JM) régulateur de son activité tyrosine kinase
• Deux domaines à activité tyrosine kinase (TK), le domaine N et le domaine C, et leur boucle d’activation (Figure 9).
En l’absence de ligand, le récepteur est sous forme monomérique en conformation dite d’auto-inactivation : la conformation du domaine JM bloque l’accès au site catalytique des domaines TK. Après fixation du ligand, les récepteurs vont former des homodimères, et ce changement de conformation va permettre leur autophosphorylation sur le domaine JM, ce qui va amener à sa libération du site catalytique. L’activation complète du récepteur nécessite ensuite un changement de conformation de la boucle d’activation, qui va passer en conformation DFG « in », où les chaines latérales de son motif DFG n’encombrent plus la poche à ATP (Fig. 10) ; l’auto-phosphorylation de la boucle d’activation va ancrer cette conformation, le récepteur passe alors en conformation dite active (Klug et al, 2018).
L’activation de FLT3 après fixation du ligand nécessite l’autophosphorylation du domaine régulateur et son changement de conformation. Traduit de Klug et al, 2018

Expression et fonctions de FLT3

A sa découverte, en 1991, FLT3 a été identifié comme un marqueur des compartiments les plus immatures (CSH, progéniteurs multipotents) de l’hématopoïèse (Matthews et al, 1991). Un travail à ensuite montré que FLT3 n’était en fait pas retrouvé dans les CSH, mais dans les progéniteurs multipotents n’ayant plus de capacité d’auto-renouvellement (Adolfsson et al, 2001). L’expression de FLT3 est ensuite maintenue chez les progéniteurs engagés myéloïdes et lymphoïdes (Zriwil et al, 2018), puis dans certaines voies de différenciation : on retrouve FLT3 dans la CFU-GM (Böiers et al, 2010) et tout le long de la différenciation monocytaire (Kim et al, 2015, Stirewalt et Radich, 2003), ainsi que dans les précurseurs des cellules dendritiques (Karsunky et al, 2003) (Fig. 11). Cependant, l’expression de FLT3 n’est a priori pas restreinte aux cellules hématopoïétiques : son ARNm ainsi que la protéine ont été détectés dans des cellules du placenta et du système nerveux (deLapeyrière et al, 1995) sans toutefois qu’une fonction de FLT3 dans ces organes n’ait été caractérisée.
FLT3 : forte expression FLT3 : expression plus faible. CFU-D : précurseur des cellules dendritiques
L’invalidation génétique de FLT3 (KO) chez la souris n’a pas d’effet sur la population de cellules hématopoïétiques matures, et donne des individus sains (Mackarehtschian et al, 1995). Cependant, ces souris ont un compartiment des progéniteurs lymphoïdes réduit. De plus, la greffe de CSH de souris FLT3 KO ne permet pas de reconstituer une hématopoïèse complète chez les souris receveuses, avec des déficiences aussi bien dans la branche myéloïde que lymphoïde, indiquant l’importance de FLT3 pour le maintien des cellules hématopoïétiques multipotentes.
La fonction principale de FLT3 semble être la régulation de mécanismes de prolifération et de survie dans les cellules hématopoïétiques. En effet, la stimulation de FLT3 induit une expansion des CSH in vitro (Zeigler et al, 1994), et de nombreux progéniteurs hématopoïétiques sont stimulés par un traitement avec le ligand de FLT3 (FL) : les progéniteurs lymphoïdes, les cellules dendritiques et les cellules Natural Killer, ainsi que les CFU-GM (Lyman et Jacobsen, 1998, Nicholls et al, 1999) . De plus, l’injection de FL provoque une augmentation du nombre de lymphocytes et des cellules myéloïdes dans le sang, ainsi qu’une expansion des progéniteurs myéloïdes CFU-GEMM et CFU-GM (Brasel et al, 1996). La signalisation FLT3 semble également jouer un rôle dans la différenciation des monocytes/macrophages (Nicholls et al, 1999) et des lymphocytes B (Ray et al, 1996).
Les souris KO pour FLT3 et pour KIT (gène codant pour le récepteur au SCF c-Kit, un RTK de classe III également impliqué dans l’hématopoïèse) présentent une population de cellules hématopoïétique très réduite par rapport aux souris sauvages ou simple KO, avec une lignée lymphoïde particulièrement affectée (Mackarehtschian et al, 1995). Ce travail suggère donc une collaboration de la signalisation de FLT3 et de KIT pour assurer le bon déroulement de l’hématopoïèse. Cette hypothèse a par la suite été corroborée par plusieurs travaux qui ont montré une synergie du ligand de FLT3 (FL) avec d’autres facteurs pour induire la prolifération des cellules hématopoïétiques. En effet, il a été montré in vitro que l’association du FL avec le SCF ou des interleukines (IL6, IL3, IL11 et

