Les maladies systémiques constituent un groupe hétérogène d’affections liés à des mécanismes le plus souvent dysimmunitaires (1). Elles sont, pour la plupart, caractérisées par un très grand polymorphisme clinique à l’origine d’une errance diagnostique (2, 3). Leur origine reste inconnue. Toutefois il existe des facteurs de risque qui sont d’ordre génétique, environnemental, immunologique et infectieux (4). La covid-19 est une maladie infectieuse causée par le SARS-CoV2, un coronavirus nouvellement découvert. Dès mars 2020, l’épidémie de la covid-19 était au stade de pandémie selon l’OMS, elle devient alors une urgence internationale de santé publique. Au 17 novembre 2020, l’OMS avait signalé plus de 54 millions de cas confirmés et plus 2 millions de décès attribués à la maladie. L’évolution constante de cette pandémie soulève de nombreuses questions dont la protection et la prise en charge des personnes considérées à risque. Les premières études menées en chine rapportaient des facteurs de risque notamment cardiovasculaires et métaboliques, qui étaient associés à la survenue de formes sévères de la maladie. La pandémie de la covid-19 a eu un effet sur différents aspects de la prise en charge des maladies systémiques. Elle a également un impact psycho-social important sur les patients suivis pour une maladie systémique [45]. Les résultats préliminaires d’une enquête à l’échelle européenne qui visait à recueillir les opinions, les expériences et les besoins des patients atteints de maladies rares ont mis en évidence de nombreux défis auxquels ces patients sont confrontés durant la pandémie. Parmi ces défis, on note l’interruption des soins médicaux et des traitements de fond ainsi que de nombreux défis psychologiques liés à la fois à l’isolement et à l’infection par le SARS-CoV-2 lors de la prise en charge dans les hôpitaux [45]. Ces mêmes défis seraient liés aux maladies systémiques compte tenu de la sensibilité bien connue des personnes atteintes de ces maladies aux infections en raison de leur système immunitaire altéré et l’utilisation de thérapies immunosuppressives. En parallèle, des thérapies immunomodulatrices ou immunosuppressives telles que l’hydroxychloroquine, le baricitinib, les corticoides et le tocilizumab ont été utilisé dans plusieurs essais thérapeutiques contre la covid-19. Ceci a créé dans certains cas des pénuries d’approvisionnement de ces molécules pour les patients suivis pour une maladie systémique .
LES MALADIES SYSTEMIQUES
Cadre nosologique
Les maladies inflammatoires systémiques sont un regroupement d’affections très hétérogènes, dont les contours restent difficiles à préciser. Au gré des progrès réalisés dans ce domaine, s’opèrent des modifications dans leur nomenclature, leur classification et inévitablement dans leur prise en charge. Nous incluons dans ce cadre des maladies et syndromes auto-immuns et/ou autoinflammatoires diffus, c’est-à-dire intéressant habituellement plusieurs appareils [1]. Il s’agit donc d’affections aussi diverses que les maladies auto-immunes systémiques ou connectivites, les vascularites systémiques, les maladies autoinflammatoires systémiques et d’autres. Il s’agit de maladies inflammatoires diffuses de causes et/ou de mécanismes inconnus [5]. Une confusion, en langue française, tient à l’usage même du terme maladie systémique, traduction littérale de l’anglais systemic disease. Cependant, il ne s’agit clairement pas d’affections limitées à un système. Les auteurs du traité, les maladies et syndromes systémiques, reconnaissent que l’emploi de systémique est incorrect, puisque ces maladies frappent plusieurs systèmes et parfois même tous, mais conservent néanmoins cet adjectif parce qu’ils ne pouvaient le « remplacer par aucun autre qui fut simple et compréhensible par tous ». Une autre confusion nous semble utile à souligner, car elle est liée à l’existence, de plusieurs équivalents à ce concept de maladies systémiques : maladies de système, collagénoses, connectivites. Ces deux derniers termes faisant plutôt allusion à des altérations du tissu conjonctif doivent être de plus en plus abandonnés, de même que l’appellation maladies de système compte tenu des observations précédentes.
Sous ce vocable de maladies systémiques, sont classiquement regroupées :
– Les maladies auto-immunes non spécifiques d’organes encore appelées connectivites
– Les vascularites systémiques
– Les granulomatoses systémiques avec comme chef de file la sarcoïdose
– Les fibroses systémiques idiopathiques .
Les maladies auto-immunes systémiques et les vascularites systémiques sont les sous-groupes les plus importants [7]. Les maladies auto-immunes, les vascularites et les granulomatoses systémiques sont bien identifiées. Un dernier sous-groupe de maladies hétérogènes rares est regroupé sous le vocable de maladies orphelines. Les maladies auto-immunes spécifiques d’organes et les vascularites limitées à un organe ne sont pas systémiques. Une même maladie systémique peut appartenir à plusieurs sousgroupes, l’exemple de la granulomatose avec polyangéite (GPA), qui est une vascularite granulomateuse associée aux anticorps anti-cytoplasmes des polynucléaires (ANCA).
