Télécharger le fichier pdf d’un mémoire de fin d’études
Historique des cas d’immunogénicité des PT
Le nombre d’études décrivant des problèmes d’immunogénicité de PT via la présence d’ADA chez des patients est important et ne cesse de croître avec le développement des biomédicaments, même si les précautions prises par les laboratoires pharmaceutiques sont de plus en plus efficaces. Cette sous-partie relate quelques faits marquants de l’immunogénicité des PT et ses nombreuses conséquences sur la santé des patients. En 1983, l’un des premiers mAbs murins, un anti-Leu1 (antigène des cellules T tumorales) nommé T101, est utilisé comme thérapie contre un lymphome des cellules T. Chez 4 des 7 patients traités, les injections répétées induisent l’apparition d’ADA de classe IgG et dirigés à 95% contre les parties murines du T101. Les ADA provoquent un échappement tumoral au traitement chez trois d’entre eux, ce fut l’une des premières preuves de l’immunogénicité d’un mAb d’origine non humaine (Miller et al. 1983). En 1988, un patient présentant des troubles hormonaux devient résistant au traitement à la gonadotropine chorionique humaine, commencé 10 puis 17 ans auparavant par phases de 6 mois. Des ADA spécifiques de l’hormone sont détectés dans le sérum du patient, neutralisent l’activité thérapeutique et obligent le corps médical à changer d’hormone sexuelle. Cet événement constitue la première preuve d’immunogénicité d’une hormone humaine de remplacement (Thau et al. 1988). En 1986, le premier mAb murin à avoir été développé, un anti-CD3 de classe IgG2a nommé OKT3, est utilisé en prévention du rejet de greffe rénale, parfois en association avec des immunosuppresseurs. Des Ac neutralisants et augmentant la clairance spécifiques de l’OKT3 ont été détectés chez tous les patients traités avec l’OKT3 seul. Les immunosuppresseurs réduisent nettement l’apparition et l’intensité de la réponse immunitaire puisque les ADA détectés sont alors ni neutralisants, ni clairants. Deux ans plus tard, l’OKT3 est toujours utilisé en prévention du rejet de greffe de reins chez l’Homme. Chez 3 patients puis chez 9 patients deux ans tard, la première injection provoque en l’espace de quelques heures une fièvre, des frissons, maux de tête et diarrhées suite à un syndrome de libération de cytokines (Cytokine Release Syndrome ou CRS). Les cytokines impliquées sont le TNFα, l’IL-2 et l’IFNγ, et sont sécrétées spécifiquement par certains LT dont l’activation par l’OKT3 murin a provoqué un CRS grave. Ce fut l’une des premières preuves d’immunogénicité et d’immunotoxicité d’un mAb d’origine non humaine (Chatenoud et al. 1986, 1988). En 1993, 262 patients atteints de la maladie de Gaucher de type 1, provoquée par une mutation autosomique d’une enzyme lysosomale, sont traités avec une enzyme thérapeutique remplaçant la glucosylcéramidase mutée. En moins d’un an de traitement, 34 patients (soient 13%) développent des ADA, de classe IgG1 et ne montrant aucun effet sur l’efficacité du traitement. Aussi, 14 patients présentent une hypersensibilité immédiate de type II (pseudo-allergie indépendante des IgE) suite aux injections, dont 5 patients ne présentent pas d’ADA contre l’enzyme de remplacement. Cet épisode constitue le premier relevé clinique d’ADA contre une enzyme thérapeutique, et souligne la complexité des liens entre la présence d’ADA, leur capacité de neutralisation de la PT et réaction allergique (Richards, Olson & McPherson 1993). En 1999, le mAb murin anti-CD52 CAMPATH-1 est utilisé afin de prévenir le rejet de greffe. Chez 15 patients sur 17, des ADA contre le mAb murin sont détectés et menacent le prolongement du traitement alors qu’aucun ADA n’est détecté contre sa version humanisée chez les 12 patients testés. Cette expérience est l’une des premières à démontrer que l’humanisation des séquences constitue une solution à l’immunogénicité des PT, surtout des mAbs, mais des études montrent par la suite que cela n’est pas toujours suffisant (Rebello et al. 1999). De 1999 à 2002, l’injection répétée d’EPO, une hormone précurseur des hématies, chez des patients atteints d’aplasie suite à une insuffisance rénale a induit chez 13 d’entre eux la production d’ADA neutralisant les PT et la protéine endogène. Les ADA bloquaient alors la formation d’hématies et ont déclenché un stade aggravé d’érythroblastopénie. Chez 12 d’entre eux, les ADA reconnaissaient des épitopes conformationnels de la protéine, chez le patient restant, les ADA reconnaissaient des épitopes conformationnels et séquentiels de l’EPO. Ces deux