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Mutations de gènes cibles contenant un cMS et localisation tumorale :
Comme évoqué précédemment, un exemple important et identifié très tôt d’un cMS pertinent fréquemment muté dans le CCR MSI est le tractus microsatellite (A10) dans la région codante du récepteur du facteur de croissance transformant bêta 2 (TGFBR2) (Markowitz et al., 1995). Des mutations de ce microsatellite sont présentes dans plus de 90% des CCR MSI, ce qui reflète une sélection positive des clones cellulaires mutants TGFBR2 au cours de la carcinogenèse colorectale MSI. Il est intéressant de noter que les mutations de TGFBR2 sont rarement trouvées dans les cancers de l’endomètre MSI, ce qui suggère que l’inactivation mutationnelle de TGFBR2 pourrait ne pas favoriser le développement des cancers MSI dérivés de l’endomètre. En fait, les cancers de l’endomètre MSI présentent généralement des profils de mutation cMS distincts de ceux des cancers du côlon (Kim et al., 2013; Ferreira et al., 2014), ce qui suggère une tissu-spécificité du processus de carcino-genèse MSI. Aujourd’hui, il faut revisiter la problématique de ces mutations cibles liées à MSI dans le génome tumoral, ce qui est en cours grâce à la compilation et l’analyse de données de séquences de ces tumeurs, publiques ou privées, en prove-nance de localisations primitives très diverses.
L’ensemble du spectre des mutations dans les gènes cibles MSI est susceptible d’affecter la biologie du cancer, les réponses thérapeutiques et le pronostic des pa-tients. Cependant, bien que la plupart des gènes cibles de cette instabilité aient été proposés sur la base des fréquences de mutations élevées dans leurs régions co-dantes, des gènes contenant des microsatellites situés dans des régions régulatrices non codantes, telles que des introns, des promoteurs et des UTR 5’ et 3’, peuvent également muter dans les cancers MSI. En conséquence, il a été suggéré que cer-taines mutations répétées introniques dans des gènes tels que ATM, MYB (Hugo et al., 2006), MRE11 (Giannini et al., 2004) et HSP110 (Dorard et al., 2011) jouent un rôle dans la cancérogenèse MSI, et des mutations proches des sites d’épissage peuvent altérer les niveaux de transcrits et les schémas d’épissage des gènes cibles.
Mutations microsatellitaires non-codantes et dérégulation de l’épissage
Les altérations des microsatellites s’accumulent également et principalement dans les régions non codantes de l’ADN des cellules tumorales MSI (Jonchere et al., 2018; Kim et al., 2013), mais les conséquences fonctionnelles de ces mutations n’ont pas encore été étudiées en profondeur. Les gènes humains sont généralement composés de plusieurs exons (codants), entrecoupés d’introns (non codants) qui subissent un épissage pour générer des ARN messagers (ARNm) matures, puis des protéines (pour une revue, voir Baralle and Giudice, 2017). La transcription est un processus complexe qui englobe à la fois la transcription constitutive (élimination des introns et ligature de la majorité des exons dans l’ordre de la transcription) et l’épissage alternatif (inclusion ou exclusion de certains exons d’un gène dans l’ARNm final) (Baralle and Giudice, 2017). L’épissage alternatif des ARN est physiologiquement régulé pour plus de 95% des 20 000 à 25 000 gènes humains transcrits (Baralle and Giudice, 2017). Ce processus permet la production de milliers d’ARNm alternatifs codants pour les nombreuses isoformes de protéines générées spécifiquement dans un tissu au cours de la différenciation cellulaire (Baralle and Giudice, 2017; Fiszbein and Kornblihtt, 2017).
