Les aluminates et sulfo-aluminates de calcium
L’hydratation des aluminates (C3A, Tableau 4) est très rapide et exothermique (parmi les plus exothermiques de toutes les réactions d’hydratation). Par conséquent, elle intervient dans les premiers instants de l’hydratation. Les hydrates formés peuvent être C2AH8, C3AH6 , et C4AH13. Ils précipitent immédiatement autour des grains de ciment et perturbent, par conséquent, l’hydratation des silicates en limitant la surface de dissolution. Une inhibition de la dissolution des autres phases est également relevée. Ce fait entraine également une fragilisation prématurée du matériau en limitant les quantités de C-S-H et de portlandite formées [27]. Pour limiter ce phénomène, des sulfates sont ajoutés aux aluminates par l’intermédiaire de gypse [28]. Ainsi, l’hydratation de C3A en présence de gypse conduit à la formation de sulfo-aluminates de calcium (Tableau 4) :
– le trisulfoaluminate de calcium hydraté (phase AFt) plus communément appelé ettringite (C3A.3C ̅.H32) ; lorsqu’il n’y a plus suffisamment d’ions sulfates provenant du gypse, l’ettringite se décompose en monosulfoaluminate de calcium hydraté,
– le monosulfoaluminate de calcium hydraté (phase AFm) (C3A.3C -.H12). Parmi ces phases, l’ion SO42- peut se trouver substitué par l’ion H2SiO42- et entrainer la formation de nouvelles phases telle que la gehlenite hydratée (2CaO.Al2O3.SiO4 .8H2O (C2ASH8)) [14],
– l’aluminate tétracalcique hydraté (C4AH13). Ces phases stables du système CaO/Al2O3/SO3/H2O, à 25°C, correspondent aux hydrates minoritaires constitutifs de la pcd (i.e. seulement 10 % de son pourcentage massique total).
Phénoménologie du processus
La carbonatation est un phénomène naturel dû à la dissolution du dioxyde de carbone de l’air dans la solution interstitielle du matériau cimentaire (milieu poreux plus ou moins saturé en eau). L’effet du CO2 apparait pour de faibles concentrations (comme celles que l’on retrouve dans l’atmosphère, où la fraction volumique en CO2 est de l’ordre de 0,04% et peut atteindre jusqu’à 1% dans certains lieux très mal ventilés [29]). Suivant l’état de saturation du matériau, le CO2 diffuse sous forme dissoute (matériau saturé à 100%), ou sous forme gazeuse (matériau insaturé ou faiblement saturé) [4]. Le passage en solution du CO2 entraine une chute du pH de la solution interstitielle. Il s’en suit une réaction acide-base8 avec les composés basiques tels que la portlandite et les C-S-H menant à des modifications minéralogiques et microstructurales ; i.e. les principaux hydrates de la pcd se dissolvent et des carbonates de calcium précipitent [30]. Ces réactions chimiques sont à l’origine de la modification des propriétés de la zone carbonatée pouvant impacter directement la durabilité de la structure vis-à-vis de son environnement. Ainsi, depuis des dizaines d’années, la carbonatation est un phénomène largement étudié. Notamment, parce qu’elle conduit à la corrosion des armatures métalliques constituant le béton armé. La neutralisation du matériau cimentaire modifie les conditions physicochimiques et entraine une dépassivation des aciers et, par conséquent une accélération des vitesses de corrosion. L’acier, placé initialement dans son domaine de passivation se retrouve dans son domaine de corrosion active lorsque le pH chute d’environ 13,5 à une valeur inférieure à 10. L’accumulation des produits de corrosion contribue, à terme, à la fissuration du béton.