Signalisation en aval de FLT3

L’interaction de protéines à domaine SH2 avec le récepteur activé permet la transduction d’un signal pro-survie et prolifération. Adapté de Swords et al, 2012 et Staudt et al, 2018
Comme nous l’avons décrit précédemment, la fixation du FL à FLT3 conduit à la dimérisation du récepteur, et à son activation via la transphosphorylation de ses domaines JM et TK. Ceci permet le recrutement au niveau du domaine TK de protéines adaptatrices à domaine SH2 (Src Homology 2) telles que les kinases de la famille Src (« Sarc », de « sarcome »), Grb2 (Growth factor receptor-bound protein 2), Shc (SH2-containing collagen-related protein), et SHP2 (Src Homology Phosphatase 2) (Dosil et al, 1993, Heiss et al, 2006) qui vont permettre la transduction du signal pour permettre la prolifération et la survie des cellules hématopoïétiques (Figure 12) .
Il a été montré dans la souris que la sous-unité p85 de la PIK3 (PhosphatidylInositol Kinase 3) pouvait également se lier au récepteur phosphorylé (Dosil et al, 1993), cependant il semblerait que son mécanisme de régulation chez l’humain soit plus indirect, via les protéines Gab et Grb2 (Zhang et al, 1999 et Octobre 2000). Les protéines Gab peuvent également moduler la signalisation de la voie des MAP Kinases (Zhang et al, Octobre 2000), et un travail sur la mégacaryopoïèse a montré l’activation de la p38-MAPK en aval de FLT3 (Desterke et al, 2011). Une activation du facteur de transcription STAT5a (mais pas STAT5b) après activation de FLT3 a également été décrite, mais si STAT5 est d’ordinaire activé par la kinase JAK en réponse aux cytokines, cela ne semble pas être le cas ici et le mécanisme d’activation de STAT5a dans ce modèle reste à élucider (Zhang et al, Septembre 2000).

Le FLT3 ligand

Le FLT3 ligand (ou FL), cloné en 1995 chez l’homme (Lyman et al, 1994), est une protéine transmembranaire de type I de 235 acides aminés. Le domaine N-terminal extracellulaire de cette protéine peut-être clivé par la TNFα converting enzyme (TACE) pour libérer une forme soluble du FL ( Lyman et al, 1994, Horiuchi et al, 2010). La forme soluble et la forme transmembranaire du FL peuvent toutes les deux stimuler les cellules exprimant FLT3 (Lyman et al, 1994, Hannum et al, 1994). Différents variants d’épissage de l’ARNm de FL ont été retrouvés exprimés dans de nombreux tissus (Hannum et al, 1994), et il est plus particulièrement retrouvé exprimé dans les cellules stromales de la moelle osseuse (Lisovsky et al, 1996). La grande variété des tissus qui expriment le FL indique que la spécificité de son action va dépendre des cellules exprimant son récepteur, FLT3. La présence de FLT3 sur des cellules hématopoïétiques exprimant aussi le FL témoigne d’un mode d’action autocrine et paracrine du FL.
Les souris KO pour le FL ont un phénotype plus sévère que celui des souris KO pour FLT3 : on observe une forte diminution de certaines populations de cellules hématopoïétiques, notamment les lymphocytes et les cellules dendritiques. Cette différence pourrait s’expliquer par les lignées de souris utilisées, ou bien par l’existence d’un autre récepteur au FL encore non identifié (Taspogas et al, 2017). A l’inverse, des souris surexprimant le FL présentent une augmentation du compartiment myéloïde, ainsi que des progéniteurs hématopoïétiques et des cellules dendritiques, associée à une splénomégalie, une hyperleucocytose, et une anémie due à la réduction du compartiment érythrocytaire (Taspogas et al, 2014). Cette capacité du FL à stimuler l’hématopoïèse a récemment été exploitée dans un travail sur la vaccination anti-tumorale : l’utilisation de FL en adjuvant à un vaccin intra-ganglionnaire administrant un ARNm codant pour un antigène tumoral a permis une meilleure mobilisation et expansion des lymphocytes T cytotoxiques, et donc à une meilleure réponse immunitaire anti-tumorale in vivo (Kreiter et al, 2016).