L’altération des microsatellites dans les régions intra-géniques (régions 5’ et 3’-UTR, promoteurs, introns) peut également avoir des conséquences délétères sur l’expression correcte des gènes en influençant leur transcription (Lewandowska, 2013) et leur traduction (Chatterjee and Pal, 2009). D’une part, ces séquences répétées peuvent jouer un rôle dans la régulation de la transcription et l’épissage du tran-scrit, d’autre part, dans la régulation de la traduction, la localisation subcellulaire, la stabilité du transcrit ou encore la reconnaissance du site d’initiation de la traduc-tion. De plus en plus de preuves suggèrent que les exons alternatifs et constitutifs sont épissés de manière aberrante au cours du développement du cancer (Chen and Weiss, 2015). Il a été signalé que les mutations somatiques résultant de l’instabilité du génome provoquent des perturbations de l’épissage, entraînant le développement de tumeurs (Chen and Weiss, 2015). Il est intéressant de noter que dans le génome des cancers MSI, de nombreux microsatellites qui pourraient être très instables sont introniques et situés près de la jonction intron/exon dans le tractus polypyrimidique (Dorard et al., 2011; Giannini et al., 2004). En conséquence, l’impact fonctionnel de la charge mutationnelle élevée résultant du phénotype mutateur pourrait perturber le métabolisme pré-ARN en raison d’un déferlement de mutations somatiques qui déstabilisent et affectent les séquences microsatellites cis-régulatrices dans le génome tumoral.
De manière remarquable, la taille de ces microsatellites introniques associés à la fonctionnalité de l’épissage est souvent importante, ce qui rend presque obliga-toire leur instabilité dans les cellules tumorales MSI (Jonchere et al., 2018). Il a été démontré de fait que certaines de ces mutations pouvaient être observées, parfois même à haute fréquence dans ces tumeurs, alors qu’elles étaient clairement toxiques pour les clones dans lesquels elles survenaient. C’est l’exemple de la mutation du mi-crosatellite T17 d’HSP110, dont la mutation déstabilise l’épissage de l’exon 9 du gène (saut d’exon) (Dorard et al., 2011). Or, cette chaperonne est un oncogène puissant qui sous-tend la résistance des cellules tumorales MSI à la chimiothérapie (Collura et al., 2014). Mon laboratoire d’accueil a montré que l’inactivation d’HSP110 par ce biais rendaient les cellules tumorales coliques hypersensibles à la chimiothérapie, et des travaux que je présente dans ce document et auxquels j’ai contribué attestent que la mutation d’HSP110 a un impact clinique encore plus spectaculaire dans les cancers gastriques MSI (Renaud et al. Soumis, article n◦ 5 annexes).
Sélection et contre-sélection de mutations somatiques dans les microsatel-lites dans les tumeurs MSI
Comme nous avons vu précédemment, l’instabilité des microsatellites codants dans les gènes liés au cancer entraîne un décalage du cadre de lecture et une inactiva-tion fonctionnelle des protéines affectées (Woerner et al., 2006). Chez l’humain la longueur et la composition en acides aminés de ces répétitions d’ADN (A/T vs. C/G) déterminent leur fréquence de mutation telle que rapportée récemment (Kon-delin et al., 2017; Jonchere et al., 2018) (Figure 5).
La diversité génotypique et phénotypique des clones cellulaires au sein de la tumeur MSI et leur émergence et prolifération pendant le développement tumoral est soumis à un processus de sélection darwinienne (Greaves and Maley, 2012). Étant donné que les microsatellites constituent des points chauds pour les muta-tions dans les tumeurs MSI, indépendamment de leur emplacement dans les gènes et de la fonction de ces gènes, ces mutations peuvent survenir même si elles sont neutres ou voire même nuisibles à la tumorigenèse (Duval et al., 2002; Woerner et al., 2010). Cela conduit à l’apparition de génotypes mutants qui confèrent des avantages ou des désavantages aux cellules dans lesquelles ils apparaissent, permettant ainsi aux cellules d’en tirer parti (sélection positive) ou au contraire d’involuer (sélection négative) au sein de la masse tumorale.