épisodes ont marqué le risque d’autoimmunité par la présence d’un homologue endogène aux PT, l’injection pouvant perturber une tolérance envers la protéine endogène (Casadevall et al. 2002). Ces nombreux événements montrent les conséquences de l’immunogénicité des PT qui peuvent avoir des conséquences graves. Ils ont obligé les institutions de contrôle à réagir et imposer davantage de contrôles sur les PT avant que les tests sur l’Homme soient effectués (Wadman 2006). Heureusement, l’immunogénicité des PT peut avoir des effets moins dangereux pour la santé des patients. On dénombre aujourd’hui un grand nombre d’articles révélant la production d’ADA contre des PT et ce, à différents niveaux : champs thérapeutiques, taille des cohortes de patients, type de PT, etc. La sensibilité et l’exhaustivité des données sur les ADA récoltées durant des phases cliniques sont souvent différentes d’une étude à une autre. En effet, même si les instances de contrôle des médicaments ont établi des réglementations strictes et placé l’immunogénicité au centre des stratégies de gestion des risques, les techniques utilisées demeurent au choix du laboratoire menant l’étude, et les problématiques et les tests qui en découlent peuvent différer. Afin d’appuyer ces propos, nous avons comparé deux revues récentes résumant des données sur les ADA contre des PT (Cf. Tableau 5). L’une étudie les ADA détectés contre 26 PT utilisées en oncologie (van Brummelen et al. 2016), l’autre contre 121 PT tous champs thérapeutiques confondus (Wang et al. 2016). La première revue déplore que les données sur les ADA en cancérologie soient moins renseignées que dans d’autres pathologies. En effet, sur 81 études cliniques recensées contre le cancer pour lesquelles la recherche d’ADA a été effectuée, 63% détectent des ADA et moins de la moitié d’entre elles ont recherché leurs effets sur la santé du patient, l’efficacité du traitement ou la pharmacocinétique (PK) de la PT. Enfin, les auteurs soulignent entre autre la nécessité de standardiser les tests de détection et analyse d’ADA, plus spécialement en oncologie. La seconde revue rapporte des résultats statistiques bien différents et relève des disparités de sensibilité entre les différents paramètres des effets des ADA. D’après les auteurs, l’étude de la PK de la PT et des ADA semble la méthode la plus sensible, notamment pour l’anticipation de l’effet des ADA sur l’efficacité du traitement. Ainsi, les deux revues soulignent-elles la difficulté à collecter des données standardisées, équivalentes ou complètes sur la détection et surtout l’étude des effets des ADA tant les techniques et données collectées peuvent varier. Le Tableau 5 résume les données générales sur les ADA récoltées dans chacune des revues. Les PT n’étant pas listées dans la seconde revue, il est probable que certaines PT soient communes aux deux.
ND, Absence de données, ADA, Anticorps anti-drogue, Ctk, Cytokines, Enz, Enzymes, GF / H, Facteurs de croissance et hormones, mAbs, Anticorps monoclonaux, PK, Pharmacocinétique, PPT, Protéines, peptide et toxines thérapeutiques.
On constate que les effets des ADA sont totalement différents, ce que l’on peut en partie expliquer par le nombre de PT pris en compte dans chaque revue. Dans la première, le faible nombre de données collectées semble donner des résultats moins représentatifs de la réalité que la seconde dont l’échantillon est jusqu’à 9 fois plus grand pour l’effet sur la PK par exemple. De plus, les patients atteints de cancer ont en général un système immunitaire moins réactif que dans d’autres pathologies, les ADA sont donc moins fréquents dans la première revue que dans la seconde qui traite de diverses pathologies. Parmi les mAbs de la première revue, les fréquences moyennes sont de 6% pour les 5 mAbs humains, 5% pour les 7 mAbs humanisés, 6% pour les 4 mAbs chimériques, 45% pour les 3 mAbs murins, et enfin 30% pour les 5 toxines et autres PT. Ces chiffres montent que le degré d’humanisation diminue le risque d’apparition d’ADA, mais pas totalement.
Risques pour le produit
Les réponses immunitaires contre les PT peuvent avoir des conséquences sur la protéine (disponibilité, efficacité, etc.), ce sont les risques pour le produit.
Les ADA n’ont aucun effet
Il se peut que des patients développent des ADA, mais que ces derniers n’aient aucun effet. Les patients ADA positifs présentent alors la même réponse au traitement que les ADA négatifs, les ADA semblent ne modifier aucun paramètre de la PT, que ce soit la PK ou bien son efficacité thérapeutique.