FLT3 et son ligand dans l’hématopoïèse leucémique

L’expression du récepteur FLT3 est souvent dérégulée dans les hémopathies malignes. Plus précisément, on observe très fréquemment une surexpression de l’ARNm et de la protéine FLT3 dans les blastes de LAM et de leucémie aiguë lymphoblastique de type B (LAL-B) (Carow et al, 1996, Birg et al, 1992), et parfois dans les leucémies chroniques et les LAL-T (Rosnet et al, 1996). L’expression de FLT3 dans les cellules de LAM coïncide avec l’expression du FL, et cette double expression permet l’activation constitutive de FLT3 dans les cellules leucémiques de façon autocrine (Zheng et al, 2004). La stimulation de cellules leucémiques (échantillons primaires ou lignées cellulaires) par le FL ou une combinaison FL+SCF stimule leur prolifération et permet leur survie dans un milieu sans sérum (Drexler et al, 1999). Par ailleurs, la trisomie du chromosome 19 (chromosome où se trouve le gène FLT3LG codant pour le FL) est souvent retrouvée dans certaines hémopathies malignes de la lignée myéloïde (Nimmer et al, 2002).
Au-delà des modifications de son expression, le récepteur FLT3 peut être muté dans les hémopathies malignes, et plus particulièrement dans les LAM, où près d’un patient sur trois présente une mutation activatrice de FLT3 (Taspogas et al, 2017). Ces mutations sont souvent retrouvées dans la région codant pour le domaine juxtamembranaire (il s’agit des mutations ITD que nous allons détailler ci-dessous), mais il existe également des mutations ponctuelles (substitutions) affectant les domaines tyrosine kinase, appelées mutations TKD.

Le récepteur muté FLT3-ITD

Description de la mutation ITD

ITD signifie «Internal Tandem Duplication » : il s’agit d’une duplication de 3 à 400 paires de base dans une partie de la séquence du gène FLT3 codant pour le domaine JM (exon 14 ou 15), ne modifiant pas le cadre de lecture. Cette modification du domaine JM lève sa fonction d’inhibition de l’activation du récepteur en l’absence de ligand : le récepteur muté peut se dimériser et autophosphoryler ses domaines TK de façon constitutive (Kiyoi et al, 1998) pour ensuite activer la signalisation cellulaire en aval (Figure 13). Dans le cas d’une mutation hétérozygote, le récepteur FLT3-ITD peut aussi bien s’homodimériser ou former des hétérodimères avec la forme sauvage du récepteur. En effet, la modification structurale du domaine JM sur FLT3-ITD permet de lever l’auto-inhibition du récepteur sauvage en l’absence de FL (Kiyoi et al, 2002).
La mutation ITD affecte la conformation du domaine juxtamembranaire régulateur (JM), ce qui ne lui permet plus d’inhiber l’autophopshorylation et l’activation de FLT3 en l’absence de ligand.

