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Généralités sur les protéines sériques
Les protéines sériques constituent la fraction soluble des protéines du lait. Elles sont généralement extraites du lactosérum, produit dérivé de la fabrication fromagère et/ou de la précipitation des caséines (Patel et coll., 1990). Elles sont constituées essentiellement de la β-lactoglobuline (β-Lg), de l’α-lactalbumine (α-La), de l’albumine sérique bovine (BSA) et des immunoglobulines (de Wit, 1981). Leur faible concentration dans le lactosérum a conduit au développement des techniques membranaires permettant la production des concentrés de protéines sériques (WPC) et des isolats de protéines sériques (WPI) dont les teneurs sont respectivement de 50 à 85% pour les WPC et d’au moins 90% pour les WPI. L’utilisation à l’échelle industrielle de la chromatographie d’échange d’ions a également permis la production de protéines purifiées.
La -lactoglobuline
• Origine et utilisation:
La -Lactoglobuline ( -Lg) est présente dans le lait des mammifères, à l’exception des primates et des rongeurs. Dans le lait de vache, sa concentration varie entre 2 et 4 g.L-1 : c’est la protéine sérique majoritaire (50%). D’un point de vue industriel, cette protéine a été largement utilisée en nutrition animale, et actuellement, elle suscite un intérêt dans le domaine alimentaire, en particulier dans les produits allégés en matière grasse ou encore dans les crèmes glacées (Cayot & Lorient, 1998).
• Structure:
La séquence primaire de la -Lg bovine comporte 162 acides aminés pour une masse molaire calculée de 18600 g.mol-1. Elle possède deux ponts disulfures et un groupement sulfhydryle libre (Cayot & Lorient, 1998).
La -Lg contient 10% d’hélices α, 50% de feuillets β, 8% de coudes et 35% de régions désordonnées (Qi et coll., 1997). La structure tertiaire de la -Lg, native et complexée, a été résolue en RMN et diffraction des rayons X jusqu’à 1,8 Å par Brownlow et coll. (1997). La protéine présente une structure en calice lui conférant son appartenance à la famille des lipocalines. Le monomère, est formé par neuf feuillets β antiparallèles enroulés (Figure I.1.) dont huit forment le cœur de la molécule.
La β-Lg présente une large gamme de structures quaternaires traduites par différents stades d’oligomérisation en fonction du pH du milieu. La concentration en protéines, la force ionique et la température peuvent modifier les proportions de monomères, de dimères et d’octamères. Un certain nombre de changements conformationnels réversibles de faible ampleur accompagne l’oligomérisation de la protéine lorsque l’on augmente ou que l’on diminue le pH (Ananthanarayananan et coll., 1977) et il a été possible d’établir par RMN les différents degrés d’association des monomères de la β-Lg (Figure I.2.).
De pH 3 à pH 7,5, à température ambiante, la β-Lg existerait vraisemblablement sous la forme d’un ensemble dimérique à l’aspect pseudo-cyclique avec un diamètre de 3,6 nm et une hauteur de 6,93 nm (Timasheff & Townend, 1964). L’implication de liaisons hydrogène entre groupements carboxyles serait à l’origine de cette structure (Creamer et coll., 1983). Cependant, à basse température (0-4°C) entre pH 3,7 et 5,1, et pour une concentration supérieure à 1,5%, le dimère se tétramérise pour former un octamère (Townend et coll., 1960).
Si le pH augmente au delà de 7,5 ou diminue en deçà de 2, les dimères de la β-Lg se dissocient en monomères. Cette monomérisation serait due à l’augmentation de la charge nette de la protéine et à l’accroissement des forces électrostatiques répulsives qui en résulte. Il s’effectue sans changement majeur de conformation (Swaisgood, 1982).
Pour des pH extrêmes (pH > 9), la protéine est dénaturée.
Les immunoglobulines
Bien que possédant des ponts disulfures, la dénaturation des immunoglobulines (Ig) n’est pas affectée par les réactifs possédant un ou des groupes –SH. Dans le lait froid, elles s’associent aux globules gras et les agrégats obtenus remontent en surface : cette propriété disparaît au cours de la dénaturation (Cheftel & Lorient, 1982).