Effet sur la pharmacocinétique
La demi-vie de la PT dans l’organisme peut être perturbée par les ADA qui accélèrent ou limitent la dégradation de la PT, on parle alors de clearing anti-drug antibodies (CADA) ou de sustaining anti-drug antibodies (SADA). En mesurant la concentration de la PT et en ADA dans le sang après administration, on peut déterminer la demi-vie de la PT ainsi que sa clairance en présence ou absence d’ADA. Les SADA diminuent la clairance de la PT par rapport à la PT sous sa forme libre, c’est-à-dire que le complexe immun PT-ADA est moins vite épuré par les reins que la PT seule. Par exemple, l’insuline asparte (un acide aspartique remplace la proline en position 28 de la chaîne β) a induit des ADA après de multiples injections chez 33 patients diabétiques, les ADA augmentant significativement la durée de la présence d’insuline dans le sang (Chen et al. 2005). Au contraire, les CADA augmentent la clairance et facilite sa filtration. De tels ADA ont été observés durant un essai clinique de l’Infliximab (mAb chimérique anti-TNFα). Sur 27 patients, 5 étaient exposés à des doses sous-thérapeutiques d’Infliximab en moins d’une heure à cause d’ADA déjà présents avant l’injection (van den Bemt et al. 2011). Généralement, les ADA formant des complexes immuns de grosse taille augmentent la clairance de la PT tandis que ceux formant de plus petits complexes immuns la diminue. Dans les deux cas, la dose administrée doit être ajustée et un suivi de la concentration sérique plus régulier doit être mis en place. Enfin, l’activité neutralisante ou non-neutralisante des ADA est dissociée à leur effet sur la PK.
Neutralisation et résistance au traitement
Les ADA peuvent reconnaître comme épitope le site d’activité biologique de la PT et s’y fixer ou gêner sa disponibilité par encombrement stérique ou changement de conformation. La protéine liée voit alors son activité neutralisée par des ADA dits neutralisants (NADA) et le traitement a de moins en moins d’effets thérapeutiques. Le caractère neutralisant des ADA peut être confirmé par des tests cellulaires in vitro ou biochimiques, les deux évaluant la capacité des ADA à interférer l’activité biologique de la PT en présence de sa cible. L’un des exemples les plus marquants est celui des NADA développés contre l’EPO thérapeutique réagissant de manière croisée avec l’EPO endogène, ce qui aggrava fortement les symptômes pour lesquels les patients étaient traités (Casadevall et al. 2002). Des NADA ont aussi été détectés contre l’IFNβ dans le traitement contre la SEP et l’Infliximab et l’Adalimumab dans le traitement contre l’AR par exemples, diminuant l’effet thérapeutique des traitements (Kim et al. 2007, van Schouwenburg et al. 2013). Plus précisément, les NADA induits contre l’IFNβ neutralisaient les deux types d’IFN thérapeutiques : β1a et β2a (Khan & Dhib-Jalbut 1998). Plus tard, des NADA de sous-types IgG1 et IgG4 détectés chez des patients traités à l’IFNβ ont en partie neutralisé l’IFNβ endogène, les effets cliniques de cette neutralisation restent cependant inconnus. Aussi, les NADA induits contre les mAbs anti-TNFα étaient de classe IgE et IgG, ils ont nettement diminué l’efficacité du traitement, nécessitant d’augmenter les doses administrées et augmentant ainsi le risque d’immunogénicité et d’effets secondaires (Murdaca et al. 2016). Dans le cas d’ADA comportant une activité neutralisante et une concentration importante dans le sang, ils peuvent induire une résistance au traitement. Les patients présentant ces critères deviennent résistants à un traitement, c’est ainsi que des patients sont devenus résistants au traitement à l’IFNβ contre la SEP dans les années 2000 (Scagnolari et al. 2002). Dans ce cas, il faut augmenter la dose administrée dans les limites de la dose thérapeutique, tout en surveillant le dosage d’ADA. Cela implique cependant une augmentation du risque d’immunogénicité ainsi qu’une augmentation du coût du traitement. Lorsque cette option n’est pas efficace, ce qui arrive généralement si la durée du traitement perdure, il faut passer à un traitement alternatif et changer de molécule thérapeutique. Par exemple, le changement d’hormone sexuelle fut une solution pour le patient devenu résistant à son traitement à la gonadotropine chorionique (Thau et al. 1988). Aussi, changer de mAb anti-TNFα chez des patients traités pour l’AR a permis de restaurer efficacement une sensibilité au traitement chez des patients devenus résistants à un premier anti-TNFα (Atzeni et al. 2013).