Signalisation en aval du récepteur muté

L’introduction d’une mutation FLT3-ITD dans un modèle murin, d’abord par greffe de cellules Baf3 porteuses de la mutation, puis par knock-in d’un allèle muté directement dans les souris (FLT3WT/ITD), conduit à l’établissement d’un syndrome myéloprolifératif caractérisé entre autres par une splénomégalie et une hyperleucocytose (Kelly et al, 2002, Li et al, 2008). La perte de l’allèle sauvage chez les souris knock-in (FLT3ITD/ITD) rend la maladie encore plus agressive, mais ne permet toujours pas d’obtenir un phénotype de LAM, car si les cellules mutées prolifèrent de façon exacerbée, elles se différencient toujours en cellules hématopoïétiques matures. Ces observations ont permis de classer FLT3-ITD comme une mutation driver de type I dans le modèle du double hit (Li et al, 2011).
L’activation constitutive du récepteur permet donc la transduction d’un signal favorisant la prolifération et la survie des cellules leucémiques ; on retrouve d’ailleurs activées en aval de FLT3-ITD les voies PI3K et MAPK, impliquées dans la prolifération des cellules hématopoïétiques en réponse au FL dans un contexte FLT3 sauvage (Staudt et al, 2018).
L’inhibition de la voie des MAPK grâce à un dominant négatif de la protéine Ras ou un inhibiteur de MEK inhibe significativement la prolifération des cellules FLT3-ITD (Mizuki et al, 2000, Takahashi, 2006), illustrant le rôle de cette voie dans la prolifération induite par l’oncogène FLT3-ITD. Par ailleurs, le rôle des MAPK dans la résistance à l’apoptose des cellules FLT3-ITD a été montré en 2005 par Yang et al : la kinase RSK1 est activée en aval de ERK (Extracellular signal-Regulated Kinase), et va permettre la phosphorylation de la protéine pro-apoptotique BAD (Bcl-2 Associated Death promoter), l’empêchant d’initier l’apoptose (Yang et al, 2005). La voie PI3K/Akt permet également de stimuler la prolifération tout en échappant à la mort cellulaire en aval de FLT3-ITD, notamment par la phosphorylation inactivatrice du facteur de transcription de la famille Forkhead Foxo3a et donc l’inhibition de l’expression de ses cibles, dont le régulateur négatif du cycle cellulaire p27KIP1, et la protéine pro-apoptotique Bim (Scheijen et al, 2004, Brandts et al, 2005). Au-delà de l’activation constitutive des voies classiquement activées par le FL dans les cellules hématopoïétiques, on trouve en aval de FLT3-ITD une activation très marquée du facteur de transcription STAT5, activation qui n’est pas retrouvée (ou bien plus faiblement) dans des cellules exprimant le récepteur sauvage ou portant une mutation TKD (Choudharhy et al, 2005). Le mode d’activation de STAT5 par FLT3-ITD est encore sujet à controverse : il semblerait que FLT3-ITD n’active pas la kinase JAK (principal régulateur des facteurs STAT), et un article paru en 2007 propose une régulation directe de STAT5 par FLT3-ITD (Choudhary et al, 2007). Cependant, des travaux plus récents ont montré que STAT5 pouvait être activé en aval de FLT3-ITD par plusieurs kinases de la famille Src : Lyn (Okamoto et al, 2007), Src (Leischner et al, 2012), et Fyn (Chougule et al, 2016). STAT5 a de nombreuses cibles qui se sont avérées essentielles pour les cellules leucémiques FLT3-ITD. On peut tout d’abord citer la kinase Pim 1 qui, en aval de FLT3-ITD, régule la prolifération et la survie des cellules leucémiques via ses cibles telles que la protéine anti-apoptotique BAD (Kim et al, 2005), ou la kinase Chk1 (Yuan et al, 2013). STAT5 permet également l’expression de la protéine anti-apoptotique MCL-1 (Yoshimoto et al, 2009), et du régulateur du cycle cellulaire CDC25A, qui a été identifié par notre équipe comme un acteur essentiel dans la biologie des LAM FLT3-ITD (Bertoli et al, 2015, ce travail sera présenté plus en détails à la fin de la partie de l’introduction traitant de CDC25A). De par ses cibles et sa spécificité à la mutation ITD, STAT5 est considéré comme un acteur essentiel de la signalisation oncogénique de FLT3-ITD dans les LAM.
Un résumé de la signalisation oncogénique en aval de FLT3-ITD est proposé figure 15.