Dénaturation et agrégation des protéines sériques
Sous l’effet de traitements thermiques ou thermomécaniques, les protéines sériques se dénaturent, puis s’agrègent (Clark, 1998 ; Clark et coll., 2001 ; Gosal et coll., 2000). L’agrégation thermique des protéines sériques a fait l’objet d’un grand nombre d’études (par exemple, de la Fuente et coll., 2002) et en particulier l’agrégation de la β-Lg qui a souvent été utilisée comme protéine modèle représentative (Aymard et coll., 1996 ; Verheul et coll., 1998).
La chaleur est l’un des principaux agents physiques induisant la dénaturation des protéines. La dénaturation d’une protéine native se définit comme un changement dans sa structure tridimensionnelle, qu’il concerne le niveau secondaire, tertiaire ou quaternaire. La structure des protéines peut être affectée de façon réversible ou irréversible. Une dénaturation irréversible se déroule en deux étapes. La première est réversible et consiste en une rupture des liaisons intramoléculaires de l’état natif de la protéine. Cela correspond à la disparition d’une partie de la structure tridimensionnelle de la protéine. La seconde étape est le déplissement de la protéine qui mène à un ou plusieurs états dénaturés (Galani & Owusu Apenten, 1996).
Un traitement thermique doux (par exemple à près de 60°C) permet le déplissement des protéines sériques et une exposition des groupements –SH, alors qu’un traitement thermique supérieur à 65°C mène à la dénaturation et à l’agrégation des protéines du lactosérum. L’ordre de dénaturation des différentes protéines sériques est le suivant: immunoglobuline > sérum albumine bovine > β-lactoglobuline > α-lactalbumine (Morr & Ha, 1993). La vitesse de dénaturation est également influencée par le pH, l’environnement minéral et la concentration en solides.
Les protéines sériques sont particulièrement sensibles à la dénaturation thermique et aux interactions entre les ions Ca2+ et les protéines. Elles sont susceptibles de s’agréger et de précipiter à cause des interactions électrostatiques à des pH voisins de 4,5 et 4,6. A ces pH, donc près du point isoélectrique (pI) des protéines sériques, la β-Lg et l’α-La dénaturées thermiquement forment des agrégats insolubles par des liaisons électrostatiques, des interactions hydrophobes et des forces de Van der Waals. À son pI, une protéine a une charge nette égale à zéro : elle comporte des groupements chargés négativement et positivement qui peuvent se lier aux groupements des autres protéines et ainsi s’agréger et précipiter (Galani & Owusu Apenten, 1996). Lorsque le pH s’éloigne du pI, il y a une augmentation des charges répulsives suivie d’un déplissement de la protéine. Il n’y a donc pas d’agrégation car le déplissement de la protéine est favorisé grâce aux répulsions électrostatiques (Galani & Owusu Apenten, 1996).
Le dernier facteur influençant la vitesse de dénaturation est la concentration en matières sèches. Nielsen et coll. (1973) ont étudié ce facteur et rapporté que la concentration en solides totaux, qui sont principalement constituées de lactose, affecte fortement la vitesse relative de dénaturation de chacune des protéines sériques prises individuellement dans un lactosérum doux concentré sous vide. Le pourcentage de protéines dénaturées en chauffant le lactosérum pendant 20 minutes à 80°C baisse de 80 à 40% lorsque les solides totaux passent de 9 à 44%. Ces auteurs suggèrent que les protéines de lactosérum sont plus sensibles à la chaleur lorsque la concentration en lactose est faible.
Globalement, les conditions d’agrégation des protéines sériques sont proches de celles de la β-Lg seule ; nous ne détaillerons donc par la suite que les mécanismes relatifs à l’agrégation de cette protéine.
Dénaturation et agrégation de la β-lactoglobuline par la chaleur
Lors du chauffage, le mécanisme de dénaturation de la -lactoglobuline débute par la dissociation de la structure dimérique de la molécule (dans les conditions de pH et de concentration du lait). La rupture de la structure quaternaire et les modifications des structures tertiaire et secondaire de la -lactoglobuline conduisent à deux grands événements : l’exposition du groupement sulfhydryle de la protéine qui entraîne des échanges de ponts disulfures au sein même de la molécule ou avec une protéine voisine : à partir d’une valeur de pH de 6, le groupement sulfhydryle dont le pK est voisin de 9,38 (Kella & Kinsella, 1988) se trouve sous la forme thiolate (R–S–, forme nucléophile) en quantité suffisante pour pouvoir être responsable d’attaques nucléophiles sur les ponts disulfures présents dans la structure de la -lactoglobuline. Il s’établit donc des liaisons interprotéiques par échange de ponts disulfures selon un mécanisme pH-dépendant (Kella & Kinsella, 1988 ; Cayot & Lorient, 1998 ; Havea et coll., 1998). Ce mécanisme peut même avoir lieu sans traitement thermique, en présence d’urée, comme le rapportent Katsuka et coll. (1997). Ceux-ci ont alors observé la formation de polymères protéiques issus d’échanges de ponts disulfures, sans traitement thermique, par exposition de groupements sulfhydryles.