Risques pour le patient
Les conséquences pour la santé du patient peuvent varier entre l’absence de symptômes, une inflammation localisée autour de la piqûre ou plus gravement, un choc anaphylactique en cas d’allergie à la protéine, et enfin une réponse auto-immune contre la protéine endogène. La réponse humorale peut induire la présence d’ADA avec une tendance le plus souvent accrue pour une protéine non humaine. Cependant, il existe des protéines thérapeutiques entièrement humaines qui ont provoqué une réponse humorale (Maillère et al. 2012). En effet, l’humanisation des séquences a été un système efficace pour baisser l’immunogénicité des PT, mais sans l’annuler totalement.
Allergies
L’allergie se caractérise par une réponse immunitaire disproportionnée face à une substance ne nécessitant normalement pas une réponse immunitaire forte voire pas de réponse du tout. L’allergie se manifeste le plus souvent par une inflammation en présence de ladite substance, la sensibilité et l’intensité de la réponse peuvent varier d’une inflammation localisée à une altération de plusieurs organes. Si le traitement n’a plus d’effet thérapeutique, il doit être arrêté avant que les réactions immunitaires ne deviennent néfastes voire dangereuses pour la santé du patient. Dans le cadre d’une allergie IgE-dépendante à un médicament, l’allergie se développe en trois temps : (1) Première rencontre de cellules immunitaires avec la molécule médicamenteuse, en conditions inflammatoires suite à une injection par exemple, le système immunitaire du patient se sensibilise à la molécule. (2) Mise en place et en mémoire de cellules immunitaires spécifiques de la molécule avec production d’ADA, cette phase de latence dure une dizaine de jours. (3) Réponse immunitaire exacerbée dès l’administration de la molécule au patient. Cette dernière phase peut faire intervenir différentes cellules et messagers immunitaires et peut être divisée en 5 types de réactions majeures, présentés dans le Tableau 6. Ce tableau est adapté des données de l’article de Descotes et présente les principales réponses allergiques à un médicament, toutes classes moléculaires confondues (Descotes & Choquet-Kastylevsky 2001). Les types de réaction peuvent s’entrecroiser, un choc anaphylactique peut par exemple être causé de manière dépendante ou indépendante des IgE. La plupart des réactions allergiques aux COS dépendent des IgE. Compte tenu de la nature des PT comparée à celle des COS, des réactions allergiques à une PT peuvent emprunter d’autres voies non-présentées ci-dessous.
CPA, Cellules présentatrices d’antigènes, Ig, Immunoglobulines, LT, Lymphocytes T, NK, Cellules tueuses naturelles.
L’allergie à une PT implique généralement des Ac de classe IgE (Cf. Tableau 6, Hypersensibilité immédiate/Anaphylaxie). Ces IgE sont formés à partir de LB activés par des lymphocytes CD4+ Th2, ce sont les cytokines que ces derniers sécrètent qui orientent la commutation de classe IgM à IgE dans une cellule sécrétrice d’Ac. Ainsi, lorsqu’une IgE rencontre une PT pour laquelle elle présente une bonne affinité, elle active les récepteurs de forte affinité pour sa partie effectrice présents en surface de cellules mastocytes ou basophiles, en latence dans les tissus. Ces derniers génèrent alors une réponse immunitaire disproportionnée, appelée réaction à l’injection, qui se déroule en 3 phases : (1) Réaction aigüe, la sécrétion de molécules vasoactives (histamine, prostaglandines, leucotriènes, etc.) dilate les artérioles, augmente la perméabilité veineuse et cause des rougeurs cutanées. Ces molécules sont relâchées dans le sang périphérique et ont un effet global, c’est le choc anaphylactique. Ces symptômes peuvent s’arrêter à une inflammation locale, ou mener à des dommages importants dans des organes voire la mort du patient. (2) Réaction tardive, survient 10 à 12 heures après le choc anaphylactique par le recrutement de lymphocytes CD4+ Th2. Ils sécrètent des cytokines proinflammatoires qui provoquent entre autres des rougeurs et gonflements au niveau local. (3) Inflammation chronique, caractérisée par une infiltration de cellules immunitaires proinflammatoires dans les tissus touchés pouvant être activées rapidement à chaque nouvelle rencontre avec l’Ag (Bochner & Lichtenstein 1991). En 2011, un patient atteint de diabète de type II (résistance à l’insuline) fait un choc anaphylactique suite à l’injection d’insuline recombinante, moins d’un an après le début de l’insulinothérapie. Des IgE spécifiques de l’insuline recombinante sont détectées dans le sérum du patient. Un protocole de désensibilisation des basophiles à l’insuline a rétabli une tolérance envers d’autres insulines de remplacement (Luyasu et al. 2011). En 2012, un grand nombre de patients traités à l’Infliximab, un mAb chimérique anti-TNFα, développent des ADA. Certains d’entre eux présentent en plus une réaction d’hypersensibilité (ou réaction à l’injection) dès la première injection, des IgE spécifiques sont identifiés comme responsables dans 30% des cas (Matucci et al. 2013). Dans les deux études, la positivité de tests cutanés est corrélée à l’implication d’IgE spécifiques des PT. Ces données apportent