Les progrès récents en matière de séquençage à haut débit ont permis d’identifier toutes les modifications génétiques dans les exons des gènes et leurs séquences bor-dantes (bornes introniques, régions UTR) au niveau des cancers MSI humains. Kim et ses collègues ont rapporté une vue d’ensemble de 27 tumeurs du côlon et de 30 tumeurs de l’endomètre présentant le phénotype MSI (Kim et al., 2013). Récemment, nous avons mis en perspective les données d’exome de ces tumeurs en analysant les mutations microsatellitaires et leurs fréquences de survenue en ten-ant compte de la taille des répétitions génomiques. Cette approche nous a per- mis d’évaluer le bruit de fond de l’instabilité microsatellitaire dans ces tumeurs, et d’identifier de fait des évènements mutants remarquables qui semblent sélection-nés positivement (fréquence mutationnelle plus importante qu’attendue) ou néga-tivement (c’est-à-dire des mutations détectables à des fréquences plus faibles que celles prédites par les taux de base stochastiques) dans les séquences microsatellites (Jonchere et al., 2018). Il semble d’après ces données que la sélection négative de nombreuses mutations est une des caractéristiques du modèle de tumorigenèse MSI, ce qui est un trait original de ces tumeurs sur un plan physiopathologique.
Immunogénicité et Microenvironnement tumoral
Du fait de l’accumulation d’un nombre élevé de mutants somatiques via l’instabilité des microsatellites, les tumeurs MSI sont caractérisées par un profil immunogène (Lothe et al., 1993). Cette autre conséquence de l’instabilité microsatellitaire est ma-jeure. Elle explique en grande partie le fait que les tumeurs MSI sont généralement associées à une infiltration lymphocytaire dense et à des réponses locales prononcées du système immunitaire adaptatif au niveau du site tumoral (Shia et al., 2013; Dol-cetti et al., 1999; Buckowitz et al., 2005; Mlecnik et al., 2016; Galon et al., 2006). Ce lien entre immunité tumorale adaptative et instabilité des microsatellites souligne que ce mode d’instabilité du génome a un rôle équivoque pendant le développement tumoral. Nous venons de voir qu’il pouvait être pro-tumorigénique en favorisant les mutations de certains gènes cibles. Il est clairement aussi anti-tumorigénique via un processus qui stimule l’immunité anti-tumorale, au détriment du développement du cancer dans certains cas.
Immunité adaptative et infiltrat immun dans les cancers
La reconnaissance des cellules tumorales par le système immunitaire adaptatif ré-sulte de la présentation d’antigènes tumoraux. Ces derniers peuvent découler de deux processus différents : D’une part, un premier processus génère des néoantigènes, spécifiques des tumeurs (TSA, tumor-specific antigens). Les néoantigènes sont des peptides qui proviennent de gènes mutés, sont transcrits et traduits, et sont présentés sur des molécules du complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) qui servent à la reconnaissance des marqueurs du soi. On distingue les CMH de classe I et de classe II, et chez l’être hu-main, on parle d’antigène HLA. Le récepteur des lymphocytes T (TCR) interagit à la fois avec le peptide présenté et des acides aminés de la molécule du CMH. Et ainsi, les lymphocytes peuvent discriminer les antigènes de l’organisme (soi) des antigènes étrangers (non-soi) et les éliminer. Les antigènes présentés par le HLA de classe I peuvent être des cibles des lymphocytes T CD8+, tandis que les antigènes présentés par le HLA de classe II sont plutôt reconnus par les lymphocytes T CD4+ (Figure 6).
De plus en plus d’études visent à prédire les néoantigènes à partir de données d’exome et/ou de transcriptome. Pour ce faire, les mutations sont appelées en comparant les exomes tumoraux et normaux, et les allèlotypes HLA sont analysés. Ensuite, des outils permettent de prédire la liaison de ces nouveaux peptides aux molécules du CMH, si elles sont exprimées. Il est à noter que toutes les mutations n’entraînent pas de réponses immunitaires similaires et que certains néoantigènes, notamment ceux dérivés de l’insertion et de la délétion de nucléotides au niveau de cMS, sont des inducteurs plus ou moins puissants des réactions immunitaires.