le déplissement de la protéine qui conduit à une augmentation de l’exposition de ses zones hydrophobes internes et, consécutivement, à l’association de plusieurs zones hydrophobes entre elles (soit d’une même protéine, soit de deux unités différentes). Le déplissement thermo-induit de la -lactoglobuline et l’exposition de zones hydrophobes permettent de former des agrégats protéiques par l’intermédiaire d’interactions physico-chimiques (Hines & Foegeding, 1993). Ceci a été démontré par l’utilisation de N-éthylmaléimide dont le rôle est de bloquer les groupements sulfhydryles. On a constaté que malgré l’inactivation des groupements sulfhydryles, l’agrégation a lieu sans échange de ponts disulfures (Hoffmann & Vanmil, 1997). Il est important de signaler, à ce sujet, que l’étendue et la vitesse de déplissement de la protéine sont directement liées au couple temps/température de traitement.
Ces deux événements vont finalement aboutir à la formation d’agrégats. En conclusion, la thermo-dénaturation et l’agrégation de la protéine sont directement influencées par différents paramètres tels que la force ionique, le pH, la température de traitement et la concentration protéique. Nous allons maintenant détailler le rôle de la force ionique et du traitement thermique sur la formation des agrégats.
Effet du chlorure de sodium sur la dénaturation et l’agrégation de la β-Lg
La force ionique joue un rôle important sur la stabilité thermique de la -Lg. En général tous les sels, au dessus d’une certaine concentration, favorisent l’agrégation en accroissant l’influence des interactions hydrophobes par une diminution des répulsions électrostatiques (Cayot & Lorient, 1998). À des pH acides, une augmentation de la force ionique (0,5 – 1,0 M, selon le type de sel) prévient la dénaturation par un effet stabilisant (salting-in) qui stabilise la conformation dimérique (Renard et coll., 1998), mais à des concentrations trop élevées (e.g. > 2 M) l’agrégation est favorisée (salting-out) (Verheul et coll., 1998 ; Cayot & Lorient, 1998). Finalement, il a été démontré qu’à des pH supérieurs au pI, les anions peuvent interagir et aussi se fixer aux groupements carboxyliques de la protéine et affecter la réactivité du groupement thiol (Jeyarajah & Allen, 1994). Dans le cadre de notre étude, nous avons accordé une attention particulière à l’effet du chlorure de sodium sur la dénaturation et l’agrégation des WPI ; celui-ci est présenté plus en détail dans le paragraphe suivant.
Le chlorure de sodium (NaCl) est un ingrédient largement utilisé dans l’industrie alimentaire. Deux effets opposés sur la dénaturation et l’agrégation de la -lactoglobuline lui ont été attribués : un effet protecteur du NaCl vis-à-vis de la dénaturation thermo-induite de la protéine a été rapporté par Xiong et coll. (1993), Renard et coll. (1998) et Verheul et coll. (1998). Renard et coll. (1998) expliquent la capacité du NaCl à stabiliser la -lactoglobuline par l’aptitude de ces ions à favoriser la formation de dimères de la protéine : la première étape de la dénaturation étant la dissociation des dimères protéiques en monomères, le NaCl ralentit cette étape, d’où cet effet stabilisateur.
toutefois, il semblerait que le NaCl entraîne également l’augmentation de la taille des agrégats formés : il s’agirait d’une augmentation de la taille des agrégats constante dans le temps et dans les conditions de la manipulation. Il est aussi possible que le NaCl augmente la solubilité des protéines dans la solution, ce qui provoquerait une augmentation de leur déplissement d’où une agrégation facilitée. Dans le même ordre d’idée, Aymard et coll. (1996a) constatent qu’à pH 2, une augmentation de la force ionique par addition de NaCl de 0 à 30 mM permet d’augmenter le taux de branchement et la flexibilité des agrégats linéaires formés à ce pH.