Impact de la localisation cellulaire de FLT3-ITD sur sa signalisation oncogénique

FLT3, comme toute protéine adressée à la membrane, est synthétisé au niveau des ribosomes du réticulum endoplasmique rugueux (RER), et va ensuite rejoindre la membrane plasmique en passant par un transport vésiculaire et l’appareil de Golgi. Comme nous l’avons vu précédemment, il existe deux formes de FLT3 : une forme mature glycosylée de 160 kDa, retrouvée à la membrane, et une forme non glycosylée de 130 kDa, qui reste localisée au niveau du réticulum endoplasmique (Schmidt-Arras et al, 2005). Dans le cas du récepteur muté, la forme immature est la forme majoritaire dans les cellules. On peut supposer que la modification de la séquence de FLT3 perturbe le processus de maturation de la protéine, et cette localisation intracellulaire permet au récepteur muté d’émettre une signalisation différente de celle du récepteur membranaire (Choudhary et al, 2009). En effet, Le FL étant retrouvé uniquement à l’extérieur des cellules, cette forme non glycosylée ne peut a priori pas émettre de signal. Cependant, lorsque le récepteur est constitutivement activé par la mutation ITD, il peut alors signaler à la fois depuis la membrane plasmique et depuis le RE. Il a été montré en 2009 que la forme mature transmembranaire de FLT3-ITD activait de façon constitutive les voies situées en aval du récepteur sauvage (MAPKinases et PI3K), mais que la forme non glycosylée située au niveau du RER était responsable de l’activation de STAT5 (Schmidt-Arras et al, 2005, Choudhary et al, 2009) (Figure 14).

Le rôle inattendu de FLT3-ITD dans le blocage de différenciation

Comme nous l’avons décrit précédemment, FLT3-ITD est considérée comme une mutation de type I dans le modèle du double hit, c’est-à-dire qu’elle permet la prolifération anormale des cellules ; et cette théorie semble appuyée par les modèles murins. Cependant plusieurs travaux ont montré un rôle pour FLT3-ITD dans le blocage de différenciation des cellules leucémiques chez l’humain.
En 2000, une expérience de transcriptomique comparant des cellules exprimant le récepteur sauvage ou le récepteur muté a montré que la mutation ITD induisait une forte baisse de l’expression de facteurs de transcriptions PU.1 et C/EBPα, impliqués dans la différenciation myéloïde (Mizuki et al, 2003). En plus de son expression, FLT3-ITD peut également inhiber la fonction de C/EBPa en favorisant sa phosphorylation par la kinase ERK ou CDK1, et son inhibition induit une différenciation granulocytaire des lignées cellulaires leucémiques exprimant FLT3-ITD (Radomska et al, 2006, Radomska et al, 2012). Notre équipe a également identifié CDC25A comme régulateur potentiel de C/EBPa en aval de FLT3-ITD, et l’inhibition ou l’invalidation génétique de CDC25A dans des lignées leucémiques ou des cellules primaires exprimant FLT3-ITD induit une différenciation vers la lignée monocytaire (Bertoli et al, 2015). En ce qui concerne PU.1, la régulation de son expression en aval de FLT3-ITD est médiée par le micro-ARN 155 (miR-155), dont l’expression est induite par STAT5 et NF-κB, et qui cible l’ARNm de PU.1 (voir la partie IV. A. c de cette introduction pour une explication du fonctionnement des micro-ARN). L’inhibition de miR-155 ou la surexpression de PU.1 sont à l’origine d’une réduction de la prolifération et d’une induction de l’apoptose des cellules leucémiques exprimant FLT3-ITD (Gerloff et al, 2015). Il a plus récemment été montré que FLT3-ITD régulait, de façon positive cette fois, l’expression d’un autre facteur de transcription impliqué dans la différenciation myéloïde : le facteur RUNX1 ; l’inhibition de RUNX1 bloque la prolifération et relance la différenciation myéloïde des cellules FLT3-ITD, et les sensibilise à l’inhibition de FLT3-ITD (Hirade et al, 2016)
Enfin, Sexauer et al ont montré l’impact du micro-environnement sur la différenciation des cellules leucémiques FLT3-ITD. Ils ont tout d’abord remarqué dans le cadre d’un essai clinique de phase II testant un inhibiteur de FLT3 en traitement de la LAM en rechute ou réfractaire (Nybakken et al, 2016) que certains patients présentaient une différenciation des cellules leucémiques en réponse à l’inhibition de FLT3. Ils ont démontré grâce à des échantillons primaires et des lignées leucémiques FLT3-ITD que le traitement par un inhibiteur de FLT3 induit la mort des blastes circulants, mais la différenciation des blastes situés dans la moelle osseuse (Sexauer et al, 2012).