ainsi un test prédictif et inoffensif sur la réactivité dépendante des IgE des patients aux PT, évitant ainsi de sévères complications pour la santé du patient. Aussi, des réactions à l’injection peuvent avoir lieu dès la première administration de la PT et ne pas être de nature allergique, elles sont dites IgE-indépendantes ou réactions pseudo-anaphylactiques. Elles présentent les mêmes premiers symptômes que les réactions d’hypersensibilité allergique et leurs conséquences peuvent aussi varier d’une inflammation locale sans dommages à la mise en danger de la vie du patient. Causées spécifiquement par les mAbs, et plus particulièrement par ceux réagissant avec les cellules du sang périphérique, ces réactions se manifestent généralement par un CRS. Le CRS est en effet initié par la cytotoxicité des cellules T, NK et granulocytes ou l’activation du système du complément par la partie effectrice des mAbs (domaine Fc). Plus précisément, lorsqu’un mAb se fixe à son Ag exprimé par une cellule immunitaire circulant dans le sang, des chimiokines attirant d’autres cellules immunitaires effectrices et des molécules du complément sont sécrétées. Les cellules recrutées possédant une activité cytotoxique tuent la cellule cible qui relâche des cytokines proinflammatoires dans la circulation sanguine, les cellules recrutées relâchent à leur tour ce type de cytokines. Cette réaction peut s’amplifier, allant d’un relargage cytokinique contenu à un CRS généralisé. Ce sont ces réactions qui ont été observées lors des essais cliniques du mAb murin anti-CD3 OKT3 et du mAb humanisé anti-CD28 TGN1412, et dont les conséquences ont été très graves (Chatenoud et al. 1986, 1988; Suntharalingam et al. 2006). En oncologie, ces réactions sont particulièrement courantes lors de l’utilisation de mAbs dirigées contre des cellules tumorales circulant dans le sang. En effet, les mAbs chimériques tels que le Rituximab et le Cetuximab provoquent des réactions IgE-indépendantes dans 14 à 77% et 15 à 20% des cas, respectivement. Ces réactions sont liées à l’immunotoxicité des Ac et ne dépendent directement pas du taux d’humanisation des Ac. En effet, elles concernent aussi des mAbs humanisés et humains tels que le Trastuzumab et l’Ofatumumab dans 40% des cas. Fort heureusement, la grande majorité de ces réactions n’ont pas de conséquences graves pour la santé des patients. On constate que le taux d’incidence varie selon la pathologie et même selon le type de cancer pour un même mAb. Enfin, ces réactions peuvent être contrôlées par l’administration d’anti-fièvre, de bloqueurs histaminiques, et l’arrêt temporaire avec une reprise plus douce et espacée du traitement (Vogel 2010).
Anticorps préexistants
Les ADA préexistants sont définis comme des Ac endogènes spécifiques d’une séquence couvrant un épitope présent sur un biomédicament, ils sont présents chez des sujets avant le début d’un traitement. Ils peuvent faire partie du pool naturel d’Ac présents chez un sujet, ou avoir été induit en réponse à un Ag environnemental ou même à une molécule thérapeutique préalablement administrée et présentant certaines homologies avec le biomédicament. Les causes de la présence d’ADA préexistants sont nombreuses, les principales étant l’exposition à des Ag présentant des homologies de séquence ou de conformation avec une PT. Comme les autres ADA, les Ac préexistants constituent un risque potentiel pour le traitement et la santé du patient puisqu’ils peuvent reconnaître une PT dès la première administration et déclencher une réponse immunitaire contre celle-ci, leur existence justifie donc le dosage d’ADA avant le début d’un traitement avec une PT. Aussi, ils peuvent n’induire aucun symptôme, ou bien influencer la PK, être neutralisants, et sont le plus souvent des Ac de classes communes aux ADA : IgG et IgE (Gorovits et al. 2016). De tels ADA ont déclenché une réaction d’hypersensibilité chez des patients traités pour la première fois avec un mAb chimérique anti-EGFR (Epidermal Growth Factor Receptor), le Cetuximab. Ce mAb chimérique utilisé dans le traitement de certains cancers comporte un oligosaccharide sur sa partie hypervariable murine, dont le motif Galactose-α-1,3-Galactose est commun aux protéines de mammifères non primates. Ce motif est reconnu par des Ac de classe G chez l’humain et ne causent généralement pas de réactions graves contre le Cetuximab, mais une réaction croisée médiée par des Ac de classe IgE a induit un choc anaphylactique chez de nombreux patients traités dès la première injection dans une région restreinte des Etats-Unis. De tels Ac sont rarement observés dans le reste du monde, leur forte présence dans le sang a été expliquée par des Ag environnementaux (pathogènes et parasites endémiques de cette région) auxquels étaient exposés les patients (Chung et al. 2008). Cet épisode et les ADA préexistants observés contre d’autres biomédicaments (protéines de fusion, de remplacement, thérapie génique, etc.) démontrent donc la nécessité de doser les Ac réactifs à une PT avant le début du traitement, d’autant plus lorsque cette dernière contient des séquences non humaines ou est synthétisé par des cellules non humaines.