En conclusion, pour expliquer l’effet du NaCl sur le mécanisme général d’agrégation de la protéine, la majorité des auteurs semblent en accord pour affirmer qu’il existe une concentration optimale de NaCl permettant d’obtenir les meilleures conditions d’agrégation possibles et que cette concentration dépend fortement des autres propriétés du milieu et des conditions opératoires (pH, concentration en -lactoglobuline, température et durée de traitement…) (Gaucheron, 2004).
Traitements thermiques à pH neutre
Les étapes initiales de la dénaturation induite par la chaleur à pH neutre impliquent la dissociation des dimères de β-Lg native en monomères natifs ou bien dénaturés à une température critique d’environ 60°C, accompagnée par l’exposition des groupements sulphydryles et des échanges de ponts disulfures (Croguennec et coll., 2003; Iametti et coll., 1996). A ce moment, la formation irréversible des polymères peut débuter. Cairoli, Iametti, & Bonomi (1994) ont démontré que les liaisons hydrophobes sont également impliquées dans le mécanisme d’agrégation, selon la température du traitement thermique, et qu’elles conduisent à la formation de plus gros agrégats. Chauffée à 80°C à pH 6,8-7,5, la β-Lg subit une dénaturation très partielle, également sans agrégation et sans perte de solubilité. Il semble que le groupement sulfhydryle, démasqué et activé au-dessus de pH 6,8 provoque un réarrangement de ponts disulfures intramoléculaires avec stabilisation thermique de la molécule. L’analyse enthalpique différentielle (DSC) montre en effet que le pic endothermique à 80°C est très réduit et le second pic endothermique à 140°C (qui correspond à la dénaturation des structures résiduelles) est très important (de Wit & Klarenbeek, 1981) (Figure I.4.).
Effet du traitement mécanique sur l’agrégation des protéines
Un traitement mécanique appliqué à une solution protéique en absence de tout autre traitement (chauffage ou une modification des conditions de milieu) n’entraîne généralement pas de dénaturation, ni d’agrégation des protéines. Cependant, Sanchez & Paquin (1997), Considine et coll., (2007) et Bouaouina et coll., (2006) ont rapporté une dénaturation et une agrégation partielle des protéines lorsque la vitesse de cisaillement appliquée excède une valeur critique.
Lorsqu’un traitement mécanique est appliqué simultanément ou postérieurement à un traitement thermique qui diminue la solubilité des protéines, il va favoriser leur agrégation. En effet, lors d’un traitement thermique sans agitation, la fréquence des collisions entre les objets n’est liée qu’au mouvement brownien et au nombre d’objets. Au contraire, le cisaillement induit une augmentation de la fréquence des collisions, conduisant ainsi à une agrégation plus rapide (McClements, 1999). Pour les protéines de lactosérum, ce mécanisme a déjà été observé par Renard et coll. (2002) à pH 7 et par Hill et coll. (2006) à pH 2. Dans les deux cas, un traitement thermique suivi d’un traitement mécanique à cisaillement constant appliqué à froid dans un rhéomètre conduit à la formation d’agrégats de grande taille (> 1 m) à pH neutre et à la formation de fibrilles à pH acide. La plupart des travaux portant sur l’influence du cisaillement sur l’agrégation des protéines ont été réalisés dans le cadre du développement de microparticules protéiques dans le but de remplacer la matière grasse émulsionnée dans les aliments. La fabrication de ces microparticules met en œuvre des traitements thermiques à haute température sur des solutions concentrées de protéines (lactosérum, blanc d’œuf, protéines de poissons, soja…). Dans ces conditions, la dénaturation très rapide des protéines, liée aux fortes températures, conduirait à la formation d’un gel mais l’application d’un fort cisaillement (5000-40000 s-1) empêche la formation de celui-ci et limite la taille des agrégats par érosion lors des collisions entre eux (Sanchez & Paquin, 1997). Le traitement mécanique peut être appliqué simultanément au traitement thermique dans un échangeur à surface raclée ou une extrudeuse, ou bien après refroidissement par passage dans un homogénéisateur hautes pressions (Sanchez et coll., 1997). Dans ces procédés, l’effet recherché du cisaillement n’est pas une accélération de l’agrégation, mais plutôt une limitation de la taille des agrégats. Il existerait donc deux régimes de formation des agrégats: les cisaillements faibles à moyens favorisent la formation d’agrégats, alors que les cisaillements plus importants limiteraient leur taille.