Etiopathogénie
Les maladies systémiques résultent le plus souvent de l’influence de facteurs endogènes et environnementaux sur un terrain génétique prédisposé.
Auto-immunité
Les maladies auto-immunes (MAI) se définissent comme l’ensemble des manifestations pathologiques liées à la mise en jeu des effecteurs du système immunitaire des lymphocytes B et lymphocytes T, spécifiques des antigènes (Ag) de l’organisme auquel ce système appartient (antigènes du soi). La survenue de MAI implique la présence dans le répertoire périphérique de clones lymphocytaires auto-réactifs dont l’activation et la différenciation sont induites et guidées par les auto-antigènes. Les maladies auto-immunes sont, pour la plupart, des maladies multifactorielles. Elles font intervenir plusieurs facteurs qui convergent pour mettre en action ou réguler les grandes voies de fonctionnement des systèmes immunitaires innée et adaptatif. C’est ainsi que l’identification des récepteurs Toll-like et de leurs fonctions a permis de comprendre le rôle des signaux de « danger » et de nouvelles voies de signalisation dans la survenue des MAI et l’intervention des agents de l’environnement. Les nouveaux outils d’identification des facteurs génétiques comme les études d’association genome wide (GWAS) et, plus récemment, le séquençage haut débit permettent eux aussi d’attribuer une responsabilité dans la survenue des MAI à des voies de signalisation parfois insoupçonnées des systèmes immunitaires innée et adaptatif .
Terrain génétique
Les études génétiques réalisées dans les modèles animaux de maladies autoimmunes ont montré qu’il existait au moins 25 gènes qui peuvent contribuer à une susceptibilité particulière aux maladies auto-immunes. Ces gènes codent principalement pour les protéines du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) de classe I et de classe II, les cytokines, les récepteurs des cytokines, les protéines impliquées dans la régulation de la réponse immunitaire et dans l’apoptose. Chez l’homme, la présence de certains allèles du CMH de classe I ou de classe II est associée à une augmentation du risque de survenue de certaines pathologies auto immunes. De rares pathologies sont fortement liées à un CMH particulier[10] ; par exemple la susceptibilité à développer une polyarthrite rhumatoïde conférée par HLA-DR est portée par l’épitope partagé, un motif de structure de la chaîne HLA DRB1 (allèles HLA-DRB1*0401, DRB1*0404, DRB1*0101) caractérisé par une séquence QKRAA (ou QRRAA) [70], mais il faut noter qu’il existe d’exceptionnelles maladies inflammatoires monogéniques, autrement dit résultant de l’effet délétère de la mutation fonctionnelle d’un seul gène. En effet, il s’agit le plus souvent d’affections polygéniques [8, 9]. L’analyse génétique est très complexe du fait du caractère multigénique mais aussi du fait d’interactions épistatiques. De plus, l’observation clinique de familles ayant de nombreux membres atteints de maladies auto-immunes différentes suggère que certains gènes pourraient prédisposer à plusieurs maladies auto-immunes différentes .
Autres facteurs de risque
Rôle des agents infectieux
Une infection pourrait jouer un rôle déclenchant par plusieurs mécanismes :
– Par une réaction croisée entre un Ag microbien et un Ag du soi,
– Par un Ag microbien qui exerce une action super-Ag,
– Par un agent bactérien qui exerce son action par des mécanismes indirects (effets « bystander »). Cet effet « bystander » est lié soit à des lésions tissulaires qui créent des néo-antigènes, soit à des modifications locales du tissu infecté, soit à une fixation de l’agent microbien sur certains composés du soi qui deviennent immunogènes,
– Par activation de l’immunité innée via notamment les TLRs sur terrain de prédisposition génétique.
Facteurs endocriniens
Le rôle des hormones sexuelles a été suggéré par la prépondérance féminine dans la plupart de ces maladies auto-immunes, l’influence de période d’activité génitale et de la grossesse sur le développement et l’activité de la maladie. Les hormones sexuelles peuvent moduler les réponses Th1 et Th2. Au cours de la grossesse, les hormones sexuelles orientent la réponse immunitaire vers un profil Th2 avec inhibition de la voie Th1. Dans cette conception, il est aisé de comprendre que les maladies auto-immunes à profil Th2 comme le lupus puissent s’aggraver au cours de la grossesse contrairement aux affections à profil Th1 comme la PR. Des études ont également montré une hypoandrogénie relative chez les femmes et les hommes atteints de PR, avec des taux de testostérone et de déhydroépiandrostérone plus bas. Le stress est aussi fréquemment retrouvé au cours de l’interrogatoire des patients atteints de maladies auto-immunes. Les conséquences biologiques du stress sont mieux connues. Les glucocorticoïdes et les catécholamines libérés par l’axe hypothalamo-hypophysaire vont modifier l’équilibre des balances Th1/Th2 et Th17/Treg à l’origine d’une stimulation de l’immunité acquise à médiation humorale .