Impact pronostique de la mutation FLT3-ITD

La mutation FLT3-ITD est retrouvée dans plus de 20% des patients atteints de LAM, ce qui en fait la deuxième mutation la plus fréquente, et est particulièrement associée aux caryotypes dits intermédiaires (en particulier normaux) et aux LAM de type M5 de la classification FAB (monocytaires) (Thiede et al, 2002, Papaemmanuil et al, 2016). Les LAM avec mutation FLT3-ITD sont souvent hyperleucocytaires à cause d’une forte prolifération des cellules leucémiques (DiNardo et Cortes, 2016), et la présence de la mutation confère un mauvais pronostic aux LAM avec caryotype intermédiaire. En effet, les LAM FLT3-ITD rechutent plus souvent, ce qui diminue la survie globale des patients (Abu-Duhier, 2000, Fröhling et al, 2002). De plus, la mutation peut apparaitre à la rechute chez des patients où elle n’a pas été détectée au diagnostic, ce qui peut suggérer l’existence d’un clone très minoritaire au diagnostic portant la mutation qui se serait étendu après la chimiothérapie (Shih et al, 2002).
Comme nous avons pu rapidement le voir dans la partie traitant de la classification pronostique des
LAM, il existe des facteurs modulant l’impact pronostique de la mutation FLT3-ITD (ELN 2017) :
• Les mutations associées : L’association de FLT3-ITD à des mutations du gène NPM1 confère un meilleur pronostic aux patients d’après la classification de l’ELN 2017
• Le ratio allélique : un ratio élevé de l’allèle muté par rapport à l’allèle sauvage confère un mauvais pronostic aux patients (Thiede et al, 2002), qui sont désormais séparés en FLT3-ITD high (ratio > 0,5) et low (ratio <0,5). Les patients FLT3-ITD low présentant aussi une mutation de NPM1 ont un pronostic similaire aux patients non mutés pour FLT3 (Pratcorona et al, 2013).
• La taille de l’insertion en tandem : Comme nous l’avons vu plus haut, la taille de l’insertion peut varier de plusieurs centaines de paires de bases, et la taille de l’insertion a été décrite comme corrélée à un mauvais pronostic et une survie globale plus faible (Stirewalt et al, 2006). Cependant, ces résultats ont par la suite été remis en question (Gale et al, 2008, Kusec et al, 2006), des études plus poussées semblent donc nécessaires pour trancher sur l’impact pronostique véritable de la taille de l’insertion.
• La localisation de l’insertion : Une localisation de l’insertion hors du domaine JM (retrouvé dans 15% des cas) a été décrite comme un facteur pronostic défavorable (Schlenk et al, 2014).
Par ailleurs, depuis 2017 les patients porteurs de la mutation bénéficient d’une thérapie ciblée qui a permis d’améliorer significativement la survie de ces patients : la midostaurine (un inhibiteur de tyrosine kinase ciblant FLT3) est en effet désormais utilisée de manière systématique en combinaison avec la chimiothérapie standard d’induction (anthracycline + cytarabine), les consolidations et l’entretien pour les patients adultes porteurs de LAM avec la mutation FLT3-ITD.