Impact de la dénaturation et de l’agrégation des solutions protéiques sur leurs propriétés interfaciales
Le mécanisme d’adsorption des protéines globulaires à l’interface air-liquide a été largement étudié car il détermine leurs propriétés interfaciales. Selon la littérature (MacRitchie, 1990; Miller et coll., 2000), la cinétique d’adsorption des protéines à l’origine de la formation des mousses protéiques peut être décomposée en trois – voire quatre – phases successives (Figure I.10.) :
(i) une première étape d’induction ou « lag period » : La présence d’une telle période peut être reliée au temps requis pour l’adsorption d’une quantité suffisante de monomères protéiques afin que les interactions entre molécules soient discernables (Miller et coll., 2000).
(ii) la diffusion des protéines de la solution vers l’interface : Cette étape est caractérisée par la diffusion des protéines vers l’interface et l’initiation des changements conformationnels des protéines adsorbées. Elle dépend du mode de transport des protéines et donc du traitement mécanique appliqué.
(iii) l’adsorption comprenant les changements de conformation et le compactage des protéines adsorbées : L’interface continue à se recouvrir de protéines, causant la diminution de la tension interfaciale. Ce sont les phénomènes de changements conformationnels et de dénaturation des protéines adsorbées qui deviennent alors prépondérants vis-à-vis de la diffusion et de l’adsorption initiales et qui permettent la diminution de la tension interfaciale (Beverung et coll., 1999). Lorsque l’interface est déjà recouverte, une barrière énergétique se développe, s’opposant à l’approche et à l’adsorption de nouvelles molécules (De Feijter et coll., 1987).
(iv) le réarrangement irréversible du film protéique avec la formation de multicouches et la gélification interfaciale : On atteint un état du film où plus aucune introduction de nouvelles protéines n’est possible. Les molécules ancrées à l’interface subissent alors des réarrangements conformationnels afin de minimiser l’énergie libre de surface ; les phénomènes de recouvrement latéral et d’enchevêtrement sont initiés. La barrière énergétique développée par les protéines adsorbées et s’opposant aux réarrangements conformationnels des autres molécules est alors reliée à l’incompressibilité plus ou moins forte du film interfacial. Des multicouches sont construites au sein même de la phase aqueuse, les protéines s’agrégeant entre elles et formant des branches. Ces branches se connectent alors en de nombreux points, initiant l’agrégation des protéines plus éloignées du film, alors que les monomères protéiques adsorbées, ont juste changé de conformation. Il en ressort l’élaboration d’une structure amorphe en réseau de type « gel » à l’interface (Beverung et coll., 1999).
Fabrication et stabilisation d’une mousse protéique
Le mécanisme de formation et stabilisation de la mousse à base de protéines a été largement étudié ; selon la littérature, il existe trois étapes principales. Dans une première phase, les protéines sériques vont venir se localiser à la surface des bulles en migrant vers celles-ci depuis la phase aqueuse. Cette étape est principalement influencée par l’état de solubilité des protéines sériques (Turgeon, 1991). Dans une deuxième phase, les protéines vont s’adsorber à l’interface et s’y déplisser. Contrairement à ce qui se produit dans le cas de certaines émulsions, ces phénomènes de migration et d’adsorption sont quasi-spontanés en raison de la très grande tension de surface au niveau des films interfaciaux. L’adsorption des protéines est généralement partielle et les fragments non adsorbés d’une protéine vont interagir avec d’autres fragments de protéines sériques adjacentes également adsorbées (échange de ponts disulfures selon le pH, liaisons hydrophobes, etc.). La formation du film cohésif qui en résulte permet l’encapsulation des bulles d’air. Ce film protéique doit toutefois conserver un certain degré d’élasticité pour obtenir la texture recherchée (de Wit et coll., 1988 ; Phillips et coll., 1994 ; Dickinson, 1997 ; Cayot, 1998). Cette étape est fortement influencée par les caractères d’hydrophobicité et de flexibilité des protéines sériques (Phillips et coll., 1994 ; Cayot & Lorient 1998). Il a été démontré qu’une des principales conditions de stabilité d’une mousse est que la phase aqueuse soit visqueuse. Ainsi, le film protéique formé permet dans un troisième temps à la mousse d’être stable en diminuant le drainage gravitationnel de la phase aqueuse et en réduisant les échanges gazeux entre les bulles.