D’autre part, un deuxième type de processus correspond aux antigènes associés aux tumeurs (TAA, tumor-associated Antigens) provenant d’auto-antigènes à ex-pression aberrante. Ils sont présents sur certaines cellules tumorales et également sur certaines cellules normales. Certains d’entre eux sont liés à des gènes liés à la différenciation : des gènes qui ne sont pas normalement exprimés dans les tissus environnants et qui sont exprimés sur les cellules tumorales. D’autres proviennent de la surexpression d’auto-antigènes normalement présentés, qui peuvent déclencher des réponses immunitaires adaptatives au-delà d’un certain seuil.
« Peptide frameshift » antigénique associé au phénotype MSI
Dans les tumeurs MSI, les mutations cMS favorisent parfois la tumorigenèse en ab-rogeant la fonction des protéines cibles qu’elles affectent et qui sont impliquées dans la signalisation suppressive des tumeurs. Elles peuvent également induire la généra-tion de nouveaux antigènes peptidiques en nombre à la suite de déplacements du cadre de lecture sur ces mêmes gènes cibles et d’autres (frame shifts) (Figure 6).
Ces antigènes sont, d’un point de vue conceptuel, de véritables antigènes spé-cifiques des tumeurs (TSA), car ils ne sont générés que dans les clones de cellules cancéreuses émergentes. Ils ressemblent donc à des antigènes viraux, étant totale-ment inconnus et nouveaux pour le système immunitaire de l’hôte. Cela en fait des cibles idéales pour la réponse immunitaire spécifique dont le rôle est de reconnaître et d’éradiquer les cellules exprimant ces TSA afin d’empêcher leur croissance. Par conséquent, les antigènes peptidiques issus du décalage de cadre (FSP, Frameshift Peptides) ont été décrits très tôt comme une source potentielle d’antigènes im-munologiquement pertinents dans le cancer (Townsend et al., 1994).
Contrairement aux néo-antigènes résultant d’un seul échange de nucléotides et d’acides aminés, les néo-antigènes issus d’un décalage du cadre de lecture (FSP), bien que résultant de l’insertion ou de la délétion d’un seul nucléotide, englobent de longs tronçons d’acides aminés antigéniques, qui peuvent contenir plusieurs néo-épitopes pertinents sur le plan immunologique (von Knebel Doeberitz and Kloor, 2013).
Étant donné que l’absence d’activité du MMR est associée à une inflation de mutations d’insertion et/ou de délétion au niveau des cMS, les cancers déficients en MMR expriment de nombreux néoantigènes FSP qui sont autant de cibles poten-tielles pour la vaccination anti-tumorale (Saeterdal et al., 2001; Linnebacher et al., 2001). Les protéines mutantes ainsi traduites possèdent en conséquence des ex-trémités C-terminales aberrantes néo-antigéniques qui sont reconnues comme telles par le système immunitaire du patient (Figure 4 et 6). L’abondance et la nature « étrangère » de ces néoantigènes FSP expliquent probablement la forte infiltration locale de cellules immunitaires typique des cancers déficients en MMR (Duval and Hamelin, 2002; El-Bchiri et al., 2005; Buckowitz et al., 2005; Shia et al., 2013; Dol-cetti et al., 1999; Maby et al., 2015) et la forte activation locale des cellules immu-nitaires (Rooney et al., 2015; Lal et al., 2015).
Diagnostic du syndrome de Lynch et importance du criblage MSI tu-moral dans ce contexte
L’objectif des tests d’instabilité des microsatellites dans le cadre du diagnostic du syndrome de Lynch est l’identification de patients porteurs d’une tumeur du spectre clinique MSI. Il s’agit souvent d’une étape importante dans la démarche diagnostique qui conduit à identifier les patients porteurs du syndrome de Lynch. La preuve ultime qui confirme le diagnostic de ce syndrome chez un individu est l’identification d’une mutation germinale pathogène dans un gène MMR, et le diagnostic en amont d’un cancer MSI chez lui ou ses apparentés permet de repérer les patients à risque d’être porteur d’un tel syndrome, surtout lorsque le diagnostic tumoral MSI est porté chez un sujet jeune avant l’âge de 50 ans. Si une mutation germinale pathogène a été identifiée chez un patient, les membres de la famille peuvent être testés de manière prédictive pour la présence de cette mutation spécifique. Si la mutation pathogène n’est pas trouvée chez un parent, son risque de cancer peut être considéré comme égal à celui de la population générale. Les parents porteurs de la mutation germinale spécifique doivent être considérés à haut risque de cancer colorectal et de tumeurs extra-coliques et doivent donc adhérer à des programmes de surveillance intensifiés.