Retrait de carbonatation
La carbonatation des matériaux cimentaires entraine une augmentation de volume des phases solides de 12% à 19% selon la nature polymorphique des carbonates de calcium formés [88]. Cependant, les différentes expériences témoignent toutes d’un retrait lié à la carbonatation. Selon Powers [101], ce retrait est imputable à la dissolution des cristaux de portlandite dans l’eau, alors que ceux-ci sont soumis à des contraintes de compression. Au cours du processus de carbonatation, les ions Ca2+ se remobiliseraient dans les pores partiellement désaturés du matériau cimentaire (transfert des régions sous contraintes). Les carbonates de calcium pourraient alors se développer librement sans exercer de contraintes sur la pâte de ciment. Il en résulterait une augmentation de la compressibilité17 de la pâte, proportionnelle au retrait de carbonatation (à HR constante). Ce réarrangement microstructural de la pâte de ciment pourrait expliquer l’origine de ce retrait [29]. D’autres expériences sur des matériaux dépourvus de portlandite, tels que des bétons cellulaires [101], témoignent de l’existence d’un retrait de carbonatation. Autrement dit, ce phénomène de retrait n’est pas uniquement lié à la portlandite. D’autres phases hydratées sont mises en jeu. Dans ce cadre, la diminution de la quantité d’eau chimiquement liée aux C-S-H est proposée comme origine du retrait de carbonatation [102]. D’après Swenson & Sereda [95], le retrait de carbonatation s’explique par la déshydratation et par la polymérisation du gel de silice formé après carbonatation des C-S-H. Groves et al. [35] complètent ces données en observant au microscope électronique à transmission (MET) les modifications microstructurales, induites par la carbonatation, dans le cas d’échantillons de pâte de C3S (E/C = 0,5). Ainsi, le remplissage des vides de la zone externe des C-S-H par des microcristaux de carbonates de calcium permet d’expliquer la perte globale de calcium de la zone interne des C-S-H. Ce phénomène peut conduire à un retrait dans ces zones, ce qui expliquerait le retrait de carbonatation. En fait, la remobilisation de la couche de calcium est à l’origine de la perte de cohésion des C-S-H. Ce réarrangement provoque une densification des C-SH et induit une force motrice au retrait. Il est important de rappeler que la carbonatation mène à la précipitation d’un gel siliceux amorphe lorsque la décalcification des C S-H est fortement avancée. Dans ce cadre, il se produit un réarrangement de la structure cristalline des silicates sous une forme tridimensionnelle [38] alors que la polymérisation des C-S-H est associée à une structure bidimensionnelle. Le retrait de carbonatation résultant est significatif. Cette explication semble la plus probante. Elle est corroborée par plusieurs auteurs dont Chen et al. [96]. Ils ont réalisé des essais de lixiviation de pâtes de CEM I (nitrate d’ammonium concentré), montrant que la décalcification des C-S-H et leur polymérisation en gel de silice, sont à l’origine d’un retrait pouvant atteindre jusqu’à 1%.
Les cendres volantes et le laitier de haut fourneau
En conditions de carbonatation atmosphérique, la profondeur de carbonatation augmente avec le taux de substitution du ciment Portland par des cendres volantes [94] [124]. D’après Khan & Lynsdale [124], qui ont réalisé des essais en carbonatation naturelle (2 ans, 20°C ± 3°C et 65 ± 5% d’HR), pour chaque augmentation de 10% du taux de substitution, la profondeur carbonatée augmente d’une épaisseur de l’ordre de 0,3 mm. Pour Parrott [125], qui a conduit des essais en carbonatation naturelle (18 mois à 20°C et 60% d’HR), la substitution d’une partie du clinker avec 19% ou plus de calcaire ou de laitier de haut fourneau augmente la profondeur de carbonatation. Par ailleurs, Ati [126] montre qu’à 50% de substitution, l’effet contraire se manifeste. Les profondeurs de carbonatation entre ciment Portland et ciment composé (taux de substitution par des cendres volantes de 50%) sont alors comparables. Ces travaux vont également à l’encontre des résultats de Sisomphon et Franke [127] pour qui des bétons à 25% et 50% de substitution de cendres volantes se carbonatent, en conditions accélérées ou naturelles, plus rapidement qu’un béton au ciment Portland. Ainsi, les valeurs des taux de substitution à partir desquelles l’effet du laitier de haut fourneau devient significatif restent controversées.
Carbonatation
Les essais de carbonatation accélérée sont réalisés dans les conditions environnementales suivantes :
– 25°C et 55% d’HR. Selon plusieurs auteurs [114] [86] [98], la vitesse de carbonatation est maximale aux HR intermédiaires (i.e. assez élevées pour permettre les réactions en solution et suffisamment faibles pour ne pas freiner la diffusion du CO2).