Une représentation schématique des mécanismes mis en jeu dans la fabrication et la stabilisation d’une mousse est présentée sur la Figure I.12. Les phases 1 et 2 traduisent la capacité des protéines sériques à former une mousse et la phase 3 illustre leur aptitude à stabiliser la mousse formée.
Propriétés structurales et physico-chimie des mousses liquides
La structure des mousses est organisée sur plusieurs échelles spatiales (Figure I.13.). A l’échelle macroscopique, une mousse paraît uniforme et homogène. En l’observant à une échelle plus fine, on remarque qu’elle est constituée de bulles de gaz séparées par des films de liquide dont l’épaisseur peut être comprise entre quelques nanomètres et quelques micromètres. A l’échelle moléculaire, ces films sont stabilisés par des agents tensioactifs adsorbés à leurs surfaces.
Les mousses peuvent être classées en plusieurs variétés, en fonction de plusieurs critères :
La dimensionnalité : l’empilement des bulles peut s’effectuer dans un plan, ce qui donne les mousses à deux dimensions (2D), ou bien dans un espace à trois dimensions (mousses 3D).
La symétrie : si l’empilement des bulles est décrit par un motif répétitif, on parle de mousses ordonnées, sinon de mousses désordonnées.
La distribution de tailles de bulles : d’un point de vue théorique, les bulles peuvent être toutes de taille identique (mousses dites monodisperses), mais elles présentent souvent une grande variété de dimensions (mousses dites polydisperses). Les mousses monodisperses sont rares, même si l’on sait les produire expérimentalement, et elles constituent essentiellement un outil pour les travaux théoriques (Rosa, 2002). A contrario, la polydispersité est le critère caractérisant la largeur et la non-uniformité de la distribution de tailles de bulles dans une mousse.
La fraction volumique de gaz contenue dans la mousse, notée : elle doit être supérieure à une valeur caractéristique ϕC proche de 64%, pour que la structure de mousse liquide résiste aux contraintes statiques. Une mousse est appelée « humide » lorsque ϕ se rapproche de ϕC et elle est dite « sèche » lorsque ϕ est proche de 100% (Figure I.14.). Dans le cas où ϕ<ϕC, on parle de mousses « liquides ». Ces dernières ne sont pas stables par elles-mêmes et nécessitent une formulation de la phase continue capable d’assurer la stabilité dans le temps recherchée.
Dans le domaine des mousses liquides, on distingue au niveau structurel les mousses à bulles sphériques (dans lesquelles la quantité de gaz incorporé est suffisamment faible pour que les bulles conservent une taille à peu près sphérique) qui sont très instables, et les mousses à bulles polyédriques (mousse de bière par exemple) dans lesquelles le rapport des volumes « gaz sur liquide » est si élevé que les bulles sont comprimées les unes contre les autres selon une structure en nid d’abeille.
Sur le plan physico-chimique, une mousse liquide constitue un état colloïdal de la matière dans la mesure où les films fins qui séparent des cellules adjacentes dans une mousse sont typiquement de dimension colloïdale. On admet qu’une mousse compte environ 103 bulles par mL de mousse, alors qu’une émulsion compte en moyenne 1011 gouttelettes dispersées par mL d’émulsion. Le volume d’une bulle de gaz est environ mille fois supérieur à celui d’une gouttelette de lipides dans une émulsion, essentiellement parce que les gaz sont solubles dans l’eau. La tension de surface au niveau des bulles de gaz est aussi plus forte que celle qui règne à la surface des globules gras. L’important écart entre les masses volumiques des bulles et de la phase dispersante constitue aussi une des différences les plus notables entre mousses et émulsions. Elle explique pourquoi le phénomène de crémage (remontée vers le haut des bulles de gaz) est plus rapide dans une mousse. Par conséquent, les mousses sont généralement moins stables que les émulsions.
Pour augmenter la stabilité d’une mousse liquide, plusieurs approches sont donc possibles :
a) l’augmentation de la rigidité du film interfacial par :
la dénaturation accompagnée d’une gélification des protéines aux interfaces ou bien par une concentration interfaciale des protéines plus élevée ;
l’addition de polysaccharides dans le but de former des complexes protéines-polysaccharides stabilisants ;
la diminution de la teneur en protéines flexibles (par exemple la caséine β) qui forment des bulles assez grosses et des mousses instables ;
l’augmentation de la teneur en protéines globulaires (par exemple le lysozyme) qui forment de petites bulles et des mousses plus stables.
b) l’augmentation de la viscosité de la phase liquide dispersante par : l’addition de polysaccharides ou plus généralement d’hydrocolloïdes ; l’accroissement de la concentration en protéines (bulles plus petites et mousses plus fermes).
c) l’augmentation des particules solides à l’interface gaz-liquide par la cristallisation de la matière grasse globulaire dans le cas des émulsions foisonnées ;
d) la diminution de la tension interfaciale, par exemple par une addition limitée d’éthanol (Roustel, 2000).