Auto-immunité
Enfin, l’immunogénicité d’une PT peut induire des symptômes autoimmuns lorsque les ADA reconnaissent une protéine endogène. L’événement le plus marquant d’auto-immunité déclenchée par une PT est l’EPO thérapeutique administrée à des patients atteints d’anémie comme précédemment relaté (Cf. I.2.1.B. Historique des cas d’immunogénicité des PT) (Casadevall et al. 2002). On peut citer deux autres exemples d’auto-immunité induite par des PT : (1) Trois patients traités avec des facteurs de croissance recombinants humains pour une thrombopénie ont développé une thrombopénie sévère, caractérisée par une réduction importante de plaquettes. Cette auto-immunité était médiée par des Ac de type G neutralisant l’activité thérapeutique des facteurs recombinants et reconnaissant la thrombopoïétine (TPO) endogène, les patients présentaient alors une diminution du nombre de mégacaryocytes (cellules produisant les plaquettes) dans la moelle osseuse. Pour deux des 3 patients, la TPO circulante était inactive et principalement sous forme de complexes immuns (Li et al. 2001). (2) Dans le cadre de traitement de maladies inflammatoires telles que l’AR, la maladie de Crohn ou du psoriasis, l’administration de certains mAbs anti-TNFα (Infliximab, Etanercept et Adalimumab) induisait une baisse considérable de facteurs autoimmuns (cytokines proinflammatoires, etc.), ce qui avait un effet positif sur la santé des patients. Cependant, le traitement induisait aussi des Ac reconnaissant des molécules du soi telles que l’ADN double brin, les phospholipides ou des constituants du noyau cellulaire, touchant de 5 à 91% des patients selon le mAb utilisé et la pathologie. Fort heureusement, ces réactions autoimmunes pouvaient être résolues par un traitement additionnel de glucocorticoïdes et immunosuppresseurs. Ces traitements sont depuis souvent utilisés en parallèle dans traitements anti-TNFα afin de prévenir ces réactions autoimmunes (Atzeni et al. 2005, Pirowska et al. 2015). Ainsi, les conséquences de l’immunogénicité touchant plusieurs biomédicaments ont failli mettre en péril l’avenir des PT, tant les répercussions sur la santé des patients peuvent êtres lourdes et les exemples nombreux. En effet, les modèles animaux auparavant utilisés en phases précliniques pour les molécules peu immunogènes comme les acides nucléiques par exemple étaient efficaces et permettaient de prédire l’immunogénicité de ces molécules. Mais avec le développement des PT et leur humanisation, ces modèles sont devenus incomplets voire inefficaces puisqu’aucun animal non modifié ne permet de mimer parfaitement la réaction immunitaire adaptative humaine face à une protéine, aussi humaine soit-elle.