Valeur pronostique globale de l’instabilité des microsatellites
MSI a été associé à un pronostic favorable chez les patients atteints de cancers col-orectaux (en comparaison des tumeurs non-MSI). En effet, dans une revue incluant 32 études éligibles (Popat et al., 2005), les auteurs ont stratifié la survie des patients atteints de CCR en fonction du statut MSI/MSS et ont confirmé la relation entre le statut MSI et un meilleur taux de survie, avec un hazard ratio (HR) combiné pour la survie globale (OS) de 0,65 (95% CI 0,59-0,71). Les améliorations de la survie peuvent refléter l’infiltration marquée de lymphocytes T observée dans les cancers MSI, qui est liée à des réponses immunitaires spécifiques induites par des antigènes (Phillips et al., 2004).
Ainsi, les cancers colorectaux MSI ont un pronostic plus favorable que les cancers colorectaux MSS. Cependant, au sein du sous-groupe de patients atteints de cancer colorectal MSI, il existe une hétérogénéité de la maladie sur un plan clinique et en particulier en fonction des conditions de traitement de la tumeur. MSI a une valeur pronostique indépendante dans plusieurs tumeurs primaires et il a été associé à une réponse alternative à la chimiothérapie dans différents contextes. De ce fait, plusieurs situations et/ou marqueurs ont été évalués comme potentiels contributeurs à une évolution plus ou moins favorable de la maladie chez les patients avec une tumeur MSI.
MSI un bio marqueur prédictif de réponse positive à l’immunothérapie
Au stade métastatique, et de manière rapidement évolutive aux stades localisés (non métastatiques), les cancers MSI font l’objet de traitements de précision par la pre-scription d’immunothérapies dédiées qui ont amélioré de manière spectaculaire le pronostic de la maladie (molécules ciblant les checkpoints immunitaires, e.g. PD1, PD-L1, CTLA-4, …).
Grâce au développement récent des immunothérapies et de la médecine de pré-cision, de nouvelles perspectives de guérison se présentent pour les malades. En effet, un changement de paradigme a bouleversé le traitement des cancers, avec l’arrivée de nouveaux médicaments qui ciblent le système immunitaire pour com-battre la tolérance de l’hôte à la présence d’un cancer et stimuler une réponse immu-nitaire anti-tumorale. L’utilisation d’anticorps inhibiteurs des points de contrôle de l’immunité (ICKi) est devenue aujourd’hui une des approches les plus efficaces pour traiter les patients atteints de cancer, avec des bénéfices de survie impressionnante, mais également des effets indésirables qui restent néanmoins limités (moins de 1% des patients).
Pour les patients atteints d’un cancer colorectal métastatique, le statut MMRd/MSI constitue un biomarqueur maintenant obligatoire pour être inclus dans les essais cliniques d’immunothérapie (anti-PD1, anti PD-L1 ± anti-CTLA-4), en raison de la valeur prédictive positive de ce statut pour l’efficacité de ces traitements (Le et al., 2015; Overman et al., 2018; André et al., 2020).
Une évaluation plus poussée de l’efficacité du blocage PD-1 chez des patients atteints de cancers avancés déficients en MMR dans 12 types de tumeurs différents a suggéré que le statut MSI puisse être un marqueur actionnable pour une thérapie de blocage des immune checkpoints (ICK), indépendamment du tissu d’origine du cancer (Le et al., 2017). Pour ces raisons, en 2017, la Food and Drug Administration (FDA), l’administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments, a accordé une autorisation accélérée pour le nivolumab et le pembrolizumab, ce dernier pour les tumeurs MMRd et/ou MSI métastatiques, quel que soit la localisation tu-morale (Marcus et al., 2019).
