La peau constitue le plus grand organe du corps humain, en effet elle représente environ 16% de son poids total (Boutonnat 2006) . Notre peau est notre première ligne de défense contre les agressions extérieures qu’elles soient d’origine pathogène, comme les virus ou les bactéries ou d’origine environnementale comme les rayons ultraviolets. Les sources de stress ainsi que la pollution environnementale par l’utilisation de pesticides par exemple pourraient engendrer un vieillissement prématuré de la peau. De nombreux autres facteurs tels qu’un mode de vie de plus en plus sédentarisé ainsi qu’une alimentation riche en graisses saturées et/ou en sucres de même que le manque de sommeil contribuent à l’accélération du vieillissement de la peau. C’est pourquoi nous faisons face à une demande croissante pour de nouveaux soins anti-âge plus performants à laquelle s’ajoute une préférence des consommateurs pour les produits cosmétiques à base d’extraits naturels ou d’actifs de plantes. Parallèlement, ce secteur a connu un revirement considérable avec de nouvelles réglementations telles que le Protocole de Nagoya qui imposent une adaptation nécessaire quant au choix des matières premières qui entreront dans la composition des produits cosmétiques. Ces nouvelles réglementations nous fournissent aujourd’hui une occasion importante d’élaborer des approches innovantes faisant appel à l’utilisation et à la valorisation de la flore locale.
L’innovation technologique ne doit pas être écartée de cette démarche de développement durable d’une filière d’approvisionnement local de matières premières végétales. En effet, les entreprises cosmétiques sont soumises à des pressions constantes et intenses pour innover, en vue de particulariser leurs produits pour attirer de nouveaux consommateurs et s’assurer ainsi un avantage commercial. Aujourd’hui, il existe sur le marché une large variété de produits cosmétiques contenant des extraits de plantes ou des principes actifs d’origine naturelle. La valorisation de la richesse de la biodiversité régionale et la mise en place d’une démarche durable dans la production de bioactifs répond aux besoins de l’industrie cosmétique dans un contexte réglementaire contraignant.
Les végétaux supérieurs ainsi que d’autres ressources naturelles constituent une réserve encore sous-exploitée riche en substances biologiques actives qui ont pour certaines trouvé des applications dans les industries cosmétiques. Les connaissances ethnobotaniques permettent de cibler des plantes ou des parties de celles-ci potentiellement intéressantes pour répondre à des approches cosmétiques telles que la réduction des rides ou la diminution de l’hyperpigmentation par exemple. C’est dans ce contexte que nos études au sein du projet ValBioCosm’ se sont concentrées sur l’impact du mode de culture et de l’élicitation lumineuse sur le profil phytochimique et l’activité biologique d’extraits de plante. Le projet ValBioCosm’ signifiant « Valorisation de la Biodiversité en Cosmétique » a été réalisé dans le cadre du programme ARD 2020 CosmétoSciences et financé par la Région Centre-Val de Loire. Ce projet s’inscrit dans une démarche de valorisation du patrimoine végétal et de l’industrie locale de la Région Centre-Val de Loire tout en mettant en lien de nombreux acteurs de la région dans le but d’un approvisionnement de l’industrie cosmétique. Le projet ValBioCosm’ regroupe huit partenaires. Tout d’abord quatre partenaires académiques : le Laboratoire de Biologie des Ligneux et des Grandes Cultures (LBLGC) USC1328 INRA de Chartres, l’Institut de Chimie Organique et Analytique (ICOA) UMR CNRS 7311 de l’Université d’Orléans, le laboratoire Biomolécules et Biotechnologies Végétales (BBV) EA2106 de l’Université de Tours et le Centre de Biophysique Moléculaire (CBM) UPR 4301 du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) d’Orléans. Ce projet implique également quatre entreprises : l’entreprise BOTANICOSM’ETHIC basée à Neuville-auxBois (45), les laboratoires Sederma basés au Perray-en-Yvelines (78), les laboratoires Caudalie basés à Gidy (45) et le Comité de Développement Horticole de la Région Centre-Val-de-Loire (CDHRC) basé à Saint-Cyr-en-Val (45), un organisme regroupant des horticulteurs et des pépiniéristes de la Région Centre-Val de Loire ainsi qu’une station d’expérimentation de cultures ornementales possédant de nombreuses serres horticoles. Ce projet fonctionne selon une approche dite « circulaire » avec en point de départ un sourcing dit « naturel » basé sur la richesse de la biodiversité locale de la région et un sourcing dit « biotechnologique ». Vient ensuite l’identification de principes actifs grâce à la mise en place d’une plateforme de criblages biologiques avec l’appui de techniques d’objectivations et d’analyses moléculaires des bioactifs tout au long de la démarche. Ma thèse s’intègre à part entière dans cette approche circulaire et est à l’interface entre la mise en place des différents modes de culture, l’extraction, l’évaluation de l’activité de ces extraits et la corrélation des effets avec des analyses phytochimiques. Dans le cadre de ce projet, un peu moins d’une quinzaine de plantes ou leurs co-produits issus de la biodiversité de la région pouvant être d’intérêt pour la filière horticole ont été sélectionnées et étudiées.