Mécanismes cellulaires de l’immunogénicité
Lors d’une réponse immunitaire qui induit une production d’Ac contre un antigène T-dépendant, trois types cellulaires sont impliqués, il s’agit des cellules présentatrices d’antigènes (CPA), des lymphocytes T CD4+ (LTh) et des LB. Les DC sont les CPA les plus courantes et sont dites professionnelles, car elles peuvent présenter à la fois des Ag endogènes aux lymphocytes T CD8+ (LTc), des Ag exogènes aux LTh et exprimer des molécules de costimulation qui permettent l’amplification de la réponse des cellules T. Les LB sont les cellules productrices d’Ac, chaque LB exprime à sa surface et/ou sécrète une seule sorte d’Ac qui leur permet de fixer de manière sélective un Ag. La séquence de l’Ac résulte de la recombinaison de ses propres gènes au stade précurseur de LB (Brack et al. 1978, Weigert et al. 1978). La grande variété des séquences d’Ac est donc due au nombre important de gènes codant pour les Ac ainsi que de leurs réarrangements et mutations. Cette variabilité a pour effet de couvrir un vaste répertoire d’Ag pouvant être reconnus par le système immunitaire. Enfin, les LTh sont les cellules qui initient majoritairement la production d’Ac. Chaque LTh peut reconnaître des séquences antigéniques, nommées épitopes T, qui peuvent être présentes sur plusieurs Ag et inversement, un Ag peut présenter plusieurs fois le même épitope. En effet, pour initier la réponse humorale, le récepteur T des LTh doit reconnaître spécifiquement des peptides présentés par les molécules HLA de classe II et recevoir un signal de costimulation pour être activé. C’est donc le réarrangement des gènes de récepteur des cellules T (TCR) qui donne un TCR bien particulier et propre à chaque LTh. Une fois activés, les LTh sécrètent des cytokines ainsi que des molécules de costimulation, ce qui enclenche la sécrétion d’Ac spécifiques de l’Ag par les LB.
Les Lymphocytes B et les anticorps
Les anticorps
– Structure générale
Les Ac, ou immunoglobulines (Ig), sont des glycoprotéines (4 à 18% de polyoses) d’environ 150 kDa de poids moléculaire et ont pour rôle principal de se lier et neutraliser de manière spécifique un Ag libre ou exprimé par une cellule. Les Ac sont des protéines sériques, font partie de la superfamille des immunoglobulines et partagent avec d’autres molécules leur structure et leur capacité de reconnaissance ou d’activation, comme le TCR, les molécules HLA de classe I-II, le CD4 et le CD8 (Larhammar et al. 1982). Ils peuvent être exprimés à la surface membranaire des LB, formant le récepteur des cellules B (BCR) avec le co-récepteur CD79α-β, ou bien être sécrétés par des LB matures hautement différenciés appelés plasmocytes. Sous leur forme membranaire, ils permettent aux LB leur survie et leur sélection, un LB va cependant exprimer ou sécréter un unique Ac, selon la théorie de sélection clonale de Sir MacFarlane (Nature 1958). Sous leur forme soluble, ils sont le support de l’immunité à médiation humorale, qui vient compléter l’immunité cellulaire médiée par des cellules lymphocytaires. Plus généralement, le rôle des Ac tient une place très importante dans la réponse adaptative, de par sa spécificité, son amplitude et son territoire d’action qui couvre l’ensemble de l’organisme via les réseaux lymphatique et sanguin.
|
Table des matières
INTRODUCTION GENERALE
CONTEXTE SCIENTIFIQUE
CHAPITRE I. IMMUNOGENICITE DES PROTEINES THERAPEUTIQUES
I.1. Les protéines et peptides thérapeutiques
I.1.1. Anticorps thérapeutiques
I.1.2. Protéines de remplacement
I.1.3. Cytokines et hormones
I.1.4. Enzymes
I.1.5. Toxines
I.1.6. Peptides thérapeutiques
I.2. Conséquences de l’immunogénicité
I.2.1 Problèmes et limites rencontrées pour les protéines thérapeutiques
I.2.1.A. Définition des ADA
I.2.1.B. Historique des cas d’immunogénicité des PT
I.2.2. Risques pour le produit
I.2.2.A. Les ADA n’ont aucun effet
I.2.2.B. Effet sur la pharmacocinétique
I.2.2.C. Neutralisation et résistance au traitement
I.2.3. Risques pour le patient
I.2.3.A. Allergies
I.2.3.B. Anticorps préexistants
I.2.3.C. Auto-immunité
I.3. Mécanismes cellulaires de l’immunogénicité
I.3.1. Les Lymphocytes B et les anticorps
I.3.1.A. Les anticorps
– Structure générale
– Classes ou isotypes
– Fixation à l’antigène
– Région charnière
– Isotype, allotype et idiotype
– Structure génétique
– Recombinaisons, épissage et traduction
– Sélection de classe