Rôle du tabac
Le tabac est de plus en plus incriminé dans la survenue et dans la sévérité de certaines maladies systémiques comme le lupus et la PR. Le surrisque de développer une PR chez les sujets tabagiques est aujourd’hui bien documenté (13, 14). De plus, la consommation tabagique est plus fréquente chez les patients atteints de PR avec anticorps anti-CCP ainsi que chez ceux qui ont un gène HLA codant pour « l’épitope partagé ». Ces observations, ajoutées à l’action favorisante du tabac sur la citrullinisation des protéines de la muqueuse bronchique, permettent d’imaginer une hypothèse pouvant expliquer cette relation entre tabac et PR. Le tabac favoriserait la citrullinisation des peptides qui seraient reconnus par les molécules HLA contenant l’épitope partagé. La présentation du peptide citrulliné et sa reconnaissance déclencheraient une réponse immunitaire humorale avec production d’anti-CCP. Le tabac est également considéré comme un facteur de risque de lupus. Dans une étude prospective incluant 64000 femmes afro américaines, le risque relatif de développer un lupus est de 1,6 parmi les fumeurs [15]. Ces résultats ont été confirmés par une méta-analyse de costenbader et al. Le tabagisme est également corrélé à une plus forte activité de la maladie lupique .
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Table des matières
INTRODUCTION
I. LES MALADIES SYSTEMIQUES
I.1. Cadre nosologique
I.2. Etiopathogénie
I.2.1. Auto-immunité
I.2.2. Terrain génétique
I.2.3. Autres facteurs de risque
I.2.3.1. Rôle des agents infectieux
I.2.3.2. Facteurs endocriniens
I.2.3.3. Rôle du tabac
I.2.3.4. La vitamine D
I.2.3.5. Le microchimérisme
I.2.3.6. Exposition à la silice, aux solvants organiques et solaire
I.2.3.7. Les médicaments
I.3. Classification des maladies auto-immunes systémiques
I.4. Traitement des maladies systémiques
I.4.1. Buts
I.4.2. Moyens
I.4.2.1. Education thérapeutique
I.4.2.2. Moyens pharmacologiques
I.4.2.1.1. Traitement symptomatique
I.4.2.1.2. Traitement de fond
I.4.2.1.3.1. Traitement de fond conventionnel
I.4.2.1.3.2. Biomédicaments
I.4.2.2. Moyens non pharmacologiques
I.4.2.2.1. Moyens physiques
I.4.2.2.2. Moyens chirurgicaux
II. COVID-19
II.1. Historique
II.2. Epidémiologie
II.2.1. Durée d’incubation
II.2.2. Contagiosité
II.2.3. Transmission du covid-19
II.2.4. Age et sexe
II.2.5. Taux de létalité
II.2.6. Réservoir
II.2.7. Facteurs de risques
II.3. Physiopathologie
II.3.1. Phylogénie et structure du SARS-CoV-2
II.3.2. Génome
II.3.3. Structure du virus
II.3.4. Infection cellulaire et cycle de réplication
II.3.4.1. Pénétration du virus dans la cellule hôte
II.3.4.2. Cycle de réplication
II.3.5. Une réponse immunitaire inadaptée
II.3.5.1. Réponse antivirale immédiate
II.3.5.2. Une réponse immunitaire amplifiée à la seconde phase de l’infection
II.3.6. Une maladie pro-thrombotique
II.4. Signes cliniques
II.4.1. Manifestations respiratoires
II.4.2. Manifestations neurologiques
II.4.3. Manifestations cardiovasculaires
II.4.4. Manifestations digestives
II.4.5. Manifestations rénales
II.4.6. Manifestations ophtalmologiques
II.4.7. Manifestations cutanées
II.4.8. Autres manifestations
II.5. Paraclinique
II.5.1. Signes biologiques
II.5.2. Signes radiologiques
II.5.2.1. Caractéristiques radiologiques
II.5.2.2. Signes radiologiques associés aux formes sévères
II.6. Diagnostic positif
II.7. Diagnostic de gravité
II.8. Traitement curatif
II.8.1. Traitement non spécifique
II.8.1.1. Traitement symptomatique
II.8.1.2. Antibiothérapie
II.8.1.3. Traitement des phénomènes thrombotiques
II.8.2. Traitement spécifique curatif
II.8.2.1. Les antiviraux
II.8.2.3. Les agents immunomodulateurs
II.8.2.3. La corticothérapie
II.9. Traitement préventif
II.9.2. Les mesures barrières
II.9.2. Les vaccins
III. MALADIES SYSTEMIQUES ET COVID-19
III.1. Impact des maladies systémiques sur la covid-19
III.2. Impact des traitements immunosuppresseurs sur la COVID-19
IV. IMPACTS DE LA PANDEMIE DE LA COVID-19 SUR LES MALADIES SYSTEMIQUES
IV.1. Effets de la covid-19 sur la prise en charge des maladies systémiques
IV.2. Effets sur l’organisation des soins
IV.3. Effets sur les patients atteints de maladies systémiques
IV.4. Effets sur l’activité de la maladie
IV.5. Impacts sur la santé mentale
CONCLUSION