Les origines de l’utilisation des plantes
De tout temps, l’Homme a entretenu une relation particulière et privilégiée avec le monde végétal qui l’entourait. Il s’est d’abord servi de ces innombrables plantes pour se loger, pour se chauffer et surtout pour se nourrir. Puis il a pu découvrir les nombreux atouts de l’utilisation de ces plantes pour se guérir puis plus tard pour s’embellir. On suppose que déjà l’Homme de Néandertal connaissait les bienfaits pour la santé que pouvaient apporter les plantes. En effet la présence d’ADN de peuplier, un arbre faisant parti des sources de l’acide salicylique, qui est un antidouleur naturel et la base du principe actif de l’aspirine a pu être mis en évidence dans un échantillon de tartre dentaire d’un homme de Néandertal retrouvé dans la grotte d’El Sidrón en Espagne (Hardy et al. 2012, Weyrich et al. 2017). Le premier document médical connu est une tablette d’argile sumérienne vieille de 4000 ans qui répertorie des remèdes à base de plantes pour différentes maladies (Farag et al. 2015). L’utilisation de cosmétiques remonte quant à elle à l’Égypte antique, il y a environ 3000 ans avant J.-C.. Les Égyptiens utilisaient des produits cosmétiques pour le bien-être physique et spirituel. En effet ils utilisaient notamment du kohl, un composé d’antimoine de couleur noire utilisé comme fard à paupières , du henné, extrait des feuilles d’un arbuste à fleurs d’Afrique du nord, Lawsonia inermis, comme colorant capillaire , ainsi que de nombreux parfums et huiles aussi utilisés pour les rituels religieux et particulièrement l’embaumement des morts (Parish et Crissey 1988, Chaudhri et Jain 2009). Depuis de nombreuses années, nous pouvons assister à l’émergence d’une préférence des consommateurs pour les produits cosmétiques naturels à base d’extraits ou d’actifs de plantes et notamment de plantes locales. Ces préférences sont en grande partie dues aux préoccupations environnementales qui sont de plus en plus importantes mais aussi à la crainte d’utiliser des molécules de synthèse parfois nocives pour la santé du consommateur et l’environnement. La recherche de nouveaux actifs pour l’industrie cosmétique est alors un réel défi pour les industriels de plus que de nombreuses réglementations encadrent l’utilisation de produits naturels en cosmétique. On peut notamment retrouver le Protocole de Nagoya sur l’accès et le partage des avantages (APA), un accord international sur la biodiversité entré en vigueur en 2014 qui a pour but le partage juste et équitable des avantages pouvant provenir de l’utilisation des ressources génétiques dans un but de recherche ou dans un but commercial. Depuis 2003, une liste regroupant tous les ingrédients approuvés pour leur utilisation en cosmétique sur le marché chinois a été publiée par l’Office chinois de contrôle des médicaments et des produits alimentaires (China Food and Drug Administration, CDFA). Cette liste appelée Inventaire des Ingrédients Cosmétiques Existants en China (Inventory of Existing Cosmetic Ingredients in China, IECIC) mise à jour en 2015 contient 8783 ingrédients (Industries Cosmétiques 2016).