Il faut cependant noter que certaines de ces approches peuvent avoir un effet négatif sur l’étape de formation des bulles, comme par exemple former des mousses plus stables au prix de bulles plus grosses.
GRANDEURS CARACTERISTIQUES DES MOUSSES PRODUITES INDUSTRIELLEMENT
A la différence des mousses liquides, les mousses rencontrées dans l’industrie alimentaire sont soit solides, soit semi-solides. Les propriétés des mousses peuvent être décrites à partir de quatre paramètres caractéristiques :
le taux de foisonnement ;
la distribution spatiale du gaz et les propriétés géométriques des bulles (distribution des tailles, facteurs de forme…) ;
la texture des mousses ;
leur stabilité dans le temps.
On notera que les deux premiers paramètres cités caractérisent la structure des mousses, tandis que les deux suivants constituent plutôt des propriétés d’usage résultant de la microstructure.
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Table des matières
Introduction
Chapitre 1. Bibliographie
I. Les protéines globulaires
I.1. Généralités sur les protéines globulaires
I.1.1. Généralités sur les protéines sériques
I.1.1.1. La -lactoglobuline
I.1.1.2. L’α-lactalbumine
I.1.1.3. L’albumine sérique bovine
I.1.1.4. Les immunoglobulines
I.1.2. Dénaturation et agrégation des protéines sériques
I.1.2.1. Dénaturation et agrégation de la β-lactoglobuline par la chaleur
I.1.2.2. Effet du chlorure de sodium sur la dénaturation et l’agrégation de la β-Lg
I.1.2.3. Traitements thermiques à pH neutre
I.1.2.4. Mécanismes d’agrégation de la β-Lg
I.1.2.5. Formation et morphologie des agrégats solubles
I.1.2.6. Effet du traitement mécanique sur l’agrégation des protéines
I.1.3. Impact de la dénaturation et de l’agrégation des solutions protéiques sur leurs propriétés interfaciales
II. Mousses de protéines sériques
II.1. Généralités sur les mousses alimentaires
II.1.1. Qu’est ce qu’une mousse ?
II.1.2. Fabrication et stabilisation d’une mousse protéique
II.1.3. Propriétés structurales et physico-chimique des mousses liquides
II.2. Grandeurs caractéristiques des mousses produites industriellement
II.2.1. Taux de foisonnement
II.2.2. Distribution spatiale du gaz
II.2.3. Propriétés rhéologiques des mousses
II.2.4. Stabilité des mousses dans le temps
II.2.4.1. Le drainage
II.2.4.1.1. Description mathématique des courbes de drainage
II.2.4.1.2. Facteurs influençant le phénomène de drainage
II.2.4.2. Le mûrissement d’Ostwald
II.2.4.3. La coalescence
II.3. Rôle des ingrédients dans les produits foisonnés
II.3.1. Rôle des protéines en général et des protéines laitières en particulier
II.3.1.1. Aptitude des protéines au foisonnement
II.3.1.2. Aptitude au foisonnement des protéines sériques
II.3.2. Rôle des agents stabilisants
II.3.2.1. Xanthane
II.3.3. Rôle des sucres courts
II.3.4. Rôle stabilisant de la matière grasse dans les émulsions foisonnées
II.3.5. Intérêt de la dénaturation et de l’agrégation des protéines dans le foisonnement
II.4. Aspects technologiques du procédé de foisonnement
II.4.1. Introduction
II.4.2. Matériels et aspects technologiques du procédé d’aération discontinu
II.4.2.1. Méthode par battage (ou fouettage)
II.4.2.2. Méthode par bullage
II.4.3. Matériels et aspects technologiques du procédé continu de foisonnement
II.4.3.1. Le système rotor-stator
II.4.3.2. Une alternative: l’échangeur à surface raclée (ESR)
II.4.3.3. Une technologie encore sous-exploitée : les mélangeurs statiques
II.4.3.4. Une technologie pionnière : les techniques membranaires
II.5. Conclusions de la synthèse bibliographique
Chapitre 2. Matériels et Techniques expérimentales
I. Matériel
I.1. Protéines sériques
I.2. Hydratation de la poudre d’isolat protéique
I.3. Dénaturation et agrégation des protéines par traitement thermique