L’efficacité de cette thérapie est caractérisée par une activité clinique durable mais restreinte à un sous-groupe de patients. Discerner ce groupe de patients mi-noritaires et bons répondeurs est un défi majeur pour l’onco-immunologie dans les années à venir. C’est un des aspects relatifs à la recherche que j’ai menée au cours de ma thèse. Nous aborderons cette thématique plus en détail dans le chapitre IV.
L’immunohistochimie (IHC)
L’immunohistochimie permet l’étude de l’expression des protéines MMR sur des coupes histologiques. Physiologiquement, ces protéines sont ubiquitaires et sont localisées dans le noyau. Elles sont particulièrement exprimées dans les cellules du tiers inférieur des cryptes coliques, et dans les cellules stromales tels que les cellules inflammatoires et/ou les cellules endothéliales. Les mutations des gènes MMR (MLH1, MSH2, PMS2, MSH6) entraînent la perte d’expression de la protéine correspondante dans la grande majorité des cas et peuvent être détectées par IHC (2-7% de faux négatifs néanmoins selon les études) en utilisant des anticorps ciblant sur les 4 protéines (Figure 10). Les pertes de MLH1 et de MSH2 sont responsables d’une perte des protéines PMS2 et MSH6, respectivement, les secondes étant dégradées en l’absence de leur protéine partenaire. La perte de PMS2 ou de MSH6 n’est à l’inverse pas associée à une perte de MLH1 ou MSH2, mais ces cas sont plus rares (Colas et al., 2012; Shia, 2008).
Les tests moléculaires PCR
L’instabilité génomique induite par la perte d’expression des protéines MMR peut être également détectée par PCR. En 1997, un panel de 5 marqueurs, appelé panel de Bethesda, a été proposé pour l’analyse de MSI (Boland et al., 1998). Il comprend 2 répétitions mono-nucléotides (BAT-25 et BAT-26) et 3 répétitions dinucléotides (D5S346, D2S123 et D17S250) (Rodriguez-Bigas et al., 1997). Une PCR est réalisée sur ces 5 marqueurs et l’étude des produits d’amplification est réalisée par migration en électrophorèse capillaire sur un séquenceur. A partir des séquences obtenues, un examen détermine la taille de chacune des séquences microsatellitaires testées en les comparant entre le tissu tumoral et le tissu normal. Les tumeurs présentant une instabilité de 2 ou plus de ces marqueurs sont définies comme étant MSI-H (MSI-high), tandis que celles présentant une instabilité de 1 répétition ou ne montrant aucune instabilité sont définies comme des tumeurs à faible instabilité microsatelli-taires (MSI-low, MSI-L) ou stables (MSS), respectivement. Le panel de Bethesda est toujours l’un des panels de microsatellites les plus utilisés au monde et plus particulièrement aux États-Unis. Ce panel de Bethesda présentait cependant cer-taines limites notamment liées à la difficulté d’interprétation de l’amplification des microsatellites dinucléotidiques. Ainsi, la révision des recommandations Bethesda a proposé ultérieurement l’utilisation de marqueurs mononucléotidiques uniquement (Umar et al., 2004). Un test PCR alternatif, dit PCR Pentaplex, a été développé en intégrant 5 microsatellites mononucléotidiques quasi-monomorphiques (BAT-25, BAT-26, NR-21, NR-24 et NR-27), le caractère MSI étant défini par l’instabilité d’au moins 3 microsatellites (Buhard et al., 2004). Les tumeurs présentant trois marqueurs instables ou plus sont appelées MSI-H, et les tumeurs présentant un ou aucun marqueur instable sont appelées MSS. La PCR Pentaplex est aussi sensible et spécifique que le panel de Bethesda et présente l’avantage de ne pas avoir besoin d’une comparaison avec l’ADN non tumoral (Buhard et al., 2006). Ce test repose sur un brevet Inserm Transfert directement issu des travaux de mon laboratoire de recherche (références WO03072822 (A2)).