Les métabolites primaires et spécialisés des plantes
La diversité moléculaire des plantes fait d’elles des ingrédients de choix dans les formules cosmétiques que cela soit en tant qu’actifs, gélifiants, émulsifiants, huiles ou tensioactifs naturels. L’ensemble des molécules des plantes se divise en deux groupes : les métabolites dits primaires et les métabolites dits spécialisés. Les métabolites primaires comprenant notamment les lipides, les glucides, les acides nucléiques et aminés interviennent dans la croissance de la plante et font partis des voies métaboliques nécessaires à son développement. Le rôle des métabolites spécialisés, encore appelés métabolites secondaires, reste quant à lui mal connu mais les mécanismes d’adaptation et de défense de la plante leur sont souvent attribués. Alors que les métabolites primaires sont universels et accumulés de façon constitutive dans les cellules végétales, les métabolites spécialisés sont quant à eux exprimés uniquement dans certaines espèces, dans des organes particuliers, à un stade de développement donné ou sous des conditions environnementales spécifiques. Cette différenciation entre ces deux types de métabolites a été décrite pour la première fois à la fin du 19ème siècle, en 1891, par Albrecht Kossel biochimiste allemand qui reçut le prix Nobel de Physiologie et Médecine en 1910 pour ses travaux sur la composition chimique des acides nucléiques. On considère que l’étude des métabolites spécialisés de plantes n’a réellement débuté qu’en 1806 avec l’isolement de la morphine du pavot somnifère ou pavot à opium Papaver somniferum dont la découverte a été publiée pour la première fois par Friedrich Wilhelm Adam Sertürner, un pharmacien allemand (Hartmann 2007).
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Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I: ÉVALUATION DE L’APPORT DE METHODES DE CULTURE INNOVANTES SUR UNE PLANTE LOCALE DANS LE DOMAINE DE LA COSMETIQUE
TABLE DES MATIERES
1 LES ORIGINES DE L’UTILISATION DES PLANTES
2 LES METABOLITES PRIMAIRES ET SPECIALISES DES PLANTES
2.1 Les terpénoïdes
2.2 Les composés phénoliques
2.3 Les alcaloïdes
3 DIVERSITE D’ACCUMULATION DES METABOLITES SPECIALISES
4 LES DIFFERENTS MODES DE CULTURE
4.1 La culture classique
4.2 La culture aéroponique
4.3 L’élicitation lumineuse
5 LA GRANDE BARDANE (ARCTIUM LAPPA L.)
5.1 Localisation
5.2 Description phénotypique et généralités
5.3 Vertus médicinales
5.4 Signature phytochimique
6 OBJECTIFS
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CHAPITRE II: STRATEGIES MISES EN PLACE POUR LA VALORISATION DE PLANTES LOCALES – APPROCHES DE CULTURES INNOVANTES ET CARACTERISATION METABOLOMIQUE
TABLE DES MATIERES
1 VALORISATION DE LA FLORE LOCALE : CHOIX DES PLANTES ETUDIEES
2 LES DIFFERENTS MODES DE CULTURE MIS EN ŒUVRE
2.1 Mise en culture des plantes et élicitation lumineuse
3 METHODOLOGIE D’EXTRACTION
3.1 Les ultrasons
3.2 L’extraction assistée par ultrasons
4 STRATEGIE METABOLOMIQUE
4.1 Analyse par chromatographie en phase liquide couplée à la spectrométrie de masse
4.2 Identification des signatures phytochimiques – Traitement statistique des données
4.3 Tests basés sur des allégations cosmétiques
5 EN RESUME
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CHAPITRE III: INFLUENCE D’UNE APPROCHE D’ELICITATION ET DE DIFFERENTS MODES DE CULTURE SUR LE PROFIL PHYTOCHIMIQUE ET L’ACTIVITE BIOLOGIQUE DE MOLECULES ISSUES D’UNE PLANTE MODELE
TABLE DES MATIERES
1 INTRODUCTION
2 ÉVALUATION DE L’ACTIVITE BIOLOGIQUE A VISEE COSMETIQUE DE TREIZE PLANTES
2.1 Criblage d’activité biologique in tubo des treize plantes
2.2 Choix de la plante modèle pour les études d’optimisation des extraits
3 MISE EN PLACE D’UNE CULTURE DE CALS DE LA GRANDE BARDANE ET EVALUATION DE L’INFLUENCE DE L’ELICITATION
4 APPORT DU MODE DE CULTURE DE LA GRANDE BARDANE ET DE L’ELICITATION LUMINEUSE SUR LE PROFIL PHYTOCHIMIQUE DE SES EXTRAITS ET DE LEURS ACTIVITES BIOLOGIQUES
4.1 Partie 1 : Évaluation de l’impact du mode de culture et de l’élicitation sur l’activité antityrosinase et identification des molécules responsables de cette activité
4.2 Partie 2 : Impact de l’élicitation sur l’activité antioxydante et identification de molécules responsables de cette activité
5 CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
CONCLUSION GENERALE