II. Techniques expérimentales
II.1. Caractérisation des protéines et des agrégats en solution
II.1.1. Calorimétrie thermique différentielle (DSC)
II.1.1.1. Principe de l’appareil
II.1.2. Distribution granulométrique
II.1.2.1. Diffraction de la lumière
II.1.2.2. Diffusion dynamique de la lumière (DLS)
II.1.3. Chromatographie de filtration sur gel
II.1.3.1. Principe de l’appareil
II.1.3.2. Mode opératoire
II.1.4. Electrophorèse des protéines (SDS-PAGE)
II.1.5. Caractérisation des fractions insolubles par microscopie optique
II.1.6. Caractérisation des fractions solubles par analyse d’images
II.1.6.1. Principe de l’appareil
II.1.7. Caractérisation des fractions solubles par AFM
II.1.7.1. Principe et différents modes
II.1.7.2. Prélèvements et observations
II.1.8. Rhéologie des solutions d’isolat de protéines sériques en mode d’écoulement
II.1.9. Tension de surface
II.2. Dispositifs expérimentaux de foisonnement
II.2. 1. Procédés discontinus de foisonnement
II.2.1.1. Obtention de la mousse par battage
II.2.1.2. Evaluation de l’aptitude au foisonnement et de la stabilité des mousses par bullage
II.2.2. Procédés de foisonnement en continu
II.2.2.1. L’unité de type rotor-stator
II.2.2.2. Installation de type colonne à faible entrefer
II.2.2.3. Paramètres opératoires du foisonnement
II.3. Caractérisation des mousses d’isolat protéique
II.3.1. Taux de foisonnement
II.3.2. Stabilité contre le drainage
II.3.3. Rhéologie des mousses en mode dynamique
II.3.3.1. Détermination de la zone de linéarité
II.3.3.2. Mesures dynamiques
II.3.4. Analyse de la microstructure des mousses
II.3.5. Plan d’expériences
Chapitre 3. Résultats et Discussion
I. Caractérisation des solutions de protéines sériques (WPI)
I.1. Effet couplé force ionique–température de dénaturation
I.2. Effet de la température de dénaturation seule
II. Caractérisation des mousses protéiques obtenues en batch
II.1. Détermination du temps optimal de battage d’une solution de WPI
II.2. Effets des ingrédients et de leurs interactions sur les caractéristiques des mousses d’isolat de protéines sériques
II.3. Effet couplé « force ionique–température de dénaturation »
II.4. Effet de la température de dénaturation seule. Détermination de la température de dénaturation la plus adaptée au foisonnement
II.5. Étude détaillée des rôles respectifs des agrégats protéiques soluble et insoluble sur la formation et la stabilisation des mousses de WPI
II.6. Impact d’un traitement thermique sévère de type « post-traitement » sur les propriétés des mousses de WPI
III. Caractérisation des mousses protéiques produites en continu–rotor/stator
III.1. Microstructure des mousses
III.1.1. Impact du traitement thermique
III.1.2. Influence des conditions opératoires
III.1.3. Conclusions
III.2. Texture des mousses
III.2.1. Impact du traitement thermique
III.2.2. Influence des conditions opératoires
III.2.3. Conclusions
III.3. Stabilité des mousses
III.3.1. Stabilité à court terme
III.3.2. Stabilité à long terme des mousses
III.3.3. Conclusions
III.4. Conclusions sur le foisonnement en continu
IV. Caractérisation des mousses protéiques produites en continu–colonne à faible entrefer
IV.1. Microstructure des mousses
IV.1.1. Impact du traitement thermique
IV.1.2. Influence des conditions opératoires
IV.1.3. Conclusions
IV.2. Texture des mousses
IV.2.1. Effet du traitement thermique
IV.2.2. Influence des conditions opératoires
IV.2.3. Conclusions
IV.3. Stabilité des mousses
IV.3.1. Stabilité à court terme
IV.3.2. Stabilité à long terme des mousses
IV.3.3. Conclusions
IV.4. Conclusions sur le foisonnement en continu
Conclusion Générale
Perspectives
Valorisation scientifique des travaux réalisés
Références bibliographiques
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