Par ailleurs, il a été récemment été montré que l’analyse unique du microsatellite T17 du gène codant pour la protéine chaperonne HSP110 (HT17) permet de détecter simplement et de manière également fiable les tumeurs coliques MSI (Buhard et al., 2016). Bien que la forte sensibilité du HT17 ait été a été confirmée dans une autre étude (Berardinelli et al., 2018), ce marqueur doit encore être d’être évalué plus avant, notamment dans des cancers autres que le cancer colorectal. De manière remarquable, ce marqueur a en outre un intérêt pronostique et son statut permet de prédire l’efficacité de la réponse au traitement dans les tumeurs MSI colorectales (Dorard et al., 2011; Collura et al., 2014) et de l’estomac (Renaud Soumis, cf. infra article joint à ma thèse auquel j’ai contribué). Il pourrait devenir, de fait, aussi intéressant à cribler en routine chez les patients, en particulier chez les patients avec un cancer gastrique MSI chez lesquels il pourrait devenir un marqueur théranostique très intéressant (Renaud, soumis).
Discordance IHC/PCR pentaplex
L’immunohistochimie est une technique peu coûteuse et peu gourmande en temps. Elle est couramment utilisée dans les services de pathologie. C’est une technique sensible, est utilisable même avec très peu de matériel tumoral. Sur les trois études majeures du domaine incluant 1144, 1066 et 1119 patients atteints de cancers col-orectaux, la sensibilité de la détection des tumeurs MSI par immunohistochimie était respectivement de 92%, 93% et 94% (Hampel et al., 2005; Lindor et al., 2002; Engel et al., 2006). De plus, contrairement au test PCR, l’immunohistochimie peut aider à identifier le gène affecté, ce qui permet d’orienter l’analyse des mutations germinales vers un seul gène et d’éviter l’analyse d’autres gènes MMR (Hampel et al., 2005). L’immunohistochimie est fiable dans le dépistage des mutations qui entraînent une troncature ou une dégradation de la protéine. Cependant, des faux positifs restent possibles en cas de mutations faux-sens qui entraînent des protéines mutantes catalytiquement inactives, mais antigéniquement intactes (Peltomäki and Vasen, 2004). L’immunohistochimie souffre également d’un manque de standardisa-tion des procédures (qualité de l’échantillon, anticorps choisi, choix de l’automate et du système de révélation utilisés,) (Overbeek et al., 2008). Contrairement à la PCR, elle semble fiable pour détecter le phénotype MMRd pour l’ensemble des tumeurs du spectre MSI. Les discordances sont particulièrement importantes pour certaines localisations tumorales, comme le cerveau par exemple.
Lorsque les quatre protéines MMR sont testées, la corrélation entre la perte d’expression des protéines MMR et le test PCR-MSI est excellente dans le CCR (0.4% sur 3228 patients) (Guyot D’Asnières De Salins et al., 2021). Par conséquent, si la disponibilité des ressources et de l’expertise le permet, une co-detection par PCR et IHC s’avère une stratégie intéressant et permet d’atteindre un niveau de sensibilité très élevé (99,6%) (Guyot D’Asnières De Salins et al., 2021). Un panel IHC de quatre anticorps doit être préféré à des panels de deux anticorps pour éviter de manquer des cas MMRd, même si ce point a été très débattu. Les cas discor-dants doivent être relus afin de détecter les erreurs « courantes », dues par exemple à la mauvaise qualité de l’échantillonnage des tissus et/ou de la qualité de de la fixation et de la coloration des tissus. Si la discordance reste inexpliquée, les tests doivent être répétés et analysés par une équipe d’experts. La discordance est un problème majeur dans la sélection des patients pour un traitement par ICKi. Elles sont plus souvent dues à des erreurs d’interprétation de la PCR. Les limites des tests MMR IHC et PCR-MSI doivent être connues des médecins afin d’éviter toute interprétation erronée, ce qui peut entraîner des erreurs de gestion clinique, en par-ticulier le recours aux ICKi. Notamment, mon laboratoire d’accueil a été montré que la résistance primaire aux inhibiteurs de point de contrôle immunitaire dans les cancers colorectaux métastatiques était due au diagnostic erroné du statut MSI en premier lieu (faux positifs MMRp/MSI) (Cohen et al., 2019).