– 3% de CO2 (PCO2 = 3 kPa). Précisions que, par le passé, les essais de carbonatation accélérées étaient réalisés à une teneur en CO2 élevée (50%) [205] [206] [207]. Ce taux présentait l’avantage d’essais beaucoup plus rapides. Cependant, il s’avère qu’une teneur en CO2 supérieure à 3% induit des modifications minéralogiques importantes, notamment au niveau de la minéralogie des C-S-H [111]. La microstructure et, par conséquent, les propriétés de transport, sont modifiées et la représentativité de la carbonatation naturelle n’est plus assurée (voir Chapitre 1 Etat de l’art, §2.6.1). Dans ce contexte, une teneur en CO2 de 3% semble offrir un compromis entre représentativité de la carbonatation atmosphérique et durées de carbonatation raisonnables. Le dispositif de carbonatation accélérée du LECBA [4], utilisé à cet effet, est constitué de deux organes majeurs (Figure 42) :
une enceinte climatique (la même que celle utilisée lors du conditionnement hydrique) où l’HR et la température sont mesurées et contrôlées en continu,
une armoire de « contrôle/régulation » permettant de mesurer en continu la teneur en CO2 dans l’enceinte (mesure par absorption du rayonnement infrarouge) et d’injecter du CO2 à chaque fois que la teneur dans l’enceinte devient inférieure à la consigne. Les écart-types de l’HR et de la température mesurés par Drouet [4] sont respectivement de 0,2% et 0,05°C. L’écart-type du taux de CO2 est de 0,5% sur une plage de fonctionnement allant de 0 à 100%. Dans notre cas et, après adaptation du système de contrôle, le CO2 est injecté sur une gamme 0-20% de la pleine échelle, l’écart-type correspondant est de 0,1%.
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Table des matières
Résumé
Abstract
Remerciements
Liste des Figures
Liste des Tableaux
Introduction Générale
Chapitre 1 Etat de l’art
1. Les ciments
1.1 CEM I
1.2 Ciments composés
1.3 Hydratation du ciment
1.4 La portlandite
1.5 Les silicates de calcium hydratés
1.6 Les aluminates et sulfo-aluminates de calcium
1.7 Les aluminoferrites
1.8 Conclusion
2. Description et impact du processus de carbonatation
2.1 Phénoménologie du processus
2.2 Systèmes réactionnels
2.2.1 Dissolution du CO2
2.2.2 Carbonatation de la portlandite
2.2.3 Carbonatation des C-S-H
2.2.4 Carbonatation des aluminates
2.2.5 Conclusion
2.3 Abondance polymorphique des carbonates de calcium
2.3.1 Impact du pH et de la température
2.3.2 Impact de la teneur en CO2 et de l’humidité relative
2.3.3 Impact de la nature des réactifs
2.3.4 Conclusion
2.4 Effet de la carbonatation sur la microstructure
2.4.1 Modification de la porosité et de la distribution poreuse
2.4.2 Retrait de carbonatation
2.5 Modification des propriétés de transport
2.6 Paramètre impactant la carbonatation
2.6.1 La teneur en CO2
2.6.1.1 Cinétique
2.6.1.2 Représentativité des essais de carbonatation accélérée
2.6.2 L’humidité relative
2.6.3 La température
2.6.4 Le dosage et la nature du ciment
2.6.5 Le rapport E/C
2.6.6 La cure
3. Les transferts hydriques dans les matériaux cimentaires
3.1 Définition du matériau cimentaire
3.2 L’eau dans un matériau cimentaire
3.3 Transport d’eau
3.3.1 En milieu saturé
3.3.2 En milieu insaturé
3.4 Description simplifiée du transport d’eau
3.4.1 La courbe de pression capillaire
3.4.2 Les isothermes d’adsorption-désorption
3.4.2.1 Définition et classification
3.4.2.2 Description des isothermes
3.4.3 La perméabilité relative à l’eau liquide
3.4.4 La perméabilité intrinsèque à l’eau liquide
4. Bilan de l’étude bibliographique
Chapitre 2 Programme expérimental
1. Matériaux