I.3.1.B. Les Lymphocytes B
– Ontogénie des Lymphocytes B
– Maturation et différenciation des LB
I.3.2. Les DC et les molécules HLA de classe II
I.3.2.A. Les cellules dendritiques
– Différenciation et localisation
– Fonctions biologiques dans l’immunité
– Activation des DC par les PRR
I.3.2.B. Les molécules du complexe majeur d’histocompatibilité
– Distribution histologique et cellulaire des molécules HLA
– Caractéristiques des molécules HLA de classe II
– Capture, clivage et apprêtement des antigènes par les DC
– Interactions molécules HLA de classe II / peptide
I.3.3. Le TCR et les lymphocytes T
I.3.3.A. Le TCR
– Structure
– Complexe TCR-CD3
– Organisation génétique et réarrangement
I.3.3.B. Les Lymphocytes T CD4
– Ontogénie des Lymphocytes T
– Répertoire T
– Sélection thymique
– Tolérance centrale
– Différenciation des Lymphocytes T
– Sous-populations lymphocytaires T CD4
I.3.3.C. Activation du lymphocyte T
– Interaction TCR / peptide-HLA et co-récepteur CD4
– Molécules de costimulation et d’adhésion
– Activation des lymphocytes T CD4
– Réponse humorale initiée par les lymphocytes T CD4+
I.4. Facteurs de l’immunogénicité
I.4.1. Facteurs liés au produit
I.4.2. Facteurs liés au traitement
I.4.3. Facteurs liés au patient
I.5. Evaluation de l’immunogénicité
I.5.1. Prédiction de l’immunogénicité
I.5.1.A. Modèles de prédiction in vivo
I.5.1.B. Modèles de prédiction in silico
I.5.1.C. Modèles in vitro de liaison aux molécules HLA de classe II
I.5.1.D. Modèles de prédiction in vitro de culture de cellules T humaines
I.5.2. Evaluation clinique
I.5.2.A. Stratégies
I.5.2.B. Méthodes d’évaluation
CHAPITRE II. LA RELAXINE-2 HUMAINE
II.1. Historique et classification
II.1.1. Historique
II.1.2. La famille de peptides Relaxine
II.1.3. La superfamille d’hormones Insuline
II.2. Génétique
II.2.1. Organisation génique
II.2.2. Expression et régulation
II.3. Structure
II.3.1. Structure générale
II.3.2. Les récepteurs RXFP
II.4. Fonctions biologiques
II.4.1. Fonctions des peptides de la famille Relaxine
II.4.2. Rôles dans le système reproducteur
II.4.3. Rôles dans le système cardiovasculaire
II.4.4. Rôles dans des systèmes annexes
II.4.5. Rôle dans le système immunitaire
II.5. Applications thérapeutiques
II.5.1. Essais cliniques contre la sclérodermie systémique
II.5.2. Essais cliniques sur l’amélioration des conditions d’accouchement
II.5.3. Essais cliniques contre l’insuffisance cardiaque
II.5.4. Champs thérapeutiques potentiels
II.5.5. Réponses immunitaires en essais cliniques
CHAPITRE III. IMMUNOGENICITE DES MODIFICATIONS CHIMIQUES
III.1. Modifications des protéines thérapeutiques
III.1.1. Modifications post-traductionnelles
III.1.1.A. Modifications post-traductionnelles des protéines
– Phosphorylation
– Glycosylation
III.1.2. Modifications non-naturelles
III.1.2.A. PEGylation
III.1.2.B. Oxydation
III.1.2.C. Agrégation
III.1.2.D. Acides aminés non naturels
– Acides aminés D
– Peptides rétro-inverso
– Acides iso-butyriques
– Acétylation
– Méthylation
– Réduction
– Peptoïdes
OBJECTIFS
RESULTATS
Article 1: Healthy donors exhibit a CD4 T cell repertoire specific to the immunogenic hormone H2-relaxin before any injection.
Introduction
Material and methods
Results
Discussion
Abbreviations
Author contributions
References
Figure and table legends
Article 2 (en cours d’écriture) : Effets d’acides aminés non-naturels sur la reconnaissance par des TCR et l’induction de lignées spécifiques d’un épitope de lymphocyte T CD4 immunoprévalent.
Introduction
Matériel et méthodes
Résultats
Discussion
Conclusion
Tableaux supplémentaires
Références
Résultats complémentaires (résultats non publiés) : Etude du potentiel immunogénique des analogues de la Rln2.
Introduction
Matériel et méthodes
Résultats et discussion
DISCUSSION GENERALE
Immunogénicité de la Relaxine-2
Rôles des lymphocytes T CD4 dans l’induction d’ADA contre la Relaxine-2
Rôle immunologique de la Relaxine-2
Risques liés aux ADA anti-Relaxine-2
Comparaison avec l’EPO et l’insuline
Avantages et limites du modèle de prédiction utilisé
Dé-immunisation de la Relaxine-2
Rôle des modifications chimiques sur l’immunogénicité
Choix de la méthodologie
Effets différents d’une modification à une autre
Positions non-permissives et permissives
Utilité pour la prédiction de l’immunogénicité
CONCLUSION ET PERSPECTIVES
LISTE DES ABBREVIATIONS
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Télécharger le rapport complet