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Table des matières

GLOSSAIRE DES ABBREVIATIONS ET ACRONYMES
INTRODUCTION
I. LES LEUCEMIES AIGÜES MYELOÏDES 
A. L’HEMATOPOÏESE
a) Généralités sur l’hématopoïèse
b) La cellule souche hématopoïétique
c) La niche hématopoïétique
d) Déroulement de l’hématopoïèse
e) Facteurs régulant l’hématopoïèse
B. GROS PLAN SUR LA DIFFERENCIATION GRANULO-MONOCYTAIRE
C. HEMOPATHIES MALIGNES
D. LES LEUCEMIES AIGUËS MYELOÏDES (LAM)
a) Généralités
b) Hématopoïèse leucémique
c) Symptômes et diagnostic
d) Classification et pronostic
e) Mutations et leucémogenèse
f) Thérapie historique : le 3+7
g) Nouvelles stratégies thérapeutiques
II. LE RECEPTEUR FLT3 ET SA MUTATION ITD 
A. RECEPTEUR SAUVAGE
a) Structure du récepteur
b) Expression et fonctions de FLT3
a) Signalisation en aval de FLT3
b) Le FLT3 ligand
c) FLT3 et son ligand dans l’hématopoïèse leucémique
B. LE RECEPTEUR MUTE FLT3-ITD
a) Description de la mutation ITD
b) Signalisation en aval du récepteur muté
c) Impact de la localisation cellulaire de FLT3-ITD sur sa signalisation oncogénique
d) Le rôle inattendu de FLT3-ITD dans le blocage de différenciation
e) Impact pronostique de la mutation FLT3-ITD
f) Mécanismes de résistance à la chimiothérapie
C. DEVELOPPEMENT D’INHIBITEURS DE FLT3
a) Mécanisme(s) et spécificité de l’inhibition de FLT3
b) État de l’art des inhibiteurs de FLT3 utilisés ou testés en clinique
c) Comment contourner le problème des résistances aux inhibiteurs de FLT3 ?
III. LE REGULATEUR DU CYCLE CELLULAIRE CDC25A 
A. LE CYCLE CELLULAIR
a) Les phases du cycle cellulaire
b) Contrôle du déroulement du cycle cellulaire
B. LA FAMILLE DES PHOSPHATASES CDC25
a) Fonction
b) Structure et régulation
C. FONCTIONS NON CANONIQUES DE CDC25A
D. MODES DE REGULATION DE CDC25A
a) Régulation transcriptionnelle de CDC25A
b) Post transcriptionnelle et traductionnelle
c) Stabilité
d) Activité
e) Localisation de CDC25A
E. CDC25A ET CANCER
a) Expression de CDC25A dans les cancers
b) Rôle de CDC25A dans l’oncogenèse
c) Inhibition pharmacologique de CDC25A en cancérologie
F. CDC25A DANS L’HEMATOPOÏESE NORMALE ET LEUCEMIQUE
IV. LE MICRO-ARN 
A. LES MICRO-ARN
a) Transcription des micro-ARN
b) La voie canonique de maturation des micro-ARN
c) Mécanismes de la régulation de l’expression protéique par les micro-ARN
B. MICRO-ARN ET CANCER
a) Dérégulation de l’expression des micro-ARN dans les cancers
b) Rôle des micro-ARN dans la tumorigenèse
d) Micro-ARN et LAM
C. LE MICRO-ARN 16 (MIR-16)
a) Les clusters miR-15/16
b) Cibles et fonctions biologiques principales
c) Fonctions du micro-ARN 16 dans les cancers
d) Dérégulations de l’expression du micro-ARN 16 dans les cancers
e) Micro-ARN-16 et hémopathies malignes
CONTEXTE SCIENTIFIQUE ET OBJECTIFS DE LA THESE
RESULTATS 
I. RESUME DES METHODES UTILISEES 
A. MODELES D’ETUDE
B. MODULATION ET QUANTIFICATION DE L’EXPRESSION DES MICRO-ARN
C. ETUDE DE LA DIFFERENCIATION
II. RESULTATS PRINCIPAUX 
A. REGULATION DE CDC25A EN AVAL DE FLT3-ITD
a) FLT3-ITD régule le niveau d’ARNm de CDC25A via STAT5
b) STAT5 est un régulateur transcriptionnel direct de CDC25A
c) FLT3-ITD réprime l’expression du micro-ARN-16 via STAT5
d) Le micro-ARN 16 : régulateur clé de CDC25A en aval de FLT3-ITD
B. IMPORTANCE FONCTIONNELLE DU MICRO-ARN-16 DANS LES LAM FLT3-ITD
a) La réexpression du micro-ARN-16 dans les cellules FLT3-ITD affecte leur prolifération
b) La surexpression du micro-ARN-16 induit la différenciation des cellules FLT3-ITD
III. MANUSCRIT 
IV. RESULTATS SUPPLEMENTAIRES 
A. IMPORTANCE DE BCL2 DANS LE MODELE FLT3-ITD
a) Régulation de l’expression de Bcl2 par FLT3-ITD
b) Impact de l’inhibition de Bcl2 dans les cellules leucémiques FLT3-ITD
B. IMPACT DE L’ADHESION CELLULAIRE SUR LES CELLULES FLT3-ITD
V. CONCLUSION DES RESULTATS 
DISCUSSION GENERALE 
BIBLIOGRAPHIE

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