1.1 Pâte de ciments dédiées à l’étude du transport d’eau
1.1.1 Gâchage des échantillons
1.1.2 Cure
1.1.3 Echantillonnage
1.2 Analogues naturels
1.2.1 Bétons
1.2.2 Pâtes de ciment
1.3 Minéraux modèles
1.3.1 C-S-H
1.3.2 Ettringite
1.3.3 Portlandite
2. Carbonatation des pâtes de ciment et des minéraux modèles
2.1 Conditionnement hydrique
2.2 Carbonatation
3. Caractérisation du solide
3.1 Suivi de carbonatation
3.2 Minéralogie
3.2.1 Analyse par diffraction des rayons X (DRX)
3.2.2 Analyse thermogravimétrique (ATG)
3.2.3 Teneur en eau liée
3.2.4 Teneur en C-S-H
3.2.5 Résonance magnétique nucléaire (RMN)
3.3 Microstructure
3.3.1 Porosité par intrusion de mercure (PIM)
3.3.2 Connectivité
3.3.3 Tortuosité
3.3.4 Surface spécifique
3.3.5 Porosimétrie par adsorption
3.3.6 Microfissuration
3.3.7 Retrait
4. Description du transport d’eau
4.1 Densité et porosité
4.2 Isothermes de désorption
4.2.1 Méthode des solutions salines
4.2.2 Balance dynamique de sorption de vapeur (DVS)
4.3 Perméabilité
4.3.1 Katz & Thompson
4.3.2 Analyse inverse
4.3.2.1 Principe
4.3.2.2 Méthode
4.3.3 Essai à la coupelle
4.3.3.1 Principe
4.3.3.2 Dispositif expérimental
4.3.3.3 Opérationnalité du dispositif
Chapitre 3 Matériaux sains
1. Minéralogie
1.1 DRX1.2 ATG
1.3 Teneur en eau liée
1.4 Teneur en C-S-H
1.5 RMN
1.6 Conclusion
2. Microstructure
2.1 Distributions des tailles de pores
2.2 Connectivité
2.3 Tortuosité
2.4 Surface spécifique
2.5 Porosimétrie par adsorption
2.6 Conclusion
3. Description du transport d’eau
3.1 Densité et porosité
3.2 Isothermes de désorption
3.2.1 Résultats
3.2.2 Description
3.3 Perméabilité
3.3.1 Katz & Thompson
3.3.2 Analyse inverse
3.3.3 Essais à la coupelle
3.3.3.1 Résultats
3.3.3.2 Ajustement alternatif de la perméabilité
3.4 Conclusion
Chapitre 4 Matériaux carbonatés
1. Suivi de carbonatation
1.1 Etat général des échantillons
1.2 Suivi massique
1.3 Dosage du carbonate de calcium
2. Minéralogie
2.1 DRX
2.2 ATG
2.2.1 Résultats
2.2.2 Modes de décomposition du carbonate de calcium
2.2.2.1 Evaluation du rapport C/S
2.3 Teneur en eau liée
2.4 Teneur en C-S-H
2.5 RMN
2.6 Conclusion
3. Microstructure
3.1 Distributions des tailles de pores
3.2 Connectivité
3.3 Tortuosité
3.4 Surface spécifique
3.5 Porosimétrie par adsorption
3.6 Microfissuration
3.7 Retrait
3.8 Conclusion
4. Description du transport d’eau
4.1 Densité et porosité
4.2 Isothermes de désorption
4.3 Propriété de transport
4.3.1 Katz & Thompson
4.3.2 Essais à la coupelle
4.3.2.1 Coefficient de diffusion du CO2
4. Conclusion
Chapitre 5 Représentativité de la carbonatation accélérée
1. Analogues naturels
1.1 Minéralogie
1.1.1 DRX et ATG
1.1.2 RMN
1.2 Microstructure
1.2.1 Porosimétrie au mercure
1.2.2 Microfissuration
1.3 Conclusio
2. Matériaux modèles
2.1 C-S-H
2.2 Portlandite
2.3 Ettringite
2.4 Conclusion
Conclusion Générale
Perspectives
Références bibliographiques
Annexes
Annexe 1 : Les ciments de la norme EN 197-1 (ciments courants) – Extrait de la norme EN 197-1, article 6, tableau 1)
Annexe 2 : Nomenclature minéralogique
Annexe 3 : Fiches produits
Annexe 4 : Protocole de lixiviation sur pâte de ciment durcie
Annexe 5 : Cinétiques de pertes de masse observées à 20°C lors des essais de désorption des échantillons de pâte de ciment
Annexe 6 : Description des isothermes de désorption à 20°C
Annexe 7 : Courbes de pression capillaire
Annexe 8 : Evaluation des perméabilités intrinsèques à l’eau liquide à 25°C par analyse inverse
Annexe 9 : Protocoles de synthèse des C-S-H et de l’ettringite
Annexe 10 : Profils de carbonatation
Annexe 11 : Micrographies optiques
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