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Table des matières
1 Le système MMR et les conséquences de son inactivation
1.1 Rôle du système MMR
1.1.1 La réparation des mésappariements
1.1.2 Efficacité de la réparation MMR
1.2 Conséquences de l’inactivation du système MMR
1.2.1 Phénotype d’Instabilité des microsatellites
1.2.2 Immunogénicité et Microenvironnement tumoral
2 Les cancers de phénotype MSI
2.1 Caractéristiques cliniques et épidémiologiques
2.1.1 Prévalence des cancers MSI
2.1.2 Syndrome de Lynch
2.1.3 CMMRD
2.2 Caractéristiques physiopathologiques et rôle pronostique
2.2.1 Cancer colorectal MSI localisé
2.2.2 Cancer colorectal MSI métastatique
3 Diagnostic des cancers MSI
3.1 Méthodes standards de diagnostic du statut MSI/MMRd
3.1.1 L’immunohistochimie (IHC)
3.1.2 Les tests moléculaires PCR
3.1.3 Discordance IHC/PCR pentaplex
3.2 Méthode émergente pour le diagnostic MSI
3.2.1 Panels de gènes
3.2.2 Diagnostic via l’ADN tumoral Circulant
3.2.3 Outils bio-informatiques pour le diagnostic MSI :
3.2.4 Autres outils basés sur la charge mutationnelle
3.3 Bilan et futures directions
4 Immunothérapie et traitements des tumeurs solides MSI
4.1 L’immunologie des cancers
4.1.1 L’immunité anti tumorale
4.1.2 L’échappement à la surveillance immunitaire
4.1.3 Echappement Immunitaire dans les cancers MSI
4.2 Immunothérapies pour le traitement des cancers MSI
4.2.1 Stratégie d’Inhibition de points de contrôle immunitaire (ICKi)
4.2.2 Effets secondaires
4.2.3 Emergence de l’immunothérapie pour les cancers MSI
4.3 Biomarqueurs de la réponse à l’immunothérapie chez les patients avec un cancer MSI
4.3.1 Erreurs diagnostiques
4.3.2 Pseudoprogression
4.3.3 La charge mutationnelle tumorale et les néo-antigènes
4.3.4 Mutation de B2M
4.3.5 Expression de PD-1/PD-L1
4.3.6 Le taux de lymphocytes et leucocytes
4.3.7 Microenvironnement stromal et fibroblastes associés aux tumeurs
4.3.8 Autres bio marqueurs de la réponse au ICKi
4.3.9 Bilan et défis
4.4 Immunothérapie : Futures directions
4.4.1 Cibler des points de contrôle immunitaires alternatifs
4.4.2 Développement de l’immunothérapie dans les stades précoces
4.4.3 Développements en situation prophylactique
5 Résultats
5.1 Article 1: Diagnostic de l’instabilité des microsatellites par NGS
5.2 Article 2: Mécanismes de résistance aux Inhibiteurs de points de contrôle immunitaire chez les patients MMRd/MSI
6 Annexes: Articles en co-auteurs & Brevet
6.1 Articles en co-auteurs
6.1.1 Article 3: Sélection et contre-sélection des mutations dans la tumorigenèse MSI
6.1.2 Article 4: Glande surrénale, un site sanctuaire pour l’immunothérapie126
6.1.3 Article 5: Impact du statut HSP110 T17 chez les patients atteints d’un cancer MSI gastrique résécable
6.2 Brevet: Méthode de diagnostic des cancers MSI
Conclusion, Discussion et perspectives
7 Discussion & Perspectives :
7.1 Développement du diagnostic MSI en NGS pan-tumoral
7.2 Autres approches MSI sur des échantillons de tissus tumoraux
7.3 Vers les tests MSI en biopsie liquide
7.4 TMB et réponse à l’immunothérapie
7.5 Importance de l’environnement tumoral dans la résistance au ICKi
Bibliographie
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